Publié le 13 juillet sur Mediapart
Le Collectif (du collège) Bellefontaine, regroupant les personnels de l'académie de Toulouse en lutte depuis le mois de novembre contre la réforme de l'éducation prioritaire, réclame de nouveau la levée des sanctions. Une enseignante du collège entame sa 3ème semaine de grève de la faim. « Preuve est faite que l'autonomie des établissements est avant tout une arme pour renforcer la hiérarchie locale laissée libre d'agir en toute impunité et à l'encontre des droits collectifs les plus élémentaires. »
A l'heure où nous publions cette tribune, une enseignante du collège Bellefontaine à Toulouse entame sa 3ème semaine de grève de la faim. Elle fait partie d'un groupe de 6 enseignants sanctionnés par le rectorat de Toulouse, après un très long conflit démarré au mois de novembre 2014. Comment a-t-on pu en arriver à cette extrémité, qu'une enseignante puisse mettre sa santé en péril pour obtenir son maintien sur le poste qu'elle occupait depuis deux ans à la rentrée prochaine ? De quoi cette affaire de Bellefontaine, qui défraye la chronique de l'Education nationale depuis plusieurs semaines, est-elle le symptôme ?
Du 27 novembre au 18 décembre 2014 l'immense majorité des personnels enseignants et éducatifs du collège a mené une longue grève. Leur collège a été choisi pour « préfigurer » la réforme de l'éducation prioritaire (REP+) qui va se généraliser à la rentrée 2015. Or les moyens nécessaires à la mise en place des dispositifs prévus par la circulaire de juin 2014 ne suivent pas. Les personnels réclament le respect de la loi et la prise en compte des travailleurs précaires (surveillants...) dans son application. Ils se heurtent à un mur : celui d'une administration qui considère ne rien devoir à un établissement qui disposerait déjà de tous les moyens nécessaires. Le conflit ne peut alors que se durcir, d'autant que le chef d'établissement, dépassé par les événements, attise les tensions.
En janvier le travail reprend. C'est alors qu'un cycle de répression à l'égard des personnels grévistes est mené par le principal appuyé par les autorités du rectorat et ce, malgré les interventions répétées des organisations syndicales conscientes du pourrissement du climat dans l'établissement. Au bout du compte, à la toute fin de l'année scolaire, ce sont 6 enseignants qui font les frais d'un véritable acharnement administratif et qui sont mutés, une enseignante suite à une commission disciplinaire, les 5 autres par une procédure de mutation « dans l'intérêt du service ». Comment furent-ils choisis ? Notamment sur la base de rapports iniques et mensongers d'un chef d'établissement qui est allé jusqu'à procéder au fichage des personnels en fonction de leur implication dans la grève (meneurs, suiveurs, victimes), méthodes policières s’il en est, reprises sans états d’âme par les autorités dans les dossiers administratifs des collègues.
S'agit-il d'une répression du droit de grève et de l'action syndicale ? Non, assure le rectorat. Pourtant, placée devant les évidences, et une fois battus en brèche tous ses mauvais arguments, la rectrice finit par admettre par voie de presse le 27 juin « Il est clair que nous ne voulons plus voir à la rentrée ceux qui ont pourri l'ambiance au collège ». La brutalité d'une telle démarche tient sans doute à une suite de dysfonctionnements, d'aveuglements, de temporisations calculées et d'autoritarisme de la part de l'administration mais aussi d'une incapacité totale de cette dernière, pour laquelle le principe hiérarchique tient lieu d'argument d'autorité définitif, à admettre ses erreurs.
La souffrance engendrée chez les personnels par ces 6 mois de tensions et par l'injustice fondamentale qui en résulte est immense. Mais surtout, ce conflit de Bellefontaine nous dit autre chose sur les évolutions de l'Education nationale. « Préfigurateur », le collège le fut sur l'autonomie des établissements tant vantée par les réformes en cours. L'éducation prioritaire, devenue depuis quelques années le laboratoire de toutes les expérimentations à venir n'est que la vitrine de ce qui doit se généraliser partout.
