dimanche 23 décembre 2018

Spéculation faciale : panique dans le panoptique.

Source : Concordance.info

D'abord il y a l'euphémisation. La novlangue. La guerre c'est la paix. D'abord on ne parle plus de vidéo-surveillance mais de vidéo-protection. Et bien sûr comme à chaque fois tout commence là. Quand la barrière de la langue est levée, quand les mots sont suffisamment travestis pour ne plus dire le vrai en se mettant au service d'une idéologie et d'un marché, alors toutes les digues cèdent. Les unes après les autres.
Toutes, je dis bien toutes, toutes les études scientifiques qui se sont penchées sur ce marché pour en mesurer l'efficacité, toutes sont unanimes pour pointer le fait que la chose que ces caméras de surveillance protègent le mieux, ce sont les intérêts dudit marché. 
Il y a 10 ans déjà, la vidéo-surveillance était un mirage technologique et politique. Dix ans plus tard c'est le cauchemar Orwellien qui est là, lui qui n'était pourtant pas supposé être un manuel d'instructions.
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A Nice on apprend que "les passagers du tramway sont filmés par un système qui lit les émotions sur leur visage pour détecter toute situation anormale." C'est une filiale d'Engie qui s'y colle. Plus loin dans l'article du Monde, mais toujours à Nice on apprend encore que :
"le conseil municipal a voté, en juin, l’expérimentation d’une batterie de solutions safe city avec Thales, à la tête d’un consortium de quinze sociétés spécialisées dans l’analyse des réseaux sociaux, la géolocalisation, la biométrie ou la simulation de foules."
Je rappelle qu'en Chine, en plus du déjà tristement célèbre système de "Social Credit Score", on découvrait récemment des projets gouvernementaux de surveillance permettant de déployer
"des capteurs cérébraux ("Brain-reading technology") pour détecter les changements d'état émotionnel des employés sur les chaînes de production, dans l'armée et dans les postes de pilotage de trains à haute-vitesse."
En Chine. En 2018. Et donc à Nice, en 2018 toujours, tout le monde à l'air de trouve ça normal que "les passagers du tramway soient filmés par un système qui lit les émotions sur leur visage pour détecter toute situation anormale." 

Le panoptique de la panique.

Partout les espaces publics ou privés, urbains ou campagnards se rêvent en panoptiques, partout les investisseurs sont au rendez-vous, partout les politiques sont au garde à vous, partout tout le monde trouve ça "smart", parce qu'il y a "de l'IA" et du "Big Data", bé ouais coco, c'est la Tech-Town, la Smart-city quoi. Partout, chaque jour, l'espace public recule de manière dramatique. Car il n'est d'espace public que celui qui peut échapper structurellement à l'enregistrement et à la captation privée. 
La Smart-City c'est le monde miroir du panoptique Facebook : la superposition d'un espace réel de contrôle permanent à un espace virtuel de contrôle permanent. Il en est que cette perspective excite, elle devrait individuellement nous navrer et collectivement nous alarmer.
Car si l'argument sécuritaire du panoptique joue sur les ressorts de la panique de ce que pourrait être un monde laissé sans surveillance, la seule vraie cause de panique est celle qui fait que nous assistons impuissants à un double mouvement de systématisation et d'anecdotisation des régimes de surveillance. Et ce alors même que partout dans le monde une crise politique globale porte au pouvoir des régimes de plus en plus explicitement autoritaires et anti-démocratiques. Nous sommes en train de construire les infrastructures nécessaires à des lendemains d'oppression que nous n'avons même plus l'air de craindre tant ils paraissent irrémédiables. 
La résignation est le poison de ce monde vidéo-surveillé, l'oppression son modèle économique, et l'assignation son paradigme (assignation à consommer, à résider, à se déplacer dans des espaces contraints selon des trajets qui le sont également, et ainsi de suite).
Comme dans tout naufrage, il existe heureusement encore quelques poches d'air qui permettent d'espérer. Au moins temporairement. Ainsi le contrat qui mettait à disposition de la police d'Orlando la technologie de reconnaissance faciale mise au point par Amazon a été dénoncé par des dizaines d'associations de défense des libertés mais également par les employés d'Amazon eux-mêmes. 
Et à chaque fois, à chaque fois le même argument, qui tourne en boucle, tant du côté de ceux qui veulent surveiller tout le monde que de ceux qui leur en fournissent les moyens :
"La ville d’Orlando est constamment à la recherche de nouvelles solutions pour assurer la sécurité de nos résidents et nos visiteurs. Mener des partenariats avec des entreprises innovantes pour tester leurs dernières technologies – tout en nous assurant du respect des lois sur la vie privée – est crucial."
Renforcer la sécurité et en même temps respecter non pas la vie privée mais "les lois sur la vie privée". Nuance. Car bien sûr à l'échelle de la massification du  déploiement de ces technologies de surveillance et au regard de ce qu'elles permettent désormais de faire "à la volée" et en temps réel dans le domaine par exemple de la reconnaissance automatique de visage, affirmer qu'elles sont compatibles avec une quelconque forme de respect de la vie privée à autant de sens que de prétendre qu'une coloscopie est nécessaire et utile pour réaliser un fond d'oeil.
En fait la vidéo-surveillance et la reconnaissance faciale c'est toujours la même histoire : au début tu commences par t'en servir pour identifier les invités à une fête, ensuite tu mets ta technologie au service de la police de ton pays ou de ton état, et puis à la fin ça finit toujours par retomber sur les immigrés. Simple, basique. Et authentique. Au final, ceux qui ont pour seul tort d'avoir une couleur de peau différente de celle de ceux qui les surveillent sont les premiers à faire les frais de ces systèmes profondément et structurellement pervers. Reconnaissance faciale et discrimination ethnique sont les deux faces d'une même médaille.
Et maintenant : devinette.

Quelle est la différence entre Christian Estrosi et Taylor Swift ?

