mardi 12 février 2019

Pourquoi la semaine de travail de 4 jours a le vent en poupe

Source : Le Huffington post

Dans le monde entier, des entreprises réduisent la durée de la semaine de travail, afin d’éviter le surmenage et d’améliorer le bien-être de leurs employés.

VIE DE BUREAU - Dans les bureaux de la société informatique Monograph, à San Francisco, le mercredi est affectueusement qualifié de "week-end du milieu de semaine". C'est le jour où la plupart des gens choisissent de ne pas travailler, en plus du samedi et du dimanche.
Il y a trois ans, Moe Amaya et ses cofondateurs, Alex Dixon et Robert Yuen, travaillaient sept jours sur sept au démarrage de leur start-up spécialisée dans la création de logiciels pour les architectes. Mais ils ne voulaient pas de cette culture pour leur personnel. Alors, quand ils ont commencé à embaucher, ils ont créé la semaine de quatre jours qui permet aux employés de choisir leur jour de congé. Les vendredis facilitent les longs trajets, mais les mercredis semblent avoir davantage la cote.
"Le milieu de semaine est le moment parfait pour réinitialiser son cerveau quand on travaille sur des problèmes difficiles. On peut ainsi se remettre au travail le jeudi et avoir la force mentale d'avancer, explique Moe Amaya. Le principal avantage, c'est de pouvoir travailler sur des projets en parallèle. Chez Monograph, avoir ses propres projets fait partie de notre culture."
Monographie
Moe Amaya, fondateur de Monograph, a mis en place la semaine de quatre jours dès la création de son entreprise.
L'équipe est encore petite – huit personnes – mais il affirme que l'expérience a suffisamment bien fonctionné pour qu'il "n'ait aucune intention de changer". Les éditeurs de logiciels sont généralement des gestionnaires de temps efficaces, dit-il, mais "nous avons choisi d'appliquer le principe selon lequel plus d'efficacité signifie moins de travail."
C'est inhabituel, mais pas unique. L'idée de travailler quatre jours, tout en restant suffisamment productif pour être payé cinq jours, suscite un intérêt croissant dans le monde entier.
La société fiduciaire néo-zélandaise Perpetual Guardian a fait les gros titres l'an dernier pour avoir mis en place une semaine de 32 heures sans réduire les salaires. La capitale de l'Islande, Reykjavik, a récemment testé une semaine de travail réduite (jusqu'à cinq heures en moins) pour certains employés municipaux, sans que cela ait une incidence sur la productivité.
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Reykjavik, en Islande, a testé des semaines de travail plus courtes.
Aux États-Unis, certains secteurs scolaires, du Colorado à l'Oklahoma, ont mis en place des semaines de quatre jours pour économiser de l'argent sur la nourriture et les transports, les enseignants dispensant autant d'heures de cours en moins de jours, mais sur des journées plus longues. Même au Japon, pays connu pour sa culture du travail, certaines entreprises proposent le lundi matin chômé.
En Grande-Bretagne, la confédération syndicale Trades Union Congress réclame une semaine universelle de quatre jours d'ici à la fin du siècle, arguant que tout gain de productivité résultant de l'intelligence artificielle ou de l'automatisation devrait être utilisé au profit de tous.
L'idée de travailler plus intelligemment, au lieu de plus longtemps, séduit les salariés en burn-out, les parents désireux de passer plus de temps avec leurs enfants, la génération Y, soucieuse de sa santé mentale, et même les écologistes qui cherchent à réduire la pollution due aux trajets quotidiens.

Des échecs, aussi

Pourtant, les échecs sont aussi nombreux que les succès. En 2015, la société américaine Treehouse, spécialisée dans les programmes éducatifs, déclarait qu'elle se passerait de managers et qu'elle instaurerait une semaine de quatre jours. "Pour moi, la semaine de 40 heures, c'était: jamais de la vie. On travaillerait 32 heures, point barre. Les règles, on les écrirait nous-mêmes", se souvenait le fondateur, Ryan Carson, l'an dernier dans un entretien à GrowthLab. Mais au fil du temps, il a changé d'avis.
"Ça a généré en moi un manque d'éthique du travail. En fait, c'était une très mauvaise idée." La société a fini par faire appel à des cadres intermédiaires puis, en 2016, elle a suspendu la semaine de quatre jours. Ryan Carlson lui-même travaille désormais 65 heures par semaine. "Je pense qu'on peut travailler plus intelligemment, mais aussi qu'on peut travailler plus dur. Il faut faire les deux", estime-t-il.
Mais cela est-il vrai pour tout le monde?
Selon une étude menée dans huit pays, dont les États-Unis, publiée l'an dernier par le Workforce Institute, un groupe de réflexion rattaché à la société de logiciels et de services de gestion du personnel Kronos Incorporated, trois personnes sur quatre préféreraient travailler moins de cinq jours par semaine.

