samedi 31 août 2013

McDo et fast-foods américains, la grève au menu

Source . Marianne
Jeudi 29 Août 2013
Léa Ducré

Des milliers d’employés de McDonald’s et d’autres chaînes de fast food américaines sont en grève aujourd’hui. Revendications et manifestations d’ampleur, une nouveauté pour la filière.


MAGNIEN/20 MINUTES/SIPA
MAGNIEN/20 MINUTES/SIPA
Ils ont déposé leurs casquettes et ôté leurs chaussures antidérapantes. Pas de plateaux tendus avec le sourire aujourd’hui. Dans les rues de New York, ils étaient des centaines à protester. Un mot d’ordre : « Nous ne pouvons pas survivre avec 7,25 dollars de l'heure » et une critique de fond contre des conditions de travail « d’abusives ». Les protestataires, issus de 60 enseignes de fast-foods telles que McDonald's, Wendy's, KFC et Burger King, ont deux revendications principales : une revalorisation de salaires et le droit de se syndiquer. 
  
Le salaire exigé par les grévistes - 15 dollars de l’heure - représente plus du double de l’actuel salaire minimum qui n’a pas suivi l’inflation de ces 50 dernières années qui l’aurait élevé à près de 10 dollars de l’heure. «La plupart de ces employés ont des enfants et essayent de faire vivre leur famille, explique Mary Kay Henry, présidente internationale de la SEIU précisant que « le salaire médian (y compris dans des positions d'encadrement) est de 9,08 dollars de l'heure, soit bien en dessous du seuil de pauvreté pour un employé qui a la chance de travailler 40 heures hebdomadaires».

Si les bas salaires ont pu être conciliables avec une vie d’étudiant, ils ne le sont certainement pas pour des employés qui « ne sont plus, comme dans le passé, des adolescents », fait remarquer Marie Kay Henry. Aujourd’hui, les moins de 20 ans ne représentent plus que 16 % de la main-d'œuvre dans les fast-foods américains contre 25 % il y a dix ans, selon une enquête  de NBC News.

La grogne s'organise

L’autre revendication, le droit à se syndiquer, n’est pas anodine. La présence d’une structure syndicale aux côtés des employés pourrait constituer un changement de taille pour les géants du fast-food. Pour l’heure, le mouvement social est sans précédent dans cette filière. Démarré en novembre avec 200 grévistes à New York, il touche aujourd’hui une cinquantaine de villes dont Boston, Chicago et Los Angeles. 
  
De leur côté, les chaînes de restauration rapide ne veulent rien entendre. McDonald’s se contente de sériner que les employés « reçoivent des salaires compétitifs et ont accès à toute une série d'avantages pour leurs besoins personnels ». L’enseigne avait déjà suscité la controverse cet été après les révélations sur son utilisation généralisée du « contrat zéro heure » en Grande Bretagne.

Ce contrat made in Great Britain assigne les salariés à une disponibilité permanente vis-à-vis de l’employeur qui n’est soumis à aucune contrainte de travail minimum en échange. Chaque heure travaillée n’est rémunérée qu’au salaire minimum, de 7,30 euros. Au début du mois d’août, le gouvernement de David Cameron envisageait mollement une enquête sur ces contrats ultra précaires. Le résultat pourrait créer une autre ligne de front pour le roi du Big Mac peu habitué à la contestation. 

jeudi 29 août 2013

Zone à défendre - Le jeu

Amis désobéissants, nous avons décidé de soutenir un beau projet : Zone à Défendre, le jeu issu des zadistes de Notre-Dame-des-Landes.
 C'est un vrai jeu de société, avec plateau, cartes et pions : en gros, les joueurs Zadistes coopèrent pour résister de diverses manières à l'avancée des gendarmes et des bulldozers qui bétonnent en vue de construire l'aéroport... Le jeu est fait bénévolement et tous les bénéfices seront intégralement reversés au "comité de soutien aux inculpés anti-aéroport" et à d’autres Zones à défendre moins médiatisées qui ont aussi besoin de soutien (Avignon, Décines, Morvan, Nice, Lyon-Turin, Belo Monte et d’autres...).

