lundi 24 février 2020

Municipales: citoyennisme, municipalisme ou communalisme?

Blog Mediapart

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Un article inédit de Floréal Roméro fait le point sur les «listes citoyennes», dont certaines s'inspirent du municipalisme libertaire de Murray Bookchin mis en oeuvre au Rojava. La Commune des communes de Commercy a ouvert le débat le 18 janvier, et les 15-16 février un Institut communaliste a été fondé à Ste-Foy-la-Grande. Le collectif Faire commune se réclame également du communalisme.
MUNICIPALES : citoyennisme, municipalisme et communalisme?
« A rio revuelto, ganancia de pescadores »
(Proverbe espagnol signifiant que les pêcheurs profitent toujours de l´eau trouble)

Bien définir les termes va au-delà du simple exercice sémantique.  La confusion comme passage obligé, s´avère salutaire dans des situations données, inattendues, à condition, l´éclairage venantt à manquer, de prendre le temps d´ôter nos œillères et de comprendre. Pour peu qu´elle soit entretenue voire alimentée, la confusion devient confusionnisme et condamne toute lucidité. Les trois termes faisant l´objet de cet article sont caractéristiques de la confusion qui règneà l´heure où en France tous les regards politiques confondus se focalisent sur les prochaines élections municipales des 15 et 22 mars 2020. Plus que jamais un nombre important de « listes citoyennes » vont se présenter et nombre d´entre-elles se revendiquant du municipalisme. Mais quel lien entre ces listes citoyennes, ce municipalisme déjà mis en place dans certaines villes comme Barcelone, et Murray Bookchin, le penseur de l´écologie sociale et du municipalisme libertaire ou communalisme ?  Difficile d´y voir clair lorsqu´un éventail aussi large de trajectoires politiques s´en réfère, allant du mensuel libertaire « Silence » aux « GAMES » (Groupes d’Action Municipalistes Ecologistes et Sociaux), proches de « Europe Ecologie – Les Verts » en passant par Pablo Servigne, théoricien de la collapsologie, « Extinction Rebellion », et l’« Institut de la Concertation et de la Participation Citoyenne ». Pour bien comprendre il convient de prendre un certain recul historique.
 I. Le rôle du citoyennisme
La dernière contradiction du capitalisme, mettant en péril le monde sur lequel il règne en maître a déclenché des luttes contre la prédation généralisée du monde. Cette lutte éco­lo­gique, tout comme la lutte de classe qui la précède, contient tout un potentiel de prise de conscience. Mais celle-ci ne débouche pas forcément sur un pro­jet col­lec­tif éman­ci­pa­teur : certains pensent qu’elle rend obsolète la lutte des classes et la volonté d’abolir le capitalisme, d’autres non. Ainsi les environnementalistes qui s´opposent à la dévastation sans en chercher l´origine, ou des écologies carrément réactionnaires comme l´ « écologie profonde », mystique, mal­thu­sienne, misan­thrope, et même au-delà, ou bien « localiste », qui exclut les « nomades » et se base sur la devise « la terre ne ment pas » du maréchal Pétain.  D’autre part se coule à merveille dans l´idéologie dominante, toute la mouvance du « New Green Deal », soit du capitalisme vert qui est à l’origine des COP et qui prétend arracher le monopole aux multinationales de l´énergie carbonée. La devise resterait la même : « croître ou mourir »[1] mais avec des technologies soi-disant moins polluantes et avec davantage de « consentement populaire ».
Mais voilà, à qui revient-il d´appliquer politiquement ces mesures ? La droite néolibérale a trop de compromis avec les multinationales « carbonées » et au nom d´une quelconque urgence, elle pourrait fort bien passer la main à son extrême. La gauche sociale-démocrate n´en finissant pas de ramer dans le sens du courant imprimé par la dynamique du capital, sa crédibilité s´en trouve fort menacée. Arrivée un jour dans la mer de la consommation, à bord du bateau Croissance, empêtrée dans le marasme économicopolitique de ce siècle, sans aucun résultat tangible quant à ses prétentions de redistribution des richesses et sans horizon à courte, moyenne ou longue échéance, son cycle s´achève.
La classe moyenne née de ses relations intimes avec le capital, se voyant menacée dans sa position sociale, semble avoir pris  le relai du prolétariat avec le citoyennisme, comme force de pression dans la rue. Ce fut le cas lors des printemps arabes, du 15M des Indignés en Espagne, de Nuit Debout en France, d´Occupy Wall Street aux USA. Sans parvenir encore à se « mobiliser comme si nous étions en état de guerre » comme le suggère Stiglitz, ce mouvement fait toutefois écho à l´appel de ces économistes « progressistes »[2].
Frédéric Lordon va jusqu´à dire très justement que le citoyennisme  « débat pour débattre, mais ne tranche rien, ne décide rien et surtout ne clive rien. Une sorte de rêve démocratique cotonneux précisément conçu pour que rien n’en sorte. ». Il « condamne pour des décennies toute expérience de gauche ». Mais pour ce même Lordon, refait alors surface l´appel à l´insurrection et le mythe du « Grand Soir ». Renaît de ses cendres le fantôme bolchévique affublé d’oripeaux citoyennistes ou « souverainistes » , prônant unEtat fort, protectionniste et nationaliste[3].
Dans tous les cas, l´appel à la mobilisation  citoyenne vise à la constitution d´une masse critique, une pression pour forcer des politiques réformistes ou révolutionnaires dans les institutions d´un Etat plus ou moins fort selon le scénario.
 
