lundi 8 février 2016

Service social polyvalent : accueil ou guichet ?

Source : DASES SUPA FSU
Service social polyvalent : accueil ou guichet ?
Un décret devrait prochainement imposer aux Départements de mettre en place dans le secteur social des premiers accueils inconditionnels intervenant au plut tôt. Pour répondre à cette commande, certains départements pourraient être amenés à revoir l’organisation des services de « polyvalence de secteur » en généralisant, par exemple, la mise en place d'équipes d’accueil dédiées à la réception rapide des premières demandes. C’est le cas de la Ville de Paris qui, dans le cadre du Nouveau Paris Solidaire, a choisi de généraliser ce mode d’accueil. Pour le mieux ?
Violences humiliantes.
L’accueil est souvent le premier contact avec le service social pour des personnes qui traversent une crise consécutive à un (ou une série) d’accident de la vie. « L’usager » est rarement satisfait d’avoir à passer par la case service social, d’avoir à demander de l’aide. Cela d’autant moins que le fait d’avoir à ouvrir son intimité à un/des inconnus est une violence humiliante: l’aide du service social n’est donc jamais gratuite !
 Le délai d’attente pour obtenir un rendez-vous vient souvent ajouter un motif de frustration pour l’usager qui y voit souvent un manque de reconnaissance de sa singularité, de son urgence personnelle et une réponse peu adaptée à l’effort qu'il a consenti pour venir demander de l’aide.
Violences administratives.
Une des problématiques soulevées par l’accueil du public est celle de la multiplication des interlocuteurs. Le parcours de « l’usager » est émaillé de confrontations avec différents accueils de services publics qui – parfois pour se protéger d’un afflux de public auquel ils peuvent difficilement faire face – filtrent au maximum les demandes, quitte à faire de l’usager une « patate chaude » ballotée de service en service. Qui n’a jamais rencontré un usager devenu virulent après des allers et retours entre deux services se renvoyant la balle à coups de cartons tamponnés résumant toujours la même idée : « c’est pas nous, c’est là bas. »!
Arrivé au bon service, l’usager doit encore souvent s’expliquer devant un agent d’accueil ou secrétaire médico-sociale avant de voir un travailleur social. La généralisation de la réception de toutes les premières demandes par un travailleur social d’accueil n’arrangera donc pas la situation : le travailleur social d’accueil ne sera qu’un interlocuteur de plus séparant l’usager de la rencontre avec le travailleur social en charge de l’accompagnement. Or, il ne faut pas banaliser l’acte d’avoir à se raconter à un inconnu tout professionnel qu’il soit : en multipliant les interlocuteurs, on multiplie les violences humiliantes.
Bien accueillir pour atténuer la violence.
Il y a donc violence dans le parcours (personnel et administratif) qui conduit au service social  en plus d’y avoir violence dans le fait même d’avoir à le solliciter. C’est notamment pourquoi l’accueil est primordial et doit être de qualité.
Pour le travailleur social cela signifie prendre le temps d’accueillir, offrir le temps de s’asseoir, de se mettre à l’aise, de raconter à sa manière, prendre le temps d’expliquer, d’écouter la singularité de la personne, bref, donner le temps de la prise en considération, prendre celui de l’évaluation. Il ne faut pas oublier que toute demande est une demande d’attention : quels que soient les moyens ou l’absence de moyens dont le service social dispose pour répondre à la demande explicite (logement, aide financière…) l’accueil devrait toujours pouvoir répondre à minima en offrant de l’attention à la personne. Cela demande du temps (mais pas tant, la qualité d’un entretien étant sans rapport avec sa durée) mais aussi et surtout une disponibilité psychique (qui s’épuise notamment à mesure qu’on « enchaine » les entretiens dans une même journée).
Le "tout accueil" : la solution ?
La qualité de l’accueil demande donc, entre autres, que celui-ci soit personnalisé (et puisse s’adapter aux besoins spécifiques des individus), ne s’appuie pas sur un trop grand nombre d’interlocuteurs et soit réalisé par une personne à l’écoute et disponible. C’est pourquoi à mon sens il y a erreur à considérer qu’on augmentera la satisfaction des « usagers » (puisque c’est la préoccupation mise en avant par le politique) en leur proposant un premier accueil systématique par un travailleur social d’accueil. L’expérience (du service social du XVIIIème arrondissement) a montré que le public lorsqu’il avait le choix préférait souvent attendre un rendez-vous avec son réfèrent plutôt qu’être reçu immédiatement par un travailleur social d’accueil (et ajouter un interlocuteur au compteur). Laisser l'usager choisir: en voilà une bonne idée !
Perte de sens... Perte de temps ?
Le pire, dans la mise en place de ces accueils, c’est qu’on tire les services par le bas. Les équipes d’accueil devant être renforcées pour pouvoir accueillir toutes les premières demandes sans qu’aucuns moyens supplémentaires ne soient alloués, on redéploie des postes d’accompagnement (ou secteur) vers l’accueil et ce faisant, on augmente la charge de travail des assistants sociaux de secteur. Le temps gagné à ne pas réaliser les premiers entretiens auprès des personnes qui n’ont pas besoin d’accompagnement ne suffit pas à faire face à la charge de travail supplémentaire générée par la baisse des effectifs en secteur. C’est donc moins de temps pour l’accompagnement. Et bien sûr, moins de temps pour accueillir, puisqu’il est demandé à l’accueil de faire de l’abatage ou plutôt du « guichet » (pour reprendre les termes utilisés dans le cadre du Nouveau Paris Solidaire) en recevant tout/tout de suite quitte à enchainer les entretiens. On risque dès lors de mettre en face du public des travailleurs sociaux qui, s’ils ne veulent pas s’épuiser seront à plus ou moins longs termes contraints de mettre en place des méthodes de travail aux antipodes de celles que nécessite un accueil de qualité.
Bref, sans moyens, mettre en place ces accueils équivaut à une perte de temps à la fois pour l'accueil, pour l'accompagnement et parfois pour l'usager ! Outre la situation des usagers qui ont besoin d'un accompagnement (ce que le travailleur social d'accueil ne pourra que constater avant de réorienter vers ses collègues), le sort des personnes en rupture d'hébergement (qui rencontreront le travailleur social d'accueil puis deux ou trois fois celui d'accompagnement avant d'être réorientés vers un autre service social ou PSA où le même parcours reprendra....) promet d'être ubuesque...