 Aidez-nous à collecter les sous nécessaires à la fabrication du jeu avant le 30 Septembre.
Toute participation est bienvenue : Soit sur le site de financement participatif Ulule : http://fr.ulule.com/zadlejeu (paiement sécurisé par carte bancaire ou Paypal)
 Soit par chèque : à l’ordre de "Contrevents" à envoyer à l’adresse suivante :
Contrevents, 12 allée des Éboutures 60580 COYE LA FORET,
 Soit par virement : C/établissement : 17515 C/guichet : 90000 n°compte : 08046065225 c/RIB : 89 BIC : CEPAFRPP751 IBAN : FR76 1751 5900 0008 0460 6522 589
Soit sur la boutique militante des désobéissants : http://www.la-boutique-militante.com/jeux/600-jeu-zone-a-defendre-souscription.html À partir de 25€ de participation, on vous envoie le jeu une fois imprimé (Début décembre 2013).
Pensez à nous donner votre adresse.

Merci de nous aider à diffuser cet appel :)
 + d’infos et voir le prototype sur www.zadlejeu.revolublog.com ou www.facebook.com/zadlejeu
Nous contacter : jeu.zad@gmail.com www.desobeir.net

lundi 26 août 2013

PENSER UN MONDE NOUVEAU

Source : Yanninfo
Interview d’André Tosel
dimanche 28 juillet 2013
publié par 
Marc Lacreuse

André Tosel : "Il se manifeste une multitude de résistances au capitalisme"
Penser un monde nouveau. À partir du constat que le capitalisme est devenu un monstre destructeur, André Tosel invite à ancrer dans l’idée d’un «  monde commun  » toute pensée de transformation révolutionnaire.

Né à Nice en 1941, André Tosel est professeur émérite de philosophie à l’université de Nice Sophia-Antipolis, où il a dirigé de 1998 à 2003 le Centre de recherches d’histoire des idées. Agrégé de philosophie en 1965 et docteur d’État en philosophie en 1982, il a enseigné à l’université de Besançon, ainsi qu’à Paris-I Panthéon-La Sorbonne. Il est l’auteur de très nombreux ouvrages portant notamment sur la philosophie italienne et continue à collaborer aux revues la Pensée et Actuel Marx. Spécialiste de philosophie politique, il a travaillé sur Spinoza, Hegel, Marx, Gramsci et sur plusieurs penseurs marxistes. Ses travaux portent sur la rationalité moderne, ainsi que sur les philosophies de la mondialisation. André Tosel est membre de la Société française de philosophie. Ses derniers ouvrages parus (en 2011) portent sur « les scénarios de la mondialisation culturelle » (Éditions Kimé).
Influencé par Althusser lorqu’il faisait ses études à Normale Sup, cet ancien responsable national des Jeunesses chrétiennes est maoïste en mai 1968, adhère et milite activement au PCF de 1972 à 1984. De 1982 à 1988, il est vice-président enseignant de l’université de Nice, puis, en 2002, est élu au conseil de gestion de l’UFR lettres, arts et siences humaines de l’université de Nice Sophia-Antipolis. Depuis une dizaine d’années, il consacre une bonne part de ses activités à l’éducation populaire et, dans le même temps, il s’est politiquement rapproché du Front de gauche.

