jeudi 28 février 2019

Le crépuscule des services publics

Source : La vie des idées

par Nadège Vezinat , le 26 février
 
 
 
La détérioration des services publics suit partout un même protocole : la Poste, la SNCF, la RATP, les hôpitaux justifient de la même manière les réformes en cours, avec les mêmes effets ravageurs. En pistant les étapes de ces procédures, cet essai s’interroge sur un autre aiguillage possible.
Les Gilets jaunes réclament à la fois un allègement fiscal et le maintien de leurs services publics. Emmanuel Macron dans ses questions aux Français n’a pas manqué de souligner le paradoxe : « Faut-il supprimer certains services publics qui seraient dépassés ou trop chers par rapport à leur utilité ? À l’inverse, voyez-vous des besoins nouveaux de services publics et comment les financer ? » Les services publics sont variés (transport SNCF, écoles, bureaux de poste, hôpitaux) et habituellement analysés de manière séparée par les chercheurs, mais il vaut la peine de les étudier comme un ensemble car la dégradation des services publics dont se plaignent les usagers suit un mécanisme relativement similaire d’un monde à l’autre.

Ce mécanisme peut être décomposé en plusieurs étapes dont la succession entraîne un sentiment d’inéluctabilité dans la détérioration des services publics, alors qu’une étape pourrait ne pas conduire automatiquement à une autre si une volonté politique en décidait. Leur point de départ consiste à exiger une rentabilité difficile à atteindre au regard des missions de service public dont ils sont en charge (1). L’étape suivante est celle d’un délaissement progressif de l’entretien des infrastructures (2) conduisant à une dégradation des services fournis (3). Ce délaissement produit alors une moindre rentabilité (4), motif invoqué pour à ouvrir à la concurrence, à défaut de privatiser, le service ou l’entreprise en question (5). Les dernières étapes de la détérioration des services publics consistent à détourner les derniers usagers (6) ou à dualiser ces services en proposant plusieurs gammes de prestations, allant de « l’entrée de gamme » (du « low cost ») au « haut de gamme ». Cette dualisation produit une segmentation des usagers – et donc une rupture de l’égalité entre eux – qui crée une perte de sens. Cette dernière accroît à nouveau l’exigence de rentabilité en la faisant passer d’un moyen visant à assurer une mission d’intérêt général à une fin en soi (7).
Graphique : Le cercle vicieux de la détérioration des services publics
Source graphique : Nadège Vezinat

Au commencement : l’exigence de rentabilité

Dans un contexte global de réforme de l’État central et de transfert de compétences – aux collectivités territoriales, aux entreprises publiques ou même au privé (via des délégations ou autres partenariats public-privé) – le point de départ du processus est presque toujours rattaché à une exigence de rentabilité. Celle-là même qui justifie la mise en place d’un « new public management  », c’est-à-dire de modes de gestion qui s’inspirent des entreprises privées pour rationaliser la fonction publique (Hood, Dixon, 2015 ; Bezes, 2012 ; Amatori, Millward, Toninelli, 2011). Dans une logique de désendettement de l’État central, ces transpositions du privé au public se conjuguent également de plus en plus souvent avec des objectifs de « lean management ». Ce dernier consiste à retirer le superflu pour s’en tenir à l’essentiel (Stimec, 2018, 2010), ce qui conduit à mettre en place, par exemple à l’hôpital, une « tarification à l’activité » (T2A) c’est-à-dire un mode de financement qui rémunère les établissements hospitaliers en fonction des diagnostics et actes médicaux pratiqués, certains valant plus que d’autres (Bras, 2017 ; Domin, 2014). Ce mécanisme conduit également à envisager des fermetures de services considérés comme non rentables alors même que ce que prennent en charge ces déficits relève pourtant du service public et devrait être considéré comme tel : ainsi les maladies chroniques sont plus coûteuses à prendre en charge que les épisodes aigus et la recherche et les prises en charges sur les maladies rares nécessitent une personnalisation des soins lourde et complexe.
La préoccupation graduelle pour le contrôle des dépenses et des modalités de fonctionnement de ces organisations entre cependant en tension avec le souci de ne négliger aucune des missions (d’intérêt général comme industrielles et commerciales). À titre d’exemple, le « reste à charge » (c’est-à-dire le déficit assumé financièrement après les compensations étatiques) de La Poste sur les missions de service public qui lui sont dévolues demeure important : il était en 2014 de 356 millions d’euros sur la mission « transport de la presse » (506 millions d’euros de déficit avant compensation de l’État), de 72 millions d’euros encore pour la mission d’accessibilité bancaire (314 millions d’euros avant compensation) [1].
Au regard des injonctions à la rentabilité, croissantes mais pas pour autant récentes pour nombre de services publics, des activités nouvelles sont proposées aux usagers : ainsi, pour compenser la baisse structurelle de son activité courrier, La Poste a développé des activités autour des services bancaires, des services à domicile, de la « silver-économie » (les biens et services non médicaux proposés pour les personnes âgées) ou de la poste numérique. La diversification de ces activités marchandes est présentée comme une solution de redéploiement pour le personnel chargé de l’activité courrier et une manière de repenser la place que les facteurs peuvent occuper dans les territoires. Mais elle déplace également le sens de la mission de service public : de raison d’être de l’organisation, le service public devient une cause de déficit et un problème à résoudre. Les objectifs de productivité et de rentabilité y devenant de plus en plus prégnants, ils modifient les orientations stratégiques mais aussi les services proposés et leur qualité.