II - Le Municipalisme, dernier avatar de la social-démocratie
  1. De la théorie municipaliste
Le Municipalisme pousse un peu plus loin la logique citoyenniste, argumentant qu´être citoyen et citoyenne ne peut se limiter au simple utilitarisme, celui de faire pression sur les élus.  Le propos étant de s´investir directement, de participer collectivement dans les Institutions de l´Etat mais en les prenant à leur base, la Municipalité. Pour bien comprendre ce municipalisme, à ne pas confondre avec le « municipalisme libertaire » ou « communalisme », il convient d´aller au-delà de ce qu´il affiche.
Sans douter de la bonne foi des auteures, la préface du « Guide du Municipalisme[4] » annonce bien sa couleur…délavée. Il est rédigé par Elisabeth Dau – Mouvement Utopia & Commons Polis et Charlotte Marchandise – Maire adjointe à Rennes et candidate citoyenne à l’élection présidentielle en 2017 (LaPrimaire.org).  (/Démarche pour le moins étonnante pour une partisane du municipalisme). Il  se réfère tour à tour à la Commune de Paris, à l´anarchisme, au féminisme, au mouvement zapatiste, au confédéralisme démocratique du Rojava, à la Zad de NDDL et même à Murray Bookchin, tout en prenant bien soin de ne pas égratigner le cœur-même du problème : l´économie capitaliste. Comment peut-on dans ces conditions parler de « passer du je au nous » de la « réappropriation du commun », de la « féminisation du politique » ? Comme s´il suffisait de féminiser la politique et pourquoi pas l´économie ou l´armée… Au lieu d´une remise en cause de l´économie il s´agit bien de mieux s´en servir. Pour ce faire il sera fait appel aux citoyens pour un « budget participatif » chargé de dynamiser tour à tour « l´économie circulaire » du tout recyclable, « l´économie sociale et solidaire »[5]. Nous sommes bien là dans une parfaite continuité citoyenniste  et toujours en pleine utopie libérale.
        2. Tout commence à Barcelone
Avant 2015 Ada Colau est salariée d´une ONG (Observatori de Drets Econòmics Socials i Culturals) financée par l´ancien maire de Barcelone Xavier Trias et porte-parole de la Plateforme des victimes du crédit hypothécaire (PAH). Dans un contexte d’abstention électorale généralisée et de défiance à l’égard de la politique, en tant que féministe, en pleine crise immobilière espagnole, elle incarne bien la figure populiste. Le manque de programme politique propre des Indignés (15M), leur inconsistance et leur impatience favorisèrent tout autant l´irruption de Podemos que celle du Municipalisme.  Avec l´appui des mouvements sociaux, Ada Colau remporte les élections municipales à Barcelone et en devient Maire, en mai 2015.
L´argument central de sa campagne électorale et de son parti, « Barcelona en Comú », proche de Podemos, comme par la suite à Madrid, Cádiz, Zaragoza, La Coruña, en Espagne et Grenoble en France, étant que les dispositifs citoyens au niveau municipal, présentent un double atout, celui de rompre avec la reproduction des élites tout en associant des « profanes », préalablement formés, non pas simplement au processus de décision, mais à l’élaboration des solutions. Sauf que ces solutions sont circonscrites dans les institutions de l´Etat pour faire fructifier le Capital, même tout au bas de sa pyramide car nous sommes-là au cœur même du capitalisme. « Le capitalisme contemporain et ses multinationales n´ont que faire de nos préoccupations communales, départementales, régionales, voire nationales […] Voilà pourquoi dans ce nouveau puzzle administratif, si approximatif et laborieux à première vue, la pièce décisive, appelée à donner sa réelle cohésion à l´ensemble, c´est la métropole. »[6] Autrement dit, comment gérer une ville voire une mégapole dans l´efficience et la concurrence avec d´autres mégapoles, sans booster les affaires, avec tout ce que cela entraine comme conséquences sociales d´exclusion, de précarité, de gigantisme et centralisaltion et de gestion des désastres écologiques ? Par ailleurs « Le pouvoir actuel ne se définit pas par ses institutions politiques mais par ses infrastructures » […] Contre ce pouvoir très matériel, il est devenu sans conséquence de se tourner vers les symboles représentatifs. C´est du côté de l´ingénierie, de l´aménagement du territoire, du design des réseaux qu´il faut regarder pour comprendre ce à quoi nous avons à faire. »[7] Dans ces conditions, parler d´élargir le cercle de sa gestion en « rompant la reproduction des élites », ou de stimuler « la participation citoyenne à l´élaboration des solutions », nous semble pour le moins totalement déplacé.
Que peut-on espérer de ce fourre-tout, de ce manque de cohérence analytique ? A quoi bon s´engouffrer dans ce labyrinthe d´inconséquences pratiques au point de nous ôter toute capacité constructive autonome dans tous les domaines de la vie, voire toute espérance? A ces questions, l´histoire récente et présente ne laisse aucun doute quant à la réponse, malgré  les mirages que l´on place tels des écrans de l´illusion entre les aspirations personnelles et collectives et la réalité que l´on s´obstine à ne pas voir.
         3. La pratique sociale et écologique du Municipalisme
Aux élections municipales suivantes, le 19 Juin 2019 Ada Colau, est réélue Maire grâce aux votes de Manuel Valls.  A l´image de ce dernier lorsqu´il exerça de Ministre de l´Intérieur en France, Ada Colau dans cette « ville sans peur », cette « ville refuge »,  continue à réprimer les revendeurs ambulants immigrés[8]. De même, les grèves sont réprimées, comme celle du métro en février 2016 ou contre la privatisation des services publics municipaux[9].  