Au XIXe siècle, Marx pensait que le capitalisme creusait sa propre tombe… Qu’en est-il en ce début de XXIe siècle  ?
 André Tosel. Depuis que le mouvement ouvrier existe on a souvent fait la constatation que le capitalisme a atteint ses dernières limites. A la fin du 19° siècle les théoriciens de la II° Internationale , les socialistes allemands ou encore Jaurès ont pensé que l’on sortirait bientôt de l’ère capitaliste par la démocratie. Mais le capitalisme a toujours déplacé sa crise de sorte qu’il se trouve en état permanent de crise rendant le possible tout à fait impossible. Il a jusqu’à présent toujours réussi à diviser ses adversaires sauf dans la période de la révolution léniniste qui reste de ce point de vue un cas exceptionnel et qui a échoué avec le stalinisme.
L’autre constatation que l’on peut faire est que nous vivons une crise d’une gravité égale à celle de 1929, mais ceux qui se nomment "progressistes", notamment les communistes se trouvent pris en quelque sorte à contre pied puisque les changements dans la société sont contrôlés si ce n’est impulsés par les forces capitalistes qui exploitent à leur profit la plasticité humaine. D’où la difficulté : comment distinguer pour "les progressistes" les éléments de civilisation qu’il faut conserver face à un capitalisme de plus en plus destructeur et ceux qui doivent être abandonnés parce qu’il s’agit non d’ un acquis mais de formes auto destructrices à terme de la reproduction capitaliste. La croissance économique avec son délire obsessionnel d’infinité relève d’un "plus de jouir en toc" ( comme le dit le psychanalyste Jacques Lacan). Mais, d’autre part, les masses subalternes appauvries ne peuvent supporter de leur côté que leurs besoins vitaux ne soient pas satisfaits dans la dignité. Comment peu à peu expérimenter d’autres modes de produire et de sommer, d’"exister" dans le partage en établissant une égalité réelle ?
Qu’entendez-vous par «  plasticité humaine  »  ? 
André Tosel. En reprenant et prolongeant l’idée selon laquelle l’homme est en perpétuelle évolution et ne peut pas être achevé, j’entends par plasticité l’indétermination de l’activité humaine, non pas tant à l’image d’un sculpteur qui travaille sa boule de glaise mais qui ne sait pas ce qui va en sortir qu’à l’image d’un manipulateur de génome qui peut désormais cloner l’humain pour des usages indéfinis où le pire peut advenir ou d’un banquier qui imagine des produits financiers dont la toxicité est un possible réel.
Pour l’homme "tout est possible", mais rien ne dit que tout le possible soit souhaitable et créateur d’une plus-value d’humanité pour tous. L’activité humaine ne connaît aucune limite « naturelle », elle se produit comme "seconde nature" indéfiniment, en se constituant comme histoire dans et par un "terrain artificiel" qui est sa nature propre.
L’homme est un être ingénieux, capable de génie créateur. Les formes de cette autoproduction sont à chaque fois finies, circonscrites et limitées, conditionnées par un état des rapports historiques -écologiques, économiques, sociaux, politiques et culturels, sur la terre qu’il faut rendre habitable en tant que globe fini. Cette ingéniosité ne peut plus être comprise comme "perfectibilité" assurée de produire toujours "plus" et "mieux", comme le pensaient les philosophes des Lumières, et sous certains points de vue Marx et Engels. Il ne s’agit pas de limiter a priori ce génie, mais de le contrôler de manière à ce qu’il tempère son infinité avec la prise en compte de la finitude qui voue tout humain, vivant parlant et travaillant, toute société humaine à revêtir une forme limitée et mortelle. Il serait plus adéquat de parler d’autocontrôle démocratique, normé par les droits de l’homme, d’égale liberté et de libre égalité, si possible dans l’élément d’un sens commun, d’une raison commune. Un communisme de la finitude en quelque sorte...
Nous sommes loin aujourd’hui de ce réalisme utopique, de cette utopie réaliste qui est la seule proposition humainement raisonnable et rationnelle. Le capitalisme mondialisé est un Monstre destructeur qui est en fait autodestructeur. On est très loin, en effet, de l’idée de la production destructrice ou de la destruction productrice, chère à l’économiste Joseph Schumpeter qui pensait par ces termes définir et justifier la dynamique du mode de production capitaliste en posant que la dimension productrice compenserait à terme la masse des destructions soi disant nécessaires. Or la masse de destruction croît de manière exponentielle.
