Source : Reporterre
Coupes rases, usines à bois,
disparition des emplois et des savoir-faire… la forêt subit les mêmes
dérives industrielles que l’agriculture. Dans la Drôme, un collectif a
créé une Amap qui montre qu’une autre forêt est possible.
Crest (Drôme), reportage
La nuit de janvier est fraîche. À l’intérieur de la maison, le bois crépite et les flammes dansent dans le poêle. Au coin du feu, Camille se réchauffe les mains. « La moitié du département est boisée. Pourtant, 80 % du bois qu’on brûle vient d’autres régions. » La jeune femme se lève, apporte une nouvelle bûche. « C’est aberrant ! On possède la ressource mais nous n’avons aucune autonomie énergétique. » Ce constat l’a poussée à l’action. Avec une vingtaine de familles, Camille a décidé de transposer à la sylviculture le modèle des associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (Amap) qui produisent des fruits et des légumes. Camille s’approvisionne désormais en bois de chauffage issu de forêts situées à moins de 35 kilomètres de chez elle auprès de l’Amap formée en une association appelée Dryade, comme la nymphe protectrice de la forêt dans la mythologie grecque.
Lors des chantiers, « on prélève à peine 25 % des arbres, souligne Pascale Laussel, coordinatrice et fondatrice de l’association Dryade. La tendance actuelle est plutôt à la coupe rase. Des parcelles entières disparaissent, jusqu’à dix-neuf hectares d’un seul tenant. » Ici, au contraire, on éclaircit la forêt pour la faire durer plus longtemps : « On enlève les arbres malades, on donne de la lumière aux plus beaux. »
Jardiner au lieu d’exploiter. Les membres du collectif cherchent à maintenir la diversité des essences, des âges et des tailles. « On prend de petites quantités, ce que la forêt peut supporter. Chaque année l’Amap change de parcelle, elle y reviendra dix ans plus tard. » Ils laissent du bois mort au sol pour produire de l’humus et privilégier les repousses spontanées.
Pour ses chantiers de coupe, Dryade pratique le débardage à cheval. « L’animal travaille avec précision. À l’inverse des machines, il ne tasse pas les sols et n’abîme pas les arbres voisins, explique la débardeuse, concentrée, précise et ferme avec son animal.
« La forêt ne se résume pas à un tas de bois. » Entretenue par les générations passées, elle est un trait d’union avec la population à venir. « Une parcelle se gère au minimum sur cinquante ans. Les arbres élargissent notre vision de court terme et s’imposent comme un bien commun », affirme Pascale.
En créant l’Amap en 2011, cette ancienne conseillère en stratégie publicitaire s’est mise au vert. Son défi ? Créer des ponts entre des personnes qui s’ignorent. Les propriétaires forestiers, courtisés par les industriels, cèdent souvent à leurs sirènes : un chèque en papier contre une coupe à blanc ; les travailleurs forestiers, soumis au diktat du productivisme, coupent plus pour tenter de gagner plus ; les citoyens restent à la marge, dépossédés de ce qui constitue près d’un tiers du territoire national.
La sève monte toujours mais les sols s’appauvrissent : « Les arbres coupés trop jeunes ne restituent pas de minéraux à la terre. Elle s’acidifie », poursuit Siegfried. Après une coupe à blanc, la forêt ne filtre plus l’eau qui, alors, coule, dévale, déborde. Jusqu’à inonder le village en aval, comme celui de Grâne (voisin de Crest), en 2008, quand le ruisseau de la Grenette est sorti brusquement de son lit. Jean, un habitant, s’en souvient. « Ça a été un déclic. Des propriétaires se sont mis à parler de sylviculture douce. Depuis, certains travaillent avec l’Amap bois. »
« Avec l’Amap, on essaye de changer de modèle, dit Pascale, on paie le bois 20 % plus cher. On avance la moitié de l’argent lors du chantier, alors que l’on utilisera les bûches seulement deux ans plus tard, une fois séchées. » Le bûcheron rémunéré décemment peut déclarer ses activités et bénéficier d’une couverture sociale, ce qui est loin d’être une évidence dans ce secteur. « La moitié des activités de bûcheronnage se fait au noir, car les prix du marché ne permettent pas au bûcheron d’amortir ses charges. »
Depuis sa création, l’Amap bois taille sa route, malgré les embûches : « On peine à recruter des bûcherons locaux, ils se font de plus en plus rares, avance Pascale. La gestion douce ne s’apprend pas à l’école. » Plus généralement, « on manque d’une culture populaire de la forêt. On s’y promène, mais elle nous échappe ». On la voit toujours aussi belle, mais on ne connaît pas ses coulisses.
Dryade mise sur une implication citoyenne plus forte encore : elle songe à acheter une forêt grâce à l’épargne collective – une idée inspirée de Terre de liens. « Nous pourrions installer un bûcheron et un débardeur. Ils gagneraient en sécurité et en autonomie, et fourniraient du bois de qualité localement. » Un terrain d’expérimentation encore vierge. On touche du bois pour la suite.
La nuit de janvier est fraîche. À l’intérieur de la maison, le bois crépite et les flammes dansent dans le poêle. Au coin du feu, Camille se réchauffe les mains. « La moitié du département est boisée. Pourtant, 80 % du bois qu’on brûle vient d’autres régions. » La jeune femme se lève, apporte une nouvelle bûche. « C’est aberrant ! On possède la ressource mais nous n’avons aucune autonomie énergétique. » Ce constat l’a poussée à l’action. Avec une vingtaine de familles, Camille a décidé de transposer à la sylviculture le modèle des associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (Amap) qui produisent des fruits et des légumes. Camille s’approvisionne désormais en bois de chauffage issu de forêts situées à moins de 35 kilomètres de chez elle auprès de l’Amap formée en une association appelée Dryade, comme la nymphe protectrice de la forêt dans la mythologie grecque.