Nous pourrions ainsi continuer à épingler les contradictions du Municipalisme dans le domaine du social mais nous relevons ces mêmes contradictions en matière d´écologie. Repsol la multinationale du pétrole en Espagne a reçu un prix d'une ONG britannique pour sa lutte contre le changement climatique et c´est cette même ONG qui a placé le gouvernement d'Ada Colau en tête d'un classement des villes dans la lutte contre le changement climatique La "Zone à Faibles Émissions" de Barcelone ne vise pas à changer le modèle prédominant de mobilité privée, mais plutôt à constituer une première étape vers la transformation du parc automobile à essence en un parc de voitures électriques et renouvelables[10]. Cette mesure entrée en vigueur le 1er janvier interdit, selon les calculs, l'entrée de quelque 50 000 véhicules considérés comme très polluants. Si cette mesure ne suffit pas à réduire la pollution, Ada Colau a l'intention d'appliquer un péage pour empêcher l´entrée de 125 000 véhicules dans Barcelone. Soit les voitures des moins fortunés. Et dans le même temps l'état des trains locaux est assez lamentable, avec des retards quotidiens et des fréquences très espacées aux heures de pointe. L'entrée de Barcelone en Cómú dans le gouvernement de la mairie n'a pas été un tournant dans l'augmentation du nombre des touristes usagers des bateaux de croisière. Au contraire, au cours des cinq dernières années, les chiffres ont continué à augmenter. Et ce, en partie grâce à l'accord que Sixte Cámbra, l'ancien directeur du port de Barcelone, et Ada Colau ont signé pour la construction de 3 nouveaux terminaux de macro-croisières qui permettront d'atteindre 5 millions de croisiéristes par an. Or, un bateau de croisière de luxe émet 10 fois plus d'oxyde de soufre que les 260 millions de voitures qui existent dans toute l'Europe. Et les 15 plus grands navires émettent à eux seuls autant de pollution que 760 millions de voitures. L'année dernière, la ville de Barcelone a reçu pas moins de 867 bateaux de croisière. Si l'on ajoute à cela la précarité du travail des travailleuses dont le salaire de misère est inférieur à 600 euros et les avantages fiscaux et les aides des administrations publiques, on peut comprendre un peu mieux les milliards de bénéfice dont les compagnies maritimes font état chaque année et donc la ville d Barcelone. Mais « Barcelona en Comú » ne détient pas à elle seule le monopole des contradictions du municipalisme issu du citoyennisme en Espagne et dans le monde.
Nous pourrions continuer égrener tous les échecs de ces municipalismes affichés comme modèles dans ce guide. Ce fut le cas à Cadix avec la décision prise par le Maire de vendre des corvettes militaires à l´Arabie Saoudite, les scandales immobiliers et anti-migrants à Madrid. En France, le guide du municipalisme nous fait miroiter Paris et Grenoble. Pour la première, est-il besoin de s´y attarder ? Pour la seconde, on ne peut nier l´efficience des politiques exemplaires pour le New Green Deal qui vient, celles de son maire Eric Piollé pour rendre sa ville plus propre et « écologique ». Ainsi Grenoble joue un rôle pionnier et répond tout à fait aux critères de la « green economy », avec une pépinière d´industries de pointe dans de vastes domaines comme les nanotechnologies par exemple ou les biotechnologies, au point de s´être gagné la qualification de « Silicon Valley à la française ». Quant au municipalisme, l´échec y est flagrant puisque les mouvements sociaux, qui appuyèrent la candidature municipaliste, se sont vus totalement trahis. « Cette mairie a refusé le rapport de force avec l’État et la préfecture en s’appuyant sur les mouvements sociaux pour protester contre l’austérité. Ils ont préféré faire de l’austérité. C’est une trahison comme en 1981 ou en Grèce avec Tsipras »[11], tranche sans nuances Raphaël du DAL (Droit Au Logement).
         4. Alerte à l´échec
D´après Isabelle Dau et Charlotte Marchandise : « Gouverner en obéissant », est intitulé du code éthique de la plateforme citoyenne de Barcelona En Comú, repris de la devise zapatiste [« Mandar obedeciendo »].
Un propos plutôt indignant que cette référence zapatiste, car á qui obéit-on dans une Smart City ? Dans la liste de ces « villes connectées », Barcelone y figure comme seconde « Ville intelligente »[12].
Finalement le municipalisme à la « Barcelona en Comú » avec l´extension de l´usage du numérique pour « les prises de décision en commun »[13], tout comme celui de Grenoble, est tout à fait soluble avec le capitalisme moderne à la sauce Rifkin : « La gouvernance de la ville multipolaire est complexe. Il s’agit maintenant de gouverner à distance, d’influencer plutôt que diriger (Epstein, 2005). Le pouvoir y est distribué entre au moins quatre types d’acteurs : les décideurs centraux (de niveau étatique ou territorial), les décideurs locaux (élus), les acteurs associatifs, et les acteurs privés détenteurs de capitaux ».[14]
Plus que jamais un nombre important de « listes citoyennes » vont se présenter pour les prochaines municipales et nombre d´entre-elles se revendiqueront du municipalisme. Corinne Morel Darleux (voir site Reporterre du 15 février 2020) ne devrait pas douter « des chances des candidats sincères de percuter le système à travers les urnes et ses règles du jeu édictées par les pouvoirs dominants. » ; pourtant il est plus que temps de s´apercevoir que cette logique est une voie sans issue. Pas plus qu´elle, nous ne voulons « hiberner » ; mais prétendre vouloir « vider L´Etat » ; ou mobiliser les institutions municipales de l´Etat contre lui-même est tout aussi vain que de vouloir qu’une multinationale agisse contre la finance. Renouveler ces pratiques avec de nouvelles fioritures rhétoriques du style « avoir un pied dedans et un pied dehors » du système, c´est ne pas vouloir tirer le bilan des  expériences passées.  Bien avant le municipalisme, et avec un potentiel bien supérieur, « Die Grünen » en Allemagne et avant eux encore, le « Rassemblement des Citoyens et Citoyennes de Montréal »[15], nous ont montré l´échec de ces pratiques collaborationnistes.  Ce n´est assurément pas ainsi que l´on sortira du capitalisme. La seule fonction à laquelle on peut aspirer dans le cadre parlementaire élargi des municipalités de l´Etat, c'est bien celui de substitut à la social-démocratie désormais révolue et de cogestion la catastrophe qui vient.
Je ferai volontairement abstraction de ces « mouches du coche », ces noms qui reviennent partout au bas des multiples appels à s´emp
Commune des communes 18 janvier Commercy Commune des communes 18 janvier Commercy
arer du local et refondre la démocratie.  Méfions-nous seulement de celles et ceux qui vendent des solutions « clé en main » au nom de la « belle », « heureuse » ou autre « curieuse démocratie ». Tout au bout de ces échecs, comme nous le rappelle Pinar Selek, « L´impuissance convertit l´expérience personnelle ou collective en résignation ».

