C’était un cours magistral qui sort de l'ordinaire : l’ancien président uruguayen José « Pepe » Mujica a inauguré la troisième conférence Europe-Amérique latine, organisée par Sciences Po, mardi 27 octobre à Paris.
Connu pour son franc-parler, son air débonnaire et informel, Pepe Mujica s’est adressé aux étudiants, du haut de ses 80 ans. Face à une jeunesse tentée par l’apolitisme, il a appelé à s’engager, car l’avenir de l’humanité et de la planète est en jeu. Le défi, inédit, est avant tout politique, avant d’être écologique ou économique.
José Mujica a tenu à l’égard de l’Europe un langage inhabituel. D’une part, il a revendiqué l’héritage européen de l’Amérique latine : « Descendants d’immigrés, nous devons à l’Europe nos noms, notre culture, notre langue. L’Uruguay est un Etat laïc, mais je dois reconnaître notre dette envers le christianisme. Berceau de notre civilisation, l’Europe n’est hélas pas à la hauteur des défis de la planète. »
« Notre époque dispose de ressources inédites, d’une productivité jamais vue. Nous sommes proches du Ciel, alors que nous semblons marcher vers l’Enfer. Aucune nation ne peut faire face, seule, aux problèmes de notre temps. »
Pepe Mujica a évoqué l’histoire. « Les précédentes globalisations, Rome ou la Chine, avaient une direction politique, alors que la nôtre est livrée à la volatilité des marchés, a-t-il déploré. En Amérique latine, le rêve d’intégration régionale est aussi vieux que les indépendances. Mais nous avons très peu avancé. Une part infime de nos échanges se fait entre nos pays, alors que les exportations restent tournées vers le reste du monde. Aujourd’hui, la Chine a pris la place prépondérante jadis occupée par l’Europe ou les Etats-Unis. »
« J’ai terriblement mal à l’Europe »
L’ancien président a loué la vision des pères fondateurs de l’Union européenne après la seconde guerre mondiale : « L’enjeu était déjà politique, avant d’être commercial ou économique. Dans un monde bipolaire, face aux Etats-Unis et à l’Union soviétique, l’Europe a décidé de s’intégrer pour continuer à exister. »
L’ancien guérillero Tupamaro a regretté que l’Organisation mondiale du commerce (OMC), gage de règles du jeu universelles, soit minée par la prolifération d’accords bilatéraux. Il a aussi critiqué l’accord transpacifique et l’accord transatlantique encore en gestation, car ils prétendent ériger des barrières contre la Chine. Comment laisser en marge l’Inde, l’Afrique, le Moyen-Orient, les régions pauvres ? Pepe Mujica prône plutôt une solidarité planétaire, une alliance entre riches et pauvres : « La concentration des richesses, les inégalités sont intolérables. »
« J’ai terriblement mal à l’Europe, a-t-il affirmé. Nous, Latino-Américains, nous avons besoin des Européens pour équilibrer le rapport de forces. Cela fait quinze ans que nous négocions un accord entre nos deux régions. L’Union européenne est trop centrée sur ses propres problèmes. L’égoïsme national des fins de mois doit être remplacé par l’intelligence à long terme. L’UE doit reprendre l’initiative, prendre en charge les questions du monde. »
Ancien président d’un petit pays coincé entre le Brésil et l’Argentine, l'Uruguayen s’est débarrassé de tout réflexe chauviniste : « La bourgeoisie de Sao Paulo ne peut pas continuer à être provinciale, elle doit s’engager dans l’intégration régionale par la création de multinationales latino-américaines ». Un tel plaidoyer pour l’intégration latino-américaine et pour l’alliance avec l’UE reste rare.
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