Interview d’une des initiatrices de l’appel à la grève du 9 mars sur Facebook
Depuis l’annonce timorée faite par l’intersyndicale mardi soir, qui ne prévoit pas de date de mobilisation proche, les événements se sont accélérés. L’un des catalyseurs a été la création sur Facebook de l’événement « 9 mars Grève générale : nous exigeons le retrait de la loi travail », dès l’annonce du communiqué intersyndical. Après 72h, l’événement compte déjà 271.000 invité.e.s, 31 000 participant.e.s et 52 000 intéressé.e.s ! Retour sur la démarche avec l’une des organisatrices de l’événement.
Propos recueillis par Dom Thomas le 25 février 2016
Tu es co-administratrice de la page événement « 9 mars Grève générale : nous exigeons le retrait de la loi travail » . Peux-tu me dire d’où est venue cette initiative d’appel à la grève ?
L’initiative est venue d’un ami qui comme moi a été très choqué par le communiqué de l’intersyndicale de mardi 23 février. Il a créé la page et avec un autre ami, syndiqué lui aussi, nous nous sommes coordonnés pour lancer les invitations et la diffusion. Nous étions tous les trois partants pour ne pas laisser s’installer ce report de riposte à fin mars. Quand on l’a vu tomber, on a vraiment eu l’impression d’un « gros foutage de gueule », d’un sentiment d’abandon de la part des directions syndicales. On ne peut pas attendre le 31 mars pour se mobiliser ! On a échangé quelques messages en privé, on s’est dit que ça ne pouvait pas continuer comme ça, et on pressentait qu’il devait y avoir beaucoup de gens qui, comme nous, étaient scandalisés par cette annonce à minima. Nous ne pouvions pas ne rien faire.
Comme on savait que le 9 mars serait présenté le projet en conseil des ministres, qu’il y avait déjà un préavis déposé dans le secteur des transports, et que ce secteur est un secteur clef pour les mobilisations, on a décidé de proposer un appel à la grève générale et à des manifestations partout en France ce jour-là. Ça laissait le temps de préparer la mobilisation d’ici là, et de ne pas en rester à un éventuel appel à une journée de plus.
Ça a donc été une forme de réaction spontanée : l’événement sur Facebook a été créé le soir même, et on a lancé des invitations – avec la limite imposée par Facebook, qui ne s’intéresse qu’à faire des profits, pas de nous fournir un outil qui facilite l’organisation de nos luttes.
Quel était votre objectif en créant cet événement ?
L’objectif était de lancer une dynamique qui parte « de la base » sans avoir de certitudes sur ce qu’allait devenir cet événement. On voulait bousculer les choses, ne pas attendre un nouveau cycle de journées de grèves espacées dans le temps qui finissent toujours par démobiliser, comme pour les retraites en 2010 par exemple. Quand les « consignes » des directions syndicales ne sont pas en phases avec la combativité de la base, il faut trouver des solutions pour contourner les lourdeurs des appareils et permettre la mobilisation nécessaire pour faire face à la violence des attaques que nous subissons. Les réseaux sociaux ne remplacent pas le mouvement réel, dans la rue ; mais tout comme la pétition, ce sont de bons outils de diffusion de l’information.
Et des lignes commencent à bouger : des unions départementales CGT ont d’ores et déjà déclaré qu’elles rejoignaient le mouvement pour le 9, sans attendre la date du 31 proposée par la CGT. C’est une bonne nouvelle : l’objectif, c’est qu’un maximum d’organisations syndicales et politiques rejoignent ce mouvement du 9 mars, afin que les délégué.e.s syndicaux n’aient pas à trop s’exposer individuellement dans leur boîte, surtout dans le contexte de répression généralisée qu’on vit actuellement. Avec le soutien des unions syndicales, on évite de se faire éliminer les un.e.s après les autres en s’exposant individuellement. De notre colère est née cette page qui fédère et fait émerger des perspectives.
Quelles réactions est-ce que vous observez depuis la création de l’événement ?
Clairement, on ne s’était pas trompé quand on pensait qu’on n’était pas les seuls à être scandalisés. Dans les commentaires, les gens nous témoignent leur soulagement à voir que quelque chose se passe. Les appels à la grève et à manifestation se multiplient dans toutes les villes. Les personnes qui commentent disent attendre des syndicats un préavis de grève générale que beaucoup disent vouloir illimitée, a minima jusqu’au retrait de la loi, de l’état d’urgence et des projets de dégressivité des indemnités chômage.
Des employeurs se réjouissent déjà de pouvoir imposer aux salariés des heures sup’ jusqu’à 45h et 60h par semaine, les salariés évoquent des conditions de travail qui ne cessent de se dégrader, qui porte atteinte à leur santé ; et les salariés ne supportent plus que les chômeurs restent sur le carreau avec constamment le risque de se faire radier alors qu’il n’y a quasiment pas d’offres.
Les exaspérations s’expriment sur toutes les parties de la loi. Les commentaires expriment la saturation face aux violences patronales et gouvernementales. Les licenciements abusifs se multiplient, par des patrons qui se croient de plus en plus tout permis et surtout d’être des patrons voyous. Les situations d’épuisement au travail et harcèlements se généralisent pour pousser les salariés à la démission, au départ négocié, alors que la pression exercée en fait, de facto, des départs imposés par l’employeur.
Ce qui se généralise également, ce sont les contrats précaires, les temps partiels forcés et payés au salaire minimum. De plus en plus de chômeurs longue durée, qui se retrouvent acculés au RSA, n’arrivent plus à s’en sortir avec des minimas sociaux en baisse constante par des changements de mode de calcul qui baissent constamment le peu qu’ils ont pour survivre... « La survie pas la vie », peut-on lire.
Autres réactions pour répondre à ta question : on reçoit aussi pas mal de sollicitations de journalistes, et l’info a été relayée dans Politis, dans Libé, sur Rue89...
Quelles perspectives est-ce que vous vous fixez ?
Pour nous, il est évident qu’il ne faut pas se fixer sur la personne d’El Khomri. Hollande et Valls vont peut-être essayer de nous calmer en nous offrant la tête de la ministre du Travail, c’est ce qui se passe régulièrement : mais ce n’est pas ça la perspective. Elle occupe un poste que d’autres pourraient occuper, et travaille main dans la main avec Hollande et Valls. On ne doit pas marcher dans cette combine !
Mais au-delà de ça, il ne faut pas non plus fixer notre perspective uniquement sur la loi travail. C’est une première étape nécessaire et potentiellement décisive. Mais il faut aussi travailler à la convergence des luttes, en particulier avec les collectifs et organisations mobilisés contre l’état d’urgence, cet abus de pouvoir permanent. Il est évident que l’ensemble des attaques que nous vivons - contre les libertés démocratiques, contre nos conquis sociaux, contre l’ensemble de nos droits – répondent à une même logique : celle de nous fragiliser, de nous précariser, de nous exploiter davantage et de nous rendre la révolte plus difficile.
Pour toutes ces raisons, lycéens, étudiants, salariés, chômeurs, retraités montrent la même détermination à dire « ça ne peut plus continuer », « nous devons sauver notre peau », parce que leur projet de loi Gattaz-Hollande-Valls-Macron et leur nouvelle ministre constitue la plus violente régression sociale qui aurait des conséquences pour l’ensemble des exploité.e.s, qu’ils aient un emploi ou non, si nous les laissions faire. Toutes et tous dans la rue le 9 mars !
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