Source : Blog du SUPAP FSU
Marisol
Touraine (Ministre des Affaires sociales) et Ségolène Neuville
(secrétaire d'État chargée des Personnes handicapées et la Lutte contre
l'exclusion) ont présenté ce mercredi 21 octobre un « Plan d’action en
faveur du travail social et du développement social » au Conseil des
Ministres.
Ce plan d’action est l’aboutissement de la démarche des Etats Généraux du Travail Social :
sa remise met donc fin à des mois de spéculations et va donc nous
permettre de savoir si les inquiétudes des travailleurs sociaux,
re-exprimées récemment lors des Etats Généraux Alternatifs du Travail Social, étaient ou non fondées.
Le rapport "reconnaitre et valoriser le travail social" de Brigitte Bourguignon,
consacrait plusieurs pages à la situation des travailleurs sociaux
(crise de sens), tendait plutôt à essayer de les « préserver » et
pouvait en ce sens à minima leur parler. A l’inverse le plan d’action
(qui, surprise, n’est pas en faveur du travail social mais en faveur du
travail social ET du développement social) ne s’adresse aux travailleurs
sociaux qu’assez brièvement dans son avant-propos. Il n’est plus
question de nous ménager, mais de trancher, les rédacteurs ayant
considéré que les difficultés du travail social étaient liées à un
besoin de coordination des politiques sociales.
Un plan pour mieux accompagner ?
A
la lecture du premier paragraphe du plan d’action « il apparaît
primordial de retrouver le cœur de métier du travail social :
l’accompagnement des personnes », on pourrait presque y croire. Mais on
déchante vite à la lecture des mesures envisagées pour améliorer
l’accompagnement.
Les
mesures figurant dans le premier axe du plan d’action « faire
participer les personnes et mieux les accompagner » concernent
principalement le développement (bienvenu) de la participation des personnes/usagers. Il prévoit de développer les instances de participation,
de généraliser la participation des usagers à la conception et mise en
œuvre des projets en la rendant obligatoire. Les personnes accompagnées
seront également amenées à participer à la formation des
travailleurs sociaux en intervenant en tant que formateurs occasionnels
dans les écoles. Ces mesures, bienvenues, demanderont un
Les deux autres mesures de cet axe prévoient :
-
La mise en place d’un premier accueil inconditionnel, permettant de proposer « au plus tôt » une écoute, information, ouverture de droits, orientation. Le Département, devra organiser ce premier accueil (un décret sera publié en ce sens en décembre 2015) au sein des structures déjà existantes. La surprise ici, c’est que ce premier accueil, organisé par le département, pourra être réalisé par tous les acteurs présents sur le territoire (public ou associatif) qu’ils soient travailleurs sociaux ou non, salariés OU bénévoles. Econome!
-
La création de la fonction de « référent de parcours » assurant la coordination des interventions autour de la personne sur le modèle de ce qui se fait dans le secteur médical avec le médecin traitant. Des expérimentations doivent être conduites sur plusieurs départements pour définir et préciser la notion de « référent de parcours » : il est ainsi envisagé que ce réfèrent puisse être un membre de la famille ou du réseau de la personne accompagnée ou encore un bénévole et non pas nécessairement un travailleur social. D’ici décembre 2016 ces expérimentations donneront lieu à des évolutions réglementaires.
Finalement,
pour mieux accompagner les personnes, ce plan d’action ne propose pas
de moyens pour le travail social et peut-être même pas de changements
pour les travailleurs sociaux à qui pourraient se substituer des
bénévoles… La mise en place d’un premier accueil inconditionnel semble
répondre à un besoin identifié, mais il soulève de nombreuses questions
dès lors que la personne accompagnée n’est pas reçue par la
personne/dans le lieu qui réalisera son accompagnement par la suite.
Cela pose notamment la question de la mise en réseau des interlocuteurs,
question à laquelle le plan d’action a des réponses (qui peuvent fâcher).
Un plan pour mieux communiquer ?
Le
plan d’action envisage une rénovation des pratiques du travail social,
et les évolutions souhaitées tendent en direction d’un développement
social s’appuyant sur le travail en réseau. Pour favoriser ce travail en
réseau, on souhaite développer le partage d’information et le
numérique…
Le partage d’information est
envisagé comme étant nécessaire à tout bon accompagnement. Le plan
d’action souhaite donc « sécuriser » et « mieux outiller » les échanges
entre intervenants (travailleurs sociaux ou non / salariés ou bénévoles)
et renforcer la culture du partage d’informations. Une conférence de consensus nationale est prévue à cet effet fin 2016. Voilà qui ne présage rien de bon quant au devenir du secret professionnel,
déjà si souvent remis en cause, et aux dérives (sécuritaires,
politiques) contre lesquelles nous luttons (prévention de la
délinquance…).
L’outil numérique est
prôné pour permettre aux professionnels de travailler en réseau
efficacement tout en se recentrant sur "l’accompagnement humain" ( !). Nul
doute que les rédacteurs du plan d’action n’ont pas eu à faire aux
outils numériques chronophages qui depuis plusieurs années ont envahi le
travail social et éloigné les travailleurs sociaux des usagers en les
contraignant à passer de plus en plus de temps sur des ordinateurs à des
fins statistiques, réduisant par là-même le temps de
l’ « accompagnement humain ». Le plan prévoit donc de relancer (immédiatement) le chantier du « dossier social unique » qui permettra de « ne recueillir qu’une fois les informations » auprès des personnes. Nous
connaissons certains employeurs / Maires qui se réjouiront des
possibilités offertes par cette mesure dont nous ne pouvons que craindre
les dérives. Afin que les futurs professionnels soient moins
frileux face à cette informatisation, le plan d’action prévoit de les
former au numérique (à la place des cours d’éthique ?).