Preuve est faite que l'autonomie des établissements est avant tout une arme pour renforcer la hiérarchie locale laissée libre d'agir en toute impunité et à l'encontre des droits collectifs les plus élémentaires. Le conflit de Bellefontaine et ses déplorables conséquences sont annonciateurs d'une nouvelle ère de « gouvernance » dans laquelle il s'agira de caporaliser une main d'œuvre à laquelle on ne reconnaît plus aucune liberté de parole, aucune autonomie de pensée, d'action et de revendication à partir du moment où elle s'éloignera du cadre préétabli. Les enseignants de Bellefontaine comme deux de nos collègues de Colombes dans le 92 pris dans une situation similaire, en payent le prix. Diluer les métiers, accroître les pressions hiérarchiques, individualiser les carrières, réduire la liberté des agents, briser les solidarités horizontales, dénier les droits syndicaux : voilà les dynamiques actuelles de l'éducation nationale. Ces recettes sont connues. Elles ont déjà fait de lourds dégâts dans d'autres administrations et entreprises publiques et privées.
L’école n’est pas devenue une entreprise au sens strict, mais la logique managériale l’a déjà pénétrée en profondeur, se mariant à merveille avec la tradition hiérarchique d'une institution bureaucratisée à l'extrême qui n'a jamais brillé par son respect des droits des agents. Dans un contexte particulièrement réactionnaire, où les postures autoritaristes viennent du sommet de l'Etat et où, dans la foulée des attentats du 11 janvier, une « morale républicaine » s'imposerait à la liberté des enseignants de tout simplement penser les événements avec leurs élèves, les conséquences de ce cocktail répressif n'ont pas fini de se faire sentir.
La répression, corollaire d'une austérité délétère est la seule arme dont dispose désormais une institution qui n'a même plus les moyens d'acheter la paix sociale comme elle le fit souvent par le passé.
C’est l’ensemble de la logique au cœur de cette mutation profonde et insidieuse que nous voulons dénoncer, et contre laquelle nous appelons à une prise de conscience et une mobilisation larges.
C'est enfin, et parce que l'urgence le commande, la levée immédiate de toutes les procédures et sanctions à l'encontre de nos collègues que nous exigeons.
Le Collectif Bellefontaine. Il regroupe les personnels de l'académie de Toulouse en lutte depuis le mois de novembre.
Groupe Facebook (ici)
Le Collectif (du collège) Bellefontaine, regroupant les personnels de l'académie de Toulouse en lutte depuis le mois de novembre contre la réforme de l'éducation prioritaire, réclame de nouveau la levée des sanctions. Une enseignante du collège entame sa 3ème semaine de grève de la faim. « Preuve est faite que l'autonomie des établissements est avant tout une arme pour renforcer la hiérarchie locale laissée libre d'agir en toute impunité et à l'encontre des droits collectifs les plus élémentaires. »
A l'heure où nous publions cette tribune, une enseignante du collège Bellefontaine à Toulouse entame sa 3ème semaine de grève de la faim. Elle fait partie d'un groupe de 6 enseignants sanctionnés par le rectorat de Toulouse, après un très long conflit démarré au mois de novembre 2014. Comment a-t-on pu en arriver à cette extrémité, qu'une enseignante puisse mettre sa santé en péril pour obtenir son maintien sur le poste qu'elle occupait depuis deux ans à la rentrée prochaine ? De quoi cette affaire de Bellefontaine, qui défraye la chronique de l'Education nationale depuis plusieurs semaines, est-elle le symptôme ?
Du 27 novembre au 18 décembre 2014 l'immense majorité des personnels enseignants et éducatifs du collège a mené une longue grève. Leur collège a été choisi pour « préfigurer » la réforme de l'éducation prioritaire (REP+) qui va se généraliser à la rentrée 2015. Or les moyens nécessaires à la mise en place des dispositifs prévus par la circulaire de juin 2014 ne suivent pas. Les personnels réclament le respect de la loi et la prise en compte des travailleurs précaires (surveillants...) dans son application. Ils se heurtent à un mur : celui d'une administration qui considère ne rien devoir à un établissement qui disposerait déjà de tous les moyens nécessaires. Le conflit ne peut alors que se durcir, d'autant que le chef d'établissement, dépassé par les événements, attise les tensions.