Pas de modèle unique

Le rapport n'a finalement pas préconisé une semaine de 32 heures pour tous parce que, comme l'explique la DG Joyce Maroney au HuffPost, " il n'existe pas, selon moi, un modèle unique". Mais dans un contexte de guerre des talents, elle pense que les employeurs devraient être ouverts à de nouvelles idées, en particulier dans les carrières où le travail à domicile n'est pas réaliste.
"La responsabilité des employeurs est d'y voir clair. Quels sont les objectifs réalisables pour notre entreprise, comment pouvons-nous aider les personnes à concilier bien-être physique et besoins hors du travail avec des objectifs de productivité?" C'est particulièrement vrai, dit-elle, pour la "génération sandwich" qui s'occupe à la fois de ses enfants et de ses parents.
Pour Aidan Harper, membre de la campagne londonienne 4-Day Week, qui préconise des heures de travail réduites, les couples les plus jeunes, désireux d'équilibrer les heures de garde des enfants et un travail rémunéré plus équitablement, sont aussi à l'origine de ce changement de mentalité. "Les jeunes pères veulent passer du temps avec leurs enfants. De plus en plus de femmes veulent avoir une carrière. Il s'agit de redistribuer le travail à temps plein entre les sexes, et le travail non rémunéré au sein du foyer."
Mais il pense également que la crise de 2008, la faible croissance des salaires et l'insécurité liée à l'économie de marché exacerbent ce sentiment plus général qu'"il y a quelque chose qui cloche dans la façon dont le travail fonctionne".

L'insatisfaction au travail

Et puis, il y a l'idée de plus en plus répandue, que résume bien le best-seller de David Graeber, Bullshit Jobs: A Theory, selon laquelle de nombreux emplois modernes ont peu de valeur réelle. "Ce sentiment d'insatisfaction très répandu à l'égard du travail, combiné au fait qu'un congé maladie sur quatre est imputable au surmenage, a créé les conditions au sein de nos sociétés pour penser qu'on devrait travailler moins", ajoute Aidan Harper.
De tels changements ont déjà eu lieu. Les semaines de six jours étaient courantes aux États-Unis et en Europe jusqu'au début du XXe siècle. Comme on le sait, Henry Ford a augmenté sa productivité en 1914 en réduisant la journée à huit heures, et en doublant les salaires. Le changement s'est généralisé sous la pression des syndicats mais aussi de la Grande Dépression, lorsque les employeurs ont cherché à répartir un travail raréfié.
La meilleure option pour réduire la semaine est toutefois de permettre aux gens de produire la même quantité en moins de temps. En pratique, cela signifie automatiser ou abandonner les activités qui font perdre du temps et se concentrer sur l'essentiel.

Poser la question aux employés

"Réfléchissez et demandez à votre personnel ce qu'il faudrait pour gagner une heure, conseille Joyce Maroney. Cela ne veut pas dire que toutes les idées proposées vont être géniales, mais les personnes qui accomplissent le travail en question tous les jours en ont une meilleure idée."
Si on compte le nombre d'heures consacrées à des réunions inutiles, à répondre à des e-mails ou à bavarder (soyez honnête), la plupart des gens travaillent (au sens strict) moins qu'ils ne le pensent. Près de la moitié des personnes interrogées dans le cadre de l'étude sur la main-d'œuvre ont estimé que, si elles n'étaient pas interrompues, elles pourraient terminer leur travail en moins de cinq heures par jour.
Ce qui était, selon moi, particulièrement utile, c'est que les salariés ont dû réfléchir à ce qu'ils faisaient réellement et aux aspects les plus importants de leur travail. Jarrod Haar, professeur de gestion des ressources humaines.
C'est pendant des vacances de Noël consacrées à la lecture sur la relation complexe entre les heures de travail et l'efficacité qu'Andrew Barnes, le fondateur de l'organisation néo-zélandaise Perpetual Guardian, a eu l'idée de tester une semaine plus courte. Sa seule condition: abattre la même quantité de travail.
Jarrod Haar, professeur de gestion des ressources humaines à l'Université de technologie d'Auckland, a eu la possibilité d'étudier gratuitement le personnel d'Andrew Barnes réfléchissant à ce qui pouvait être abandonné pour passer d'une semaine de travail de 40 heures à 32 heures.
"Une équipe a déclaré avoir l'habitude d'organiser une réunion de deux heures tous les lundis. Elle l'a désormais réduite à 30 minutes toutes les deux semaines. Voilà un exemple de ce que vous pourriez faire différemment si vous en aviez la possibilité, se souvient-il. Ce que j'ai trouvé particulièrement utile, c'est que les salariés ont dû réfléchir à ce qu'ils faisaient réellement et aux aspects les plus importants de leur travail."

