Source : DASES SUPA FSU
Un
décret devrait prochainement imposer aux Départements de mettre en
place dans le secteur social des premiers accueils inconditionnels
intervenant au plut tôt. Pour répondre à cette commande, certains
départements pourraient être amenés à revoir l’organisation des services
de « polyvalence de secteur » en généralisant, par exemple, la mise en
place d'équipes d’accueil dédiées à la réception rapide des premières
demandes. C’est le cas de la Ville de Paris qui, dans le cadre du
Nouveau Paris Solidaire, a choisi de généraliser ce mode d’accueil. Pour
le mieux ?
Violences humiliantes.
L’accueil
est souvent le premier contact avec le service social pour des
personnes qui traversent une crise consécutive à un (ou une série)
d’accident de la vie. « L’usager » est rarement satisfait d’avoir à
passer par la case service social, d’avoir à demander de l’aide. Cela
d’autant moins que le fait d’avoir à ouvrir son intimité à un/des
inconnus est une violence humiliante: l’aide du service social n’est
donc jamais gratuite !
Le
délai d’attente pour obtenir un rendez-vous vient souvent ajouter un
motif de frustration pour l’usager qui y voit souvent un manque de
reconnaissance de sa singularité, de son urgence personnelle et une
réponse peu adaptée à l’effort qu'il a consenti pour venir demander de
l’aide.
Violences administratives.
Une
des problématiques soulevées par l’accueil du public est celle de la
multiplication des interlocuteurs. Le parcours de « l’usager » est
émaillé de confrontations avec différents accueils de services publics
qui – parfois pour se protéger d’un afflux de public auquel ils peuvent
difficilement faire face – filtrent au maximum les demandes, quitte à
faire de l’usager une « patate chaude » ballotée de service en service.
Qui n’a jamais rencontré un usager devenu virulent après des allers et
retours entre deux services se renvoyant la balle à coups de cartons
tamponnés résumant toujours la même idée : « c’est pas nous, c’est là
bas. »!
Arrivé
au bon service, l’usager doit encore souvent s’expliquer devant un
agent d’accueil ou secrétaire médico-sociale avant de voir un
travailleur social. La généralisation de la réception de toutes les
premières demandes par un travailleur social d’accueil n’arrangera donc
pas la situation : le travailleur social d’accueil ne sera qu’un
interlocuteur de plus séparant l’usager de la rencontre avec le
travailleur social en charge de l’accompagnement. Or, il ne faut pas
banaliser l’acte d’avoir à se raconter à un inconnu tout professionnel
qu’il soit : en multipliant les interlocuteurs, on multiplie les
violences humiliantes.
Bien accueillir pour atténuer la violence.
Il y a
donc violence dans le parcours (personnel et administratif) qui conduit
au service social en plus d’y avoir violence dans le fait même d’avoir
à le solliciter. C’est notamment pourquoi l’accueil est primordial et
doit être de qualité.
Pour
le travailleur social cela signifie prendre le temps d’accueillir,
offrir le temps de s’asseoir, de se mettre à l’aise, de raconter à sa
manière, prendre le temps d’expliquer, d’écouter la singularité de la
personne, bref, donner le temps de la prise en considération, prendre
celui de l’évaluation. Il ne faut pas oublier que toute demande est une
demande d’attention : quels que soient les moyens ou l’absence de moyens
dont le service social dispose pour répondre à la demande explicite
(logement, aide financière…) l’accueil devrait toujours pouvoir répondre
à minima en offrant de l’attention à la personne. Cela demande du temps
(mais pas tant, la qualité d’un entretien étant sans rapport avec sa
durée) mais aussi et surtout une disponibilité psychique (qui s’épuise
notamment à mesure qu’on « enchaine » les entretiens dans une même
journée).
Le "tout accueil" : la solution ?