Délaissement des infrastructures, dégradation des services

Parce que certains de ces services publics présentent les attributs d’un « monopole naturel », c’est-à-dire qu’en raison des coûts très élevés d’exploitation ou d’infrastructures, une branche d’activité est économiquement considérée en position dominante, ils sont peu concurrencés. Les services en réseaux (poste, EDF, transport…) sont dans cette situation. Il est par exemple peu probable pour le transport ferroviaire qu’un nouvel exploitant crée de nouvelles lignes de chemins de fer ou qu’un concurrent postal investisse dans la mise en place de boîtes aux lettres concurrençant le service courrier classique. Cela n’empêche pas cependant que des concurrences de niches s’exercent sur les segments de marché les plus rentables au travers des services de coursiers à Paris pour distribuer des lettres urgentes ou au travers de l’ouverture à la concurrence de l’exploitation de certaines lignes ferroviaires.
Les infrastructures, qui ne permettent aucune rentabilité directe mais sont très coûteuses, sont progressivement délaissées. L’usure du matériel comme l’absence d’investissements sur les infrastructures (rails à entretenir pour la SNCF) ou l’immobilier (bureaux de poste à rénover pour La Poste) engendre une dégradation des services : très progressive et à peine palpable, quand il s’agit de constater que les voitures de métro ne sont pas renouvelées fréquemment ou que les retards sont récurrents, mais brutale quand le matériel vieillissant non remplacé provoque des accidents. La catastrophe du 12 juillet 2013 de Brétigny-sur-Orge, avec le déraillement d’un train Corail Intercités qui a fait sept morts et trente blessés, a mis en lumière la difficulté d’assurer l’entretien des infrastructures nécessaires au bon fonctionnement des services publics avec des rails, ponts, lignes téléphoniques ou électriques, canalisations, propriétés immobilières, parcs automobiles... structurellement lourds à préserver.
La dégradation des services n’est pas liée seulement à l’infrastructure : en janvier 2019, plusieurs chefs de service des urgences hospitalières ont cosigné une tribune pour déplorer la saturation de leurs services. [2] Leur encombrement continu crée en effet des conditions de travail dégradées pour les soignants et une mise en danger des patients. L’exposition aux risques (dont la nuit passée sur un brancard de l’hôpital n’est qu’un des symptômes) est ainsi dénoncée régulièrement par les professionnels eux-mêmes qui soulignent que la difficulté va au-delà des temps d’attente aux urgences (Belorgey, 2010 et 2013). Ils déplorent une faille au niveau de la sécurité des patients, faille qui tient à l’usure des équipes du fait des conditions de travail très dures, la simultanéité des prises en charges à assurer qui aggravent le risque d’erreurs médicales, l’arrivée de patients aux urgences par défaut d’accès à une médecine de ville, etc.

Moindre rentabilité, privatisation ou ouverture à la concurrence

Avec des bureaux de poste ouverts mais sans fréquentation, des trains qui roulent à moitié vides parfois mais qui roulent quand même puisqu’il s’agit de services publics, le compte n’y est pas. Et cette situation structurellement déficitaire des services publics constitue une cause de réformes dans les services offerts ou dans les modes de fixation des tarifs. Concernant les réformes de statut, les directives européennes des années 1980-1990 ont globalement conduit, au nom du principe de libre concurrence, à l’éclatement des statuts juridiques publics en redéfinissant les missions des services publics (Thirion, 2000). Le temps de mise en œuvre des directives européennes n’a toutefois pas été le même selon les secteurs et les pays. Il a pu parfois s’étirer sur des années (Lascoumes, Le Galès, 2011, p. 28), allant même jusqu’à leur non-transcription (Falkner, 2005) ou ne suscitant pas les mêmes principes d’application (notamment en termes de travail et d’emploi) au sein des instances nationales.
La Poste française a par exemple connu une libéralisation plus lente que ses voisins européens : ancienne administration d’État, elle est devenue une entreprise publique en 1991, puis une société anonyme en 2010, avant qu’aujourd’hui l’État s’en retire au profit de la Caisse des Dépôts et Consignations, qui se prépare à en devenir l’actionnaire majoritaire dans le cadre de la loi PACTE dont le projet de loi a déjà été voté en première lecture à l’Assemblée nationale le 9 octobre 2018. Bien que le lien avec l’État se soit distendu, les obligations de service public y sont encore prégnantes pour les agents qui assurent au quotidien ces missions d’intérêt général en étant au contact du public : facteurs (Cartier, 2003), guichetiers (Siblot, 2006) ou conseillers financiers (Vezinat, 2017).
Concernant la fixation des tarifs, la péréquation est encore active à La Poste pour les envois de lettres – le prix d’un timbre est le même quelle que soit la distance parcourue par une lettre – mais le principe d’un tarif kilométrique uniforme a été remplacé à la SNCF par un dispositif de tarification en temps réel, le yield management (Finez, 2014). Cette situation favorise une ouverture à la concurrence, comme dans le cas des lignes ferroviaires Intercités Nantes-Bordeaux ou Nantes-Lyon qui vont être soumises à un appel d’offres en 2020 [3]. Elle va même parfois jusqu’à la privatisation du service comme c’est le cas des autoroutes qui ont fait l’objet de concessions au privé, qui ont réduit leur personnel et augmenté régulièrement les péages, et dont l’État s’est finalement séparé en 2005 au moment où ces concessions commençaient à être rentables.
Cette privatisation des services publics se constate également à l’échelle des villes : une loi de 2014, dite loi MAPTAM (Modernisation de l’action publique et d’affirmation des métropoles) a instauré la municipalisation du stationnement ce qui a permis aux collectivités, au moment où il leur était reproché une « mise en œuvre défaillante » et « un défaut de contrôle du stationnement », de « maîtriser pleinement la mise œuvre de leur politique en matière de stationnement payant de surface ». Ainsi, par exemple, la ville de Paris a mis en place au 1er janvier 2018 des « forfaits post-stationnement », qui remplacent les contraventions, ne relèvent plus de l’autorité de Police mais sont établis par des agents de contrôle assermentés employés par deux sociétés privées qui se partagent les différents arrondissements de la capitale. Cette délégation au privé a suscité dès le mois de mars une vive polémique en raison des dysfonctionnements constatés dans le contrôle du stationnement à Paris et a conduit le parquet à ouvrir une enquête préliminaire pour faux et escroquerie à l’encontre de la société privée effectuant les contrôles dans le but de verbaliser. Au-delà de la nature publique ou privée du prestataire, ces pratiques posent plus globalement la question, négligée par une évaluation purement comptable des dispositifs, de la qualité du travail relevant du service public.

