Source : DASES SUPAP FSU
Déjà en formation d'assistante sociale, alors que j’étais toute jeune, fraiche et motivée, mon stage en polyvalence m’avait polyblasée.
J’avais
juré, craché, de jamais y bosser, et puis c’est arrivé. J’ai fini par
apprécier le travail, les collègues et contre toute attente j’y ai pris
goût et c’est ainsi que mon fessier s’est attaché puis est resté collé
au joli siège à roulettes du polybureau.
Aujourd’hui,
quelques années plus tard, ledit fessier a doublé de volume : en
polyvalence y’a quasi quotidiennement des couleuvres à avaler et t’as
vite fait d’apprendre à prendre un carré (une tablette) de chocolat pour
les faire passer, d’où polybourrelets.
Je suis polyfrustrée.
J’ai pas les moyens de soulager la plupart des souffrances que je
rencontre. Pas de travail, pas d’argent, ni de logement ou d’hébergement
et même plus le temps d’expliquer tout ça aux gens dignement. Je suis polydépourvue.
Mais
je donne le change : vous avez un problème ? J’ai 40 formulaires !
Quand vous n’avez pas un euro pour manger, pour 3 euros de photocopies
je peux tenter de vous obtenir une aide fi (ou pas). Je suis polycopiée.
Je
dis des conneries, souvent. J’suis mal payée pour expliquer aux gens
des dispositifs à la con que je comprends pas et des réalités que
moi-même, j’accepte pas. Je me voyais médiateur entre les usagers et
l’institution et me voilà devenue otage de l’administration. Je vois le
non sens, je sens l’arnaque, mais on me contraint par les sentiments,
par l’usager : c’est ainsi qu’aujourd’hui si je refuse de ficher le
pauvre je peux pas l’aider… Tout ça me polydésabuse.
On m’a dit merci et salope dans tellement de langues que je suis polyglotte.
On m’a bénit/maudit dans tellement de religions que la mienne est polythéiste.
Je suis polyvidée. On m’a polyutilisée.
Pour faire le boulot de la CAF, de pôle emploi et des autres, gérer la
merde de toutes les administrations/partenaires qui se sont désengagés.
Mon employeur a un mot d’ordre : solidarité. Alors je suis sommée d’être
solidaire et de gérer les tâches des collègues non remplacés. Tous les
collègues : de l’assistante sociale à la secrétaire, en passant par le
vigile en fin de contrat et la femme de ménage en congés mat’ (si,si). Polyvalente qu’ils disaient…
Jusque là j’ai (presque) accepté. J'ai même trouvé la force d'en rigoler. Mais aujourd’hui je suis polysaturée :
On me demande de faire le boulot d’autres services histoire de faire des économies et de pas y recruter.
On me demande de faire le travail des CRS histoire de mieux médiatiser les « évacuations » de migrants dans le quartier.
On
me demande d'oublier le secret pro, de donner mes infos d'abord aux
logiciels, ensuite à pôle emploi, et enfin au commissariat...
On
me demande de faire toujours plus avec toujours moins, c’est-à-dire
pour mes usagers toujours moins bien. Et là, je sens que je vais polycraquer.
Mon polylocal, c’est un château de cartes. Les collègues toutes plus polycrevées
les unes que les autres, s’oublient pour mieux se soutenir. On tire sur
la corde, on diffère son burn out le temps de soutenir ceux qui sont en
plein dedans. On le sait, on flippe, un jour tout ça va se polyébouler.
Mais quelque part, si je suis encore là c’est que j’ai des polykiffs.
Des belles rencontres, des jolis moments, des bouffées d’espoir. Des
petites réussites (le 115 qui décroche), des petites satisfactions (un
loyer presque entièrement payé) et des petits moments de grâce (un
sourire édenté). Et quand vient le vendredi soir, retrouver les
collègues autour d’un (quelques) verres, décompresser, décompenser,
refaire le monde et rigoler : rentrer polybourré(e)s.
Oui. C’est là que ça me polyblesse,
bordel : j’aime mon travail ! J’ai envie de me battre pour lui, pour
mon métier, pour les usagers du service public – de la polyvalence - qui
ont le droit aussi à du social (et pas qu’à de l’administratif).
J’ai encore de l’espoir. Des polyespoirs. J’ai encore la force d’être polyénervée.
Aujourd’hui assise, devant mon clavier. Demain, à Paris,
mi-novembre, debout devant l’Hôtel de Ville, à dire Non, à dire Merde, à
dire Stop. Y’a que si je faisais rien que j’aurais des regrets, alors
je suis polymotivée et j’espère que vous, collègues, vous (poly)suivrez !
Séverine
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