(Re)Penser l'accueil.
Après 7 années dans une équipe d’accueil chargée de recevoir les premières demandes urgentes ou ne nécessitant pas la mise en place d’un accompagnement, j’ai fait le choix de quitter l’accueil avant la mise en place de cette nouvelle organisation (synonyme pour moi de perte de sens). Je quitte donc ce poste en regrettant qu’aucun véritable travail de réflexion sur l’accueil en service social polyvalent n’ait été engagé par la Ville, associant Conseillers Socio Educatifs, travailleurs sociaux, partenaires et usagers. J’espère que ce travail verra prochainement le jour, que les travailleurs sociaux d'accueil qui connaissent, aiment et défendent leurs missions pourront être entendus et qu'on aboutisse à la mise en place de modalités d'accueil respectueuses des usagers et des conditions de travail des équipes d’accueil. Encore faudra-t-il pour cela que nos responsables politiques et administrations comprennent que l’accueil en service social doit être un acte d’écoute respectueuse et empathique et pas seulement une « vitrine » destinée à faire du chiffre et/ou à donner l’illusion (éphémère) que les moyens (d'être) humains sont là quand, de fait, ce n’est pas le cas.

Séverine
 (ex-assistante sociale d'accueil en grève à Paris le 15 mars pour moins de non sens en polyvalence)

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