III- Le municipalisme libertaire ou communalisme
Avoir une capacité analytique suffisance et une grande cohérence telles que les présente Bookchin ne relève pas « du cynisme de la pureté ou du radicalisme rigide”, comme le prétend Corinne Morel Darleux. Le cynisme consiste plutôt à fragmenter et détourner la grande  cohérence de la pensée de Bokkchin tout en s´en réclamant.
Pourtant, comme le souligne fort bien Elias Boisjean dans « Le moment communaliste ? » (Ballast le 11/2/2019) : « L’entreprise communaliste ne souffre d’aucune équivoque sitôt qu’on lit l’auteur avec le soin nécessaire : abolition du capitalisme, des classes sociales, du critérium de la croissance, de l’État, de la police, de l’armée, de la propriété privée des moyens de production, des hiérarchies au sein de l’espèce humaine (de genre et de race) et de la domination de cette dernière sur l’ensemble du monde animal et végétal. Il y a fort à parier que des espaces de dialogue « participatifs », « concertés » et, pour les plus ambitieux d’entre eux, « éthiques » n’y suffiront pas. Pas plus que l’économie sociale et solidaire, commerce équitable et les seuls circuits courts coopératifs chers à nos municipalistes ».
C´est pour cela que nous devons penser son œuvre, la poursuivre et l´actualiser comme tout partisan de l´écologie sociale et du communalisme.  Le communalisme (ou municipalisme libertaire) propose par un processus révolutionnaire social et écologique, de « remplacer l’État, l’urbanisation, la hiérarchie et le capitalisme par des institutions de démocratie directe et de coopération ». Oublier une seule de ces dimensions, ou se réclamer de Bookchin en piochant de ci, de là dans son œuvre alors que l´on pratique le parlementarisme, revient à usurper son nom et sa pensée, et à la mettre au service de l´erreur persistante de la social-démocratie.
Le pari auquel nous devons nous affronter exige de nous, bien plus de courage et de réflexion que suivre des pistes toutes tracées par le parlementarisme qu´il se situe dans des limites nationales et internationales comme dans celles des villes-entreprises. 
Nous nous sommes face à un défi auquel jamais l´humanité ne s´est trouvée confrontée auparavant. Il est essentiellement de nature sociale et écologique à l´heure ou huit personnes sur la planète possèdent autant que la moitié la plus pauvre de la population mondiale et que nous sommes au bord d´un triple effondrement généralisé, écologique, énergétique et alimentaire.
Si nous considérons le capitalisme comme ce qu´il est : un gigantesque incendie rampant qui ravage implacablement et systématiquement le monde, aurait-on l´idée de l´éteindre avec un vaporisateur en plastique ridiculement vert ? Et pourtant c´est bien ce que se proposent ces municipalismes, ces auto-proclamées « villes rebelles » qui n´ont de rebelles que le nom. Il suffit de s´y rendre, de parler avec ses habitants pour se rendre compte que très peu de choses ont changé et surtout, rien qui dénote le moindre enthousiasme populaire.
Un incendie de la taille de celui qui a ravagé l´Australie, ne se combat pas dans et par le feu lui-même. C´est une tentative vouée à l´échec que celle de demander aux citoyennes et citoyens de s´impliquer pour diminuer l´ampleur des foyers (les métropoles) en essayant de les contrôler. D´agir ainsi nous participerions bien plus à sa propagation.
De là l´incohérence de ces initiatives qui confondent les citoyens en les invitant à se rendre maîtres de leur destin par une participation, voire une autogestion, du désastre nommé capitalisme.
On ne construit pas dans un moule pas plus qu´on ne s´y construit. Une fois dans le moule, on est obligé de s´y plier, de s´y conformer ; au mieux on l´aménage avec plus ou moins de succès mais toujours pour reproduire la même chose : de l´aliénation et de la destruction, ici ou là-bas.
Alors il nous revient de briser le moule. En excluant toute alliance avec un quelconque parti, utilisons donc les élections, si l´on en voit la nécessité pour développer nos assemblées décisionnelles en parallèle de l´Etat. Soyons conscients qu´il n´existe pas de miracle électoral. Son utilisation doit répondre non pas à une pratique systématique en tout lieu mais à une stratégie locale réfléchie dans une construction plus vaste d´un monde pluriel. 
