vendredi 19 février 2016

Syrie: Jeffrey Sachs balance tout (ou presque)

 Source : Reseauinternational
Syrie: Jeffrey Sachs balance tout (ou presque)

L’article que je vous propose est signé Jeffrey Sachs. Jeffrey Sachs n’est pas exactement n’importe qui: c’est un universitaire de renom qui dirige un institut à la Columbia University (New York) et est consultant auprès du Secrétaire Général des Nations Unies.
Eh bien dans cet article Jeffrey Sachs balance tout sur la Syrie. Dans le meilleur esprit complotiste, il pointe le rôle des services secrets américains dès le début de la crise en Syrie et il souligne l’obstination de la diplomatie américaine, de Hillary Clinton en particulier, à empêcher tout règlement politique qui ne passerait pas par le préalable d’une reddition du président Bachar al-Assad quitte à aggraver et à prolonger l’effusion de sang.
Il est , je pense, une des premières signatures dans la presse grand public américaine à relever le rôle de l’entité sioniste dans la situation en Syrie et le partenariat entre cette même entité et deux puissances régionales qu’il qualifie de « sunnites », la Turquie et l’Arabie Saoudite. Mounadil Djazaïri

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Hillary Clinton et le bain de sang en Syrie

par Jeffrey Sachs, The Huffington Post (USA) 14 février 2016 traduit de l’anglais par Djazaïri
Pendant le débat de Milwaukee [avec Bernie Sanders] , Hillary Clinton s’est flattée de son rôle dans une récente résolution du Conseil de Sécurité de l’ONU pour un cessez-le-feu en Syrie:
Mais je voudrais ajouter ceci. Vous le savez, le Conseil de Sécurité a finalement adopté une résolution. Au coeur de cette résolution se trouve un accord que j’avais négocié en juin 2012 à Genève qui prônait un cessez-le-feu et la marche vers une solution politique en essayant d’amener les parties prenantes en Syrie  à se parler.
C’est là le genre de déclarations compulsivement trompeuses qui rendent Clinton inapte à la fonction présidentielle. Le rôle de Mme Clinton en Syrie a été de contribuer à provoquer et à prolonger le bain de sang en Syrie, pas d’y mettre un terme.
En 2012, Mme Clinton était l’obstacle, pas la solution, à un cessez-e-feu qui était négocié par l’envoyé spécial de l’ONU Kofi Annan. C’est l’intransigeance des Etats Unis – l’intransigeance de Mme Clinton – qui avait abouti à l’échec des démarches pour la paix de M. Annan au printemps 2012, un fait bien connu des diplomates. En dépit de l’insinuation de Mme Clinton pendant le débat de Milwaukee, il n’y eut (évidemment) pas de cessez-le-feu en 2012, mais seulement une escalade dans le carnage. Mme Clinton porte une lourde responsabilité pour le carnage qui a causé la mort de 250 000 Syriens et en a déplacé plus de dix millions.
Comme tout observateur averti l’a bien compris, la guerre en Syrie n’avait pas tellement rapport avec Bachar al-Assad, ni même avec la Syrie. C’est surtout une guerre par procuration avec l’Iran. Et le bain de sang n’en est que plus tragique et malheureux pour cette raison.
L’Arabie Saoudite et la Turquie, les principales puissances sunnites au Moyen Orient perçoivent l’Iran, la grande puissance chiite, comme un concurrent en termes d’influence et de pouvoir dans la région. La droite israélienne voit l’Iran comme un ennemi implacable qui contrôle le Hezbollah, une organisation militante chiite qui opère au Liban, un Etat limitrophe d’Israël. C’est pourquoi la Turquie, l’Arabie Saoudite et Israël ont tous  réclamé l’élimination de l’influence iranienne en Syrie.
Cette idée est d’une naïveté incroyable. L’Iran est présent en tant que puissance régionale depuis longtemps – en fait depuis près de 2700 ans. Et l’Islam chiite ne va pas disparaître comme par enchantement. Il n’ y  a aucun moyen, et aucune raison, de « vaincre » l’Iran. Les puissances régionales doivent forger un équilibre géopolitique qui reconnaît les tôles mutuels et d’équilibration des pays arabes du Golfe de l’Iran et de la Turquie. Et la droite israélienne est naïve et profondément ignorante de l’histoire pour regarder l’Iran comme son ennemi implacable, particulièrement quand cette façon de voir erronée pousse Israël à se ranger du côté des djihadistes sunnites.
