Source : Le Monde
« Le collectif du 22 mai
prend acte des dossiers administratifs vidés et de
l’annulation des procédures disciplinaires et de mutation
dans l’intérêt du service pour six enseignants. » C’est par un
communiqué daté du 17 juillet dénonçant une « gestion inhumaine,
indigne et arbitraire » que s’achèvent huit
mois de conflit entre des enseignants grévistes du collège
Bellefontaine, dans le quartier du Mirail à Toulouse, et le
rectorat. Ce même jour, Laure Betbeder, une enseignante en
grève de la faim depuis vingt-six jours, a stoppé son action « la mort dans
l’âme, toujours outrée par l’attitude de ma hiérarchie ». Très
affaiblie, elle a dû être
hospitalisée.
Il
faut remonter au 27 novembre 2014 pour comprendre les
tensions apparues, les mesures prises et un dénouement
inédit dans l’éducation nationale. Le collège, classé comme
« préfigurateur » de la future réforme voulue par la
ministre de l’éducation Najat Vallaud- Belkacem, est un test
grandeur nature du passage en zone d’éducation prioritaire
(ZEP) en REP+ (réseau d’éducation prioritaire).
Réforme en trompe l’oeil
Mais
une trentaine d’enseignants se met en grève en dénonçant une
réforme qu’ils considèrent en trompe-l’œil. Ils réclament un
accompagnement spécifique pour les élèves de 6e, un temps de présence en
classe abaissé de 10 % – seize heures trente au lieu de
dix-huit heures hebdomadaires – pour ce réseau scolaire
censé bénéficier de moyens accrus par rapport aux anciennes
ZEP.
Selon
l’un des enseignants, « des tensions sont
apparues avec le principal, qui a tout de suite fermé la
porte au dialogue ». Les enseignants
prenant part au mouvement sont tous soit anciens dans le
collège, soit d’autres établissements de ces zones
sensibles, « tous très bien notés et
qui adorent leur métier, assure Laure Betbeder. En fait, on est allés au
clash de suite avec le chef d’établissement, nommé il y a
seulement deux ans. Il était dépassé par le volet
pédagogique. Dès le début il a adopté une attitude
extrêmement répressive et fermée ».
Le
22 mai, cinq enseignants se voient notifier par huissier, à
leur domicile, leur mutation d’office dans l’intérêt du
service, un sixième doit répondre à une procédure
disciplinaire, des décisions confirmées le 18 juin. Le
principal du collège, M. Roques, est lui aussi muté dans un
autre établissement. Dans ces courriers, le rectorat leur
reproche un « manquement à
l’obligation d’exercer leurs missions ». Ils sont
surtout accusés de perturber « gravement
le bon fonctionnement du service public d’éducation ».
Des
conclusions jugées totalement invraisemblables par le
collectif qui dénonce une « répression inédite
envers des grévistes et des procédures tendant à diviser
un mouvement en désignant au hasard six enseignants ». La rectrice
déclarait au Monde, le 22 juin, que « la spirale de
contestation des grévistes, les rapports entre
enseignants, parents d’élèves et avec le chef
d’établissement devenaient intenables ». Elle vient donc de
faire marche arrière après la grève de la faim de Laure
Betbeder, rejointe par sa mère puis par deux autres
professeurs solidaires du collège, et suite au rapport d’une
médiatrice nationale mandatée par le ministère de
l’éducation.
« Panique »
Si
trois enseignants avaient déjà demandé leur mutation et que
Laure Betbeder devrait réintégrer son collège, deux autres
sont encore sous le coup d’un protocole faisant objet de
discussions. Vendredi 17, ni le rectorat ni le ministère
n’ont souhaité s’exprimer. Mais nul doute que ce silence et
ce dénouement devraient laisser des traces dans l’académie.
Le collectif déplore la seule réintégration de Laure au
collège Bellefontaine et constate que deux enseignants
n’ayant pas demandé de mutation se retrouvent pour l’instant
évincés. « Le rectorat reconnaît en
nettoyant les dossiers ses erreurs d’appréciation mais
persiste dans sa répression du mouvement social. »
Pour
Annick Vesperini, professeur et documentaliste, « l’attitude de la
rectrice et de la ministre révèle une panique face aux
mouvements contre la réforme des ZEP. On veut casser toute
contestation dans l’œuf ». Selon elle,
les demandes de mutations explosent : + 45,4 % pour sortir
des dispositifs REP et + 103 % de professeurs qui veulent
quitter leur collège quand il est intégré à l’éducation
prioritaire.
- Philippe Gagnebet (Toulouse,
correspondance)
Journaliste au Monde
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