vendredi 15 février 2019

François Deluga : « La porte à la privatisation du CNFPT est ouverte ! »

[Interview]

francois deluga_cnfpt
patricia marais
Le président du Centre national de la fonction publique territoriale a vivement réagi à la présentation la veille du rapport de Belenet et Savatier sur l’articulation entre l’établissement public et les centres de gestion. Il qualifie les propositions des deux parlementaires « d’extrêmement dangereuses ». Il dénonce une « remise en cause de la décentralisation ».

Pourquoi estimez-vous que le rapport du député Jacques Savatier et du sénateur Arnaud de Belenet est délétère pour le monde territorial ?

Leurs propositions sont extrêmement dangereuses. Leur mise en œuvre conduiraient ni plus ni moins à la remise en cause de la décentralisation. Elles ouvrent la porte de la privatisation du CNFPT. Et ne répondent pas aux demandes de clarifications et de simplifications du gouvernement. Au contraire, elles apportent de la complexité.
L’architecture de la décentralisation repose sur la libre administration des collectivités, le statut, les centres de gestion, et le CNFPT. Personne ne demande de « structure chapeau » ! Je suis en désaccord absolu. Passer un contrat de trois ans entre cette structure et le CNFPT, conclure une délégation de service public (ce qui prend 18 à 24 mois) fossiliserait la formation. Il faudrait cinq ans pour pouvoir avancer sur l’adéquation de l’offre aux besoins des collectivités… Sans compter que cela amènerait aussi à dépenser plus d’argent. On nous propose un système complexe semblable à la  loi NOTRe !

Pour les deux parlementaires, le CNFPT ne répond qu’à hauteur de 40% des besoins en formation du secteur public local. Que répondez-vous ?

Il y a confusion. En euros, le CNFPT ne pèse que 40% de l’ensemble, mais parce que nos coûts de jours de formation sont moindres. En nombre de jours formation et de stagiaires, nous assurons 55% des formations. Le reste est assuré en partie par les collectivités en interne. Le secteur privé, lui, n’assure que 30% des besoins de formation…  mais coûte 60% aux collectivités de la dépense de formation.

La question de la réponse aux besoins de grandes collectivités est toutefois posée…

Pour les grandes collectivités, nous formons leurs formateurs. Nous allons par ailleurs signer avec Régions de France une convention pour former les agents des régions. Nous venons également de conclure un partenariat avec la région Normandie. Nous avons rencontré plusieurs fois France Urbaine. Si nous ne répondions pas à leurs besoins, cela ne pourrait pas se faire.
Sur 100 jours de formation-stagiaires, 40% des cas font l’objet d’un partenariat avec les collectivités et sont donc réputés être en adéquation avec leurs besoins. 10% concernent les préparations aux concours, donc ne rentrent pas dans ce champ. Les 50% restant sont constitués de formations obligatoires et de notre catalogue de formation qui représente 30% à 35%. C’est sur cette dernière partie que la question pourrait se poser. Mais il ressort des évaluations que le taux de satisfaction des stagiaires se situe entre 7 à 8 sur 10.

Il est aussi reproché au CNFPT de ne rendre de compte à personne. Qu’en est-il ?

Il n’est pas vrai que le CNFPT ne rend pas de comptes. Le rapport n’avance aucun argument qui explique pourquoi nous ne serions pas en adéquation avec les besoins des collectivités. Par exemple, sur les plans de formation, la loi n’est pas adaptée. Il faut la retravailler.
Aujourd’hui, seulement 30% des collectivités ont un plan de formation et seules 10% nous l’envoient. Or le CNFPT doit élaborer son programme de formation en fonction de ces besoins. Le système dysfonctionne dans les collectivités, pas au CNFPT. Pour compenser, nous avons mis en place des référents territoires, des contrats avec les collectivités, des négociations permanentes avec elles pour voir leurs besoins.

Et sur le plan financier ?

Nos règles budgétaires et comptables sont régies par une nomenclature comptable spécifique (M831), que nous complétons avec la M14 pour en combler les lacunes. Nous sommes plus contrôlés qu’une collectivité ! La Cour des comptes regarde nos comptes. Chaque année, elle vérifie auprès de nous le suivi de ses recommandations. Nos comptes sont publiés.
Nous avons demandé à être éligible à la M57, donc au processus de certification des comptes. Nous n’avons pas eu de réponse de l’Etat.

Le CNFPT est-il sur une trajectoire « d’attrition », comme le craignent Jacques Savatier et Arnaud de Belenet ?

On en est très loin. D’ailleurs, le rapport dit dans sa première partie que cette trajectoire est efficiente, que nous avons fait des efforts. Mais paradoxalement, sa deuxième partie conclut l’inverse…

L’une des propositions est de changer le statut du CNFPT pour le transformer en établissement public industriel et commercial (EPIC). Qu’en pensez-vous ?