 Nous nous devons de construire autre chose de tout à fait différent, dans le politique comme fédérateur du social dans ses luttes et ses alternatives et avec le monde naturel dont nous sommes partie prenante. Il nous revient, à nous d´ouvrir des brèches en créant d´autres modes de vie, d´autres modes de relations entre nous et avec les autres êtres vivants, qui soient déterminés non par la recherche du profit mais pour nos besoins réels et par nos propres décisions collectives.
Si notre lieu d´action est la ville il nous faudra établir tout de suite des liens étroits avec la campagne et entamer stratégiquement une décentralisation. Gardons toujours en vue l´objectif, celui de la mise en œuvre d´un mouvement général d´écologie sociale, de collectivités humaines fédérées et confédérées, intégrées dans nos milieux naturels. Il s´agit bien de stimuler la confluence entre les luttes et les alternatives, afin qu´elles se complémentent, se renforcent et se saisissent du politique comme agent fédérateur en commençant par le local, et en s´articulant territorialement et internationalement. Cette tâche répond à une nécessité vitale et à la fois correspond à un immense besoin enfoui en nous, celui de créer du politique et du social au-delà du mur de la représentativité politique,qui bouche l´horizon de notre imaginaire.
Ce mur tombé, nous serons en mesure de développer ce qui importe le plus comme créer  de la valeur d´usage contre la valorisation de la valeur, contre la marchandise. Nous allons construire du commun, ce mouvement riche d´une culture nouvelle, capable de créer du faire, du labeur contre le travail, de la diversité en empathie entre les humains et de ces derniers avec le monde du vivant.  Nous creuserons un pays dans le pays et nous nous émanciperons collectivement car la lutte pour arrêter de créer du capital est aussi une lutte contre notre dépendance au capital et contre notre subordination àp ses politiques. C´est alors que nous entrerons dans ce monde nouveau qui contient d´innombrable mondes vibrants de diversités, de vie et de joie dans le partage.
C´est cela l´essence du communalisme.
                                                                       Floréal M. Romero, le 17-02-2020
Auteur de « Agir ici et maintenant. Penser l´écologie sociale de Murray Bookchin », Les éditions du Commun, Octobre 2019, et avec Vincent Gerber : « Murray Bookchin et l´écologie sociale libertaire » Editions du passager clandestin, collection les précurseurs de la décroissance. Octobre 2019
Page facebook de l’institut communaliste nouvellement créé : https://www.facebook.com/groups/2535759586491839/
Site de Faire commune : http://fairecommune.mystrikingly.com/
Pour un reportage sur La Commune des communes qui s’est tenue à Commercy le 18 janvier sur le site de Faire commune : http://fairecommune.mystrikingly.com/blog/premiere-commune-des-communes-a-commercy?fbclid=IwAR15EulcMgsE7BbRQeZCGBuNl95pbiSkIhuv2vzP-t_mwwcCOjfuFDKDrwI
Et également ce petit film : https://www.youtube.com/watch?v=NNSnt6Hzh-U&fbclid=IwAR3LiO3grL3Wh01pSTUd5_5Fe0E31pHwAfXVIT_yJ3HUWRxKBSS8ud83mnI
Voir aussi : https://www.revue-ballast.fr/le-moment-communaliste/
NOTES :
[1] Voir dans Reporterre  du 7 décembre 2019, l´intéressante entrevue d’Hervé Kempf de 46 minutes autour des inégalités et des mesures proposées par Piketty dans son livre « Capitalisme et idéologie » pour les réduire, en tenant compte des enjeux écologiques.
[2] Si Thomas Piketty attend des réformes qu´il propose, un élargissement des facultés de participation des couches populaires à la démocratie représentative, Stiglitz en appelle directement à la mobilisation citoyenne au point d´encourager les indignés du 15M .Voir article de El País du 26 Juillet 201 : « …il a adressé un message de soutien affectueux aux Indignés : " Je vois ici une énergie très réconfortante et j'espère que vous l'utiliserez de manière constructive. Les mauvaises idées ne peuvent pas être échangées pour rien, mais les bonnes idées doivent être recherchées. Et pour les faire participer au débat public, il faut beaucoup d'organisation et de leadership. Ce sera un combat difficile car ces mauvaises idées sont profondément enracinées dans le discours politique et économique dominant. En ce moment, nous avons une grande occasion d'unir la science économique à l'engagement et à la justice sociale et de créer une nouvelle économie. Je vous souhaite la meilleure des chances.
[3] Voir Frédéric Lordon dans «  Vivre sans » Ed. La fabrique  2019,  P. 128 :  il y  fait référence au point L, (Lénine ou Lordon ?)