Aucune. Tous les deux sont des maniaco-dépressifs du contrôle et de la vidéo-surveillance. 
Côté Estrosi, sa dernière trouvaille est de permettre à deux lycées de Marseille et de Nice de tester la reconnaissance faciale comme "outil anti-intrusion". Ahem. Là on ne parle pas de caméras installées au dessus du parking à vélos hein, on parle d'un portique qui va scanner tous les jours tous les visages de tous les élèves pour leur permettre d'entrer. Ahem. Ahem. Mais bon tout va bien puisque la CNIL a donné non pas son aval mais son "avis" sur l'expérimentation, lequel "avis" était positif, et que "la communauté pédagogique" à également, nous dit-on, donné son accord. AHEM. Je sais pas ce qu'ils fument en ce moment à la CNIL mais va quand même sérieusement falloir qu'ils arrêtent. 
Numerama a publié un papier très complet sur le "mais bordel comment ça va se passer" dans lequel on apprend notamment que cela ne concernera (au début en tout cas) que les élèves volontaires et avec l'aval des familles concernées : 
"Le lycée proposera une file d’attente distincte pour les élèves volontaires, de sorte à ce que leurs camarades ne soient pas filmés sans consentement. Les participants enregistreront leur profil biométrique, qui sera retranscris sur un badge. La forme de celui-ci, QR code sur smartphone ou badge physique, n’est pas clairement communiquée."
Il paraît aussi que Cisco (le prestataire de service) n'aura pas accès aux données biométriques captées par son portail à l'aide de son logiciel faisant tourner sa technologie de reconnaissance faciale : 
"le lycéen valide son badge à une borne lorsqu’il entre, et les caméras confirment que le profil enregistré correspond à celui à l’image. Mais elles ne devraient pas conserver de données, et seulement opérer localement. Les lycéens garderont la main sur les gabarits faciaux enregistrés dans leur support individuel, et Cisco ne devrait pas y avoir accès."
Vous noterez l'emploi du conditionnel de circonstance. Et une fois fait, vous pourrez insérer ici un grand éclat de rire ou un grand coup de pied dans la gueule du premier truc qui passera non loin du susdit pied. 
<Anecdote personnelle enrichissante> Moi personnellement j'ai des enfants, et il est vrai que je suis un lâche. Lorsque dans le petit bled de campagne où est implanté leur collège tout neuf, la "biométrie" a fait son apparition sous la forme d'une empreinte de la main (ou du pouce) permettant d'aller se gaver de frites et de ketchup dans ce paradis de l'orgasme gustatif qu'est "LE SELF", j'ai gueulé. J'ai filé 10 balles à La Quadrature du Net pour me détendre (et parce que c'est super important). J'ai dit à la réunion des parents d'élèves que :
"hum, bon ben quand même certes y'a des choses plus graves mais quand même le fichage biométrique dès la 6ème pour accéder au self alors même que tout le monde sait que ce pignouf de Jonathan le pion neurasthénique (les prénoms ont été changés) il part fumer des clopes plutôt que d'empêcher les 3èmes de piétiner les 6èmes à l'entrée du Self, hein, quand même quoi."
Et puis je suis rentré tout fier chez moi et j'ai commencé à expliquer à ma glorieuse descendance qu'il allait falloir envisager d'entrer en résistance contre ce monde Orwellien tout pourri. Ce qui a eu pour effet immédiat que le "classe-de-6ème" concerné s'effondre en larmes en mode "noooon mais je vais être le seuuuuul c'est trop la loooooooose tous mes copains ils ont déjà rempli le papier bouhouhou" et que le "classe-de-4ème" concerné se mette à me promettre de m'éviscérer et que "non mais c'est quoi cette famille pourrie où déjà on n'a même pas la télé et où en plus maintenant genre on va trop passer pour des boloss". Je cite de mémoire hein, mais c'est pour restituer l'ambiance.
Le message était donc parfaitement passé et ma mission éducative de résistance citoyenne s'arrêtait là. J'ai signé ce putain de papier pour que mes loustics parmi 400 autres mettent leur doigt (ou leur main) dans un vague scanner avant d'aller bouffer 5 jours sur 7 et je suis retourné filer 10 balles à la Quadrature du net pour me re-calmer. On ne gagne jamais tout seul. Donc allez filer 10 balles à la Quadrature du net et revenez ici. </Anecdote personnelle enrichissante>
Donc Estrosi et la région PACA, ils collent des portiques à l'entrée des lycées pour faire de la reconnaissance faciale. Portiques et technologies de l'entreprise CISCO ... Ben oui. Quitte à filer les clés du ministère de la défense à Microsoft, quitte à lui offrir également celles du Ministère de l'éducation nationale, autant être cohérent en filant le travail de flicage de notre jeunesse à une autre entreprise américaine. Mais bon, tant que la CNIL a un "avis" qui est que "faut bien essayer pour voir", tout va bien, c'est cool. Je vais quand même retourner mettre 10 balles dans le jukebox de la Quadrature du Net mais c'est cool. 
Mais quand même. Quand même c'est vraiment super con que ni Christian Estrosi, ni la CNIL (Commission Nationale Informatique et Laissez-faire), ni les instances qui ont permis la mise en place de ce bordel, ni "la communauté éducative" n'aient pris le temps d'aller lire un article scientifique datant de 2010, écrit par Tanguy Le Goff, en accès libre, et titré : "La vidéosurveillance dans les lycées. De la prévention des intrusions à la régulation des indisciplines". Ben oui. Tout y est dans cet article de 2010. A commencer par la démonstration qu'à part pour les vols sur le parking à vélo (et encore) ça ne marche pas et ça ne donne aucun résultat probant autre que celui, en effet, de systématiquement finir par réaffecter un système visant à limiter les intrusions à un système permettant de discipliner les comportements. Pour ne pas être supposé de tordre la réalité je recopie ici la conclusion de l'article de Tanguy Le Goff : 
"Les résultats de la vidéosurveillance en termes de sécurisation ne sont pourtant guère probants. Son impact dissuasif est très limité sur les intrusions bien qu’il s’agisse de la principale finalité en légitimant l’installation dans un établissement scolaire. Il n’est guère plus probant sur les cambriolages et les vols, hormis ceux commis dans les parkings. En définitive, la finalité pour laquelle la vidéosurveillance donne ses résultats les plus significatifs est le maintien de l’ordre scolaire. Au prix d’un quadrillage de l’ensemble des espaces d’un lycée, elle peut servir d’appui au personnel, aussi bien enseignant que chargé de la vie scolaire, pour contrôler les actes d’indiscipline des élèves. On ne saurait toutefois surévaluer ses effets sur la modélisation des comportements des lycéens et moins encore considérer que la vidéosurveillance constitue un véritable dispositif de sécurité au sens foucaldien du terme. Son utilisation marginale, le caractère occasionnel de la surveillance en temps réel et son absence d’intégration à la politique de gestion de l’ordre scolaire en réduisent fortement les capacités à discipliner les corps."
Le grand danger, huit ans plus tard, c'est la réalité sociale et technologique qui fait que nous sommes désormais essentiellement sortis de "l'utilisation marginale" et que l'ordre du jour est à la capacité à discipliner les comportements et les corps. Surveiller et punir.
Et puis donc arrive Taylor Swift. Qui lors de l'un de ses concerts, a scanné la totalité de la foule présente pour "identifier ses harceleurs". (car Taylor Swift a visiblement des gens qui la harcèlent et dont elle connaît le visage. Bref). Voilà. Concrètement lors de la validation du billet pour entrer dans le concert, étaient disposés des écrans de télé qui diffusaient des clips, et que donc les gens faisant la queue regardaient tranquillou, mais qui étaient en fait des écrans équipés de dispositifs de reconnaissance faciale et que comme ça on avait bien le temps de bien scanner ton petit visage tout concentré que tu étais à fixer l'écran. Ha ha ha qu'est-ce qu'on rigole bien.
Je suis sûr que si Taylor Swift avait demandé la permission à la CNIL ils auraient dit "Wesh Banco, comme ça en plus on pourra croiser avec la base de Christian histoire de voir si y'a pas un lycéen de Marseille qui a séché les cours pour prendre un avion pour assister au concert à Las Vegas." Faut bien essayer. Bref. Je ne sais pas vous, je ne sais pas si c'est la période des fêtes ou quoi, mais depuis quelques temps j'ai l'impression que c'est vraiment tous les jours le Noël de la connerie.

