Source : l'Humanité
75 ans de casse de la sécurité sociale
Jeudi, 14 Mars, 2019
Par Michel Etievent, historien et biographe d’Ambroise Croizat.
En
1945, dans un pays ruiné, le gouvernement de la Libération, sous
l’inspiration du CNR et d’Ambroise Croizat, imposait la Sécurité
sociale. Dans le même pays, en 2019, cinquième puissance du monde, 30 %
des Français renoncent à se soigner. Entre-temps, la « Sécu » est passée
au laminoir.
Plus de soixante-dix ans de casse ont éloigné l’institution de ses principes fondateurs. L’hostilité de la droite et du patronat s’engage dès 1946. Ils évoquent la lourdeur que font peser sur l’économie ce qu’ils nomment des « charges ». Les cotisations sociales ne sont en rien des « charges ». Parties intégrantes de la rémunération, elles sont un salaire socialisé.
Ainsi que l’écrit Michel Cialdella, conseiller CGT : « L’entreprise est le résultat du travail de générations de salariés sans lesquels il n’y a pas de richesse créée. Il est légitime qu’une part de ces richesses aille à leur protection sociale. Les véritables charges sont financières (actionnaires, intérêts). » Tandis que de Gaulle instaure, dès 1960, le contrôle d’État sur les budgets et le renforcement du pouvoir des directeurs, le CNPF lance une violente campagne anti-Sécurité sociale : « Les travailleurs doivent se couvrir eux-mêmes. Les compagnies d’assurances sont faites pour cela. » Les ordonnances de 1967 cassent l’unicité du système. Les élections sont supprimées, tandis que s’impose le paritarisme.
Les plans Barre, Veil accélèrent les déremboursements, alors qu’Yvon Chotard qualifie le système de « machine irresponsable conduisant les hommes à n’acquérir qu’un complexe d’assistés. L’économie va s’effondrer sous les charges » ! Le propos est erroné au regard des chiffres du CNPF lui-même. Selon ce dernier, la part des prestations de Sécurité sociale rapportée au revenu national était de 20,30 pour l’Allemagne, 19,50 seulement pour la France. Instauration du forfait hospitalier, décrets Dufoix, plan Seguin prolongent la baisse des remboursements.
En 1990, Michel Rocard instaure la Contribution sociale généralisée. Ouvrant la fiscalisation accélérée de la Macronie, elle désengage les entreprises en ponctionnant salariés et retraités. Viendront les réformes Veil-Balladur qui font passer à quarante ans la durée de cotisation pour le droit à une retraite pleine, tandis qu’avec A. Juppé, naît la Contribution au remboursement de la dette sociale. Ainsi se dirige-t-on, selon le Syndicat des médecins libéraux, vers « le grand tournant libéral annonçant la fin du monopole de la Sécurité sociale en partenariat avec AXA ». Ce projet se précise jusqu’en 2013 : instauration des franchises, réforme des retraites, exonérations de cotisations patronales estimées en 2018 à 25 milliards d’euros ! Ces déstructurations servent un objectif clair : privatiser l’outil. L’argent de la Sécurité sociale, 537 milliards d’euros, suscite des appétits. Claude Bébéar, président d’AXA, déclarait : « La santé est un marché, la concurrence doit s’exercer librement. »
Centrée sur l’obsession de la réduction des coûts salariaux, la gestion capitaliste pousse à organiser l’exclusion de nombreux salariés et augmenter le poids supporté par la Sécurité sociale. Aucun instrument d’analyse n’a été prévu pour mesurer les effets bénéfiques de la « Sécu ».
La comptabilité n’enregistre que les coûts, négligeant les effets des prestations dans la santé de la nation. Citons en quelques-unes : moteur du développement, la Sécurité sociale stimule la recherche et les progrès de la médecine. Elle est un vecteur de l’allongement de la durée et de la qualité de la vie. N’oublions pas également le rôle joué par l’institution lors des « crises » financières. Fondée sur la solidarité, elle a fonctionné comme un « amortisseur social ». Même ses pourfendeurs louent son efficacité. Ainsi, Christine Lagarde : « La Sécurité sociale a été critiquée pour sa lourdeur, mais en période de crise, contrairement aux autres nations, elle nous aide fortement à résister au ralentissement économique. » Belle reconnaissance quand on songe que Denis Kessler incitait à détricoter un « système ringard, hérité du CNR, des communistes et de la CGT ». La recherche de la rentabilité pousse à réduire les dépenses considérées comme des « charges ». C’est cette logique qu’il faut changer en tenant compte des besoins vitaux de la population. Il convient tout d’abord de consolider un système assis sur la création de richesses dans l’entreprise.
Ce type de financement s’inscrit dans une logique de responsabilisation des entreprises sur la protection sociale. Plusieurs mesures pourraient être engagées dont une réforme de l’assiette des cotisations. Sa base de calcul n’a pas évolué à la même vitesse que les modes de production ou les marchés boursiers.
Près de 318,2 milliards de revenus financiers échappent au financement de la protection sociale. Soumis à cotisations, ils rapporteraient 84 milliards. Que dire des paradis fiscaux où s’évadent près de 100 milliards ! Évasion fiscale rime aussi avec « évasion d’emplois ». Cette hémorragie est autant de cotisations perdues.
Une politique de protection sociale exige une ambitieuse politique de l’emploi (1 % de masse salariale représente 2 milliards d’euros pour la Sécurité sociale). Elle ne peut se passer d’un programme de prévention. Selon une enquête, près de 2 millions de personnes travaillent dans des milieux cancérigènes. Le coût des maladies professionnelles représenterait 68 milliards d’euros !
