Des
milliardaires idéalistes Quelle est la manière la plus
efficace de lutter contre les inégalités les plus criantes,
d'éradiquer l'extrême misère dont souffrent encore un milliard
d'êtres humains, de faire reculer la mortalité infantile et
les maladies qui ne sévissent plus que dans les pays
sous-développés ?
Comment faire pour que les très
pauvres le soient moins, aient accès à la santé et à
l’éducation, voient s’ouvrir des perspectives ? On en débat
depuis des décennies sans que se dégage un consensus.
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Répondant à un champion du
libéralisme qui soutenait « qu’il fallait laisser les
riches devenir plus riches car, en vérité, il n’y a pas
encore assez de riches et les taxer davantage n’enrichirait
pas les pauvres », le professeur Jeffrey D. Sachs écrit
: « Les 85 plus grandes fortunes au monde représentent un
total de 2 000 milliards de dollars. Si ces 2 000 milliards
étaient placés dans un fonds et rapportaient 5 % par an, on
disposerait, chaque année, de 100 milliards de dollars
supplémentaires pour améliorer le sort du milliard d’êtres
humains extrêmement pauvres.
Ces 200 millions de
foyers (de cinq personnes en moyenne) recevraient chacun 500
dollars par an et verraient alors leurs vies transformées.
En vérité, ces 100
milliards représentent le montant nécessaire pour nous
permettre de lutter contre le sida, la tuberculose, la
malaria, de vacciner ceux qui ne le sont pas, d’électrifier
les parties du monde qui ne le sont pas, de sortir les plus
pauvres de leur extrême pauvreté. »
Sans le dire expressément, Jeffrey
Sachs souligne que l’argent fourni par l’Aide publique au
développement (APD) est dramatiquement insuffisant pour faire
reculer la misère.
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Le bilan 2014 de cette APD vient
justement d’être rendu public : il est
affligeant.
Une dizaine de pays riches (ou
récemment enrichis) pourraient, eux aussi, verser leur obole à
ce fonds d’aide mais ils ne le font pas ; la plupart des 29
États qui se sont engagés – il y a quarante-cinq ans, devant
l’ONU – à consacrer 0,7 % de leur PIB annuel à aider les pays
pauvres ne mettent même pas un point d’honneur à tenir cet
engagement, qu’ils ont pourtant renouvelé en 2005.
Les États-Unis ne versent que 0,19
% de leur PIB, et l’aide de la France régresse d’année en
année.
Mis à part le Luxembourg, les pays
scandinaves (Danemark, Suède, Norvège) et, heureuse surprise,
le Royaume-Uni, les 25 autres États membres du Comité d’aide
au développement (CAD) n’en sont même pas à la moitié de
l’objectif claironné.
Ils ont versé 134 milliards de
dollars en 2014, soit 0,29 % de leur PIB annuel. Si l’objectif
avait été seulement approché, on en serait à près de 300
milliards de dollars par an et l’on disposerait de ce qui
manque aujourd’hui, selon le Pr Sachs, pour éradiquer
l’extrême pauvreté…
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C’est donc pour répondre à un
besoin réel que Bill et Melinda Gates, alors première fortune
du monde, ont lancé avec leur ami Warren Buffett, autre
milliardaire, Giving Pledge.
Aux termes de cette promesse
de don, à leur demande, plusieurs dizaines de
multimilliardaires se sont engagés à consacrer leur fortune
(de leur vivant ou à leur mort) à l’amélioration du sort
d’êtres humains qui n’ont pas eu leur chance plutôt que de la
laisser à leurs héritiers.
Melinda Gates raconte : « Comme
nous, Warren pense que nous avons réussi et sommes devenus
riches parce que nous avons eu la chance de vivre dans un
pays doté d’infrastructures de qualité, d’un système
éducatif performant, d’axes routiers en bon état… Warren dit
souvent que s’il était né en Tanzanie, il serait, au mieux,
devenu agriculteur…
Nous pensons qu’il
incombe aux milliardaires, mais aussi aux millionnaires et à
ceux qui gagnent plus de 200 000 dollars par an, de donner
l’exemple en offrant leur temps, leur énergie ou leur
argent.
Cent vingt-sept
milliardaires nous ont rejoints depuis cinq ans. La plupart
sont de grands patrons qui ont bâti leur fortune au fil leur
carrière. Il ne leur a pas été facile de réorienter
l’énergie et le talent qu’ils ont déployés dans leur
business vers la philanthropie. Nous observons avec plaisir
que beaucoup d’entre eux se sont pris au jeu…
L’énorme contribution
dont a décidé Warren Buffett – 30 milliards de dollars ! – a
permis, en 2006, de doubler du jour au lendemain le montant
des avoirs de la Fondation Bill et Melinda Gates.
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Au cours de ces quinze
dernières années, nous avons beaucoup investi afin que des
technologies et des innovations largement répandues dans le
monde occidental soient disponibles dans les pays en
développement : si les femmes de Londres, de Paris ou de
Boston peuvent se procurer des contraceptifs dans leurs
pharmacies, il n’y a aucune raison pour qu’une femme
africaine qui le souhaite ne puisse pas en faire autant.
Notre conviction est que
tout enfant a droit à un enseignement de qualité.
L’éducation est un grand égalisateur social et un facteur
clé de la démocratie. »
Melinda et Bill Gates donnent
depuis le début de ce siècle, en plus de leur fortune, leur
temps et leur savoir-faire pour tenter d’améliorer le sort de
millions d’Africains et d’Asiatiques qui n’ont pas eu leur
chance.
Je leur ai donné la parole
longuement pour qu’ils expliquent leur démarche, dont ils
savent qu’elle suscite de l’étonnement et, parfois, des
sarcasmes. On a parlé d’idéalisme forcené, passible de
psychanalyse, de milliardaires en quête de rédemption.
Pour ma part, je crois à la
sincérité absolue de leur discours qui me touche et m’émeut
parce qu’il ne procède d’aucune religion, ne sert aucun pays,
aucune autre cause que celle de la fraternité humaine.
Écoutez Bill Gates nous annoncer au
début de cette année les grands changements qui vont se
produire :
« Nous allons gagner la
bataille contre la mortalité des enfants en bas âge car les
immenses progrès réalisés ont montré à la majorité des gens
que la victoire est à portée de main. Nous avons déjà réduit
cette mortalité de moitié et le chemin qui reste à parcourir
pour éradiquer d’autres maladies n’est plus bien long.
L’extrême pauvreté a déjà
reculé et va continuer de le faire. Les vaccins se
diversifient et sont acheminés jusque dans les endroits les
plus reculés. Les moustiquaires traitées à l’insecticide
prémunissent des millions de gens contre la malaria.
Les prochaines années
verront de nouvelles grandes avancées. La plupart des
habitants des pays pauvres vivront plus longtemps et en
meilleure santé. Ils auront, pour la première fois dans
l’histoire de l’humanité, l’occasion de faire des études et
de se nourrir de façon plus diversifiée. »
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