Spéculation faciale.

Je vous ai souvent parlé des travaux de Sushana Zuboff sur le capitalisme de surveillance. Pas plus tard que dans ce dernier billet. De Google à Facebook, l'ensemble du web a muté d'une économie des documents (capitalisme linguistique) à une économie des profils (capitalisme de surveillance donc). Nous sommes aujourd'hui à la phase d'après. Celle où après avoir mis en place l'essentiel des infrastructures techniques, physiques ou numériques, d'une surveillance de chaque individu à chaque instant et dans chaque espace public ou privé, il faut, pour que le marché tienne et que les actionnaires se gavent, entretenir la spéculation.
A ce titre, la dernière "création" de la société Nvidia est proprement fascinante. Il s'agit d'une "intelligence artificielle" (en fait du Deep Learning) capable de créer des visages "qui n'existent pas" à partir de ceux de vraies personnes (l'article scientifique est disponible sur ArXiv).
Pokerface

On savait déjà reconstituer des (vrais) visages à partir d'un simple brin d'ADN, on disposait également d'immenses bases de données répertoriant, classant et indexant l'ensemble de nos émotions et de leurs traductions en autant d'expressions faciales. D'une certaine manière il ne manquait plus que cette dernière pièce dans le grand puzzle du capitalisme de la surveillance : créer des visages qui n'existent pas. En créer autant que possible. De manière infinie. Dont certains d'ailleurs finiront, et ce n'est pas le moins troublant, par être ou devenir de "vrais" visages un peu comme dans le paradoxe du singe savant ou dans la bibliothèque de Babel
Un nombre infini mais observable, quantifiable, analysable de visages qui n'existent pas mais pourraient être utilisés comme autant de masques, de leurres, ou simplement comme outil de spéculation. Des visages "qui n'existent pas" et qui donc ne nous appartiennent pas alors même que ceux-là qui nous appartiennent et nous définissent ne nous appartiennent plus vraiment et sont avant tout devenus "la propriété de plates-formes capitalistes".  
Google. Du moteur de recherche à la bourse des mots et à leurs enchères. Capitalisme linguistique. Facebook. Du livre des visages à la bourse des visages. Capitalisme de surveillanceDes ravages du premier nous sommes informés mais n'avons déjà presque plus de prise sur l'horizon culturel que dessinent ces architectures techniques toxiques. Des ravages du second nous paierons le prix fort d'un risque de déshumanisation encore plus grand.
Lorsque nos mots et nos visages ne seront plus rien d'autre qu'un marché, lorsque des mécanismes spéculatifs dits "à haute fréquence" les entraîneront sans que nous ne puissions plus y prendre part autrement qu'en spectateurs hébétés, la panique s'emparera du panoptique. Nous n'avons à ce jour aucune idée des conséquences de l'inévitable Krach qui prendra place après ce vertige. Mais une société où les mots ont un prix avant d'avoir un sens et où chaque émotion lue sur un visage ne vaut qu'à proportion de son coût transactionnel est une société déjà plus que flétrie. 
La spéculation sur les mots, leur appartenance à une sphère essentiellement marchande, est un appauvrissement mécaniquement proportionnel de la capacité de faire société. La spéculation sur les visages et sur les émotions qu'ils expriment est un appauvrissement mécaniquement proportionnel de nos capacités individuelles et collectives d'empathie. De notre désir même d'empathie que la spéculation vide de tout sens et de toute nécessité. Ne reste alors qu'une mécanique sociale vide de sens qui fait le lit de tous les autoritarismes pour mieux préparer celui de tous les fascismes. 
On ne protège pas une société en ne la surveillant que pour la conditionner à l'être encore davantage demain. Et s'il s'agit là du seul projet de société que l'on est en capacité de porter, de Christian Estrosi à Taylor Swift en passant par l'ensemble de nos démocraties modernes, alors il ne faut pas s'étonner que les espaces - physiques ou numériques - qui sont les plus plébiscités et dans lesquels on semble avoir "plaisir" à se retrouver soient aussi les plus carcéraux, les plus étouffants et les plus "surveillants". Ce paradoxe n'est que d'apparence. Car la fabrique du consentement a partie liée avec la rhétorique de l'enfermement. Dans ces espaces surveillés, la démocratie n'y est plus que d'apparat autant que d'apparence et la spéculation s'y est parfaitement et durablement substituée à toute forme d'argumentation. 
<Mise à jour du lendemain> La Quadrature du Net revient sur les démarches qu'elle a engagée pour s'opposer au projet porté par Estrosi et les différentes réponses reçues des élus et de la CNIL. </Mise à jour du lendemain>

vendredi 7 décembre 2018

François Ruffin : “Je suis le porte-parole du peuple”