La
qualité de l’accueil demande donc, entre autres, que celui-ci soit
personnalisé (et puisse s’adapter aux besoins spécifiques des
individus), ne s’appuie pas sur un trop grand nombre d’interlocuteurs et
soit réalisé par une personne à l’écoute et disponible. C’est pourquoi à
mon sens il y a erreur à considérer qu’on augmentera la satisfaction
des « usagers » (puisque c’est la préoccupation mise en avant par le
politique) en leur proposant un premier accueil systématique par un
travailleur social d’accueil. L’expérience (du service social du
XVIIIème arrondissement) a montré que le public lorsqu’il avait le choix
préférait souvent attendre un rendez-vous avec son réfèrent plutôt
qu’être reçu immédiatement par un travailleur social d’accueil (et
ajouter un interlocuteur au compteur). Laisser l'usager choisir: en
voilà une bonne idée !
Perte de sens... Perte de temps ?
Le
pire, dans la mise en place de ces accueils, c’est qu’on tire les
services par le bas. Les équipes d’accueil devant être renforcées pour
pouvoir accueillir toutes les premières demandes sans qu’aucuns moyens
supplémentaires ne soient alloués, on redéploie des postes
d’accompagnement (ou secteur) vers l’accueil et ce faisant, on augmente
la charge de travail des assistants sociaux de secteur. Le temps gagné à
ne pas réaliser les premiers entretiens auprès des personnes qui n’ont
pas besoin d’accompagnement ne suffit pas à faire face à la charge de
travail supplémentaire générée par la baisse des effectifs en secteur.
C’est donc moins de temps pour l’accompagnement. Et bien sûr, moins de
temps pour accueillir, puisqu’il est demandé à l’accueil de faire de
l’abatage ou plutôt du « guichet » (pour reprendre les termes utilisés
dans le cadre du Nouveau Paris Solidaire) en recevant tout/tout de suite
quitte à enchainer les entretiens. On risque dès lors de mettre en face
du public des travailleurs sociaux qui, s’ils ne veulent pas s’épuiser
seront à plus ou moins longs termes contraints de mettre en place des
méthodes de travail aux antipodes de celles que nécessite un accueil de
qualité.
Bref,
sans moyens, mettre en place ces accueils équivaut à une perte de temps
à la fois pour l'accueil, pour l'accompagnement et parfois pour
l'usager ! Outre la situation des usagers qui ont besoin d'un
accompagnement (ce que le travailleur social d'accueil ne pourra que
constater avant de réorienter vers ses collègues), le sort des personnes
en rupture d'hébergement (qui rencontreront le travailleur social
d'accueil puis deux ou trois fois celui d'accompagnement avant d'être
réorientés vers un autre service social ou PSA où le même parcours
reprendra....) promet d'être ubuesque...
(Re)Penser l'accueil.
Après
7 années dans une équipe d’accueil chargée de recevoir les premières
demandes urgentes ou ne nécessitant pas la mise en place d’un
accompagnement, j’ai fait le choix de quitter l’accueil avant la mise en
place de cette nouvelle organisation (synonyme pour moi de perte de
sens). Je quitte donc ce poste en regrettant qu’aucun véritable travail
de réflexion sur l’accueil en service social polyvalent n’ait été engagé
par la Ville, associant Conseillers Socio Educatifs, travailleurs
sociaux, partenaires et usagers. J’espère que ce travail verra
prochainement le jour, que les travailleurs sociaux d'accueil qui
connaissent, aiment et défendent leurs missions pourront être
entendus et qu'on aboutisse à la mise en place de modalités
d'accueil respectueuses des usagers et des conditions de travail des
équipes d’accueil. Encore faudra-t-il pour cela que nos responsables
politiques et administrations comprennent que l’accueil en service
social doit être un acte d’écoute respectueuse et empathique et pas
seulement une « vitrine » destinée à faire du chiffre et/ou à donner
l’illusion (éphémère) que les moyens (d'être) humains sont là quand, de
fait, ce n’est pas le cas.
Séverine
(ex-assistante sociale d'accueil en grève à Paris le 15 mars pour moins de non sens en polyvalence)
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