Or, c’est un bloc économico-politique capitaliste globalisé mais différencié -selon des rapports de concurrence impitoyable- qui capture et confisque cette plasticité à son profit exclusif et selon l’illimitation du capital. Ce bloc et lui seul mène la guerre de classe au genre humain en capturant de cette propriété qu’ont les hommes de s’auto transformer en transformant leur rapport à nature et à ses co-variations. C’est un processus nouveau par lequel le Monstre flirte avec l’autodestruction, voire avec la mort et qui crée des risques multiples de monstruosités, comme on le voit nettement dans tous les domaines, aussi bien en matière financière que bio-politique, technologique, sociale et politique.
En biologie, par exemple, pour la première fois de son histoire, l’homme a accès à la production de sa propre reproduction par la procréation artificielle et peut aussi prolonger, ou supprimer, ou modifier sa vie corporelle par la science, à l’infini. On pourrait prendre également l’exemple d’Internet qui peut produire des merveilles de communication et de discussion généralisée et instantanée, donner accès à des encyclopédies tout comme il peut atrophier irréversiblement les capacités d’attention, détruire des savoirs séculaires, ou organiser une surveillance universelle de tous par quelques uns.
Sur le plan social l’invention de l’auto management invite chaque salarié employé à s’employer à se faire le juge de ses performances économique et donc à justifier son éventuel licenciement comme juste sanction de son insuffisance, comme autopunition, à devenir la victime consentante de sa mort sociale au nom des intérêts supérieurs de l’entreprise.
Dans tous ces domaines de l’activité humaine, on ne peut pas fixer de limites sauf à passer pour un conservateur ; et pourtant le point de vue d’une finitude partagée ne peut être différé. Il y a urgence. Cette plasticité humaine reste dans le mode de production capitaliste placée sous le commandement d’une loi de système, d’un impératif qui n’est pas seulement celui de la productivité industrielle mais de la productivité financière et par conséquent de formes nouvelles d’exploitation. La soumission réelle des activités au capital est l’autre face de l’impératif de l’accumulation financière et de son "plus de jouir en toc".
L’Argent est objet d’accumulation infinie pour autant qu’il conditionne la jouissance narcissique, non plus aux seuls biens, mais à sa possession illimitée comme fétiche. Pour ceux qui n’en ont pas assez et en désirent "encore", il faut consentir à l’auto-exploitation pour accéder à la spéculation, cette modalité perverse du franchissement de la jouissance. Celle-ci est jouissance à mort : les gains hors norme ne peuvent remplir le vide du fétiche et naît alors le désir de détruire en hyper-spéculant (sur le dos des autres aussi), en risquant des pertes hors norme que la collectivité est sommée de réparer. Ou bien le non performant n’a plus qu’à se suicider sur place.
On a bien là des formes inédites du mode d’existence en capitalisme mondialisé qui exigent de croiser la critique du fétichisme selon Marx et la théorie psychanalytique du fétiche. "Pas d’argent sans travail. pas de travail sans exploitation, pas d’exploitation sans dette infinie". Voici une des formules du Monde Monstre qui dévore l’existence des masses humaine , consume la terre, détruit toute production de sens dans l’illimitation insensée de sa démesure obsessionnelle. Le capitalisme mondialisé est la véritable névrose obsessionnelle de l’humanité qui détruit l’être au monde comme monde commun. La plasticité humaine court le risque de son autodestruction.
Comment résister à ces nouvelles formes d’aliénation  ? 