Le 29 novembre, place de la République à Paris lors d’un rassemblement avec le collectif La Fête à Macron. © Cyril Zannettacci pour Les Inrockuptibles

Source : Les Inrocks

04/12/18 18h00
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Samedi 1er décembre lors d’un barrage filtrant à l’entrée d’Albert (Somme) © Cyril Zannettacci pour Les Inrockuptibles
Le reporter et député de La France insoumise vit au plus près de la France des “gilets jaunes”. Conscient des risques que l’extrême droite fait courir à ce mouvement hétérogène, il plaide pour une alliance des classes intermédiaire et populaire. Entretien.
Une atmosphère de mutinerie règne sur le rond-point de la commune d’Albert (Somme), à trente minutes d’Amiens, ce 1er décembre au matin. Quand François Ruffin sort de sa vieille Citroën Berlingo, son éternelle veste en cuir marron sur les épaules, il est accueilli par une petite foule de “gilets jaunes” hirsutes aux yeux cernés.
Le slogan marqué au feutre noir sur une pancarte à l’entrée du barrage filtrant est le même que dans de nombreux villages de France depuis le 17 novembre : “Macron démission !” Autour de quelques braseros qui crépitent sous la pluie glacée, le député insoumis reçoit les doléances de ces opposants à la baisse du pouvoir d’achat, dont il écoute les récits de vie.
“Je me prive de tout, sauf sur les loisirs de mes enfants”, “ma fille de 7 ans ne veut pas me dire ce qu’elle veut pour Noël, car elle sait qu’il n’y a plus d’argent”, lui dit-on. Certains portent des casques Adrian M1915, symboles de la Première Guerre mondiale, en signe de résistance. Alors que Paris s’apprête à vivre une sidérante journée de guérilla urbaine, le terreau de la révolte est bien là, localement.
Deux jours plus tôt, Ruffin exhortait les classes intermédiaires parisiennes à soutenir cette France des invisibles, sur la place de la République. Le rédacteur en chef du journal Fakir, réalisateur de Merci patron ! (2016), est un des rares à gauche à ne pas avoir détourné le regard quand cette vague de colère rurale a surgi. Au moment où elle semble dégénérer en rage incontrôlée, il nous explique longuement l’importance de ce “moment historique”, le temps d’un aller-retour en voiture sur les terres picardes.
Il y a un an et demi vous écriviez une “Lettre ouverte à un futur président déjà haï”, dans laquelle vous accusiez Emmanuel Macron d’être “frappé de surdité sociale”. Dans une nouvelle missive que vous lui avez adressée la semaine dernière, vous dites que c’est désormais la folie qui le frappe. Pourquoi ?
François Ruffin — Ce qui était en germe il y a un an et demi est aujourd’hui acté. Le divorce avec les classes populaires est massif et évident. Que s’est-il passé entretemps ? Emmanuel Macron a mis en application son programme et son ethos, c’est-à-dire sa manière d’être au monde social. Le péché originel a été la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), alors que dans le même temps il plafonnait les indemnités aux prud’hommes pour les salariés, allait augmenter la CSG pour les retraités, gratter 5 euros d’APL sur les locataires modestes, ou encore supprimer 250 000 emplois aidés. Ce sont des mesures d’une mesquinerie inimaginable. Ces gens sont à la peine, dans la galère, et c’est sur leur dos qu’il va chercher le pognon qu’il va donner aux plus riches du pays.
Vous pensez qu’il a atteint un point de non-retour avec les classes les plus modestes ?
Oui. Le journaliste David Dufresne a récemment écrit un très bon livre sur Brel (On ne vit qu’une heure, Seuil – ndlr), qui décrit Vesoul, la France profonde, celle des “gilets jaunes” avant l’heure. Il dit en substance : quel est ce pays où l’on peut déclarer qu’on donne aux pauvres “un pognon de dingue”, sans rendre les pauvres dingues ? Il a raison. Aujourd’hui, nous arrivons au terme d’un lent processus social. La colère s’est cristallisée sous le coup des injustices accumulées et de l’arrogance du verbe d’Emmanuel Macron – “ces gens qui ne sont rien”, “Gaulois réfractaires”, “cyniques” et “fainéants”, qui “n’ont qu’à traverser la rue” pour trouver un emploi. Et ce n’est pas une colère latente. Les “gilets jaunes” sont une minorité agissante, soutenue par une immense majorité. Macron est haï. Je ne suis pas le porteur de cette haine, j’en suis le messager. Mais il faut élargir le constat : non seulement il est fou, mais ils sont collectivement fous.
Qu’entendez-vous par là ?
Le problème ne réside pas dans un individu. Si les “gilets jaunes” se focalisent autant sur lui, c’est parce qu’il est le représentant d’une caste : celle des financiers qui avaient pour objectif, en l’élisant, de remettre le pouvoir politique entre les mains du pouvoir économique. Son philosophe à lui, celui qui l’a influencé, Paul Ricœur, disait : “Ce que nous avons le plus à redouter pour la démocratie, c’est l’alliance de l’oligarchie des compétences et des puissances d’argent.” Macron en est l’incarnation : c’est à la fois la banque Rothschild et l’ENA. De plus, il est porteur d’une inconscience de classe, c’est pour ça que je parle de folie. Quand il dit à Jean-Pierre Pernaut, au moment de la suppression de l’ISF, que tout le monde autour de lui estime que c’est un mauvais impôt, dénote bien dans quelle bulle il vit. C’est un paysan qui ne connaît pas son pays. Le ressentiment des “gilets jaunes” n’a pas d’autre sens : il y a dans le cœur de la France un profond désir d’égalité, et il n’est pas respecté.
Ce désir d’égalité n’était pas évident de prime abord dans le mouvement hétérogène des “gilets jaunes”. Alors que la grande majorité des représentants politiques, surtout à gauche, sont restés distants, vous êtes allé à leur écoute. Pourquoi ?
Il faut être à l’écoute de son pays quand quelque chose se passe, c’est un truc de reporter. Je connais la propension de mes camarades de gauche à se placer sur un mont Aventin, à juger de loin, à coller des étiquettes – “facho”, “anti-écolo”… Mais ensuite, on court après le train pour le rattraper ! Le cadeau fait à Marine Le Pen aurait été énorme. Ce mouvement est tellement hétéroclite, confus et dénué de représentants que l’interprétation qu’on en fait participe à sa propre construction, et contribue à ce que les gens ressentent politiquement ce qu’ils font. Donner une traduction progressiste à ce mouvement, c’est lui donner la possibilité d’une issue progressiste. Mon premier réflexe a donc été un geste de compréhension, dans les deux sens du terme : comprendre ce que les autres vivent, et les embrasser.

