Source : Reporterre
23 octobre 2018 / Émilie Massemin et Pierre Isnard-Dupuy (Reporterre)
1,54 million de
mètres cubes de matières et de déchets radioactifs sont répartis un peu
partout sur le territoire. À l’approche du débat public sur la gestion
de ces substances ultra-dangereuses, Reporterre a réalisé un inventaire
minutieux pour s’y retrouver. Voici la carte détaillée des lieux où les
déchets radioactifs s’entassent en France.
1,54 million de mètres cubes. Tel est le volume des déchets radioactifs présents en France, d’après le dernier inventaire national dévoilé le 12 juillet dernier par l’Agence nationale de gestion des déchets radioactifs (Andra). Soit 85.000 m3 de plus que lors du précédent inventaire, trois ans auparavant. 58,8 %
de ce volume est issu de l’industrie électronucléaire. Se fondant sur
cet inventaire, croisé avec le dernier Plan national de gestion des
matières et déchets radioactifs (PNGMDR) 2016-2018, Reporterre
a dressé la carte des lieux de stockage et d’entreposage en France, en
se concentrant sur la filière de production d’électricité et les armes
atomiques et en excluant les déchets issus des domaines médical
(radiographie, radiothérapie…), de la recherche (carbone 14…) et d’une
partie de la défense (matériel de visée…). Bilan : des anciennes mines
aux lieux de stockage plus ou moins sauvages en passant par les usines
et les centrales, il y a des déchets radioactifs partout.
Légende :



La carte en plein écran est DISPONIBLE ICI
Risques de fuite et de contamination de l’environnement
Premier problème : ces lieux d’entreposage et de stockage présentent un risque réel pour l’environnement et les riverains. En 1976, la nappe d’eau circulant sous le Centre de stockage de la Manche a été contaminée par du tritium. Les déchets à l’origine de cette contamination ont été retirés mais la contamination de la nappe est toujours significative, même si elle décroît régulièrement. En 2004, des déchets liquides issus du traitement de l’uranium et contenant du plutonium, de l’américium ou du technétium, entreposés dans des bassins près de l’usine Orano de Malvési (Aude), s’étaient répandus alentour après la rupture d’une digue ; trois ans plus tard, l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) découvre la présence de plutonium dans le blé d’un champ voisin, ainsi que d’uranium sur une distance de deux kilomètres en direction de Narbonne. Plus récemment, les associations se sont inquiétées des risques encourus par le site nucléaire pendant les graves inondations dans l’Aude. Piscines, bassins d’entreposage, lieux d’enfouissement… les risques de contamination ou de fuite sont constants.Des sites d’entreposage et de stockage existants bientôt saturés
Deuxième problème : les capacités de stockage [1] existantes arrivent à saturation. Le Centre de stockage de la Manche de Digulleville – La Hague, où sont enfouis 1,477 million de colis de déchets radioactifs de faible à moyenne activité, est plein et fermé depuis 1994. Le Centre industriel de regroupement, d’entreposage et de stockage (Cires) de Morvilliers (Aube), dimensionné pour accueillir 650.000 m3 de déchets faiblement radioactifs, pourrait arriver à saturation entre 2025 et 2030. Des recherches sont en cours pour accroître ses capacités jusqu’à 900.000 m3, en optimisant les installations. Mais c’est bien peu face aux 2 millions de mètres cubes de déchets très faiblement radioactifs qui nous resteront sur les bras quand l’ensemble des centrales nucléaires en fonctionnement seront démantelées.- Le Centre industriel de regroupement, d’entreposage et de stockage (Cires), dans l’Aube.
Des « matières » radioactives qui seraient en réalité des « déchets » ?
Troisième problème : le volume de déchets radioactifs pourrait être largement sous-évalué. En effet, par un tour de passe-passe sémantique, la filière distingue les « déchets », dont aucune utilisation n’est plus possible, des « matières » radioactives potentiellement réutilisables. Sauf que ces perspectives de valorisation sont parfois hautement fantaisistes. Ainsi, tout l’uranium appauvri présent sur le territoire français (290.000 tonnes fin 2013) est considéré comme une matière radioactive, parce qu’il pourrait être réenrichi — opération qui n’est pas réalisée actuellement faute d’être rentable — voire alimenter un futur parc de réacteurs à neutrons rapides de 60 gigawatts pendant 1.000 à 10.000 ans ! Difficile de croire qu’autant d’uranium appauvri sera nécessaire à la filière. Idem, le Mox [2] usé, très dangereux à cause de sa chaleur élevée et de sa teneur en plutonium, est considéré comme une « matière », car il pourrait servir de combustible dans ces réacteurs de quatrième génération. En 2040, on aura assez de plutonium disponible pour en démarrer vingt-cinq… Sauf que la filière des réacteurs à neutrons rapides (Rapsodie, Phénix, Superphénix) n’a pas dépassé le stade des prototypes, voire de la débâcle industrielle. Et que le dernier projet en cours, le réacteur expérimental Astrid lancé en 2006, a vu son ambition décroître autant que ses coûts exploser. Résultat, des conteneurs d’uranium appauvri continuent de s’empiler sur les sites nucléaires du Tricastin (Drôme) et de Bessines-sur-Gartempe (Haute-Vienne), et le Mox est en voie de saturer les piscines de La Hague à tel point qu’EDF étudie la construction d’une nouvelle piscine d’entreposage géante sur le site de la centrale nucléaire de Belleville-sur-Loire. Et ce combustible mixte d’uranium et de plutonium pourrait bien finir au fond de Cigéo — c’est en tout cas ce qu’a indiqué EDF dans un courriel adressé à Reporterre.- Le Centre industriel de regroupement, d’entreposage et de stockage (Cires), dans l’Aube.
- Complément d’info : En vidéo, comprendre le circuit de production des déchets nucléaires en cinq minutes
- A la radio : Reporterre participe à l’émission de "La tête au carré", sur France Inter, autour des déchets nucléaires. Ce mardi 23 octobre, à 14h15.

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[1] La filière distingue l’entreposage des déchets radioactifs, temporaire même s’il est de longue durée, du stockage, qui est définitif.
[2] Combustible
nucléaire fabriqué à partir d’un mélange de plutonium issu du
traitement des combustibles uranium usé et d’uranium appauvri issu du
procédé d’enrichissement de l’uranium.
[3] Les déchets de faible activité à vie longue (FA-VL)
sont essentiellement des déchets de graphite et des déchets radifères.
Les déchets de graphite proviennent principalement du démantèlement des
réacteurs de la filière uranium naturel graphite gaz (UNGG).
Les déchets radifères sont en majorité issus d’activités industrielles
non électronucléaires (comme le traitement de minéraux contenant des
terres rares). Cette catégorie comprend également d’autres types de
déchets, tels que certains colis de déchets bitumés anciens, des résidus
de traitement de conversion de l’uranium, etc. cf. document de synthèse de la CNDP, p. 6.
Lire aussi : Déchets nucléaires : à force de mauvais choix, la France est dans l’impasse
Source : Émilie Massemin avec Pierre Isnard-Dupuy pour Reporterre
Photos :
. Cives : Andra
Cet article a été réalisé avec le soutien de José Bové et de Michèle Rivasi, parlementaires européens.
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