jeudi 8 octobre 2015

On peut enfin voir ce soir l'enquête sur le Crédit mutuel, et c'est pas grâce à Bolloré

Source : Télérama
 
Si le film “Evasion fiscale, enquête sur le Crédit mutuel” est diffusé à la télévision, c'est grâce à France 3 qui a tenu bon face à Vincent Bolloré. Car l'industriel, lui, l'avait interdit sur Canal+. Merci le service public.
Tout commence par un coup de fil. Début mai, le président du conseil de surveil­lance de Vivendi, Vincent Bolloré, qui n'a pas encore entamé la purge que l'on sait à Canal+, appelle le directeur de la chaîne, Rodolphe Belmer. Il exige la déprogrammation d'un documentaire sur le Crédit mutuel, dont la diffusion est prévue le 18 mai dans le cadre de Spécial investigation. Sans aucune explication. Le magazine Society puis Mediapart révéleront par la suite que la banque est un partenaire financier important du groupe Bolloré.

Une censure directe et brutale

Le film Evasion fiscale, enquête sur le Crédit mutuel a pourtant été validé par le comité éditorial de la chaîne cryptée, puis par la direction juridique. Sa diffusion est annoncée dans les gazettes, dont Télérama. Les équipes de Spécial investigation, qui l'ont commandé à la société de production Zodiak, ne sont au courant de rien. On a affaire à une censure directe et brutale. « A l'ancienne », dit-on chez le producteur, où on n'en revient pas. Outrée par le procédé, Zodiak décide pourtant de ne pas ébruiter l'affaire. La priorité ? « Sauver le film », c'est-à-dire lui trouver un autre diffuseur. France 3 se dit intéressée. Mais pour ça, il faut que Canal+ libère les droits — ce que s'évertuera à faire Rodolphe Belmer jusqu'à son éviction, début juillet.

A qui appartient le film ?

C'est le point central de l'affaire : à qui appartient le film ? Un pré-accord a bien été passé entre le producteur et Canal+. Mais aucun euro n'a été versé, ce qui peut être vu comme une forme de désengagement. L'un des patrons de Zodiak, Renaud Le Van Kim, le signifiera par écrit à France Télévisions : le documentaire est bien libre de droits. A France 3, on décide de le programmer à la rentrée, dans la case de Pièces à conviction. Et on part en vacances.

Coup de théâtre début septembre 

France Télévisions reçoit une nouvelle lettre de Zodiak (dont Renaud Le Van Kim a entre-temps été démissionné), qui dit... exactement l'inverse de la précédente : les droits appartiennent à ­Canal+, donc impossible de vous livrer le film. Les raisons de ce revirement ? D'abord, le producteur travaille beaucoup avec Canal+, pour qui il coproduit par exemple la série événement Versailles, à l'antenne en novembre. Jamais bon de fâcher un gros client. Surtout, quelques jours avant ce dernier courrier, Vivendi a pris des parts dans la maison mère de Zodiak, Banijay. Vous voyez le tableau : après avoir interdit d'antenne le documentaire sur Canal+, Vincent Bolloré voudrait profiter de cette (nouvelle) casquette pour empêcher sa diffusion sur France 3 ! Dans les hautes sphères de France Télévisions, on s'interroge. C'est vrai, il y a un risque juridique. Mais la nouvelle patronne du service public, Delphine Ernotte, tient bon et maintient la diffusion. Elle l'annonce même publiquement, sur les ondes de France Inter. En tout début de mandat, elle joue sa crédibilité. Belle mission de service (et de salubrité) public.

Informer va-t-il devenir un délit dans le groupe Canal ?

En revanche, on est franchement inquiet pour l'avenir de l'enquête journalistique sur Canal+. Outre la censure Crédit mutuel, un reportage sur l'Olympique de Marseille a été retiré du site de replay de la chaîne, MyCanal. Un documentaire inédit sur François Hollande et Nicolas Sarkozy avait été déprogrammé sans motif, avant d'être reprogrammé sans plus d'explications. Un autre sur BNP-Paribas, autre partenaire financier de Bolloré, a été gelé. Les équipes de Spécial investigation pensent que leurs jours sont comptés. Avec les multiples intérêts de Vincent Bolloré (énergie, gestion de ports en Afrique, transport, plantations, logistique, batteries et voitures électriques, publicité, médias...), c'est l'indépendance éditoriale de tout le groupe Canal+, propriétaire aussi d'i>Télé, qui est menacée. Le collectif « Informer n'est pas un délit » s'est mobilisé pour interpeller le CSA et les pouvoirs publics.

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