[4] Voir également Ada Colau, Barcelona En Comú (coord.), Debbie Bookchin « Guide du Municipalisme Pour une ville citoyenne, apaisée, ouverte »  Ed. Charles Lépold Mayer, 2019. A noter que les éditions Charles Léopold Mayer sont issues de la fondation du même nom http://www.fph.ch/index_fr.html, fondation assez douteuse si l´on se reporte à cet article : http://www.bellaciao.org/fr/spip.php?article158548

La fondation appartient à la famille Calame (le père est président honoraire et le fils en est le directeur). Le fils est un contributeur de "La vie des idées", revue du think tank "La République des idées" dirigé par Pierre Rosanvallon. On y retrouve la fine fleur de la social-démocratie  : Thomas Piketty, Jean Peyrelevade, Pascal Lamy, Jean-Marc Fitoussi, Loic Blondiaux, Daniel Cohen, Dominique Méda..


[5] Il est certain que bien des souffrances dues à l´exploitation et l´exclusion sociale se sont vues allégées par l´Economie Sociale et Solidaire ou le Budget Participatif. Mais par ailleurs ces alternatives atténuantes du “social-libéralisme”, masquent l´essence prédatrice du capitalisme:    “La « refondation sociale » vise, à travers la substitution du contrat à la loi, à transformer des citoyens en sujets. C’est la reféodalisation que dénonce Alain Supiot et non pas l’émergence d’une entreprise citoyenne. Dans ces conditions, l’économie solidaire serait un faux-fuyant ou le masque attendri d’une économie capitaliste ayant achevé sa contrerévolution libérale, ramenant les conditions sociales un siècle ou deux en arrière.”   L’économie sociale et solidaire, un appendice ou un faux-fuyant ? Jean-Marie Harribey1 Mouvements, Sociétés, Politique, Culture, n° 19, janvier-février 2002, p. 42-49
[6] Dossier spécial: “Métropoles et Collectivités territoriales: le grand chambardement”,  Contretemps nº 26 printemps 2015, cité dans “Les Métropoles barbares” de Guillaume Faburel,  Ed. Du Passager clandestin 2019, page 24.
[7] Page 26 du même ouvrage du livre de Jean Baptiste Vidalou : “Etres forêt”, p.7, Zones 2017
[8] 90 ans plus tard, la même répression aux "manteros" (Vendeurs à la sauvette) de Barcelone. De la même manière que la Seconde République n'a pas mis fin à la répression de la pauvreté ou aux luttes des travailleurs, le "maire du changement" (sic) poursuit les mêmes politiques répressives que les gouvernements précédents de CiU et du PSC-ICV. www.izquierdadiario.es   le 14 de novembre 2019.  
[9] Dans un tweet cinglant, la CNT de Barcelone a affirmé qu'Ada Colau et Pablo Iglesias, lors de la dernière campagne électorale, "chantaient Bella Ciao tout en accordant la vente des services sociaux, des garderies et des services de soins à domicile aux entreprises de Florentino Pérez". De plus, ils ont conclu, ironiquement: «Tout est en ordre». www.larepublica.cat

[11] https://rapportsdeforce.fr/pouvoir-et-contre-pouvoir/alternative-municipale-a-grenoble-le-pouvoir-est-il-maudit-08302140 30 août 2018 Stéphane Ortega
[12] Comme le soulignait très bien Clément Pairot sur Ouishare Mag, la tension que provoque une forme de technologisation de la ville semble incompatible avec sa diversité sociale. En envisageant le citoyen comme un produit et un consommateur, elle génère à la fois de la dépendance et de l’exclusion.
Si la technologie a toujours modelé la ville, à l’image de la voiture, cette intégration est toujours une sur-intégration, comme si la technologie envahissait toujours tout le réceptacle urbain. La Smart City pousse cette tendance encore plus loin et génère en retour des critiques toujours plus nourries. Tant et si bien que l’enjeu désormais est de savoir si celle-ci ne serait pas un programme contre la démocratie et la diversité, visant à repousser les pauvres toujours plus loin. https://www.lemonde.fr/blog/internetactu/2017/02/25/
[13] Selon un témoignage publié dans: Asaltados y asaltantes: historia inmediata de cuatro años de municipalismo electoral   mai 2019   https://www.todoporhacer.org/asaltados-y-asaltantes/  référant à la soi-disant participation citoyenne :  « Et maintenant que davantage de citoyens sont mobilisés, il me suffit d'ouvrir le portail de participation citoyenne de mon conseil municipal, qui compte quelque 200 000 personnes, et de constater que les propositions n'atteignent même pas 400 voix »
[14] La ville, le SI et l'entreprise : du fonctionnel au multipolaire Emmanuel Bertin et Sébastien Tran. Management Prospective Ed. | « Management & Avenir » 2014/2 N° 68 | pages 54 à 72 Voir également « Les métropoles barbares » de Guillaume Faburel aux éditions du Passager Clandestin 2019.

[15] Voir “Agir ici et maintenant. Penser l´écologie sociale de Murray Bookchin » Floréal M. Romero  Ed. du Commun Octobre 2019, P. 99 à 104.

