Source : Libération

Le long de la Drôme prospère une vallée qui se veut un laboratoire du bio et du développement durable. Ici, on peut travailler quatre jours par semaine, manger local. Et on se sent loin de la crise agricole qui tonne.
«Les agriculteurs ont choisi un mode de commercialisation qui les met à terre. Il faut aussi se poser la question des modes de production. Moi, je ne me sens pas touché par la même crise», lance Nicolas Koziel, du haut de ses 5 hectares de légumes et plantes aromatiques bio.
Il travaille ses champs avec deux chevaux comtois, utilise des engrais verts. Un néo-rural qui se qualifie de «paysan» et qui est passé d’un «militantisme urbain à un militantisme agricole».
Historiquement, ce sont les post-soixante-huitards qui avaient élu domicile en Drôme avec une autre idée de l’agriculture. Et chaque année, au salon de l’agriculture, le département se vante à grand renfort de com' d’être l’un des plus actifs dans le bio. Car aujourd’hui, la Drôme c’est 17% de terres agricoles conduites en bio, et même 30% dans la vallée de la rivière Drôme, soit près de 10 fois plus que la moyenne nationale !
C’est ici qu’en 2002 a germé l’idée de la Biovallée, devenue depuis presque une marque. Une vitrine en tous cas où entreprises, associations et politiques tentent de bâtir un éco-district, à l’image du célèbre quartier Vauban à Fribourg-en-Brisgau en Allemagne. Mais en version rurale.
Il y a les camions d’Agri Court qui sillonnent les routes pour livrer aux cantines la production des agriculteurs du coin. Des bâtiments en bois et à énergie positive. Le centre de formation à l’agroécologie Les Amanins, cofondé par l’essayiste paysan Pierre Rabhi. Biotop, l’usine qui produit des insectes destinés à remplacer des pesticides. Ou encore une pépinière d’entreprises pour jeunes agriculteurs bio.
- Prime vélo de 100 euros -
Mais le projet va au-delà de l’agriculture. Comme chez L’Herbier du Diois, un grossiste d’épices et de plantes aromatiques et médicinales, spécialité de la région.
Dans cette entreprise nichée au pied du Vercors, à Châtillon-en-Diois, «on fait tous 35 heures mais sur quatre jours afin de mieux articuler vie professionnelle et vie privée. On a également une prime verte de 100 euros pour ceux qui viennent travailler à 75% avec des modes doux, à pied ou en vélo», explique Julie Marchand, la responsable qualité du site. Beaucoup s’y sont donc mis, comme Patrice, qui pédale 70 kilomètres aller/retour sur des routes de montagne tous les jours.
Un peu plus bas dans la vallée, l’usine du fabriquant de compotes Charles et Alice située à Allex a réussi à diviser par deux depuis 2008 les quantités d’eau utilisées, et 92% des déchets sont recyclés.
La Biovallée, «c’est une dynamique unique en France à cette échelle là: elle s’étale sur un tiers du département. Unique aussi parce qu’elle embarque une très grande diversité d’acteurs qui portent cette vision du territoire et le bio ou l’agroécologie comme modèles à suivre pour l’agriculture», analyse Sibylle Bui, sociologue qui vient de boucler une thèse sur le sujet.
En Europe, d’autres initiatives du genre germent comme le bio-distretto du Cilento au sud de Naples (15% des exploitations sont bio) ou la biorégion Mühlviertel en Autriche (27% des exploitations), selon la chercheuse.
Ici «l’objectif est de faire du territoire à horizon 2020-2040 un territoire à énergie positive avec au moins 50% de bio», relève Anne-Sophie Chupin, directrice de association Biovallée.
Reste quelques blocages. Les transports d’abord: difficile de faire durable dans une vallée rurale mal desservie par les transports en commun.
Il faut aussi dépasser les batailles locales. «Il y a des réticences. Notamment de la part de ceux qui considèrent que l’objectif d’atteindre 50% de bio est une aberration. Et au sein même des agriculteurs bio, certains, par exemple les puristes qui travaillent en traction animale ou sur de très petites surfaces, voient d’un mauvais œil le développement d’une bio plus mécanisée», conclut Sibylle Bui.
AFP