lundi 13 juillet 2015

« Pour Podemos, le "non" à la troïka est un "oui" à l’Europe »

Source : L'Humanité
 
Carlos Saura León, secrétaire général de Podemos à Palma de Majorque et député du parlement des îles Baléares, estime que le vote de la Grèce est une victoire de la démocratie et des valeurs humanistes.
Que pensez-vous du « non » de la Grèce ?
À Podemos, nous pensons que le « non » à la troïka est un « oui » à l’Europe. Parce que, aussi bien Syriza en Grèce que Podemos en Espagne, nous sommes pour l’Europe, mais à condition d'accueillir les meilleures valeurs européennes, les valeurs humanistes, les valeurs des droits sociaux et civiques qui ont été conquis au XXe siècle et qui se perdent maintenant à cause d’une politique d’austérité qui tente d’humilier les pays du sud en faisant d’eux une colonie de l’Allemagne. Nous pensons que c’est un grand résultat pour le gouvernement de Syriza, et qu’il entre dans les normes démocratiques. Ce qui est préoccupant, c’est que la troïka considère qu’il est plus dangereux de convoquer un référendum que de laisser les institutions supernationales choisir le destin des pays « périphériques ».
Que signifie ce vote pour le peuple ?
L’autre jour, j’écoutais le ministre de l’éducation de l’Équateur, qui parlait du mouvement citoyen que son pays a vécu et qui a placé Rafael Correa à la présidence du pays, en disant que cela a été un triomphe du peuple. C’est ce qui est en train de se passer dans plusieurs pays, comme dans le sud de l’Europe, mais il ne faut pas non plus oublier le sort de l’Allemagne : il y a 8 millions de personnes qui ont un emploi précaire et 25% d’allemands ont un bas salaire. La situation des citoyens européens n’est pas seulement précaire dans le sud. Je crois que ce vote montre qu’il y a une prise de conscience majeure : on réalise que les choses peuvent se faire d’une autre manière.
En France, le vote a été qualifié de « vote de classe ». Qu’en pensez-vous ?
Toutes les régions grecques ont voté « non », mais c’est vrai qu'il y a eu 70 % de « oui » dans certains quartiers riches. On voit très bien qui est d’accord avec les politiques de la troïka ; il y a une alliance entre la minorité sociale privilégiée du sud et celle du nord. À Podemos, nous pensons que les discours qui fonctionnaient au XIXe et au XXe siècles ne fonctionnent plus au XXIe siècle. Parce que quand on parle de « classes sociales » et qu’on utilise la terminologie marxiste, les gens ne s’identifient pas à ce discours. À Podemos, on aspire à expliquer les choses d’une autre manière, parce que nous comprenons que, quand on parle aux gens d’une manière claire, ils sont d’accord avec nous. Les gens sont d’accord avec le fait de récupérer leurs droits sociaux, avec le fait de récupérer la démocratie : les gens ont conscience que la démocratie a été séquestrée par des entreprises multinationales et par des banques corrompues. En Espagne par exemple, les gens ont conscience que la corruption est la cause des coupes sociales, parce qu’il y a une coupure des droits sociaux et une spoliation de la production des richesses des minorités sociales. 
Ce vote peut-il alors changer le point de vue sur les institutions ?
Normalement, les institutions instaurent une hégémonie culturelle qui justifie n’importe quelle décision des institutions, à tel point que certaines personnes qui se disent démocrates en Europe ne sont pas d’accord avec le fait de faire un référendum, alors qu’il n’y a rien de plus démocratique que le fait de demander au peuple s’il veut une chose ou une autre. Dès lors, Syriza, Podemos, et d’autres forces politiques essaient de changer cette hégémonie culturelle. Il s’agit de changer le discours majoritaire et de faire en sorte que beaucoup plus de personnes soient d’accord avec nous, en leur expliquant les choses d’une manière différente. Après un changement dans la manière de penser des gens, il peut y avoir un changement politique et institutionnel. Parce qu’il ne s’agit pas seulement d’entrer dans les institutions, mais il faut avoir un pied dans les institutions, et mille dans la rue, comme le dit Teresa Rodríguez, qui est la numéro un du parti [Podemos] en Andalousie. S’il n’y a pas un grand nombre de gens dans la rue qui appuient nos décisions politiques, on ne peut rien faire pour changer les choses.
Mardi, lors de la réunion des ministres des Finances de la zone euro, peu avant l’Eurogroupe, le ministre espagnol Luis De Guindos était un des rares à ne pas être en faveur d’un « Grexit ». Quelle est la place de l’Espagne dans la résolution du problème grec ?