  • lundi 3 février 2020

    L’activisme pour les nuls : comment apprendre la désobéissance civile

    Source : Telerama

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    Stage de désobeissance civile à l'attention des militants. organisé par Xavier Renou, ici à Strasbourg.
    Tout s’apprend, même la désobéissance ! Un groupe militant, les Désobéissants, propose au citoyen lambda des méthodes surfant aux frontières de la légalité. En 2015, nous sommes allés suivre une formation. A réviser dans le cadre de la Semaine internationale de la Rébellion.
    Sous les moulures du foyer des étudiants catholiques, deux groupes se font face. En rang d’oignons, les manifestants s’avancent d’un pas décidé, poing levé. « Pas d’animaux dans les labos ! » scandent-ils, essayant de forcer le barrage d’ouvriers venus défendre leur chantier. Empoignades. Invectives. Censés lutter contre la construction d’un centre d’expérimentation sur les singes, les défenseurs de la cause animale ne savent pas jusqu’où aller. « Si vous foncez sur la partie adverse en lui braillant à la figure, peu de chance qu’il sympathise avec votre cause », se marre alors le formateur, un peu en retrait. Tout le monde s’arrête, on refait le match. « Il faut que vous expliquiez votre démarche, que vous traitiez l’autre avec empathie, sinon c’est là qu’il y a violence ! »
    Ils sont une quarantaine à s’être déplacés pour ce stage de « désobéissance civile » dans le centre de Strasbourg. Deux jours d’initiation à l’action directe non-violente, dirigés par Xavier Renou, du collectif Les Désobéissants. Tous les mois, cet ancien de Greenpeace se déplace en France ou à l’étranger pour diffuser une méthode clé en main, destinée à ceux qui, revenus des manifestations et des pétitions, cherchent des modes d’action alternatifs. « Il s’agit de revenir aux fondements du combat syndical, à l’esprit de la première CGT, qui a défendu le droit de grève au moment où il était interdit et qui a gagné tout ce dont nous bénéficions aujourd’hui », s’enflamme Renou. C’est en 2006 que l’ex-« sciences potard » crée le collectif qui deviendra la matrice d’un nouveau type de lutte. « Nous étions quelques années après les manifestations de Seattle, dans ce moment exaltant de développement de l’altermondialisme et des mouvements de faucheurs volontaires. Cela m’a donné envie d’adapter les méthodes de Greenpeace à tous les combats contre les injustices. » Aujourd’hui, l’association compte une vingtaine de permanents, un réseau de 12 000 adhérents et se mobilise tous azimuts : pour l’écologie, les droits de l’homme, le Tibet, les sans-papiers…
    “Il nous arrive d’avoir des patrons de PME ou des élus”
    Ce jour-là, c’est donc une association de défense des animaux, Animalsace, qui a sollicité le stage. On est loin de l'image sulfureuse des militants radicaux. Ce type de formation est squatté par monsieur et madame Tout-le-Monde. Des jeunes, des vieux, aux profils très contrastés: des Anonymous à peine sortis de l’enfance, des antinucléaires baba-cool, un agent de sûreté aérienne, une avocate en droit du travail, une famille entière de médecins – le père, la mère et la fille encore étudiante... « Il nous arrive d’avoir des patrons de PME ou des élus, explique Xavier Renou. Nous avons par exemple été sollicités par le maire et les habitants d’un village près d’Aurillac, qui voulaient défendre une forêt menacée par un projet d’incinérateur. Nous les avons formés à l’occupation de la forêt et, pour l’instant, celle-ci n’est toujours pas détruite. » Chacun ses motivations : un des stagiaires cherche des outils pour lutter contre le projet de contournement autoroutier de Strasbourg. Fraîchement exclue de la SPA locale pour avoir dénoncé les pratiques d’euthanasie dans certains refuges, une jeune femme cherche un moyen de toucher l'opinion publique. Plus largement, ici, on cherche à « faire du terrain », « connaître ses droits et savoir ce qu’on risque », « apprendre à se défendre », « communiquer et agir de manière plus efficace », « favoriser la convergence des luttes », « être non-violent mais vraiment chiant ! ».


    “Etre non-violent mais vraiment chiant !”
    Premier exercice : Xavier Renou scotche aux murs de la salle des feuilles griffonnées (« je le ferais/je ne le ferais pas », « c’est violent/ce n’est pas violent ») et demande à chacun de se positionner dans l’espace en fonction de son adhésion ou non aux actions proposées. Il s’agit de faucher des pommes de terres transgéniques plantées dans un champ. La majorité se positionne dans le coin « je le ferais/ce n’est pas violent ». Les minoritaires s’expliquent : « C’est agressif, ce serait comme arracher un portable des mains d’une personne ! » estime une dame. « Pour moi, c’est du vandalisme », dit une autre. Deuxième proposition: se rendre sur un chantier, en pleine nuit, pour mettre du sucre dans le réservoir d’un bulldozer. L’idée amuse la majorité, qui ne réalise pas qu’au-delà du geste, supposé potache, « les bulldozers risquent d’exploser, ce qui ferait des blessés ! », comme prévient le formateur. De la même manière, plusieurs stagiaires ne verraient pas d’objection à « retenir un patron dans son bureau, en vue d’obtenir des documents sur un licenciement collectif ». Le hic ? « Ce serait de la séquestration pure et simple », prévient l’avocate en droit du travail.
    Mine de rien, cette simulation permet de confronter les ressentis, de faire réfléchir aux conséquences morales et matérielles des actions. « La bataille pour la légitimité passe par la conquête de l’opinion, qui ne doit pas nous assimiler à des casseurs », rappelle Xavier Renou. D’où la nécessité « d’agir pacifiquement, et à visage découvert ». Et d’utiliser des méthodes spectaculaires, ludiques, propices aux reprises médiatiques. En la matière, le désobéissant en chef fourmille d’idées : organiser des happenings devant des magasins, bloquer les caisses des supermarchés, égarer et disperser les documents du service financier d’une entreprise. On a vu les Désobéissants, déguisés en abeilles, mener des actions anti-Roundup (herbicide produit par Monsanto) dans les magasins Castorama ou orchestrer des pique-niques sauvages dans les supermarchés, chacun se servant dans les rayons sans passer à la caisse.