Pourtant Mme Clinton n’a pas suivi cette voie. Elle a au contraire rejoint l’Arabie Saoudite, la Turquie et le droite israélienne pour essayer d’isoler et même de vaincre l’Iran. En 2010, elle avait encouragé des négociations secrètes entre Israël et la Syrie pour essayer de soustraire la Syrie à l’influence de l’Iran. Ces discussions avaient échoué. Alors la CIA et Mme Clinton avaient poussé avec succès en faveur d’un Plan B: renverser Assad.
Quand les troubles du Printemps Arabe ont éclaté début 2011, la CIA et le font anti-iranien constitué par la Turquie, l’Arabie Saoudite et Israël y virent une opportunité pour renverser rapidement Assad et s’assurer ainsi une victoire géopolitique. Mme Clinton se fit la principale promotrice de l’entreprise menée par la CIA pour un changement de régime en Syrie.
Début 2011 la Turquie et l’Arabie Saoudite mirent à profit des protestations locales contre Assad pour essayer de fomenter les conditions de son éviction. Vers le printemps 2011, la CIA et les alliés des États Unis organisaient une insurrection armée contre le régime. Le 18 août 2011, le gouvernement des États Unis rendait publique sa position: »Assad doit partir. »
Depuis, et jusqu’au récent et fragile accord de cessez-le-feu au Conseil de Sécurité de l’ONU, les États Unis ont refusé d’accepter tout cessez-le-feu tant qu’Assad n’était pas écarté du pouvoir. La politique américaine – sous Clinton et jusqu’à récemment – a été celle du changement de régime d’abord et du cessez-le-feu ensuite. Après tout, ce ne sont que des Syriens qui meurent. Les efforts de paix d’Annan avaient été sabotés par l’exigence inflexible des États Unis pour qu’un changement de régime contrôlé par les USA précède ou au moins accompagne un cessez-le-feu. Comme l’avait observé en août 202 la rédaction de The Nation [hebdomadaire progressiste américain]::
L’exigence par les États Unis d’un départ d’Assad et de l’imposition de sanctions avant même que débutent des négociations sérieuses, tout comme le refus d’inclure l’Iran dans le processus condamnaient la mission [d’Annan].
Clinton n’a pas été un acteur mineur dans la crise syrienne. Son représentant diplomatique à Benghazi, Chris Stevens, avait été assassiné alors qu’il s’occupait d’une opération de la CIA pour expédier des armes lourdes libyennes en Syrie. Clinton elle-même a été à la pointe de l’organisation des soi-disant « Amis de la Syrie » pour soutenir l’insurrection dirigée par la CIA.
La politique américaine a été un échec massif et terrible. Assad n’est pas parti, et il n’a pas été vaincu. la Russie est venue l’aider, l’Iran est venu l’aider. Les mercenaires envoyés pour le renverser étaient eux-mêmes des djihadistes extrémistes avec leurs propres agendas. Le chaos a ouvert la voie à l’Etat Islamique, bâti avec des officiers de l’armée irakienne mécontents (exclus de l’armée par les États Unis en 2003), des armes américaines et avec le soutien considérable de fonds saoudiens. Si la vérité devait être entièrement connue, les nombreux scandales associés rivaliseraient certainement avec le Watergate dans leurs ébranlements des fondations de la classe dirigeante des États Unis.
L’arrogance des États Unis dans cette approche semble ne connaître aucune limite. Le procédé du changement de régime fomenté par la CIA est si profondément inscrit comme un instrument « normal » de la politique étrangère américaine qu’elle est à peine remarquée par l’opinion publique ou les médias aux États Unis. Renverser le gouvernement d’un autre pays est contraire à la charte de l’ONU et au droit international. Mais a-t-on besoin de telles subtilités entre amis?