Détournement des usagers du service et dualisation

Les services publics se détériorant, ou devenant moins avantageux, les usagers s’en détournent, ce qui provoque à nouveau un délaissement des infrastructures et un cercle vicieux qui suit les étapes présentées plus haut.
Le détournement des usagers des services publics donne alors un motif valable pour amorcer les réformes au nom d’une maîtrise des coûts. Le niveau d’activité influence donc directement l’évolution des services publics sur le territoire. Concernant le maintien des bureaux de poste dans les endroits où l’activité baisse considérablement, un fonctionnaire de La Poste interviewé en 2007 dénonçait déjà l’incohérence des clients et des élus :
Le maire se plaint, il n’est pas content parce que son bureau de poste va fermer. Mais on l’a prévenu, on lui a dit que personne n’y allait et ben voilà ! S’il veut que son bureau reste ouvert, il n’a qu’à dire aux habitants de venir utiliser les services de la poste. Quand je lui ai demandé s’il y allait, il m’a dit non. Et c’est pareil pour les autres, ils râlent, ils ne veulent pas que leur poste ferme mais ils n’y vont pas. C’est d’ailleurs pour ça qu’elle ferme ! Ils veulent qu’elle soit là ou cas où. Mais on ne peut plus fonctionner comme ça !
(membre direction départementale, homme, fonctionnaire, parti à la retraite aujourd’hui, entretien réalisé en 2007)
Dans ce contexte de tensions entre les desiderata des élus, de la population, de l’organisation postale, des syndicats et des personnels, les agences communales et les relais commerçants semblent être une solution intermédiaire qui permet de ménager tous les acteurs (Vezinat, 2012). Il n’en reste pas moins qu’un certain nombre de clients peuvent vivre comme une exclusion le fait de ne plus pouvoir s’adresser à un véritable bureau de poste.
La dualisation des services selon les prix fait directement écho au phénomène relevé ici ailleurs par Dominique Memmi qui constate le retour d’une « troisième classe » et la segmentation des usagers qui conduit à offrir aux uns des transports haut de gamme (« TGV Inoui » avec une attention portée sur l’accueil des passagers et un accès au wifi pendant le voyage) et aux autres des transports « low cost » (« trains Ouigo » centrés sur le strict minimum, la poubelle par exemple n’en faisant pas partie).
Au nom d’une égalité de traitement, les services publics doivent respecter les procédures mises en place, ce qui justifie une standardisation des réponses adressées aux usagers. Mais ils opèrent dans le même temps une segmentation des usagers qui se traduit par des ciblages institutionnels plus ou moins précis des usagers / clientèles / patientèles / bénéficiaires de droits. Ce mouvement a d’ailleurs été analysé par certains auteurs comme le passage d’un « État de droit » à un « État des droits » (Baudot, Révillard, 2015). Ce travail de catégorisation des usagers consiste ainsi aussi bien à créer des « publics cibles » pour les politiques publiques (Barrault-Stella, Weill, 2018) qu’à permettre aux professionnels des services publics de mettre en œuvre les politiques publiques par leur zèle, leur compréhension ou maîtrise d’une incertitude, leur ajustement réciproque aux procédures. Le rôle discrétionnaire des agents de première ligne (les fameux « street-level bureaucrats  ») est régulièrement mis en avant (Dubois, 1999 ; Siblot, 2006) pour comprendre comment les « petits partages » effectués entre des logiques techniques ou politiques, localisées ou centralisées influencent le caractère contingent de leur travail (Weller, 2018).
Concernant l’importance du contact physique pour les usagers avec les représentants des services publics, le défenseur des droits vient d’alerter dans un rapport paru en janvier 2019 sur les dérives possibles de la dématérialisation en termes d’accroissement des inégalités d’accès aux services publics entre les usagers. Comme l’indique son site internet, « le Défenseur des droits reçoit depuis 2016 de très nombreuses réclamations liées au transfert des compétences des préfectures vers l’Agence nationale des titres sécurisés (ANTS) en ce qui concerne les demandes de permis de conduire et de certificats d’immatriculation des véhicules (CIV) lesquelles sont désormais enregistrées exclusivement de manière dématérialisée. » La dématérialisation n’est cependant pas mauvaise en soi : elle peut ne pas être un choix et devenir un « self-service » et une mise au travail (Tiffon, 2013) obligatoire de l’usager en vue de réduire le coût du service, ou alors offrir un nouveau mode d’accès aux services publics et être facteur d’efficacité en rendant l’usager plus autonome et en permettant alors aux professionnels de recentrer leur travail sur des « tâches à plus forte valeur ajoutée ».
Ce n’est pas tant la segmentation des usagers mais la rupture de l’égalité entre eux qui crée une perte de sens. Or la spécificité même des services publics, qui leur vaut l’attachement des Français, tient justement dans le sens des missions regroupées sous cette appellation de « services publics ».