André Tosel. Il y existe une littérature critique très importante que les médias dominants ignorent en préférant donner la parole ceux que Georges Labica nommait les intellectuels starisés ou hi-fi, haute fidélité aux impératifs du système. Cette critique aujourd’hui n’a pas seulement besoin d’être socialisée. Elle est affrontée à la tâche positive de se faire source de propositions et d’expérimentations sous peine de déchoir au rang de savoir impuissant de notre impuissance.
Il ne faut pas participer à la désolation générale sous peine d’en être le complice. Aujourd’hui des hommes et des femmes luttent et résistent. Toute analyse critique devrait comporter obligatoirement en contre -champ des récits d’expériences, des exposés de pratiques alternatives en Europe et dans le monde entier , à tous les niveaux. Un média comme l’Humanité peut jouer à ce sujet un grand rôle.
L’urgence est de produire des opérateurs de conversion entre les diverses résistances actuelles, venues des subalternes, de tous ces groupes privés du pouvoir social d’être cause de leur action, et réduits souvent au statut d’effets passifs, de sujets-objets devenus objets-objets ou rebuts, individus entre eux gérée par les mécanismes d’identification néocapitalistes.
Qu’il s’agisse des ouvriers, des employés, chômeurs ou non, des femmes et des minorités homosexuelles, des groupes ethniques en mal d’une légitime reconnaissance, de peuples pris dans le néocolonialisme capitaliste ; le problème est d’imaginer comme des opérateurs de conversion permettant de traduire les luttes les unes dans les autres, de les unifier, sans les noyer, à tous les niveaux, du local au global.
La ville et particulièrement la ville globale (il en existe une trentaine) est ici le milieu décisif où ces subalternes se côtoient et peuvent se rencontrer à la condition que chaque groupe puisse critiquer ce qui dans son particularisme fait obstacle au "commun" à trouver ou inventer. Ce qu’il faudrait face à la mise en concurrence des intérêts ; c’est créer des collectifs de coopération pluriels.
Il y aurait donc une sorte d’individualisation de l’exploitation capitaliste. Est-ce à dire que les antagonismes de classes ont disparu  ? 
André Tosel. Disons qu’ils se sont émoussés, l’idée du "No future" selon laquelle on ne peut pas faire autrement s’étant ancrée dans les esprits. Il faut encore une fois tenir compte de l’attrait qu’exerce sur l’homme l’idée de devenir auto-entrepreneur. Cette idée a pour noyau rationnel l’effort pour libérer sur le plan imaginaire la puissance que chacun met à faire quelque chose de sa vie. L’activité humaine se maintient toujours comme effort positif pour vivre, pour contrecarrer ce qui l’oppresse et la contraint. Il faut compter encore sur cet irréductible avant qu’il ne soit lui aussi totalement "managé".
Cela dit, la lutte des classes reste en un certain sens le moteur de l’histoire. Si les ouvriers ont subi une défaite historique sous les coups de la mondialisation, il ne faut pas oublier que les capitalistes ne cessent de mener cette lutte pour les raisons structurales, pour maintenir leurs taux de profit en s’immunisant apparemment dans la finance.
Du côté des subalternes, la résistance n’est pas à la hauteur de cette violence du Capital Monde, mais les contradictions sont permanentes, même dans un contexte où la plasticité humainea pris la la forme d’une segmentation des classes ouvrières et où la coordination des classes subalternes est rendue difficile. Ne serait-ce que parce que le niveau global dominé par la nouvelle caste dirigeante économique et politique construit son hégémonie au niveau local, les luttes ouvrières sur les sites nationaux des entreprises transnationales ont une dimension globale au sein du local. Il en va de même pour les combats écologiques dans des lieux déterminés.
Comment se constituent ces classes subalternes et dans quelles conditions pourraient-elles s’allier avec la classe ouvrière  ?
André Tosel. Il n’existe plus de classe ouvrière centrale car il n’y a plus d’usines fordistes comme en 1920 à Turin chez Fiat où les ouvriers étaient comme une armée concentrée en un même lieu. Il existe un salariat qui contient des réserves de puissance sociale, la lutte pour le salaire et le salaire élargi aux contribution sociales étant stratégique.