En janvier le travail reprend. C'est alors qu'un cycle de répression à l'égard des personnels grévistes est mené par le principal appuyé par les autorités du rectorat et ce, malgré les interventions répétées des organisations syndicales conscientes du pourrissement du climat dans l'établissement. Au bout du compte, à la toute fin de l'année scolaire, ce sont 6 enseignants qui font les frais d'un véritable acharnement administratif et qui sont mutés, une enseignante suite à une commission disciplinaire, les 5 autres par une procédure de mutation « dans l'intérêt du service ». Comment furent-ils choisis ? Notamment sur la base de rapports iniques et mensongers d'un chef d'établissement qui est allé jusqu'à procéder au fichage des personnels en fonction de leur implication dans la grève (meneurs, suiveurs, victimes), méthodes policières s’il en est, reprises sans états d’âme par les autorités dans les dossiers administratifs des collègues.
S'agit-il d'une répression du droit de grève et de l'action syndicale ? Non, assure le rectorat. Pourtant, placée devant les évidences, et une fois battus en brèche tous ses mauvais arguments, la rectrice finit par admettre par voie de presse le 27 juin « Il est clair que nous ne voulons plus voir à la rentrée ceux qui ont pourri l'ambiance au collège ». La brutalité d'une telle démarche tient sans doute à une suite de dysfonctionnements, d'aveuglements, de temporisations calculées et d'autoritarisme de la part de l'administration mais aussi d'une incapacité totale de cette dernière, pour laquelle le principe hiérarchique tient lieu d'argument d'autorité définitif, à admettre ses erreurs.
La souffrance engendrée chez les personnels par ces 6 mois de tensions et par l'injustice fondamentale qui en résulte est immense. Mais surtout, ce conflit de Bellefontaine nous dit autre chose sur les évolutions de l'Education nationale. « Préfigurateur », le collège le fut sur l'autonomie des établissements tant vantée par les réformes en cours. L'éducation prioritaire, devenue depuis quelques années le laboratoire de toutes les expérimentations à venir n'est que la vitrine de ce qui doit se généraliser partout.
Preuve est faite que l'autonomie des établissements est avant tout une arme pour renforcer la hiérarchie locale laissée libre d'agir en toute impunité et à l'encontre des droits collectifs les plus élémentaires. Le conflit de Bellefontaine et ses déplorables conséquences sont annonciateurs d'une nouvelle ère de « gouvernance » dans laquelle il s'agira de caporaliser une main d'œuvre à laquelle on ne reconnaît plus aucune liberté de parole, aucune autonomie de pensée, d'action et de revendication à partir du moment où elle s'éloignera du cadre préétabli. Les enseignants de Bellefontaine comme deux de nos collègues de Colombes dans le 92 pris dans une situation similaire, en payent le prix. Diluer les métiers, accroître les pressions hiérarchiques, individualiser les carrières, réduire la liberté des agents, briser les solidarités horizontales, dénier les droits syndicaux : voilà les dynamiques actuelles de l'éducation nationale. Ces recettes sont connues. Elles ont déjà fait de lourds dégâts dans d'autres administrations et entreprises publiques et privées.
L’école n’est pas devenue une entreprise au sens strict, mais la logique managériale l’a déjà pénétrée en profondeur, se mariant à merveille avec la tradition hiérarchique d'une institution bureaucratisée à l'extrême qui n'a jamais brillé par son respect des droits des agents. Dans un contexte particulièrement réactionnaire, où les postures autoritaristes viennent du sommet de l'Etat et où, dans la foulée des attentats du 11 janvier, une « morale républicaine » s'imposerait à la liberté des enseignants de tout simplement penser les événements avec leurs élèves, les conséquences de ce cocktail répressif n'ont pas fini de se faire sentir.
La répression, corollaire d'une austérité délétère est la seule arme dont dispose désormais une institution qui n'a même plus les moyens d'acheter la paix sociale comme elle le fit souvent par le passé.
C’est l’ensemble de la logique au cœur de cette mutation profonde et insidieuse que nous voulons dénoncer, et contre laquelle nous appelons à une prise de conscience et une mobilisation larges.
C'est enfin, et parce que l'urgence le commande, la levée immédiate de toutes les procédures et sanctions à l'encontre de nos collègues que nous exigeons.
Signataires :
Le Collectif Bellefontaine. Il regroupe les personnels de l'académie de Toulouse en lutte depuis le mois de novembre.
Groupe Facebook (ici)
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