Source : Reporterre
Le raout annuel du monde agricole productiviste s’ouvre au public et à Paris ce samedi pendant que les agriculteurs vivent un drame profond. À l’opposé, ceux qui ont refusé la logique industrielle retrouvent la fierté d’être paysans, raconte l’auteur de cette tribune, pour qui l’ancien monde doit laisser émerger les néo-paysans.
Le raout annuel du monde agricole productiviste s’ouvre au public et à Paris ce samedi pendant que les agriculteurs vivent un drame profond. À l’opposé, ceux qui ont refusé la logique industrielle retrouvent la fierté d’être paysans, raconte l’auteur de cette tribune, pour qui l’ancien monde doit laisser émerger les néo-paysans.
Gaspard d’Allens est coauteur avec Lucile Leclair du livre Les Néo-Paysans dans la collection le Seuil-Reporterre.
Le Salon de l’agriculture ouvre ses portes samedi 27 février. Il accueillera des centaines de milliers de visiteurs. Cerise, la jolie vache bazardaise, en sera l’égérie. Pendant une semaine, on célèbrera la France des terroirs, sa gastronomie, ses savoirs-faires. Mais les concours de beauté ne pourront masquer le drame qui se joue dans les bocages. La colère, le naufrage.
Actuellement, un litre de lait s’achète au prix d’une demi-cigarette. L’agriculture est la seule profession à vendre en dessous de ses coûts de production. 200 fermes disparaissent par semaine, englouties sous le béton des villes ou accaparées par un voisin qui désire s’agrandir. La violence est là. Surendettés, précarisés, les agriculteurs ne croient plus en leur avenir. 600 se sont suicidés en 2015.
À l’aune de cette situation, la mascarade du salon est indécente et le choix décisif. Soit on s’obstine dans l’impasse de l’agriculture industrielle, dans les délires du productivisme qui détruit la terre, les hommes et les écosystèmes. Soit on bifurque, en inventant un autre modèle.
Ils partent à la conquête de leur autonomie. Leurs vaches broutent de l’herbe à la place du soja importé d’Amérique du Sud. Ils utilisent leurs propres graines au lieu de dépendre des industries semencières qui détiennent 75 % du marché. Ils se disent paysans pour mieux rejeter son envers, celui de l’exécutant, du technicien qui fournit des matières premières sur un marché mondialisé.
Aujourd’hui, ils ne connaissent pas la crise. Car ils ne dépendent plus des prix de la coopérative ou du grossiste. Ils valorisent leurs produits en les transformant à la ferme, optent pour des filières de qualité, des pratiques paysannes. Ils montent des magasins de producteurs, des Amap pour échapper aux circuits longs et renouer un lien avec le consommateur.
À travers leur trajectoire, c’est une campagne vivante qui se dessine, foisonnant d’installations multiples et diversifiées. Catherine habite dans l’Oise. Cette ancienne libraire parisienne fait pousser des fruits rouges au milieu des mornes monocultures céréalières. « Nourrir le monde peut-être, moi je préfère nourrir mes voisins », dit-elle. Elle vend ses fraises et ses sorbets au bout du jardin, à deux pas de l’école. De quoi faire fondre les gamins.
Laura est une des seules chevrières de Lorraine, elle est labélisée bio. Auparavant, elle était dans la communication. « Je vis de mes prix plus que de mes primes, je touche peu d’aides de la PAC et ne suis pas dépendante de ses aléas. Je fais le pari d’un lien étroit avec les consommateurs. »
De 2000 à 2010, l’agriculture a perdu 200.000 actifs. Actuellement, un départ sur deux est remplacé. Il faut favoriser les installations si l’on veut que le monde agricole continue à vivre. Il faut recruter en dehors du cadre familial, car la relève viendra en partie de l’extérieur. Les enfants d’agriculteurs ne sont plus assez nombreux pour reprendre les fermes.
Or aujourd’hui, les néo-paysans, ces hommes et femmes sans attache agricole, subissent un long parcours de combattant. Le corporatisme des gros exploitants les marginalise. Ils n’ont pas accès aux terres. Ils galèrent pour obtenir le statut d’agriculteur. Les chambres d’agriculture jugent leurs projets atypiques et les privent des subventions à l’installation. En France, chaque année, deux tiers des installations ne sont pas aidées. En fermant ses portes aux néo-paysans, le modèle agricole joue les dynasties établies contre les nouveaux entrants. Il se complait dans l’entre soi. Mais à terme, il se condamne lui-même. Il ne peut y avoir d’agriculture sans agriculteur.
En parlera t-on au Salon ou préfèrera–t-on se cacher derrière le folklore ? À regarder le programme, on peut être pessimiste : « concours, ring canin, dégustations, découvertes des spécialités des terroirs, caresses aux mascottes de l’année… » La semaine s’annonce folle. McDonald’s et le géant de la grande distribution Lidl auront des stands immenses, mais où seront les néo-paysans ?
Les Néo-paysans de Gaspard D’Allens et Lucile Leclair, co-édité par Le Seuil et Reporterre, 144 p., 12 euros.
Le Salon de l’agriculture ouvre ses portes samedi 27 février. Il accueillera des centaines de milliers de visiteurs. Cerise, la jolie vache bazardaise, en sera l’égérie. Pendant une semaine, on célèbrera la France des terroirs, sa gastronomie, ses savoirs-faires. Mais les concours de beauté ne pourront masquer le drame qui se joue dans les bocages. La colère, le naufrage.