Lors des chantiers, « on prélève à peine 25 % des arbres, souligne Pascale Laussel, coordinatrice et fondatrice de l’association Dryade. La tendance actuelle est plutôt à la coupe rase. Des parcelles entières disparaissent, jusqu’à dix-neuf hectares d’un seul tenant. » Ici, au contraire, on éclaircit la forêt pour la faire durer plus longtemps : « On enlève les arbres malades, on donne de la lumière aux plus beaux. »
Jardiner au lieu d’exploiter. Les membres du collectif cherchent à maintenir la diversité des essences, des âges et des tailles. « On prend de petites quantités, ce que la forêt peut supporter. Chaque année l’Amap change de parcelle, elle y reviendra dix ans plus tard. » Ils laissent du bois mort au sol pour produire de l’humus et privilégier les repousses spontanées.
Pour ses chantiers de coupe, Dryade pratique le débardage à cheval. « L’animal travaille avec précision. À l’inverse des machines, il ne tasse pas les sols et n’abîme pas les arbres voisins, explique la débardeuse, concentrée, précise et ferme avec son animal.
« La forêt ne se résume pas à un tas de bois. » Entretenue par les générations passées, elle est un trait d’union avec la population à venir. « Une parcelle se gère au minimum sur cinquante ans. Les arbres élargissent notre vision de court terme et s’imposent comme un bien commun », affirme Pascale.
En créant l’Amap en 2011, cette ancienne conseillère en stratégie publicitaire s’est mise au vert. Son défi ? Créer des ponts entre des personnes qui s’ignorent. Les propriétaires forestiers, courtisés par les industriels, cèdent souvent à leurs sirènes : un chèque en papier contre une coupe à blanc ; les travailleurs forestiers, soumis au diktat du productivisme, coupent plus pour tenter de gagner plus ; les citoyens restent à la marge, dépossédés de ce qui constitue près d’un tiers du territoire national.
- Pour Pascale Laussel, fondatrice de l’association Dryade, « il faut se rassembler, se réapproprier ensemble la filière bois ».
Mettre les projecteurs sur la forêt et sur ceux qui la font
L’abatteuse – un gros tracteur forestier – fait tomber les arbres comme des dominos. « Derrière sa machine, un technicien peut raser un hectare par jour. » Dans ces parcelles aux allées rectilignes, le résineux est roi : il pousse plus rapidement et plus droit que le feuillu. Au fond de la forêt, une parodie de la nature : « Ces plantations d’une seule essence n’ont rien d’un écosystème, : ni habitat pour animaux ni refuge de biodiversité, les arbres sont calibrés, standardisés pour l’industrie. » On y extrait le bois comme une ressource minière.La sève monte toujours mais les sols s’appauvrissent : « Les arbres coupés trop jeunes ne restituent pas de minéraux à la terre. Elle s’acidifie », poursuit Siegfried. Après une coupe à blanc, la forêt ne filtre plus l’eau qui, alors, coule, dévale, déborde. Jusqu’à inonder le village en aval, comme celui de Grâne (voisin de Crest), en 2008, quand le ruisseau de la Grenette est sorti brusquement de son lit. Jean, un habitant, s’en souvient. « Ça a été un déclic. Des propriétaires se sont mis à parler de sylviculture douce. Depuis, certains travaillent avec l’Amap bois. »
- Ce coin de forêt vient de subir une coupe rase.
« Avec l’Amap, on essaye de changer de modèle, dit Pascale, on paie le bois 20 % plus cher. On avance la moitié de l’argent lors du chantier, alors que l’on utilisera les bûches seulement deux ans plus tard, une fois séchées. » Le bûcheron rémunéré décemment peut déclarer ses activités et bénéficier d’une couverture sociale, ce qui est loin d’être une évidence dans ce secteur. « La moitié des activités de bûcheronnage se fait au noir, car les prix du marché ne permettent pas au bûcheron d’amortir ses charges. »
- L’un des bûcherons de Dryade au travail.
Acheter une forêt
À cinquante kilomètres de là, à Pierrelatte, une usine à biomasse avale 150.000 tonnes de bois par an pour produire de l’électricité. Avec un tel appétit, la centrale menace les ressources locales et fait pression sur les propriétaires forestiers pour couper à blanc leurs forêts. « Comme pour la méthanisation et les mille vaches, des énergies vertes sont détournées par le gigantisme. » Pour Camille, la solution réside dans « des projets à taille humaine, gérés par des citoyens ».Depuis sa création, l’Amap bois taille sa route, malgré les embûches : « On peine à recruter des bûcherons locaux, ils se font de plus en plus rares, avance Pascale. La gestion douce ne s’apprend pas à l’école. » Plus généralement, « on manque d’une culture populaire de la forêt. On s’y promène, mais elle nous échappe ». On la voit toujours aussi belle, mais on ne connaît pas ses coulisses.
Dryade mise sur une implication citoyenne plus forte encore : elle songe à acheter une forêt grâce à l’épargne collective – une idée inspirée de Terre de liens. « Nous pourrions installer un bûcheron et un débardeur. Ils gagneraient en sécurité et en autonomie, et fourniraient du bois de qualité localement. » Un terrain d’expérimentation encore vierge. On touche du bois pour la suite.
Lire aussi : À Roybon, la Zad oubliée retrouve l’esprit de la forêt
Source : Gaspard d’Allens et Lucile Leclair pour Reporterre. Ils sont les auteurs de Les néo-paysans.
Photos : © Association Dryade sauf
. coupe rase : Wiki sciences et techniques de l’environnement
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