Cette colère des gilets jaunes est le résultat de vingt ans de politiques néolibérales


La mobilisation des classes populaires et moyennes est due aux mesures d’austérité, incluant modération salariale et désengagement de l’Etat. La solution : changer de cap en conjuguant défi écologique et question sociale.

Tribune. Les dégâts collatéraux des manifestations initiées par le mouvement des gilets jaunes sont immenses et doivent évidemment être condamnés. Mais cela ne doit pas nous empêcher de comprendre les raisons de la colère, seule façon d’éviter un nouvel épisode «séditieux». Depuis 2008, notre pays a supporté non seulement les conséquences de la plus grave crise financière que nous ayons connue depuis 1929 mais également celles des énormes erreurs de politique économique qui s’en sont ensuivies. En 2011, alors que la France relevait la tête, des politiques d’austérité ont été promues par les institutions internationales, FMI et Commission européenne en tête, qui ont replongé les pays européens dans la stagnation. Alors que la crise s’expliquait par les dysfonctionnements majeurs du capitalisme financier et que les dettes publiques s’étaient accrues pour sauver le système financier, notre modèle social et notre prétendue incapacité à assurer une bonne gestion des finances publiques ont été pris comme boucs émissaires. Partout en Europe, des politiques de désinflation compétitive et de modération salariale ont été mises en œuvre, dans une compétition mortifère d’abaissement des normes. En 2014, en France, une pure politique d’offre, financée par une hausse de la fiscalité sur les ménages et des économies sur la dépense publique, a été menée sans réussir à faire repartir l’emploi. Résultat : une baisse de 440 euros par ménage entre 2008 et 2016, principalement supportées par les classes populaires et moyennes, notamment les familles monoparentales.
Le candidat Macron avait promis une rupture avec la politique antérieure. Il n’en a rien été. Les deux premières mesures prises par le gouvernement ont consisté à alléger les impôts des plus riches pour un montant d’environ 4 milliards, et à modifier profondément les règles organisant les relations de travail, obéissant aux remèdes prescrits par l’OCDE depuis plus de vingt ans : réduire les protections du travail, détricoter le code du travail, ce qui a eu comme première conséquence de décourager ceux qui sont licenciés sans cause réelle et sérieuse d’aller devant les prud’hommes. Un plan de diminution des dépenses publiques a été préparé dans le plus grand secret. Le nouveau monde est encore pire que l’ancien… La colère des classes populaires et moyennes qui s’exprime aujourd’hui est le résultat de vingt ans de politiques néolibérales pendant lesquelles on a voulu nous faire croire aux marchés autorégulateurs et à la culpabilité de notre modèle social. Ce sont avec elles qu’il faut rompre.
Une autre voie est possible : une voie permettant à la fois de s’occuper du péril écologique, dont nous sommes désormais tous conscients, et de la question sociale en profondeur. Que faudrait-il faire ? Relancer au plus vite l’activité de manière sélective – et non pas la croissance qui mélange productions utiles et toxiques –, notamment en investissant massivement dans les mesures permettant d’engager notre pays dans la grande bifurcation nécessaire à la reconstruction de notre économie. Il nous faut investir au moins 20 milliards d’euros dans la rénovation thermique des bâtiments, les énergies renouvelables, l’agroécologie, ce qui nous permettra non seulement de réduire la dépendance de notre pays par rapport à l’extérieur mais devrait aussi être massivement créateur d’emplois. Le gouvernement avait annoncé un plan d’investissement de 57 milliards d’euros sur l’ensemble du quinquennat : non seulement le montant était insuffisant, mais sa mise en œuvre a été repoussée. Nicolas Hulot l’a dit : il aurait fallu accompagner socialement la hausse de la taxation des carburants mais il s’est heurté aux «contraintes budgétaires». Nous devons rompre avec cette orthodoxie : nous devons, au nom des générations futures, consentir pendant quelques années à un investissement massif dans l’avenir, qui devra être sorti du calcul du fameux solde qui ne doit pas dépasser 3 % du PIB. Nous ne proposons pas l’anarchie mais une politique raisonnable consistant à reconnaître que ce dont notre pays a besoin pour éviter la crise écologique ET sociale est une relance massive de l’investissement.
Il faut donc un véritable changement de cap et de politique économique et sociale. A court terme, un moratoire devrait être annoncé sur la taxation du carburant, et ce d’autant plus que les entreprises les plus émettrices de gaz à effet de serre sont, elles, faiblement taxées du fait des dysfonctionnements du marché carbone européen. Un large débat démocratique doit s’ouvrir au plus vite non seulement sur la fiscalité mais également sur les services publics et les mobilités. Profitons de cette grave crise pour engager résolument nos sociétés dans la reconversion écologique et sociale.
Dominique Méda, Éric Heyer et Pascal Lokiec viennent de publier Une autre voie est possible, Flammarion.
Dominique Méda professeure d'université Paris-Dauphine , Pascal Lokiec professeur de droit à Paris-I Panthéon-Sorbonne , Eric Heyer Directeur-adjoint à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE)