Actuellement, un litre de lait s’achète au prix d’une demi-cigarette. L’agriculture est la seule profession à vendre en dessous de ses coûts de production. 200 fermes disparaissent par semaine, englouties sous le béton des villes ou accaparées par un voisin qui désire s’agrandir. La violence est là. Surendettés, précarisés, les agriculteurs ne croient plus en leur avenir. 600 se sont suicidés en 2015.
À l’aune de cette situation, la mascarade du salon est indécente et le choix décisif. Soit on s’obstine dans l’impasse de l’agriculture industrielle, dans les délires du productivisme qui détruit la terre, les hommes et les écosystèmes. Soit on bifurque, en inventant un autre modèle.
À la conquête de l’autonomie
Partout en France, des paysannes et des paysans défrichent des chemins à rebours du système dominant. Ils agissent au quotidien dans le silence. Loin des projecteurs, à travers des gestes simples auxquels ils ont redonné du sens.Ils partent à la conquête de leur autonomie. Leurs vaches broutent de l’herbe à la place du soja importé d’Amérique du Sud. Ils utilisent leurs propres graines au lieu de dépendre des industries semencières qui détiennent 75 % du marché. Ils se disent paysans pour mieux rejeter son envers, celui de l’exécutant, du technicien qui fournit des matières premières sur un marché mondialisé.
- L’impasse de l’agriculture industrielle, qui détruit la terre, les hommes et les écosystèmes.
Aujourd’hui, ils ne connaissent pas la crise. Car ils ne dépendent plus des prix de la coopérative ou du grossiste. Ils valorisent leurs produits en les transformant à la ferme, optent pour des filières de qualité, des pratiques paysannes. Ils montent des magasins de producteurs, des Amap pour échapper aux circuits longs et renouer un lien avec le consommateur.
« Je ne suis pas exploitant agricole, je n’exploite pas la terre, je la valorise »
Parmi eux, nombreux sont des « néo-paysans ». Ils ne viennent pas du monde agricole mais s’y projettent. Avec espoir, détermination et bonheur. Ancien ouvrier, infirmier, cadre supérieur ou fonctionnaire, ils ont décidé de cultiver leur rêve ailleurs que sur le bitume. Ils embrassent la condition paysanne, renouent avec les saisons, travaillent le vivant. Loin de l’anecdotique, ils sont l’avenir de l’agriculture.À travers leur trajectoire, c’est une campagne vivante qui se dessine, foisonnant d’installations multiples et diversifiées. Catherine habite dans l’Oise. Cette ancienne libraire parisienne fait pousser des fruits rouges au milieu des mornes monocultures céréalières. « Nourrir le monde peut-être, moi je préfère nourrir mes voisins », dit-elle. Elle vend ses fraises et ses sorbets au bout du jardin, à deux pas de l’école. De quoi faire fondre les gamins.
- Des vaches aubrac dans la vallée d’Olt, en Lozère.
Laura est une des seules chevrières de Lorraine, elle est labélisée bio. Auparavant, elle était dans la communication. « Je vis de mes prix plus que de mes primes, je touche peu d’aides de la PAC et ne suis pas dépendante de ses aléas. Je fais le pari d’un lien étroit avec les consommateurs. »
La relève paysanne viendra de l’extérieur du monde agricole
Autant d’exemples qui montrent qu’une autre agriculture est possible. Le modèle industriel ne représente pas la fin de l’histoire. Les paysans sont de retour. Certains viennent de la ville, d’autres sont fils ou petits-fils d’agriculteurs. Ensemble, ils sortent du productivisme et font attelage commun pour renouveler la profession en proie à une profonde hémorragie.De 2000 à 2010, l’agriculture a perdu 200.000 actifs. Actuellement, un départ sur deux est remplacé. Il faut favoriser les installations si l’on veut que le monde agricole continue à vivre. Il faut recruter en dehors du cadre familial, car la relève viendra en partie de l’extérieur. Les enfants d’agriculteurs ne sont plus assez nombreux pour reprendre les fermes.
Or aujourd’hui, les néo-paysans, ces hommes et femmes sans attache agricole, subissent un long parcours de combattant. Le corporatisme des gros exploitants les marginalise. Ils n’ont pas accès aux terres. Ils galèrent pour obtenir le statut d’agriculteur. Les chambres d’agriculture jugent leurs projets atypiques et les privent des subventions à l’installation. En France, chaque année, deux tiers des installations ne sont pas aidées. En fermant ses portes aux néo-paysans, le modèle agricole joue les dynasties établies contre les nouveaux entrants. Il se complait dans l’entre soi. Mais à terme, il se condamne lui-même. Il ne peut y avoir d’agriculture sans agriculteur.
En parlera t-on au Salon ou préfèrera–t-on se cacher derrière le folklore ? À regarder le programme, on peut être pessimiste : « concours, ring canin, dégustations, découvertes des spécialités des terroirs, caresses aux mascottes de l’année… » La semaine s’annonce folle. McDonald’s et le géant de la grande distribution Lidl auront des stands immenses, mais où seront les néo-paysans ?
Les Néo-paysans de Gaspard D’Allens et Lucile Leclair, co-édité par Le Seuil et Reporterre, 144 p., 12 euros.
Lire aussi : Une agriculture écologique et créatrice d’emplois est possible
Source : Courriel à Reporterre
- Dans les tribunes, les auteurs expriment un point de vue propre, qui n’est pas nécessairement celui de la rédaction.
- Titre, chapô et inters sont de la rédaction.
Photos :
. Chapô : © Gaspard d’Allens et Lucile Leclair
. Champ : Flickr (Guy Streatfeild/CC BY-NC-ND 2.0)
. Vallée d’Olt : © Arnaud Bouissou/MEDDE-MLETR
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