Vers la dégradation et la fermeture des services publics

Si l’inquiétude exprimée à l’égard des déficits est tout à fait légitime et relève d’une gestion saine et responsable des comptes publics, les orientations stratégiques ne résolvent pas les difficultés : puisque le reste à charge pour les services publics demeure élevé en dépit des restrictions déjà opérées, c’est à présent aux Français – les questions posées par le président de la République dans le cadre du Grand Débat vont dans ce sens – d’assumer le démantèlement en cours des services publics. Le fait que la première question posée par le président porte directement sur la suppression ou l’ajout de nouveaux services – mais non, par exemple, sur l’adaptation ou encore l’amélioration des services publics existants – oriente les réponses à venir dans un sens qui n’est pas celui du maintien ou de la sauvegarde. S’agissant de donner la priorité aux uns par rapport aux autres, les services publics se trouvent mis en concurrence.
Leur présence dans les territoires est en outre progressivement remise en cause (Tautelle, 2017). Pour les hôpitaux, il s’agit de regrouper sur de grands plateaux techniques les compétences les plus pointues en délaissant les hôpitaux de proximité. Les « groupements hospitaliers de territoire » (GHT) instaurés depuis 2016 consistent à regrouper les hôpitaux français en 135 GHT dont la taille varie de 2 à 20 établissements. Les fermetures des petites maternités, celle du Blanc dans l’Indre par exemple, relèvent également de cette logique de concentration qui participe à une relégation d’une partie du territoire et donne le sentiment d’abandon à des franges de populations qui perdent leurs bureaux de poste, voient leurs écoles et hôpitaux s’éloigner, les sous-préfectures fermer et/ou être remplacées par des maisons de l’État ou des maisons de services au public (MdE ou MSAP). L’éloignement des services publics crée une exclusion tant géographique que sociale dans la mesure où les individus et ménages socialement les moins dotés sont aussi ceux qui s’avèrent géographiquement les plus éloignés et cumulent ainsi les désavantages.
Le paradoxe est que les services publics se réduisent au moment où la demande explose. Le nombre de visites aux urgences augmente quand la taille du service au mieux reste la même, au pire se réduit. Les recrutements au sein de l’université ne permettent pas de renouveler tous les départs à la retraite au moment où les effectifs étudiants bondissent à cause du boom démographique de l’an 2000, au risque d’exclure certains publics en imposant une politique de sélection à l’entrée dans l’université.

Conclusion

Cet enchaînement d’étapes, qui n’est en rien inéluctable dans la réforme des services publics, produit des effets : l’exclusion progressive des voyageurs qui ne voyagent plus, des usagers qui ne se rendent plus à la poste faute de moyen de transport, des malades qui ne se soignent plus aussi rapidement car la prise en charge semble inaccessible géographiquement, financièrement ou socialement... Un autre effet réside dans le développement d’initiatives concurrentes sur les seuls segments rentables des services publics : l’envoi en recommandé est ainsi concurrencé par les services privés de coursiers dans Paris, mais non pas l’envoi de lettres manuscrites de particuliers dans les zones les plus reculées du territoire. Si le trajet Paris-Lille paraît concurrentiel, celui qui relie Paris à Chalons en Champagne l’est nettement moins. L’ouverture à la concurrence provoque alors ce qu’elle entend vouloir éviter en ne laissant à la charge des services publics que ce que les concurrents ne souhaitent pas prendre en charge, c’est-à-dire les services utiles socialement à la population mais déficitaires en soi. Or, considérer qu’un service public ne doit pas – ou ne peut pas – être déficitaire empêche d’analyser ce que permettent ces déficits en termes de prise en charge effectuée, de travail non mesurable quantitativement ou financièrement, de maillage territorial, de lien social préservé et de situations d’isolement évitées également.
Sans trancher sur la volonté politique – ou son absence – d’entretenir ces processus interdépendants, se rappelle à nous ce qui fait la singularité de nos services publics, à savoir leur intérêt général et leur utilité sociale. Peut-être est-il temps de sortir de ce cercle vicieux pour remettre les moyens en conformité avec les résultats attendus ? Cela pose la question du bien-fondé de la première étape du processus décrit : le service public doit-il nécessairement être rentable ? Avec des indicateurs de qualité qui comptabilisent et mesurent, et donc hiérarchisent certaines missions sur d’autres, les préoccupations de gestion des coûts n’ont-elles pas changé de statut en passant de moyens à prendre en compte pour assurer des missions de service public à une fin en soi ? En négligeant ce qui ne se mesure pas (lien social, présence et attractivité territoriale, qualité des services rendus…), le service public ne se vide-t-il pas de son sens premier et essentiel ?