Un EPIC a des activités majoritairement industrielles et commerciales. Un établissement public administratif, comme nous sommes aujourd’hui, a majoritairement des activités de service public. Le rapport souligne que les centres de gestion ont des missions principales et des activités annexes. Il devrait donc reconnaître que les centres de gestion pourraient aussi être transformés en EPIC.
Nous ne sommes pas contre l’idée de développer des activités annexes relevant du champ concurrentiel. Mais notre objet est de former les agents territoriaux, en mutualisant, avec des formations égales pour tous, une égalité d’accès, etc.
Mais les centres de gestion se présentent comme des outils de mutualisation sans que leurs services n’entrent pas dans le champ concurrentiel. On est sur la logique du « In house ».
Nous ne sommes pas contre l’idée de développer des activités annexes relevant du champ concurrentiel. Mais notre objet est de former les agents territoriaux, en mutualisant, avec des formations égales pour tous, une égalité d’accès, etc. Se confronter à la concurrence nous obligerait pour parvenir à l’équilibre financier d’être sur une autre logique.

Créer une organisation représentative des employeurs territoriaux avec la responsabilité de gérer et de répartir les financements, est-ce une bonne idée ?

Ce n’est pas une demande des élus. Nous sommes même hostiles à ce modèle. Comment arbitrer entre le CNFPT et 99 centres de gestion pour répartir le financement ?
Créer une sorte de holding, ce serait recréer un échelon supplémentaire avec les mêmes élus qui siègent au conseil d’administration du CNFPT.
Personne ne veut l’institutionnalisation de la représentation des employeurs. Créer une sorte de holding, ce serait recréer un échelon supplémentaire avec les mêmes élus qui siègent au conseil d’administration (CA) du CNFPT. Pourquoi les élus décideraient davantage dans cette instance qu’au conseil d’administration du CNFPT ? Est-ce à dire que les 17 élus du CA ne sont pas capables de décider ? Faudrait-il que le président du CNFPT soit mis en minorité pour le démontrer ? Les décisions au CNFPT sont le fruit de négociations.

La coordination des employeurs territoriaux, le « Medef territorial » créé en septembre dernier, n’a-t-elle pas conduit les rapporteurs vers cette idée ?

Institutionnaliser n’est pas l’idée. Ce serait contraire à la libre administration des collectivités. Cette coordination n’est pas une structure qui va diriger, sinon l’Association des maires de France s’en retirerait.
Les rapporteurs sont vraiment sur l’idée d’une privatisation du modèle.
Les rapporteurs sont vraiment sur l’idée d’une privatisation du modèle. Mais c’est un modèle que ne peuvent pas accepter ni les associations d’élus, ni les organisations syndicales. Car au passage, cela reviendrait à supprimer le paritarisme, ce qui est inacceptable. La formation est à destination des agents.
Il y aura un front uni contre la déclinaison du privé sur le secteur public.
Il ne s’agit que d’un rapport avec nombre d’idées qui ne sont pas portées par le monde territorial. Nous sommes pour améliorer les choses, pour les faire évoluer… mais pas pour les déconstruire. Il y aura un front uni contre la déclinaison du privé sur le secteur public.

La mise en œuvre du compte personnel de formation (CPF) va cependant nécessiter des passerelles entre le privé et  le public… Les rapporteurs évoquent un coût pour la territoriale de 10 milliards d’euros. Vous confirmez ?

Si 100% des agents arrivaient au taux maximum de 5000 euros en même temps et si le CPF était monétisé, on arriverait sur ce montant. Mais cela n’arrivera jamais. Qui plus est, le jour formation CNFPT coûte 136 euros, quand le privé tourne autour de 400 à 600 euros.
Or aujourd’hui, il n’y a pas d’outil de mutualisation, c’est le dernier employeur qui doit financer le CPF. Cela risque de peser sur les recrutements : aucune collectivité ne voudra embaucher un agent avec un CPF plein.
Le CNFPT a fait une offre pour être l’interface entre les fonds et les collectivités et pour estampiller des formations CPF. Nous n’avons pas eu de réponse.

L’apprentissage est une autre question épineuse avancée dans le rapport. Le CNFPT ne remplirait pas ses obligations. Qu’en est-il ?

Il y a actuellement un blocage :  la loi Pénicaud a oublié de prévoir le financement pour les apprentis et les CFA publics. Au 31 décembre 2019, il n’y aura plus de financement. Là aussi nous avons proposé des solutions. La cotisation CNFPT n’est pas faite pour financer l’apprentissage.

Le projet de loi sur la fonction publique ne prévoit pour le moment qu’une seule disposition sur le CNFPT en son article 18, à savoir la remise, chaque année, au Parlement d’un rapport portant sur son activité et sur l’utilisation de ses ressources. Que craignez-vous des débats qui s’ouvrent ?

Nous envoyons déjà chaque année un rapport aux parlementaires. Mais s’il n’y pas grand-chose dans le projet de loi, des amendements pourraient être déposés. Ce serait une manière d’échapper aux études d’impact. Nous sommes conscients de ce qu’attendent de nous les collectivités. Mais nous sommes prêts à relever le challenge et, surtout, nous sommes aujourd’hui en capacité de le faire.

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