Pierre Duquesne
Vendredi, 15 Avril, 2016
La
première victoire de la Nuit debout est d’avoir posé la question de
l’espace public. Un lieu qui ne doit pas être réservé au commerce le
jour et à des sorties onéreuses la nuit.
«Qui
a peur de la Nuit debout ? » Un communiqué cinglant est tombé dans les
boîtes mails des journalistes en milieu de semaine. Sous-titre : «
Investir l’espace public contre la privatisation de la démocratie. » Le
message provenait de la place de la République, où les militants
entendaient dénoncer le travail de sape des autorités pour les empêcher
de construire « pacifiquement » un espace « pour des idées étouffées par
ailleurs ».
Destruction des toilettes sèches, démolition d’une
cantine, encerclement de la place par les camions de CRS, blocage de
matériel… les forces de l’ordre ont changé d’attitude depuis lundi,
place de la République. Et des barrages ont empêché hier les
manifestants d’arriver sur la place de la République, littéralement
douchée par les gaz lacrymogènes. Anne Hidalgo, maire de Paris, est
aussi dans le viseur. Notamment depuis qu’elle a déclaré sur France Info
que « les lieux publics ne peuvent être privatisés ».
Les réactions ont fusé du côté de la Nuit debout. En AG,
des intervenants proposent d’enquêter sur les partenariats public-privé
passés par la ville. Membre de la commission communication, Joseph
Boussion s’exprime dans la presse. « Il ne s’agit ni de privatisation ni
d’occupation, mais plutôt de réappropriation, explique-t-il dans un
entretien au site Lumières de la ville. Nous contestons la politique de
privatisation menée par la Mairie, qui vend des mètres carrés d’espace
public aux promoteurs et aux enseignes. » Retour à l’envoyeur.
La place de la République, pensée pour être multiusage
À New York, les agents du NYPD ont aussi invoqué le droit
au flânage pour vider le Zuccotti Park, un « espace public de propriété
privée » qui appartient aux promoteurs immobiliers. C’est, disons-le,
peu le cas à Paris. S’il existe bien dans la capitale des espaces
extérieurs entièrement gérés par le privé (Bercy Village) ou la mise à
disposition temporaire de certains lieux à des acteurs privés (fan-zone
de l’Euro entièrement gérée par l’entreprise Lagardère), la mairie mène
plutôt une politique de conquête de nouveaux espaces publics, à l’image
de la rénovation exemplaire de la place de la République, pensée pour
être multiusage. Autre illustration : le projet des Halles. L’opération a
été portée par une association d’acteurs publics et privés. Mais elle a
permis de quasiment doubler la surface d’équipements publics sous la
Canopée. Dommage qu’Anne Hidalgo ne défende pas sa politique sur les
grandes chaînes nationales. Ni qu’elle rappelle sa volonté de créer une
charte avec Barcelone, New York ou Madrid « pour éviter que la
mondialisation ne stérilise et n’uniformise nos villes » (sic).
À Grenoble, le maire Éric Piolle a fait un choix opposé,
en mettant un parc à disposition de la Nuit debout. « À quoi d’autre
pourrait servir l’espace public que de se rassembler, échanger et faire
société ? À la consommation ? Pourquoi ce qui est possible pour les
commémorations ne l’est pas pour le débat ? », insiste aussi Luc
Gwiazdzinski, géographe à l’université de Grenoble. Ce mouvement donne,
selon lui, une dimension supplémentaire à l’espace public. Il ne s’agit
plus seulement d’un lieu n’appartenant pas au privé (place, rue…) ou
d’un espace où se fait la politique, mais cela devient un « espace du
faire ». « Où l’on construit des choses collectivement. » Et ce
mouvement oblige aussi les élus à penser la question de la nuit, « qui
ne peut rester un temps colonisé par les activités lucratives ». Mais
voilà, il y a trop peu d’espaces de ce type dans nos villes pour que
celles-ci deviennent enfin de véritables usines de production du commun.
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