Aujourd’hui les centres de production sont dispersés et diversifiés, le recours à la sous-traitance est généralisé. Ils sont néanmoins interconnectés. Certes, on peut alors parler d’une pluralité de la classe ouvrière et d’une hétérogénéité des fronts de résistance. Il y a une multitude de résistances au capitalisme, une pluralité de sujets qui refusent d’être réduits au statu d’objets-objet, mais il est possible de trouver de motifs unificateurs hirizontaux en faveur de" la vie bonne", des traductions transversales des luttes produisant du commun de combat.
C’est ainsi que se créent des « collectifs » (infirmières , professeurs ou groupes de soutien à une cause locale, paysans pauvres, indigènes en survie, etc. ) qui résistent chacun de leur côté sans toujours d’ailleurs obtenir le soutien des populations environnantes, sauf cas exceptionnel comme Fralib à Marseille où les ouvriers ont réinventé l’idée de coopérative chère à Jaurès. Peut-être verra-t-on une multiplication d’expériences conseillistes à la base et des connexions les reliant ?
Les classes subalternes partagent les mêmes difficultés mais aussi les mêmes espérances que la classe ouvrière segmentée. Elles sont constituées de tous ceux dont le travail est nécessaire mais qui sont en position seconde , dominée. On y trouve les petits employés et les fonctionnaires, ce qui reste de la petite paysannerie et de l’artisanat ; les précaires, les immigrés… Ils subissent une forme d’exploitation collective.
Par exemple les enseignants : ils sont mal payés, mal considérés , soumis aux diktats des pseudo pédagogies modernistes, leur formation initiale et continue est réduite. Mais les résistances moléculaires existent et elles finissent par franchir des seuils et s’organiser en ensembles plus vastes.
Pour qu’un front de résistance de ces classes se forme, comme le pensait Gramsci (1) il est nécessaire que chaque couche subalterne produise par la lutte des citoyens et de sujets conscients, ouvriers, paysans, employés, techniciens divers… qui s’approprient les connaissances philosophiques , politiques , sociologiques les plus utiles pour eux et leur combat .Pour que l’alliance – vitale- des intellectuels et de la classe ouvrière se forme il faut que se forment au sein de la classe ouvrière et des subalternes , des intellectuels propres entrant en convergence avec les intellectuels professionnels.
En l’espace d’une trentaine d’années l’humanité a vécu de grands bouleversements politiques avec notamment l’effondrement du communisme soviétique, la révolution conservatrice américaine, l’échec et la conversion de la social démocratie au capitalisme mondialisé, l’émergence timide de nouvelles idées altermondialistes…
Pour plagier Gramsci, peut on dire que nous vivons une époque où le vieux idéologique tarde à mourir tandis que le neuf peine à naître et à s’imposer ?
André Tosel. Je n’en suis pas sûr et faisons attention : le neuf, on le voit avec le nouveau management des travailleurs, n’est pas toujours quelque chose de positif ! Le nouveau, c’est aussi la folie financière actuelle qui mène la planète au pire. Mais cela peut être positif pour l’homme si la créativité est collectivisée, socialisée de façon à ce que les citoyens et les sujets ne soient pas les victimes de leur propre situation.
Je dirai que globalement le neuf fait partie de cette plasticité humaine indéterminée avec sa part d’équivoque, car toujours susceptible d’être manœuvrée par les forces capitalistes. Si l’on regarde maintenant ce qui se passe à gauche, on voit poindre des idées et des concepts nouveaux, socialisme du 21° siècle en Amérique du Sud, éco-socialisme en Europe, éveil politique, social et écologique des masss chinoises.
Ce qu’il faudrait maintenant ce sont une fois encore des conversions de pratiques qui permettraient de produire et de parler un langage commun. Selon moi ce langage commun peut continuer avoir trois mots pour base : liberté, égalité, commun. Au fond il faut revenir à une version radicalisée des droits humains personnels, pas seulement la liberté, mais les droits effectifs c’est-à-dire l’égalité.