Aller plus loin

• Amatori F., Millward R., Toninelli P. (eds.), 2011, Reappraising state-owned enterprise, Abingdon, Routledge, 2011.
• Barrault-Stella L., Weill P.-E., 2018, Creating Target Publics for Welfare Policies, A comparative and Multi-level Approach, Springer International Publishing.
• Baudot P.-Y., Revillard A., 2015, L’État des droits. Politique des droits et pratiques des institutions, Paris, Presses de Sciences Po.
• Belorgey N., 2010, L’hôpital sous pression. Enquête sur le « nouveau management public », La Découverte.
• Belorgey N., 2013, « Pourquoi attend-on aux urgences ? Un indicateur du New Public Management aux prises avec la réalité hospitalière », Travail et emploi, vol. 133, n°1, p.25-38.
• Bezes P., 2012, « État, experts et savoirs néo-managériaux. Les producteurs et diffuseurs du New Public Management en France depuis les années 1970 », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 193, n°3, p. 16-37.
• Bras P.-L., 2017, « Sortir de la T2A par le haut : la mesure de la qualité des soins », Journal de gestion et d’économie médicales, vol. 35, n°6, p. 245-263
• Cartier M., 2003, Les facteurs et leurs tournées, un service public au quotidien, La Découverte, Paris.
• Domin J.-P., 2014, « Établissements hospitaliers : comment l’État fait-il son marché ? », in Le Galès P., Vezinat N. (Eds), L’État recomposé, Paris, Puf-la vie des idées, p. 59-71.
• Dubois V., 1999, La Vie au guichet, Paris, Economica.
• Falkner G., 2005, Complying with Europe : European harmonization, soft law in the member’s state, Cambridge.
• Finez J., 2014, « La construction des prix à la SNCF, une socio-histoire de la tarification. De la péréquation au yield management (1938-2012) », Revue française de sociologie, vol. 55, n°1, p. 5-39.
• Hood C., Dixon R., 2015, A Governement that worked better and cost less ?, Oxford University Press.
• Lascoumes P., Le Galès P., 2011 [2007], Sociologie de l’action publique, Paris, Armand Colin.
• Siblot Y., 2006, Faire valoir ses droits au quotidien. Les services publics dans les quartiers populaires, Paris, Presses de Sciences-Po.
• Stimec A., 2018, « Est-ce que le Lean management est une démarche d’apprentissage organisationnel ? L’impact de l’amélioration continue », Revue de gestion des ressources humaines, vol. 108, n°2, p. 19-31.
• Stimec A., Bertrand T., Michel X., 2010, « Le Lean management est-il irresponsable ? », Revue de l’organisation responsable, vol. 5, n°2, p. 76-85.
• Tautelle F. (Dir.), 2017, Services publics et territoires, Presses Universitaires de Rennes.
• Thirion N., 2000, « Privatisations d’entreprises publiques, économie de marché et transformation des systèmes juridiques étatiques : un processus inéluctable ? », Pyramides, N°2, 2000, p.85-110.
• Tiffon G., 2013, La mise au travail des clients, Paris, Economica.
• Vezinat N., 2012, Les métamorphoses de la Poste. Professionnalisation des conseillers financiers (1953-2010), Paris, PUF.
• Vezinat N., 2017, « Les trois âges de l’intermédiation financière de la Poste (1881-2010) : révélateurs des mutations des rapports sociaux », Revue de la régulation, Capitalisme, institutions, pouvoirs, N°22,
• Weller J.-M., 2018, Fabriquer des actes d’État. Une ethnographie du travail bureaucratique, Paris, Economica.

Algérie : "un million de personnes dans la rue et aucune image à la télévision"

Source : France info

Les marches de protestation du 22 février contre la candidature de l’actuel président Abdelaziz Bouteflika à un 5e mandat n’ont pas été couvertes par la télévision publique, ni par les télés privées. Des journalistes du service public dénoncent le silence imposé par les autorités.
Une manifestante contre la candidature du président algérien pour un cinquième mandat, le 22 février 2019 à Alger 
Une manifestante contre la candidature du président algérien pour un cinquième mandat, le 22 février 2019 à Alger  (RYAD KRAMDI / AFP)
Combien y avait-il de manifestants dans toutes les villes d’Algérie vendredi 22 février pour protester contre le 5e mandat du président algérien, actuellement à Genève pour des "contrôles médicaux de routine" ? Très difficile de le dire. Sur les vidéos postées sur les réseaux sociaux, on en voit des dizaines de milliers, mais les autorités n’ont avancé aucun chiffre officiel. Idem du côté des manifestants. Les marches étaient spontanées, sans organisateurs. Selon Akram Kharief, fondateur du site Menadefense, spécialisé dans la défense et le renseignement qui cite de sources policières, ils étaient entre 800 000 et un million dans la rue.
Aucune image à la télévision, tant sur la chaîne publique, que sur les télévisions privées, ironiquement surnommées off-shore, de droit étranger, mais installées en Algérie. Elles sont tolérées, mais dépendent du bon vouloir du régime pour leur autorisation de diffusion. Ce qui expliquerait leur frilosité à aller contre le discours officiel et donc retransmettre les manifestations contre Abdelaziz Bouteflika.

"Nous sommes le service public et non des journalistes étatiques"

Samedi 23, une rédactrice en chef de la radio nationale, Meriem Abdou, a annoncé sur les réseaux sociaux qu'elle démissionnait de ses fonctions pour protester contre cette absence de couverture. Réaction immédiate de sa hiérarchie : son émission L'histoire en marche est supprimée.

Après la démission de Meriem Abdou, la fronde s'est désormais propagée parmi les journalistes du service public. Des journalistes de la radio nationale algérienne ont dénoncé dimanche 24, dans une lettre à leur directeur, le silence imposé par leur hiérarchie sur les récentes manifestations en Algérie, dénonçant le "traitement exceptionnel" réservé au camp du président Abdelaziz Bouteflika.
"Nous sommes le service public et non des journalistes étatiques. La radio algérienne appartient à tous les Algériens (...) Notre devoir est de tous les informer. La décision de la hiérarchie de passer sous silence les grandes manifestations nationales de ce 22 février 2019 n'est que l'illustre enfer de l'exercice au quotidien de notre métier", ont-ils écrit dans leur lettre adressée au directeur général de la radio nationale, Chabane Lounakel.