Davantage de temps pour la famille

Sans surprise, il a constaté une amélioration de l'équilibre travail-vie privée en menant des enquêtes auprès de 120 salariés avant et après la période test: davantage de temps consacré à la famille, à la pratique d'un sport et aux études, une attitude plus positive à l'égard de la vie, une réduction du stress et le sentiment que l'entreprise se souciait de leur bien-être.
De manière plus inattendue, les salariés ont signalé une moindre exigence perçue au travail, même s'ils travaillaient théoriquement de manière plus intensive pour maintenir la même performance, et davantage d'entraide entre collègues. L'un des bémols: la difficulté de s'absenter, que ce soit pour congés ou maladie.
En dépit de ce que Jarrod Haar appelle des réticences de la part du conseil d'administration, Perpetual Guardian a adopté sa semaine de quatre jours, bien que le personnel puisse être invité à travailler cinq jours en période de pointe. Près de 50 entreprises ont manifesté leur envie de lui emboîter le pas.
Le principal obstacle pour les entreprises américaines est culturel, explique Moe Amaya. "Si vous avez une conviction profonde dans la manière de faire des affaires aux Etats-Unis, cela ne fonctionnera pas. Vous devez vous engager à adopter un mode de vie plus équilibré et à apprécier le changement. Bien que les progrès soient un peu plus lents, vous aurez plus de temps pour réfléchir, prendre de meilleures décisions à long terme, et vos employés seront plus heureux et productifs."
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Une semaine de travail plus courte permet aux parents de passer plus de temps avec leurs enfants.
Jarrod Haar pense que ce modèle convient aux industries où les flux de travail sont prévisibles et où les processus administratifs ne sont pas trop rigides. "Si vous avez un lieu de travail où les employés sont débordés et que, par conséquent, vous ne pouvez pas accomplir votre travail, même en cinq jours, je doute que cela soit très efficace", estime-t-il.
"Pourrait-on appliquer cela à un hôpital, par exemple? Voilà l'exemple type de système où il n'y a pas assez de marge de manœuvre." Si c'est vrai, cette méthode ne sera peut-être d'aucune aide aux travailleurs les plus stressés.
Mais cela peut aussi ne pas convenir aux personnes qui aiment vraiment leur travail. Jarrod Haar lui-même travaille parfois six jours par semaine, parce que "je fais beaucoup de choses que j'aime vraiment". Et même si le personnel de Monograph a une semaine de quatre jours, Moe Amaya admet qu'il a du mal à réduire ses heures s'il veut développer son entreprise.
Pour ceux qui ne sont pas encore prêts pour un changement radical, il reste encore beaucoup à faire pour réduire la semaine de travail. Joyce Maroney cite la politique de congés illimités de Kronos, qui permet à ses employés de prendre autant de jours de vacances qu'ils le souhaitent dans la mesure où ils se mettent d'accord avec leurs managers pour gérer leur charge de travail.
Elle a ajouté que les congés annuels n'augmentaient en moyenne que de 2,5 jours car le personnel avait choisi de privilégier les journées plus courtes que les jours de congés supplémentaires. "Ils partent plus tôt une fois par semaine pour aller à la séance d'entraînement de leurs enfants, ou rendre visite à leur mère", conclut-elle. Ce n'est pas une révolution, mais c'est un début.
La rubrique "This New World" du HuffPost américain est financée par Partners for a New Economy et le Fonds Kendeda. Tous les contenus sont totalement indépendants sur le plan éditorial, et libre de toute influence de la part des fondations.
Cet article, publié sur le HuffPost américain, a été traduit par Karine Degliame-O'Keeffe pour Fast ForWord.
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