L’avenir réclame, parallèlement, une autre gestion de la filière pharmaceutique, une maîtrise publique dans le sillage d’une nationalisation. S’impose enfin une gestion démocratique de la protection sociale. Il est plus qu’urgent de revenir à des conseils d’administration disposant de véritables pouvoirs sous le contrôle des salariés et des usagers.
Plus de soixante-dix ans de casse ont éloigné l’institution de ses principes fondateurs. L’hostilité de la droite et du patronat s’engage dès 1946. Ils évoquent la lourdeur que font peser sur l’économie ce qu’ils nomment des « charges ». Les cotisations sociales ne sont en rien des « charges ». Parties intégrantes de la rémunération, elles sont un salaire socialisé.
Ainsi que l’écrit Michel Cialdella, conseiller CGT : « L’entreprise est le résultat du travail de générations de salariés sans lesquels il n’y a pas de richesse créée. Il est légitime qu’une part de ces richesses aille à leur protection sociale. Les véritables charges sont financières (actionnaires, intérêts). » Tandis que de Gaulle instaure, dès 1960, le contrôle d’État sur les budgets et le renforcement du pouvoir des directeurs, le CNPF lance une violente campagne anti-Sécurité sociale : « Les travailleurs doivent se couvrir eux-mêmes. Les compagnies d’assurances sont faites pour cela. » Les ordonnances de 1967 cassent l’unicité du système. Les élections sont supprimées, tandis que s’impose le paritarisme.
Les plans Barre, Veil accélèrent les déremboursements, alors qu’Yvon Chotard qualifie le système de « machine irresponsable conduisant les hommes à n’acquérir qu’un complexe d’assistés. L’économie va s’effondrer sous les charges » ! Le propos est erroné au regard des chiffres du CNPF lui-même. Selon ce dernier, la part des prestations de Sécurité sociale rapportée au revenu national était de 20,30 pour l’Allemagne, 19,50 seulement pour la France. Instauration du forfait hospitalier, décrets Dufoix, plan Seguin prolongent la baisse des remboursements.
En 1990, Michel Rocard instaure la Contribution sociale généralisée. Ouvrant la fiscalisation accélérée de la Macronie, elle désengage les entreprises en ponctionnant salariés et retraités. Viendront les réformes Veil-Balladur qui font passer à quarante ans la durée de cotisation pour le droit à une retraite pleine, tandis qu’avec A. Juppé, naît la Contribution au remboursement de la dette sociale. Ainsi se dirige-t-on, selon le Syndicat des médecins libéraux, vers « le grand tournant libéral annonçant la fin du monopole de la Sécurité sociale en partenariat avec AXA ». Ce projet se précise jusqu’en 2013 : instauration des franchises, réforme des retraites, exonérations de cotisations patronales estimées en 2018 à 25 milliards d’euros ! Ces déstructurations servent un objectif clair : privatiser l’outil. L’argent de la Sécurité sociale, 537 milliards d’euros, suscite des appétits. Claude Bébéar, président d’AXA, déclarait : « La santé est un marché, la concurrence doit s’exercer librement. »
Centrée sur l’obsession de la réduction des coûts salariaux, la gestion capitaliste pousse à organiser l’exclusion de nombreux salariés et augmenter le poids supporté par la Sécurité sociale. Aucun instrument d’analyse n’a été prévu pour mesurer les effets bénéfiques de la « Sécu ».
La comptabilité n’enregistre que les coûts, négligeant les effets des prestations dans la santé de la nation. Citons en quelques-unes : moteur du développement, la Sécurité sociale stimule la recherche et les progrès de la médecine. Elle est un vecteur de l’allongement de la durée et de la qualité de la vie. N’oublions pas également le rôle joué par l’institution lors des « crises » financières. Fondée sur la solidarité, elle a fonctionné comme un « amortisseur social ». Même ses pourfendeurs louent son efficacité. Ainsi, Christine Lagarde : « La Sécurité sociale a été critiquée pour sa lourdeur, mais en période de crise, contrairement aux autres nations, elle nous aide fortement à résister au ralentissement économique. » Belle reconnaissance quand on songe que Denis Kessler incitait à détricoter un « système ringard, hérité du CNR, des communistes et de la CGT ». La recherche de la rentabilité pousse à réduire les dépenses considérées comme des « charges ». C’est cette logique qu’il faut changer en tenant compte des besoins vitaux de la population. Il convient tout d’abord de consolider un système assis sur la création de richesses dans l’entreprise.
Ce type de financement s’inscrit dans une logique de responsabilisation des entreprises sur la protection sociale. Plusieurs mesures pourraient être engagées dont une réforme de l’assiette des cotisations. Sa base de calcul n’a pas évolué à la même vitesse que les modes de production ou les marchés boursiers.
Près de 318,2 milliards de revenus financiers échappent au financement de la protection sociale. Soumis à cotisations, ils rapporteraient 84 milliards. Que dire des paradis fiscaux où s’évadent près de 100 milliards ! Évasion fiscale rime aussi avec « évasion d’emplois ». Cette hémorragie est autant de cotisations perdues.
Une politique de protection sociale exige une ambitieuse politique de l’emploi (1 % de masse salariale représente 2 milliards d’euros pour la Sécurité sociale). Elle ne peut se passer d’un programme de prévention. Selon une enquête, près de 2 millions de personnes travaillent dans des milieux cancérigènes. Le coût des maladies professionnelles représenterait 68 milliards d’euros !
L’avenir réclame, parallèlement, une autre gestion de la filière pharmaceutique, une maîtrise publique dans le sillage d’une nationalisation. S’impose enfin une gestion démocratique de la protection sociale. Il est plus qu’urgent de revenir à des conseils d’administration disposant de véritables pouvoirs sous le contrôle des salariés et des usagers.
Michel Étiévent
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