    La parfaite panoplie du désobéissant

    Tout un panel d’interventions qui, pour ne pas dégénérer, nécessitent le respect de certaines règles. Pour former les novices, Xavier Renou organise des mises en situation concrètes : une occupation de mairie, chacun se répartissant des missions, puis une simulation de garde à vue, pour « éviter les pièges de l’intimidation policière et connaître les risques juridiques réels ». En bonus, le stage prévoit tout un tas de trucs et d'astuces pour asticoter la maréchaussée « sans se faire démonter la tête », car, rappelle Renou, « l’idée n’est pas de jouer aux martyrs ». C’est parti pour l’exercice du « corps mort qui bouge encore » (ou comment glisser entre les pattes de la police en se faisant traîner en même temps), suivi des figures du « petit train » ou de la « tortue » (stagiaires encastrés les uns derrière les autres ou imbriqués en cercle, de manière à ce que personne n’arrive à les déplacer). Sans compter de précieux conseils pratiques: « Pour vous enchaîner aux grilles, vous pouvez utiliser des menottes de sexshop. Le problème, c’est qu’elles sont généralement agrémentées de moumoute rose », rigole Renou. Une fois enchaîné, surtout « penser à mettre les clés dans sa culotte ». Et si on a envie de faire pipi ? « La combinaison de surf ou de plongée, la couche pour adulte, ou tout simplement se faire dessus ! »
    “L’idée, c’est de redevenir des sales gosses, avec une visée politique !”
    Ces techniques de « harcèlement démocratique » ne fonctionnent que si le message est clair. Le stage s’achève donc sur un atelier médias. Comment « vendre » les actions auprès des journalistes ? « Il faut leur proposer de l’inventif, du sexy ! » explique Xavier Renou. Pour lui, le monde de la presse se scinde en deux camps : « les journalistes amis » et « les journaliste hostiles ». Et, dans les deux cas, ce sont des feignasses : « Comme tous les travailleurs, le journaliste peut aimer son métier, mais aussi sa famille, ses loisirs. Plus vous lui mâchez le boulot, plus il est content. Si on écrit nous-mêmes l’article, si notre communiqué comprend déjà tous les éléments de langage, ce sera dans notre intérêt. Bon, je dis pas ça pour Télérama, hein ! » Une approche subtile comme les entrechats d’un mammouth en tutu, mais plutôt payante. A coup d’actions médiatisées, de happenings rigolards, les Désobéissants ont réussi à obtenir une véritable visibilité et, au fil des années, quelques victoires : comme la réintégration de salariés sans papiers d’une société de sous-traitance de la SNCF… Ils ont même eu « l’honneur » d’intéresser (d’inquiéter ?) les autorités. « Des gendarmes sont venus se planquer dans la luzerne pour nous observer, et un type des renseignements a même infiltré l’un de nos stages ! » Xavier Renou lui-même a fini, à coup d’actions polémiques, par imposer un personnage de type poil à gratter ingérable. En se déguisant en prisonnier de camp de concentration pour manifester contre la politique d’immigration de Nicolas Sarkozy. Ou en balançant du faux sang à la figure d’un Hubert Védrine impassible, afin de dénoncer les responsabilités françaises dans le génocide rwandais… Cette démarche très provoc ne fait pas l’unanimité. Dans les mouvances altermondialistes, certains voient en lui un mercenaire de la désobéissance civile, faisant beaucoup de bruit pour pas grand-chose et multipliant les opérations marketées. Un agitateur épousant tellement de causes que, dans le fond, il n’en défend aucune. Lui revendique son mode d’action : « On propose des outils, ça ne veut pas dire qu’on impose des règles. L’idée, c’est de redevenir des sales gosses, avec une visée politique ! ».
    SEMAINE DE LA REBELLION, MODE D’EMPLOI
    C’est quoi :
    la Semaine internationale de la rébellion a été lancée par Extinction Rebellion, un mouvement né en Angleterre en octobre 2018 et qui depuis essaime dans de nombreux pays – parmi lesquels la France, l’Italie, l’Allemagne et les Etats-Unis. L’idée : mener des actions de désobéissance civile non-violente afin d’intensifier la protestation contre l’inaction politique en matière de lutte contre le changement climatique et la disparition des espèces. D’autres organisations environnementales ont annoncé qu’elles participeraient à cette semaine internationale de la rébellion.
    C’est quand : la semaine internationale de la rébellion se déroule du 12 au 19 avril.
    Quelles actions : Impossible de tenir un agenda précis. Car si certains collectifs communiquent depuis plusieurs semaines sur leurs prochaines actions pour s’assurer une médiatisation maximale, d’autres cultivent au contraire le secret, afin d’amplifier l’effet de surprise.
    En France, citons une « action contre l’industrie du textile et la fast fashion » menée par Extinction Rebellion, qui s’est déroulée le vendredi 12 avril. Et « bloquons la République des pollueurs », une action en Ile-de-France organisée par les Amis de la Terre, ANV-COP21 et Greenpeace. Des actions de « swarming » (blocages éphémères de la circulation) sont annoncées à travers le monde… Marc Belpois