Source : France culture
Une nouvelle loi sécuritaire, qui encadre le droit de manifester, est entrée en vigueur hier (1er juillet) en Espagne. Elle prévoit notamment des amendes allant jusqu'à 600.000 euros pour certaines manifestations non autorisées. Ses détracteurs y voient une atteinte aux libertés les plus fondamentales.
Demonstrators
with their mouths taped sit outside the Spanish parliament during a
protest against Spanish government's new secur Juan Medina © Reuters
De quoi s'agit-il ? Le texte comprend 45 infractions, peut-on lire sur le site de la RTBF. Les manifestations devant le parlement et autres bâtiments officiels sont notamment classées parmi les infractions les plus graves. Ainsi, le fait de protester face au Sénat, devant la Chambre nationale des députés ou tout Parlement régional pourra être puni de 30 000 euros d'amende. Idem si vous refusez de décliner votre identité à un agent des forces de l'ordre. Si vous photographiez un policier en service pendant une manifestation, il vous en coûtera jusqu'à 600 euros Et puis si vous êtes à l’origine de l’organisation d’une activité festive, dans un endroit proscrit par les autorités (par exemple les réseaux de transport), la contravention peut monter jusqu’à 600 000 euros.
Pour ses détracteurs, cette loi ne serait en réalité qu’un moyen, à peine déguisé, de juguler toutes les tentatives de protester contre la politique de rigueur, mise en place par le parti conservateur. Et de fait, c'est vrai qu'en se réappropriant l’espace public, les manifestants ont mis à rude épreuve le pouvoir. Avec la crise économique, des mouvements sociaux ont commencé à se consolider, la protestation sociale s’est généralisée. De ces mouvements sont même nées des formations politiques, comme Podemos, qui forment désormais partie de l'échiquier politique espagnol. En clair, le paysage politique est en train de changer, écrit la directrice adjointe du quotidien EL MUNDO. Ou dit autrement, au travers de cette loi, le gouvernement veut taire la contestation et empêcher que d’autres forces politiques émergent. Et pour ce faire, il est indispensable non seulement de limiter le droit de manifester, mais aussi le droit de relayer les informations concernant l'action citoyenne. Les témoins de brutalité policière, par exemple, ne pourront plus en rendre compte. Et pourtant, rappelle la journaliste, nous avons tous en tête les images enregistrées par des citoyens pendant des rassemblements, qui mettaient en lumière les agissements de la police. Or avec cette nouvelle loi ce ne sera plus possible. En clair, pour les détracteurs de la loi, nous ne pourrons plus être nous-mêmes et nous ne pourrons plus désormais penser librement. Car la pensée libre est liée à la possibilité de se réunir pour parler, s’exprimer dans les places, dans les marchés, dans les rues.
Le texte est même tellement ambiguë que tout et n’importe quoi peut désormais tomber sur le coup de cette loi. Si vous relayez l’information sur une manifestation ou si vous retweetez simplement une information, vous pouvez être considéré comme l’organisateur de ce rassemblement et donc être fautif. En clair, cette loi vise toutes les nouvelles formes de contestations qui se jouent sur les réseaux sociaux. Et c'est d'ailleurs la raison pour laquelle, il y a déjà quelques semaines, le collectif "Hologrammes pour la liberté" avait projeté sur la place des Cortes (où se trouve l'Assemblée nationale), des centaines d’images en 3D représentant des manifestants. Une manière de signifier que ce sera désormais la seule façon de manifester en Espagne, sans être inquiété par la police.
Et puis ce n'est pas tout, car l’entrée en vigueur de cette loi va également de pair avec une double modification du code pénal, lequel entraîne un glissement de la sphère judiciaire à la sphère administrative. En clair, si lors d’un rassemblement, un manifestant était interpellé et mis en garde à vue, il était jusqu'à présent présenté à un juge. Et dans la plupart des cas, ce dernier considérait que l’action du citoyen relevait de la liberté d’expression. Or avec ce nouveau dispositif, le citoyen est éloigné du pouvoir judiciaire. C’est l’administratif qui prendra désormais le relais. En d'autres termes, une fois que le citoyen aura reçu sa contravention, il lui sera plus difficile de la contester. C’est donc la police qui aura désormais le dernier mot, précise à son tour la responsable des enquêtes chez Amnesty international en Espagne.
Interrogé par PUBLICO, un juge ne dit pas autre chose : il estime que cette loi n’a rien à voir avec la sécurité des citoyens. C’est une loi sécuritaire du gouvernement qui fait face à la contestation citoyenne, dit-il, avant d’ajouter : le citoyen est devenu l’ennemi. D'où la conclusion signée cette fois-ci d'un bloggeur hébergé toujours sur le portail de gauche PUBLICO : c'est un triste jour pour la démocratie. Il s'agit d'une régression aussi dure qu'inutile au niveau de la lutte douloureuse que nous avons menée. La démocratie a perdu de sa vigueur. Et nous voilà désormais renvoyés à un passé que nous n'avons pas encore complètement oublié ; à l'époque de la main de fer, de la peur instrumentalisée comme arme politique et de la primauté de l'ordre sur toute divergence.
Par Thomas CLUZEL
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