Comment alors reformuler la fraternité selon l’idée du commun, c’est-à-dire du vivre ensemble, pour coopérer, pour coexister. L’idée de monde commun est philosophiquement l’idée centrale pour toute analyse critique et pour tout projet de transformation révolutionnaire. Dans « l’être -au-monde-ensemble » se manifeste tout ce qui relève du bien commun, de la vie bonne pour tous, de l’existence sensée et significative, de la préservation des communs traditionnels (eau ; terre, air, espèces vivantes), mais aussi de la création nouveaux communs (énergies, formes de solidarité ; capital de cultures et de langues partagées, réserves de sensibilités et d’activités créatrices).
On ne peut échapper en ce point au défi de l’écologie politique, des modes de vie économes, des mode de production et de consommation égalitaires communs. On pourrait alors considérer qu’une fois déconnectés de la logique du Monstre qu’est le Capital Monde le travail, l’entreprise sont des biens communs qui ne peuvent être laissés à une logique qui les détruit. Il faudrait en quelque sorte reformuler l’idéal communiste à l’aune de la problématique du bien commun et des communs.
Mais avec ce qui s’est passé au 20° siècle, dans les pays dits « communistes », le communisme n’est-il pas sur le plan idéologique, définitivement condamné ?
André Tosel. Je crois que l’on est loin d’en avoir fini avec l’analyse de ce qui s’est passé en Union Soviétique et dans les pays gouvernés par des sociaux-démocrates se réclamant du marxisme. Un nouveau communisme est à inventer sur la base de la critique de ce qui a été fait ou manqué dans le passé. Cependant en même temps supprimer toute référence aux fondamentaux du communisme serait se démunir. Ces fondamentaux sont à redéfinir partir du devenir Monstre du Capital Monde.
Voici quelques questions :qu’est-ce que l’appropriation sociale ? Comment articuler conflits sociaux et conflits identitaires ? Quel soin prendre de notre rapports à une Terre profondément transformée, mal traitée comme un simple stock ? Comment conserver des savoir faire et des savoir penser dans la constitution d’un Entendement général objectivé dans les technologies nouvelles ?
Ce n’est pas parce que le mot "communisme" a été imprononçable longtemps qu’il a perdu son sens. Cela implique notamment assumer toute la dimension utopique-réaliste du communisme, utopie voulant dire se transport dans un lieu qui n’existe pas encore mais qui permet une vie réelle, non pas un autre monde séparé, mais un monde simplement autre, purifié de ce qui fait de notre monde un non monde pour des masses immenses.
Cet endroit serait un monde nouveau : est il possible à réaliser ?
André Tosel.Le changement de mode de production et je dirais même de mode d’exister et de co-exister est désormais un souci partagé, une évidence en devenir. Se posent ici les problèmes redoutables de la consommation absurde et de la dette à vie devenue une véritable chaîne pour les travailleurs. Aujourd’hui la véritable carte d’identité est la carte de crédit : "tu n’existes que parce que tu t’endettes et pour autant que l’on te permet de t’endetter" !
De ce point de vue, il faut reconnaître au capitalisme un certain génie ! Mais un mauvais génie qui appauvrit le bien commun, dégrade la vie quotidienne de chacun et produit des sentiments d’identification communautaire négatifs.
Il faut insister sur ce point des identifications communautaires réactives dont font partie des religions et notamment l’islam dans les quartiers populaires ou le néo-évangélisme en Afrique et aux Amériques. Mais les religions étaient-elles vraiment parties ? Ne se sont-elles pas plutôt transformées sur un marché religieux spécifique ?
Elles peuvent toujours fonctionner comme un marqueur identitaire surdéterminant les autres en produisant un effet de communauté de communautés. Elles peuvent dans un contexte de crise conduire, non pas à un fascisme comme on l’a connu dans les années trente, mais à des monstruosités comme on le voit par exemple en Inde actuellement où dans ce pays démocratique on assiste à des pogroms de musulmans perpétrés par l’extrême droite hindouiste. Des majorités se sentant menacées par des minorités peuvent se faire prédatrices et violentes en participant à une racisation des rapports sociaux et en rendant plus difficile une perspective politique, sociale et culturelle commune.