L’instrument [la déposition d’Assad] de la politique étrangère des États Unis n’a pas été seulement en violation flagrante du droit international mais a aussi été un échec massif et répété. Au lieu d’un coup d’état rapide et décisif pour résoudre un problème de politique étrangère, chaque changement de régime ourdi par la CIA a été, presque inévitablement, le prélude à un bain de sang. Comment pouvait-il en être autrement? Les autres sociétés n’aiment pas que leur pays soit manipulé par des opérations secrètes des États Unis.
Écarter un dirigeant, même quand l’opération est un « succès » ne résout aucun des problèmes géopolitiques sous-jacents, et encore moins les problèmes de nature écologique, sociale ou économique. Un coup d’état invite à la guerre civile, du genre de celles qui secouent aujourd’hui l’Afghanistan, l’Irak, la Libye et la Syrie. Il invite à une réaction internationale hostile, comme celle de la Russie en appui à son allié syrien pour faire face aux opérations dirigées par la CIA. Nous en sommes au point où la somme des malheurs causés par les opérations secrètes de la CIA peut littéralement remplir des volumes. Sera-t-on dès lors surpris de voir Mme Clinton reconnaître en Henry Kissinger un mentor et un guide?
Et où en sont les médias de l’establishment  dans cette débâcle? Le New York Times a fini par parler d’une partie de cette histoire le mois dernier en présentant la connexion entre la CIA et l’Arabie Saoudite, dans laquelle l’argent saoudien sert à payer les opérations de la CIA afin de contourner le Congrès et le peuple américain. Après cette première publication, il n’y a pas eu de suite. Pourtant le financement saoudien d’opérations de la CIA est fondamentalement le même procédé que celui utilisé par Ronald Reagan et Peter North dans le scandale Iran-Contra des années 1980 (avec des ventes d’armes à l’Iran utilisées pour financer des opérations secrètes de la CIA en Amérique Centrale sans le consentement ou la supervision du peuple américain).
Mme Clinton elle-même n’a jamais montré la moindre réserve ou le moindre scrupule à mettre en oeuvre cet instrument de la politique étrangère américaine. A son actif en matière de soutien enthousiaste à des changements de régime sous l’impulsion des Etats Unis, on inclura (liste non exhaustive) le bombardement de Belgrade en 1999, l’invasion de l’Afghanistan en 2001, la guerre contre l’Irak en 2003, le coup de force au Honduras en 2009, l’assassinat du Libyen Mouammar Kadhafi en 2011 et l’insurrection contre Assad coordonnée par la CIA de 2011 à ce jour.
Libye octobre 2011 -Pour  une Hillary Clinton radieuse, c’est comme si                                   Mouammar Kadhafi était déjà mort
Libye octobre 2011 -Pour une Hillary Clinton radieuse, c’est comme si Mouammar Kadhafi était déjà mort
Il faut un grand leadership présidentiel pour résister aux malheureuses aventures de la CIA. Les présidents finissent par s’entendre avec les entreprises du secteur de la défense, les généraux et les cadres de la CIA. Ils se protègent ainsi des attaques venues de la droite extrémiste dure. Ils réussissent en exaltant la puissance militaire des États Unis, pas en la contenant. Beaucoup d’historiens pensent que JFK [John Fitzgerald Kennedy] a été assassiné suite à ses ouvertures de paix en direction de l’Union Soviétique, des ouvertures qu’il avait faites contre les objections d’une opposition de droite tenante d’une ligne dure au sein de la CIA et d’autres secteurs de l’appareil d’état américain.
Hillary Clinton n’a jamais fait montre d’un iota de courage, ou même de compréhension, dans la confrontation avec la CIA. Elle a été un inlassable partisan de la CIA et  jubilait à montrer sa fermeté en soutenant chacune de ses opérations malavisées. Les échecs sont bien sûr constamment dissimulés à notre vue. Clinton est un danger pour la paix mondiale. Elle doit répondre de beaucoup de choses en ce qui concerne le désastre en Syrie.
Jeffrey Sachs est le Directeur de l’Earth Institute (Institut de la Terre) à la Columbia University

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