Entretien.
Pour l’ex-inspecteur du travail et membre de la direction du PS, Gérard
Filoche, l’avant-projet de loi El Khomri est une « attaque
thermonucléaire » contre toutes les protections des salariés.
À
la lecture de l’avant-projet de loi El Khomri, reste-t-on selon vous
dans le champ d’une simple « simplification » dont parlait la mission
Badinter ?
Gérard Filoche Non, c’est un véritable
bouleversement. Valls avait annoncé qu’il ne voulait pas d’une
réformette mais d’une révolution. Nous sommes face à la plus importante
contre-révolution depuis un siècle. C’est une attaque à la bombe
thermonucléaire contre l’ancien Code du travail. Depuis un siècle, le
droit du travail s’est construit pour permettre de protéger les salariés
contre les exigences des entreprises et de l’économie. Et voilà qu’ils
font l’inverse, ils nous ramènent au statut de loueurs de bras, de
tâcherons, de soumis sans droit. C’est la casse de la grande tradition
de reconnaissance du salariat comme moteur de la production des
richesses.
Le gouvernement avait promis de ne pas s’attaquer aux 35 heures, quelle est votre appréciation ?
Gérard Filoche Il a menti, noir sur
blanc. Les 35 heures ne sont plus, dans ce projet, qu’une éphémère
plaisanterie. En une dizaine de chapitres, tous les contrôles sur la
durée du travail sautent. Les gens vont avoir du mal à le croire, mais
il est bien écrit que la durée maximale du travail pourra, par forfait
ou négociation, excéder les 12 heures par jour, tout comme elle pourra
dépasser les 48 heures par semaine, pour atteindre les 60 heures.
C’est au nom de l’inversion de la courbe du
chômage que le gouvernement justifie ses réformes ; quels dangers pour
l’emploi recouvre cet avant-projet ?
Gérard Filoche De telles transformations
augmenteraient massivement le chômage. Il s’agit de faire travailler
plus ceux qui ont un travail au détriment de ceux qui n’en ont pas.
L’ampleur du mensonge est fracassante. On atteint des sommets de
propagande et de contresens. Comment peut-on prendre des millions de
salariés pour des gogos, prétendre qu’il s’agit de leur permettre
d’avoir un travail alors que, pour beaucoup, cela le leur enlèvera, et
que, pour les autres, cela les exploitera, brisera leur santé ? D’où
tout cela vient-il ? Personne ne le demande, à part Pierre Gattaz, et
même lui doit sûrement en ce moment s’étonner de la hardiesse
ultralibérale de ce projet.
Le gouvernement prétend promouvoir le « dialogue
social » via le référendum et les accords d’entreprise. Quels sont les
risques ?
Gérard Filoche Il enterre au contraire le
dialogue social. Il ne peut y avoir de référendum dans une entreprise
puisque les parties ne sont pas à égalité. Le salarié est subordonné,
avec un canon sur la tempe quand il doit se prononcer comme chez Smart.
En outre, les dispositions prévues rendent possibles tellement de
dérogations à la loi que pratiquement plus rien de l’ordre public social
ne restera en place. Il y aura 10 000 Codes du travail dans
10 000 entreprises.
Les syndicats et une majorité de gauche peuvent-ils entériner ces mesures ?
Gérard Filoche Tout syndicat devrait
immédiatement appeler à descendre dans la rue. On est à l’os, il est
vital de se défendre. Quant à la majorité, celle que je connais a appelé
à reconstruire et à renforcer le Code du travail. C’est un reniement en
profondeur du gouvernement, une attaque contre l’histoire même du PS.
Les députés qui ont par le passé voté tout le contraire de ce texte
seront soumis à leur propre conscience. Même la droite sarkozyste
n’envisageait pas d’aller si loin.
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