Partout dans le monde on assiste à un aiguisement des conflits identitaires en réaction à la dévastation sociale des solidarités concrètes. Tout un mode de vie est à réinventer.
Sur le plan économique, il faut aller vers un système, non pas fondé sur de simples nationalisations résorbables dans la logique du capital,, mais sur la réappropriation sociale des biens communs tels que l’eau, les transports ou l’énergie, le patrimoine culturel et scientifique.
Sur le plan politique, on assiste à la constitution d’une nouvelle classe dirigeante auto-proclamée et auto-sélectionnés, réunissant des hommes politiques néo-(socio-)libéraux formant avec leurs nuances le parti unique du capital et de ses fractions, des dirigeants d’entreprises, des banquiers et traders, des universitaires de régime, des experts avec ou sans compétence, des médiacrates.
Cette classe transnationale mais localement active constitue une nouveauté en ce qu’elle constitue les réseaux transnationaux moléculairement inscrits dans le local, notamment dans les villes globales, ces nouveautés absolues. Ce sont ces réseaux qui prennent après analyse, dans les initiatives décisives qui soumet les Etats en commandant le remboursement des dettes, en déconstruisant les services publics, en programmant la réduction de la valeur de la force de travail, en promouvant la concurrence entre travailleurs au prix de l’essor des conflits identitaires, en pilotant le surendettement des pauvres, ce moyen de domination nouveau, en encourageant le sur enrichissement des riches, en développant un individualisme cynique et sans pitié, en ouvrant les vannes de sa démesure.
On a un bon exemple de cette gouvernance surdéterminée par la domination de la finance avec les institutions et les mécanistes antidémocratiques qui structurent la Communauté Européenne autour de l’euro et font d’elle la sainte Alliance du Monstre capital béni par les Eglises chrétiennes. Cette Sainte Alliance de l’Argent devient criminelle structurellement et le capitalisme en est délégitimé. Ce qui a été infligé à la Grèce devrait servir d’avertissement quant au futur qui menace Les Etats sont ainsi conduits à organiser eux-mêmes, à l’insu de leur plein gré, leur propre dénationalisation.
Ce phénomène est lui aussi inédit et il n’annonce nul cosmopolitisme éthico-politique. Il s’inscrit dans la guerre économique à mort pour la conquête des marchés. Il tend à quasi étatiser de nouvelles puissances, comme l’Europe, et il n’exclut aucune guerre ouverte pour le contrôle des ressources décisives. La démocratie, tant vantée, qui repose sur le principe de la souveraineté d’un peuple nationalement déterminé entre dans une crise irréversible. Les exécutifs transnationaux et les réseaux armés des puissances de l’information exercent une dictature sans précédent et réduisent le champ d’action des parlements nationaux.
L’idée de souveraineté populaire éclate et se dilue. L’idée de peuple souverain à laquelle nous sommes attachés depuis la révolution française se délite. Ce processus est aggravé par le refus des castes dirigeantes à unifier dans la même citoyenneté nationale interculturelle, dans le même territoire "national", les diverses fractions qui coexistent : résidents citoyens nationaux, résidents non nationaux, transitoires ou permanents.
Si la souveraineté populaire a toujours été une fiction efficace fondatrice, aujourd’hui elle se défait dans la dé-fiction d’une nation dénationalisée et impuissante à s’élargir.
Comment alors réinventer une démocratie alors que nous vivons une dé-démocratisation autoritaire désappropriant les citoyens et les sujets de tout pouvoir ? Comment non pas tant refaire LE peuple, mais faire DU peuple ? C’est cette question que masque le débat manipulé sur le populisme.

(1) Antonio Gramsci (1891-1937). Philosophe, journaliste, homme politique, fondateur du parti communiste italien en 1924, emprisonné en 1926 par Mussolini.
Lire aussi d’autres entretiens de notre série "penser un monde nouveau" : •Isabelle Stengers : « La gauche a besoin de manière vitale que les gens pensent » •Edgar Morin : « L’idée de métamorphose dit qu’au fond tout doit changer » •Catherine Larrère : « Il faut sortir de l’idée du combat et apprendre à coopérer avec la nature »

Entretien réalisé par Philippe Jérôme