Le syndicat Sud Rail appelle à laisser les gilets jaunes voyager gratuitement ce samedi

Source : France 3 régions

Image d'archives / © JEAN-PIERRE AMET - maxPPP
Image d'archives / © JEAN-PIERRE AMET - maxPPP
Les gilets jaunes reçoivent le soutien du 3e syndicat ferroviaire. Le syndicat de cheminots appelle aussi à manifester avec les gilets jaunes samedi 8 décembre partout en France. 
Par Sophie Courageot
Le syndicat SUD-Rail a déposé un préavis de grève reconductible pour le samedi 8 décembre. Il appelle à manifester samedi avec les "gilets jaunes" dans toute la France, le syndicat ferroviaire appelant aussi les cheminots à laisser les "gilets jaunes" voyager "gratuitement" dans les trains.

"Donnons la possibilité à l'ensemble des "gilets jaunes" de pouvoir emprunter gratuitement le réseau ferroviaire national qui est la propriété du peuple", écrit SUD-Rail dans son communiqué national. Le syndicat veut permettre aux gilets jaunes de pouvoir se rassembler et manifester, à Paris ou dans les régions.
 
Le "ras-le-bol" exprimé par les "gilets jaunes" est "aussi le nôtre", ainsi "les cheminots doivent de nouveau répondre présents", estime le syndicat SUD-Rail.

Samedi 8 décembre, Éric Drouet, l'un des instigateurs des gilets jaunes, appelle à "retourner à Paris", "près des lieux de pouvoirs, les Champs-Élysées, l'Arc de Triomphe, Concorde".

Le ministre de l'Intérieur Christophe Castaner lui a invité "les gilets jaunes raisonnables" à ne pas se rassembler à Paris où de nombreuses forces de l'ordre seront mobilisées pour éviter les affrontements de samedi dernier.

L’assistanat des riches nous coûte un « pognon de dingue » !


Chronique 
Source : Alternatives Economiques 
Jean Gadrey Professeur honoraire d'économie à l'Université Lille 1

L’aide sociale et les minima sociaux coûtent environ 70 milliards d’euros par an aux finances publiques, soit 3 % du produit intérieur brut (PIB). Ces prestations contribuent de façon décisive à réduire la pauvreté et les inégalités.
Face à cela, le coût de « l’assistance aux plus riches » pourrait être de l’ordre de 150 milliards d’euros par an hors fraude et évasion fiscales, et de l’ordre de 250 à 300 milliards au moins en incluant ces deux derniers coûts, comme le développait un billet de blog récent. Avec comme impact certain un creusement des inégalités et en particulier un enrichissement devenu indécent des très riches : les 500 individus les plus riches gagnent en moyenne 1 670 fois plus que la moyenne des plus pauvres. Je précise : 1 670 fois plus, après impôts.
Le coût de « l’assistance aux plus riches » pourrait être de l’ordre de 150 milliards d’euros par an hors fraude et évasion fiscales


On peut retenir trois grands postes de « cadeaux » aux plus riches. Chacun d’eux a été développé et amplifié par étapes depuis le milieu des années 1980. C’est aussi depuis ce moment que les inégalités, qui avaient nettement reculé depuis 1900 et au cours des « Trente Glorieuses », ont repris une tendance à la hausse. Cette dernière s’est certes avérée moins forte qu’aux Etats-Unis, mais elle est néanmoins nette, comme l’indique entre autres constats l’évolution de la part du revenu des ménages « accaparée » par les 1 % les plus riches :

Niches fiscales et niches sociales

Le premier des principaux postes de « coûts de l’assistance aux riches » est constitué des niches fiscales et des « niches sociales » (réductions ou exonérations de cotisations sociales). Certaines répondent à des objectifs d’intérêt général, comme les réductions d’impôt pour les dons aux associations ou pour des travaux d’isolation. D’autres bénéficient avant tout aux personnes plus riches et ne peuvent pas être considérées comme justes. D’autres vont aux entreprises, comme des crédits d’impôt ou des exonérations de cotisations sociales. Ces dernières sont le plus souvent défendues au nom de l’intérêt général (l’investissement, l’emploi, etc.) mais quand elles remplissent mal, ou pas du tout, ces missions, elles ne font que grossir les bénéfices non réinvestis et les dividendes et, in fine, c’est principalement dans la poche des riches qu’on les retrouve.
Si on estime, en étant « modestes », que la moitié des quelque 200 milliards de niches fiscales et sociales relève de l’intérêt général, le reste est du cadeau sans contrepartie

Un rapport parlementaire de 2010 estimait que les « niches » accordées depuis 2000 représentaient un total de 100 à 120 milliards d’euros de pertes de recettes fiscales à la fin de cette décennie. Si on y ajoute les gros morceaux ajoutés en 2014, lec d’impôt compétitivité emploi (Cice) et le pacte dit de responsabilité, on doit approcher les 150 milliards d’euros de niches fiscales. Il faut y ajouter les « niches sociales », estimées par Le Monde à 52 milliards de coût pour la Sécu. Si on estime, en étant « modestes », que la moitié des quelque 200 milliards de niches fiscales et sociales relève de l’intérêt général, le reste est du cadeau sans contrepartie.

Une fiscalité de plus en plus douce

Le deuxième gros poste correspond à la forte baisse de la fiscalité des plus riches et des entreprises depuis une trentaine d’années. On peut estimer à 50 milliards d’euros au moins (voir ici ) le cadeau fiscal accordé aux riches, par rapport aux taux, seuils et tranches qui existaient encore au milieu des années 1980, pour l’impôt sur le revenu et pour l’impôt sur les sociétés, et par rapport aux normes de 2000 pour l’impôt sur les successions et donations.
A ce stade, le montant atteint 150 milliards d’euros de coûts publics de l’assistance aux riches, plus de deux fois les aides sociales destinées aux plus pauvres et précaires. Mais il reste une troisième rubrique, qui concerne l’évasion fiscale et la fraude fiscales, qu’il semble légitime d’assimiler à des « cadeaux » aux plus riches dans la mesure où il est certain que des politiques publiques déterminées pourraient mettre fin à – ou réduire dans de fortes proportions – ce que certain.e.s militant.e.s nomment « du vol en bande organisée ».