Le « paysan-chercheur » Félix Noblia invente l’agriculture sans pesticides et sans labour

Source : Reporterre

27 février 2019 / Chloé Rebillard (Reporterre)


Après avoir repris la ferme de son oncle, Félix Noblia a bouleversé la manière de travailler les sols. Il lance des expérimentations en agroécologie en souhaitant semer les graines d’un renouveau du monde paysan.
SPÉCIAL SALON DE L’AGRICULTURE — À l’occasion du Salon international de l’agriculture, la vitrine des « puissants » du secteur, Reporterre a choisi de mettre en avant les « petits », ceux qui bousculent les codes du milieu. Toute la semaine, nous présenterons des alternatives qui marchent. Samedi, nous avons fait le point sur la situation des néo-paysans, lundi, nous avons enquêté sur la floraison des microbrasseries lorraines, mardi, nous avons rencontré des producteurs d’amandes et aujourd’hui, le « paysan-chercheur » Félix Noblia nous fait découvrir ses expérimentations agroécologiques.

  • Bergouey-Viellenave (Pyrénées-Atlantiques), reportage
Trois rues longées de maisons blanches composent le petit village basque de Bergouey avec, en contrebas, la partie Viellenave qui se love contre la rivière. Tout autour, des collines vertes sur lesquelles se succèdent des cultures, des pâturages et des forêts. C’est dans ce décor que Félix Noblia a déboulé au début des années 2010. Lui, l’enfant de la côte, qui a grandi entre Bidart et Biarritz, aimant le surf et la guitare et dont les parents ne sont pas agriculteurs, a décidé de reprendre la ferme de son oncle sans réelles connaissances en agriculture. Il est pourtant vite devenu un « paysan-chercheur » et a fait de son exploitation un lieu d’expérimentation pour les techniques d’agroécologie.
Au bord d’un de ses champs, d’un coup de bêche, le jeune homme sort une motte de terre : « Regardez, le réseau racinaire et la faune qui s’y développe, la biologie travaille pour nous ! » En surface de la motte, un paillage en décomposition nourrit le sol. Ce paillage est la recette du fonctionnement de sa ferme, car Félix Noblia pratique le semis direct sous couvert végétal en agriculture biologique.
En agriculture conventionnelle, le semis direct — c’est-à-dire que le sol n’est pas travaillé au préalable — est répandu, les mauvaises herbes étant détruites par du glyphosate. En agriculture biologique, le travail de la terre par le labour pour arracher les plantes indésirables est souvent présenté comme inévitable. Or, les deux systèmes ont leurs inconvénients. En conventionnelle, l’usage des pesticides a des effets nocifs sur la biodiversité et la santé humaine. En biologique, l’érosion et l’épuisement des sols menace la durabilité de l’agriculture. Pour Félix Noblia, le dilemme se résume ainsi : « En utilisant des pesticides, on tue des humains ; en travaillant le sol, on tue l’humanité. » Il a refusé de choisir entre les deux et a converti sa ferme en agriculture biologique tout en pratiquant le semis direct.

« Si tous les agriculteurs se mettaient à cette technique, nous pourrions stocker tout le carbone émis par les énergies fossiles et stopper le réchauffement » 

Il s’est inspiré d’agriculteurs étasuniens qui ont développé le semis direct sous couvert végétal. Le principe consiste à semer des plantes qu’il passe ensuite au rouleau cranté quand elles ont atteint leur taille optimale. Elles forment alors un paillage recouvrant le sol, qui se décompose pour former de l’humus. Puis, il sème les espèces qu’il cultive : du maïs, de l’orge, du soja, du colza, etc. Sur ses 150 hectares de terres, il a eu l’occasion de tester de nombreuses combinaisons d’espèces et, grâce aux réussites et aux échecs, d’observer les rendements les meilleurs : ainsi, il a pu constater que le pois fourrager constitue le meilleur couvert végétal pour du maïs. Mais, la nouveauté par rapport à ses prédécesseurs aux États-Unis, c’est sa conversion en agriculture biologique. Félix Noblia parvient à se passer de produits phytosanitaires en jouant sur les temporalités : le paillage étouffe les mauvaises herbes jusqu’à ce que la taille des plantes issues de ses semis soit suffisante pour concurrencer toute autre pousse.
Le rouleau cranté que l’agriculteur a fait fabriquer exprès pour pratiquer le couvert végétal.
Selon Félix Noblia, les avantages de cette technique sont innombrables. Elle lui permet notamment de stocker du carbone dans ses sols grâce aux plantes en décomposition. « Si tous les agriculteurs se mettaient à cette technique, nous pourrions stocker tout le carbone émis par les énergies fossiles et stopper le réchauffement », explique-t-il. Des scientifiques ont calculé que, pour stocker l’ensemble du carbone émis par les activités humaines, il faudrait que le sol absorbe 0,4 % de carbone supplémentaire chaque année. L’initiative « 4 pour mille » lancée au moment de la COP21 reprend ce calcul. Or, les paysans qui utilisent cette technique depuis deux décennies ont vu la croissance du stock de carbone augmenter de 2,5 %. Pour Félix Noblia, « ça veut dire que, aujourd’hui, on sait comment faire pour arrêter le réchauffement, mais on constate que les coopératives et les institutions traînent des pieds, et c’est un euphémisme ! ».
Les sols en bonne santé évitent également les inondations et contribuent à filtrer l’eau et donc à la dépolluer. Lors du débordement d’une rivière sur une de ses parcelles, Félix a pu constater que la théorie fonctionnait et annonce, non sans fierté : « Je n’ai pas perdu un kilo de terre dans mon champ. » Lui voudrait que les paysans soient rémunérés aussi pour ces services rendus à la société. « La dépollution de l’eau aujourd’hui, c’est cinq fois le budget de la PAC », dit-il.
L’agriculture de conservation des sols permet aux vers de terre d’être plus présents. Ils sont un maillon essentiel de la bonne santé d’un sol.
L’agriculteur est également éleveur. Il a un troupeau d’environ 60 vaches, de races angus et blonde d’Aquitaine. Dans ce domaine aussi, Félix Noblia a changé le mode d’élevage : elles sont en pâturage tournant dynamique, c’est-à-dire qu’elles ne restent pas plus de 48 heures sur la même parcelle afin de redynamiser les herbes. Cette technique, très utilisée en agroécologie, a pour objectif de se rapprocher le plus possible des comportements des animaux en savane. Les pâturages étant moins sollicités et étant fertilisés par les déjections des animaux, ils repoussent mieux et avec des apports alimentaires plus importants.