Le gouvernement espagnol essaie de montrer qu’il y a un lien entre la situation de la Grèce et celle de l’Espagne. Mais si la Grèce triomphe, si elle parvient à imposer des conditions à la troïka, alors cela sera vu comme une victoire de Podemos, comme une victoire du « Si, se puede » (Oui, on peut !), et cela montrera qu’on peut faire les choses d’une tout autre manière. Parce qu’il y a une minorité qui tire des bénéfices des instituions publiques et des institutions supranationales, du FMI, de la BCE. D'une certaine manière, Luis De Guindos souhaite que la Grèce accepte les conditions de la troïka et que cela soit compris comme un échec de Podemos. Mais jusqu’ici, tout ce qu’a fait Syriza a été soutenu par son peuple. Son peuple sait qu’il a un gouvernement courageux. La classe politique qu’on a eue jusqu’à présent en Espagne a été une classe politique qui a accepté absolument tout ce qu’a dit Angela Merkel, le FMI, la BCE et la Commission européenne. Jamais Mariano Rajoy n’est allé négocier avec ces institutions, au contraire, il a accepté toutes les coupes sociales et les réformes demandées par les institutions européennes. Quand cela sera démontré, on verra que ce sont les principales causes qui ont conduit à une augmentation de la dette et à la perte de droits sociaux. On se rendra compte que ce sont des solutions totalement inefficaces, car la dette n’arrête pas d’augmenter, parce qu’il n’y a pas d’économie productive, dynamique, qui permettrait que les gens consomment. On peut voir clairement à qui cette situation profite. Ceux qui en profitent sont les 1 % d’espagnols qui détiennent 70 % des richesses du pays alors que la victime de cette inégalité est le peuple ; par exemple aux Baléares, d’où je suis originaire, l’inégalité sociale a augmenté de 22 % de 2008 à 2012.
Que pensez-vous de la manière dont est négociée la dette grecque ?
Yanis Varoufakis dit que l’économie est une idéologie avec des formules et des équations. Qu’est-ce que cela démontre ? Que la troïka ne veut pas résoudre les problèmes des grecs, mais qu’elle veut humilier les grecs, pour démontrer que la doctrine politique de cette dernière est erronée. L’économie n’est pas une science exacte, mais une pensée idéologique qui se justifie avec des formules et des équations, et qui correspond aux intérêts d’une minorité appliquant ce que dit la troïka.
En plus, en novembre, il y aura des élections en Espagne. La Grèce représente 2 % du PIB brut de l’Europe, et l’Espagne 12 %. Si, en Espagne, on démontre qu’il y a une autre manière de faire de la politique, et que l’espace que la social-démocratie a laissé libre – parce que le partie socialiste espagnol n’est pas démocrate, mais totalement néolibéral –, est utilisé pour montrer qu’on peut s’accroître économiquement tout en aspirant à une société plus égalitaire à l’inverse du néolibéralisme, l’Europe pourrait changer de paradigme.
Quelles seraient alors vos propositions pour la Grèce ?
Pour commencer, le FMI a déjà dit que la dette grecque, telle qu’elle est aujourd’hui, est impayable. Joseph E. Stiglitz, prix nobel d’économie, affirme aussi que cette dette est impayable. Paul Krugman, un autre prix noble d’économie, dit que cette dette doit être restructurée, au risque de rester impayable.
Ce que nous proposons à Podemos, c’est de faire un audit de la dette, c'est-à-dire une étude pour savoir pour quoi a été utilisé l’argent, quelle part de la dette est légale et quelle part est illégale. Ensuite, nous proposons une suppression partielle et une restructuration de la dette, simplement pour que le pays puisse l’assumer. Il y a peu de temps, en 1953, l’Europe - avec la Grèce - a effacé une partie de la dette de l’Allemagne, et aujourd’hui, on voit le contraire, l’Allemagne ne veut pas « pardonner » sa dette à la Grèce ! Enfin, nous proposons des mesures économiques pour qu’il y ait à nouveau de la croissance en Grèce, en s’appuyant sur le retour d’une consommation normale à l’intérieur du pays.
Par exemple, dans le cas des Baléares, nous proposons un processus d’urgence citoyenne, pour tous les gens qui sont dans une situation limite et qui ne peuvent pas affronter le présent, ainsi qu’un plan de sauvetage énergétique, pour les gens qui n’ont pas de gaz, d’eau ni d’électricité, par exemple en hiver. Enfin nous proposons un revenu minimum progressif [ndlr : équivalent du RSA français basé sur un impôt progressif, où les plus riches paient le plus]. Aux Baléares, 1200 millions d’euros annuels sont pris par la corruption. Il faut utiliser cet argent. En Allemagne, le quotidien Das Bild peint les grecs comme des fainéants qui volent l’argent de l’Europe. C’est une représentation très dangereuse véhiculée par les médias. Nous aspirons au contraire à ce que tout les européens soient reconnus comme égaux, avec les mêmes droits. Luis De Guindos travaillait avec Lehman Brothers et Mario Draghi pour Goldman Sachs : finalement, ceux qui travaillaient dans les banques multinationales et qui commencèrent la crise sont ceux qui décident à présent du destin des européens ! L’Europe aspire à d’autres solutions.
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