Au moins 100 à 150 milliards par an

La fraude fiscale « nationale » peut se distinguer de l’évasion, bien qu’une bonne partie de l’évasion fiscale à l’étranger soit frauduleuse. Pour la seule évasion à l’étranger, les estimations prudentes la situent généralement entre 60 et 80 milliards d’euros par an.
Il semble bien que la magie opère quand il s’agit d’argent allant vers le haut

Dans un billet de juin 2017 qui s’appuyait sur une expertise de Gérard Gourguechon, je posais la question : « Fraude et évasion fiscale en France : 200 milliards par an ?1 Sur cette base, on peut estimer que le coût annuel de l’évasion et de la fraude fiscales est compris entre 100 et 150 milliards par an, sans être excessif.
Emmanuel Macron prétend qu’il n’y a pas d’argent magique, mais il semble bien que la magie opère quand il s’agit d’argent allant vers le haut.
  • 1. Voir aussi cet autre billet, qui soulève la question du périmètre de ce qu’on évalue, de ce qu’on retient pour qualifier la fraude et/ou l’évasion : « Evasion fiscale : 11 milliards ou 200 milliards par an de pertes pour les finances publiques en France ? ».

Dette publique et "loi Rothschild" : le silence des médias

Source : Nouvel Obs

Par 

LE PLUS. On parle beaucoup de crise et de dette en ce moment, mais de quelle manière ? Le journaliste Olivier Bonnet reproche aux médias de relayer la théorie libérale, sans s'interroger sur des étapes fondamentales comme celle de la loi Pompidou-Giscard en 1973.

Édité par Hélène Decommer 


C'est le point aveugle du débat : la dette publique est une escroquerie ! En cause, la loi Pompidou-Giscard de 1973 sur la Banque de France, dite "loi Rothschild", du nom de la banque dont était issu le président français, étendue et confortée ensuite au niveau de l'Union européenne par les traités de Maastricht (article 104) et Lisbonne (article 123).

D'une seule phrase découle l'absolue spoliation dont est victime 99% de la population : "Le Trésor public ne peut être présentateur de ses propres effets à l’escompte de la banque de France".


argent (JAUBERT/SIPA)

(JAUBERT/SIPA)

Contraint d'emprunter aux banques privées

En clair et pour faire simple, la Banque de France a désormais interdiction de faire crédit à l’État, le condamnant à se financer en empruntant, contre intérêts, aux banques privées, au lieu de continuer à emprunter sans intérêt auprès de la banque de France qui lui appartient. Depuis l'application de ce principe, la finance et son infime oligarchie donnent la pleine mesure de leur asservissement des peuples, en une spirale exponentielle d'accroissement des inégalités.

Le pouvoir est désormais aux mains des créanciers privés, qui l'exercent au bénéfice exclusif d'intérêts particuliers, quand la puissance publique a renoncé à son devoir de protéger l'intérêt général. La démocratie, étymologiquement pouvoir du peuple, est morte. On le voit en Grèce, en Irlande, au Portugal, en Espagne, en Italie, en France...

Qui gouverne ? "La troïka" - Union européenne, Fonds monétaire international et Banque centrale européenne - resserrant toujours davantage son emprise jusqu'à l'étranglement des peuples. Et l'on pérore sans fin sur les plateaux de télévisions, sur les ondes et dans les colonnes de la presse sur "l'insupportable fardeau de la dette", "la France en faillite", "les nécessaires sacrifices", que "nous ne pouvons pas continuer à vivre au-dessus de nos moyens" et que, d'ailleurs, "les Français l'ont compris".

Silence médiatique

Inlassable propagande des conservateurs-libéraux ? Bien sûr, mais relayée par le silence complice des médias. Et c'est ainsi que s'imposent dans l'opinion les apparentes évidences biaisées qui prétendent l'austérité inéluctable, contre la justice et l'intelligence. Deux ans d'austérité en Grèce déjà, pour quel résultat ?

Avec toujours la même justification simpliste et manipulatrice, résumée par la question posée par un journaliste d'Europe 1 à Jean-Luc Mélenchon, candidat du Front de gauche à la présidentielle : "Mais comment des pays européens endettés peuvent-ils faire autrement pour réduire leurs déficits ?"

Un graphique pour illustrer le propos, qui montre l'hallucinante évolution de la courbe de la dette publique.



"Ainsi, entre 1980 et 2008, la dette a augmenté de 1088 milliards d’euros et nous avons payé 1306 milliards d’euros d’intérêts", résume Mai68.org. Faisons la soustraction : sans les intérêts illégitimes encaissés par les banksters financiers privés, la dette publique française se serait élevée, fin 2008, à 21,4 milliards d'euros - au lieu de 1327,1 milliards ! Un escroc peut-il rêver pareil butin ? Et personne ne dénonce jamais ce scandale absolu ! A part Mélenchon et l'extrême droite - qui ne le fait que par opportunisme, étant entendu qu'elle a toujours été au service zélé du capitalisme libéral et ne remettra donc jamais en cause son empire...

Mais les éminents confrères ? Les Calvi, Barbier, Demorand, Joffrin, Apathie, Bourdin, Pujadas ou qui savons-nous encore ? Ceci ressemble bien à une omerta. Et à une honteuse trahison de leur mission d'informer.