« De l’alimentation tu feras ta première médecine », disait Hippocrate 

L’autre avantage de cette technique avancé par l’agriculteur concerne l’alimentation humaine. Dans sa vie précédente, Félix Noblia a fait une première année de médecine : « Je me suis aperçu que le nombre de cancers explosait et que l’âge auquel ils se déclenchaient avait été avancé de vingt ans ! Or, comme l’a dit Hippocrate, “de l’alimentation tu feras ta première médecine”. Actuellement, les aliments que nous mangeons ont beaucoup perdu en richesse car les sols sont pauvres en azote, en phosphore et surtout en oligo-éléments à cause des techniques d’agriculture moderne. Le taux d’oméga 3 dans le cerveau humain a baissé de 20 %. » En pratiquant une agriculture de conservation des sols, il espère changer la donne.
Outre ses innovations déjà en place, l’agriculteur hyperactif continue d’expérimenter pour inventer de nouvelles façons de construire avec la nature. Il vient d’installer des panneaux solaires sur l’étable dans laquelle ses vaches passent les mois d’hiver, de décembre à février. Cela lui permet d’être autonome en énergie et de revendre le surplus de production à Enedis. Il envisage également de se lancer dans le maraîchage en construisant des terrasses et en utilisant la pente pour irriguer les plantations. Il souhaite aussi innover en agroforesterie et planter des mûriers blancs qui serviraient également de pâturage pour son troupeau. Selon sa propre estimation, environ 8 % de ses terres sont aujourd’hui utilisées pour des expérimentations : « Cela fait un trou dans ma trésorerie, mais on n’a plus le temps d’attendre », estime-t-il.
Les panneaux solaires sur l’étable.
Toutes ces expériences sont chronophages et Félix Noblia passe du temps sur les routes et en conférences pour expliquer ses manières de faire. Assis au soleil à l’arrière de sa maison où deux ruches sont déjà actives en ce mois de février à cause d’un temps particulièrement clément, le jeune homme admet une certaine fatigue : « Dans une autre vie, je faisais du ski, j’allais à des concerts. Aujourd’hui, je n’ai plus le temps de faire la fête. » Il a trouvé un sens dans cette nouvelle vie consacrée au travail pour la santé des sols et le renouveau de l’agriculture. Alors que sa compagne est enceinte de leur deuxième enfant, il confie se battre également pour eux. Il a lu les essais de collapsologie et est persuadé que, « si on ne fait rien, en 2100, il n’y aura plus qu’un milliard d’êtres humains sur terre ». Pour éviter d’en arriver là, Félix Noblia a bien l’intention de continuer à innover et à convaincre. Autour de lui, des voisins se sont déjà mis au couvert végétal et il échange avec des agriculteurs de divers pays sur les techniques d’agroécologie. Les graines d’espoir qu’il a contribué à semer commencent doucement à germer.


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Source : Chloé Rebillard pour Reporterre
Photos : © Chloé Rebillard/Reporterre
. chapô : Félix Noblia.

Hérault : lanceuse d’alerte, Maud Bigand s’oppose aux compteurs Linky

Source : Midi Libre

Publié le
 
La jeune professeure d’anglais milite contre les nouveaux compteurs électriques.
Récemment, la rencontre-débat, dédiée au compteur Linky, a été un succès avec plus de 110 participants venus échanger. Elle a été aussi l’occasion de découvrir le visage de Maud Bigand, lanceuse d’alerte et sommité du combat anti-Linky.

Cette jeune femme de 43 ans, venue d’Ariège, est professeure d’anglais agrégée, après avoir travaillé dans de grands groupes privés en Angleterre et au Canada. C’est à travers ces expériences qu’elle a puisé ses convictions contre les compteurs communicants. L’occasion de l’interroger.

Qu’est qui vous a donné envie de mener ce combat ?
J’étais déjà au courant des risques associés à l’exposition aux ondes et j’avais pu voir les dégâts qu’ils avaient causés aux USA (à travers le documentaire Take Back your Power, disponible en VOST sur Youtube). Les choses se sont faites progressivement. J’anime depuis trois ans “Touche pas à mon compteur” sur Radio Transparence. Des gens comptent sur moi et je ne suis pas du genre à arrêter !

