Source : l'Humanité
Jeudi, 14 Février, 2019
Le
Sénat a donné son feu vert à la privatisation de l’ex-GDF Suez. Le
groupe, dont les dirigeants célébraient le marché à sa création, verse
de juteux dividendes grâce aux activités régulées.
Après
le rejet des privatisations d’Aéroports de Paris (ADP) et de la
Française des jeux (FDJ), le Sénat a finalement offert un lot de
consolation au gouvernement. Il a donné son feu vert à une privatisation
quasi totale d’Engie. Le 6 février dernier, dans le cadre de l’examen
de la loi Pacte, la majorité de droite a adopté l’article supprimant le
seuil minimal de détention par l’État du capital qu’il détient encore
dans le groupe né de l’absorption de Gaz de France par Suez en 2008. Une
fois le texte définitivement adopté, le gouvernement pourra céder les
23,61 % d’actions que l’état possède encore. Les précédentes cessions
sont pourtant loin d’avoir eu les effets promis.
Les rêves de gigantisme évanouis
Quatorze ans après la transformation de GDF en société
anonyme et la première ouverture du capital, les rêves de gigantisme se
sont évanouis. Les promesses de faire du groupe, grâce à la fusion avec
Suez, « le deuxième grand acteur énergétique français » après EDF, « le
numéro 1 mondial du gaz naturel liquéfié » ou encore le « premier
électricien indépendant du monde », ne se sont pas réalisées. Elles se
sont brisées sur l’effondrement des prix du gaz provoqué par l’irruption
sur le marché du gaz de schiste américain et sur la baisse du prix de
l’électricité engendrée par celle du prix du charbon et l’essor des
énergies renouvelables. Conséquence, entre 2008 et 2017, le groupe a vu
ses résultats se dégrader, passant de 83 milliards d’euros à 65
milliards d’euros de chiffre d’affaires. La sortie des comptes de la
branche environnement de Suez en 2013 n’expliquant qu’en partie ce
recul.
Pour redresser la barre, Engie a lancé un plan de cession
de 15 milliards d’euros d’actifs sur la période 2016-2018. Au 31
décembre 2017, 13,2 milliards d’euros ont déjà été cédés et, selon le
coordinateur CGT du groupe, Éric Buttazzoni, « les 15 milliards ont été
dépassés en 2018 ». Avec ce programme, Engie avait pour objectif de se
recentrer sur les activités régulées. Dans « le Monde » du 3 mars 2016,
la directrice générale, Isabelle Kocher, expliquait ainsi que les «
actifs exposés au marché » ne devaient plus représenter « que 15 % de
nos activités fin 2018 ». « C’est le cas », assure Éric Buttazzoni.
Parallèlement à ces cessations d’actifs, la direction a
également lancé un plan d’économies pour enrayer la baisse de son
excédent brut d’exploitation passé de 19,6 à 9,4 milliards d’euros entre
2008 et 2016. Baptisé « Lean 2018 », ce programme visait, selon la
direction, « un gain de 1,3 milliard d’euros » au niveau de l’excédent
brut d’exploitation. « Cela représente plus de 3 milliards d’économies,
en grande partie au détriment de l’emploi », explique le syndicaliste
CGT qui rappelle que, dans la même période, Engie a supprimé
10 000 emplois, dont 2 500 en France. Cette cure d’austérité drastique
n’a guère porté ses fruits. En 2017, l’excédent brut d’exploitation a
encore reculé à 9,3 milliards d’euros. À périmètre constant, sa
progression n’a atteint que 5,3 %, selon la direction, alors que
Lean 2018 a engendré « un gain » de 947 millions d’euros. « Il est
probable que le plan d’économies a eu des effets négatifs sur le chiffre
d’affaires », estime Éric Buttazzoni. À l’image de la Grèce,
l’austérité finit par tuer la croissance.
Quand les dividendes endettent les filiales
Le plan d’économies épargne par contre les actionnaires.
Après une baisse de 1 euro, en 2016, à 70 centimes, en 2017, le
dividende par action repart à la hausse, à 75 centimes pour 2018. Les
détenteurs du capital se sont ainsi partagé plus de 1,8 milliard
d’euros. Une somme financée par les filiales autrefois intégrées dans
Gaz de France. En 2017, GRT Gaz (transport), Storengy (stockage), Elengy
(terminaux méthaniers) et GRDF (distribution) ont versé 1,487 milliard
d’euros de dividendes à Engie. Elles ont financé ainsi 87,2 % de ce que
le groupe a versé à ses actionnaires (1,704 milliard d’euros) alors
qu’elles n’ont réalisé qu’environ 6,3 milliards d’euros de chiffre
d’affaires, soit moins de 10 % de celui d’Engie. « Pour se verser de
tels dividendes, la direction d’Engie endette ses filiales », dénonce
Frédéric Ben, responsable de la filière gaz à la CGT énergie, qui pointe
le cas de GRDF qui a versé 1 milliard d’euros alors que son résultat
net n’était que de 150 millions d’euros en 2017. « Elle rogne aussi sur
la sécurité », accuse-t-il. Le nombre de « zones d’intervention » est
passé de 480 à 320, « augmentant la taille de chacune d’elles et le
délai d’intervention » en cas de fuite de gaz.
Pierre-Henri Lab
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