Article initialement publié sur plumedepresse.
Voir aussi, sur le même sujet, le projet de documentaire du mensuel RegardsL'arnaque du siècle.

dimanche 2 décembre 2018

CAC 40 : 47 milliards de dividendes distribués aux actionnaires

Source : Le Figaro

Les sociétés françaises versent leurs coupons en mai et juin. Selon une étude de l’ONG Oxfam, la France est le pays où les entreprises reversent la plus grande part de leurs bénéfices en dividendes aux actionnaires.
Mai et juin sont des mois bénis pour les actionnaires. C’est au cours de cette période que se tiennent la plupart des assemblées générales qui décident des dividendes. C’est aussi durant ces deux mois qu’est distribué l’essentiel des coupons annuels promis aux investisseurs. Et cette année, la moisson s’annonce abondante, puisque les sociétés du CAC 40 s’apprêtent à distribuer à peu près 47 milliards d’euros de dividendes au titre de l’exercice 2017, contre 44,3 milliards l’an dernier. À ce montant, il convient d’ajouter 6,5 milliards d’euros de rachats d’actions, qui constituent aussi un retour direct à l’actionnaire.
Fait exceptionnel, toutes les sociétés du CAC 40 distribuent un coupon. Trente-quatre d’entre elles ont prévu de l’augmenter, souvent à travers une progression à deux chiffres des sommes versées. Cet assaut de générosité s’explique par le très net redressement des profits des grandes sociétés françaises (+ 26,5 % l’an dernier, à 97 milliards d’euros, selon les calculs du cabinet PWC) et par l’amélioration de leur situation financière. Leur endettement a ainsi été divisé par près de deux en dix ans, ce qui laisse de plus en plus d’argent disponible pour récompenser la fidélité des actionnaires.
Contrairement à une idée répandue, le dividende n’est pas l’ennemi de l’investissement: 53 % du cash issu du résultat d’exploitation ont été réinvestis dans les entreprises pour financer leur développement et renforcer leurs fonds propres.
La fixation du montant du dividende est aussi l’expression d’une certaine confiance dans l’avenir, qui permet de s’autoriser à procéder à un retour aux actionnaires plus important qu’en période de disette. Après de longues années médiocres, au début des années 2010, la croissance est de retour, notamment en Europe, et les perspectives d’évolution des résultats des entreprises (+ 12 % en moyenne cette année pour les sociétés du CAC 40) ne cessent d’être révisées à la hausse par les analystes financiers.

Total mène une politique de rémunération attrayante

Avec près de 50 % du capital des grandes sociétés françaises détenus par des actionnaires non résidents, les directions des grands groupes se trouvent face à des investisseurs internationaux exigeants, notamment les fonds anglo-saxons qui attendent des rémunérations élevées. Il est important de s’assurer de leur fidélité et, ainsi, de stabiliser le capital de l’entreprise. Dans cette optique, le montant du dividende et sa capacité à progresser régulièrement dans le temps constituent un élément important de la valorisation des actions. Sur la base des coupons attendus cette année, les sociétés françaises dégagent un rendement moyen de 3,2 % supérieur à celui des sociétés américaines de l’indice S&P 500, alors que leurs profits augmentent moins vite. Le niveau du dividende dépend souvent des activités des entreprises: plus elles sont matures, plus elles dégagent des marges confortables sans avoir à soutenir un important effort d’investissement, plus la société peut se permettre d’être généreuse à l’égard de ses actionnaires.
Les groupes du CAC 40 ont redistribué à leurs actionnaires les deux tiers de leurs bénéfices depuis le début de la crise, au détriment des investissements et des salariés, indique un rapport publié lundi par les ONG Oxfam et Basic. «La France est le pays au monde où les entreprises cotées en bourse reversent la plus grande part de leurs bénéfices en dividendes aux actionnaires», assure le rapport intitulé «CAC 40: des profits sans partage», réalisé par Oxfam et le Bureau d’analyses sociétale pour une information citoyenne (Basic)
Nos recommandations sur les valeurs de rendement:
Total est notre valeur préférée pour le rendement: Avec une enveloppe de 5,14 milliards d’euros, le groupe pétrolier est de loin le plus généreux. Le conseil d’administration a proposé de porter le dividende par action à 2,48 euros, ce qui fait ressortir le rendement du titre à plus de 5 %. Total n’entend pas en rester là: le groupe vise une hausse de 1 % des dividendes entre 2018 et 2020 et envisage de racheter des actions pour un montant de 5 milliards d’euros sur la même période.
L’action Sanofi est présente dans le portefeuille Défensif du Figaro Bourse. Le groupe pharmaceutique proposera de son côté à ses actionnaires d’approuver un dividende de 3,03 euros, qui porte le rendement à un niveau très confortable de 4,75 %. Le groupe pharmaceutique a aussi annoncé un programme de rachat d’actions de 1,5 milliard d’euros. En dépit d’un résultat net quasi stable, BNP Paribas a décidé de distribuer un coupon de 3,02 euros, en progression de 11,85 %. Nous recommandons de conserver le titre en portefeuille pour le rendement.
LVMH et Kering n’ont rien de valeurs de rendement, elle s’apprêtent aussi à réaliser un effort exceptionnel. Le dividende de Kering croît de 30 %, traduisant les bonnes performances de la maison mère de Gucci, dont le flux de trésorerie disponible a presque doublé l’an dernier. LVMH n’est pas en reste, avec un coupon en hausse de 25 %. Sur les cinq années passées, celui-ci a progressé de 12 % par an en moyenne. Nous sommes positionnés sur l’un et l’autre de ces titres. LVMH et Hermès International figurent en bonne place dans le portefeuille du Figaro Bourse.
Le regain de confiance dont bénéficie l’industrie automobile permet également aux constructeurs de se montrer plus généreux. Après avoir repris une distribution l’an dernier (interrompue en 2012), Peugeot SA propose d’augmenter son coupon de 10,4 %. Renault fait passer le sien à 3,55 euros par action (+ 12,7 % en un an).
Dans le CAC 40, seulement deux groupes ont décidé de réduire la voilure: Carrefour, dont le profit net a reculé d’un tiers en 2017, nous avions joué un rebond de l’action à titre spéculatif. Engie, qui ramène son coupon de 1 à 0,70 euro, mais s’engage à le porter à 0,75 euro l’an prochain. Nous misons sur un objectif de cours de 16 euros sur la valeur.

Du grain à moudre pour les "gilets jaunes" ? L'INSEE révèle que les ménages ont perdu près de 500 euros de revenu disponible à cause des réformes fiscales et sociales


Toulouse. Une journée marquée par le durcissement du mouvement