Quel message adressez-vous aux consommateurs inquiets ?
Rien dans la loi de Transition Énergétique ne rend le compteur Linky obligatoire. Depuis 3 ans qu’il est déployé, personne ayant refusé le compteur n’a été poursuivi. Quand on le refuse, Enedis rétorque qu’il n’y aura plus d’accès à des prix réduits pour le changement de puissance à distance ou qu’on devra payer une relève à pied spécifique payante. La “composante de comptage” est déjà payante aujourd’hui pour tous, sur les taxes de nos factures électriques, et n’a pas été baissée, même pour ceux qui ont un Linky, ce qui est un scandale.

Quels sont donc vos conseils ?
Empêcher la pose est le meilleur moyen pour ne pas avoir le compteur. Après-coup, il est très difficile d’en obtenir le retrait. Pour un compteur inaccessible depuis la rue : ne pas ouvrir sa porte, filtrer les appels, et résister au harcèlement écrit et oral, aux menaces mensongères honteuses. Le tribunal de Toulouse a rappelé que l’accord de l’usager est nécessaire pour que le poseur puisse entrer et poser.

Pour un compteur physiquement accessible, même sur une propriété privée, seul le barricadage du compteur (garer une voiture devant par exemple) empêchera les poseurs d’installer un Linky, sachant que les poseurs passent outre les délibérations et arrêtés, même valides. Vingt minutes suffisent pour une pose, donc même la surveillance par le voisinage ne suffit généralement pas !

 

Agriculture : 75% du patrimoine génétique alimentaire a disparu

Source : Geo



Agriculture : 75% du patrimoine génétique alimentaire a disparuAgriculture : 75% du patrimoine génétique alimentaire a disparu

L’actu : les trois quarts de la diversité génétique présente dans l'agriculture auraient disparu au cours du XXe siècle, selon une étude publiée le 7 septembre par l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Les experts de la FAO établissent un parallèle entre le recul de l’espace habitable des tribus indigènes, la mondialisation et la diminution de la biodiversité alimentaire.

Le contexte :

L’agriculture biologique met l’accent sur la qualité des produits et le respect de l’environnement. Elle est cultivée sur 30,5 millions d’hectares, soit 0,7% de la surface agricole mondiale. Les études de la FAO relèvent que dans le passé, 10 000 espèces étaient cultivées pour nourrir la planète alors qu’aujourd’hui, "150 plantes seulement nourrissent la plus grande partie de l’humanité". A eux seuls, le riz, le blé, le maïs et la pomme de terre représentent 60% des apports énergétiques d'origine végétale.

L’enjeu :

L’étude de la FAO souligne la limitation progressive de la diversité génétique agricole mondiale, dont elle rappelle la richesse originelle :
"Les tribus reculées des denses forêts tropicales ou des déserts de glace possèdent une gamme richissime d’aliments sains et nutritifs – certains ayant des propriétés extraordinaires – que nos sociétés opulentes ne peuvent que leur envier", peut-on lire en conclusion de l’ouvrage Indigenous Peoples’ Food Systems, publié par la FAO, en collaboration avec le Centre CINE (Centre for Indigenous People’s Nutrition and Environment) de l'Université McGill.
L’autre conclusion des experts de la FAO est plus inquiétante : "A mesure que les habitats sauvages reculent sous les pressions économiques et que la mondialisation standardise les modes de vie, ces aliments indigènes disparaissent à grande vitesse – et par là même, les régimes alimentaires qui garantissaient une bonne santé."
- Une alimentation uniformisée
Le rapport évoque plusieurs exemples d’écosystèmes particulièrement riches en terme de diversité génétique. Dans le village thaïlandais de Sanephong, la communauté Karen dispose ainsi de 387 espèces vivrières pour ses 661 habitants.
A l'opposé, l’étude observe la tendance croissante des pays occidentaux à concentrer leur alimentation sur quatre grandes cultures commerciales : le blé, le riz, le maïs et le soja (bruts ou transformés). Cette limitation s’accompagne d’un appauvrissement de la diversité génétique : "les trois quarts de la diversité génétique des cultures agricoles auraient disparu au cours du dernier siècle", selon la FAO.
- Des conséquences néfastes sur la santé
Barbara Burlingame, expert de la FAO en évaluation et besoins nutritionnels constate que “la désaffection des sources de nourriture traditionnelles au profit de mets commerciaux tout préparés s’accompagne souvent d’une augmentation des désordres alimentaires tels que l’obésité, le diabète et l’hypertension."
De fait, l’étude prouve que l’obésité est presque inexistante chez les Awajun (Pérou), qui comblent 93% de leurs besoins énergétiques alors que le peuple Mand, qui ne couvre que 27% de ces besoins, souffre de plusieurs problèmes de santé.

L’engagement de la communauté internationale :

Partant du constat qu’aucun pays n’est auto-suffisant en ressources énergétiques, la FAO a mis en place un traité international sur les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture. Cinquante-six pays ont déjà ratifié ce traité (la France l’a signé mais pas encore ratifié). Destiné à promouvoir la diversité biologique et l’agriculture durable, et à s’assurer de leur partage juste et équitable, le traité a permis l'établissement d'une banque de gènes mondiale comprenant 64 cultures vivrières.
En juin, à Tunis, onze pays* en développement ont été récompensés pour leurs projets de conservation de gènes et ressources phytogénétiques vitales pour nourrir la planète. La FAO espère ainsi aider les populations autochtones à trouver de nouveaux débouchés pour leur production vivrière et leurs plantes médicinales.

* Egypte, Kenya, Costa Rica, Inde, Pérou, Sénégal, Uruguay, Nicaragua, Cuba, Tanzanie, Maroc.