Une
note positive tout de même, dans son volet « promouvoir le
développement social pour simplifier les politiques publiques et les
organisations », le plan d’action propose de développer l’analyse des pratiques en
l’inscrivant dans une charte d’engagement des employeurs publics et
privés. Reste à voir quelles seront les obligations des employeurs
vis-à-vis de cette charte et de la mise en place de l’analyse des
pratiques. Il est également question d’étudier (éventuellement)
la complémentarité administrative et sociale pour alléger la charge
administrative des travailleurs sociaux, mais là aucune mesure
concrète : l’allégement administratif n’est pas une priorité (tout
du moins pas quand il n'est pas prétexte au développement d'outils
numériques).
Ce
même volet prévoit également de favoriser la connaissance réciproque
des acteurs, organisations et professionnels par le biais de formations
interinstitutionnelles et pluri professionnelles. De transformer le Pacte Territorial pour l’Insertion (PTI)
en Plan Départemental d’Insertion et de Développement Social au champ
plus étendu. Enfin, il prévoit de former les élus et cadres de la
fonction publique au développement social en les sensibilisant à « l’investissement social » (qui consiste à considérer l’action sociale comme un levier économique et non plus seulement comme une charge)… On
peut prévoir que nous n’avons pas fini d’entendre parler
d’investissement social et autres outils/commandes visant à mesurer le
« retour sur investissement social » : jolies perspectives.
Un plan pour revaloriser ?
On
l’attendait, il est présent, le volet « mieux reconnaitre le travail
social et moderniser l’appareil de formation » du plan d’action. Il
prévoit l’engagement d’une réforme statutaire permettant le passage en catégorie A
de la fonction publique des diplômes de niveau III… en 2018. Cette
réforme sera subordonnée à un processus de réingénierie des diplômes (cf
ci-dessous) qui sera conduit par la Commission Professionnelle
Consultative (CPC) de décembre 2015 à décembre 2017. Il faudra également
que d’ici là le nouveau gouvernement se tienne aux promesses faites par
l’actuel… Bref : encore des Si, peut-être. Ce passage en
catégorie A ne concerne que les agents du secteur public. Concernant le
secteur privé, le plan d’action se borne à envisager que des
négociations « pourraient être engagée »… ou pas !
La revalorisation indiciaire prévue par les récents "accords" PPCR est également évoquée comme un geste en direction des travailleurs sociaux qui pourront (ou non) se réjouir de l'annonce d'une augmentation d'une quarantaine d'euros prévue sur plusieurs années... Une aumône.
Un pacte pour re-former ?
Concernant
la formation, le plan d’action s’appuie sur les préconisations de
Brigitte Bourguignon sans apporter de réponse concrète sur l’avenir des
diplômes :
-
La CPC va être mandatée pour définir les modalités d’introduction d’un cursus commun aux formations du travail social (la préconisation du rapport Bourguignon de fixer à 30% le socle commun est rappelée sans être validée) et fixer les modules de spécialisation (logement, insertion, handicap…).
-
Un cahier des charges va être mis en place pour les écoles de formation en travail social déterminant les conditions d’admission, les programmes à respecter et renforçant les exigences vis-à-vis des formateurs. La labellisation des écoles débutera mi 2018 et dès 2020 les écoles ne répondant pas aux critères se verront retirer leurs agréments.
-
Les passerelles entre les Diplômes d’Etat et la formation universitaire vont être systématisées (et inscrites dans le cahier des charges des écoles de formation afin que toutes les écoles offrent l’équivalent de ce qui est aujourd’hui le double cursus).
-
Une école supérieure en intervention sociale doit être créée d’ici septembre 2017 permettant une passerelle entre le diplôme d’Etat et le Doctorat.
-
La CPC, dans le cadre de la réingénierie des diplômes devra adapter l’ensemble des formations du travail social afin que puissent s’y développer les contrats d’apprentissage. Un cadeau pour les employeurs ?
-
Un plan pour la mixité des métiers du travail social doit être mis en place pour contrer la forte féminisation du secteur.
Pour ce qui est des stages,
le plan d’action évoque, sans en donner le motif, la nécessité de les
moderniser. Il valide les propositions qui ont été faites auparavant
visant à résoudre le problème de pénurie de stage en travail social (lié
pour beaucoup à la gratification des stagiaires) en permettant de
remplacer les périodes de stage par des « projets de groupes » ou en
mettant en place des sites qualifiants pluri institutionnels (permettant
de ne pas ouvrir droit à gratification aux stagiaires en réduisant leur
durée de stage sur un même site !). Le plan d’action appelle la CPC à réinterroger la place des stages dans le cadre de la réingénierie des diplômes. On
peut donc s’inquiéter du devenir de ces stages et plus généralement de
la qualité de formations qui semblent prêtes à être sacrifiées à des
intérêts tout aussi multiples qu’éloignées du travail social.
Parmi
ces différents axes d’intervention relatifs à la formation des
travailleurs sociaux, figure une mesure visant à améliorer la formation
des travailleurs sociaux (et bénévoles) aux valeurs républicaines et notamment à la laïcité ET à la prévention des dérives radicales… Si
on croise cette petite « spécificité » (dans l’air du temps) au
développement du partage d’information souhaité par ce plan d’action, on
peut craindre/prévoir de belles dérives sécuritaires et attaques à
l’éthique et déontologie des travailleurs sociaux…
Un plan pour nous guider ?
Le plan prévoit enfin de moderniser le Conseil Supérieur du Travail Social (CSTS).
Ce dernier va devenir Comité Interministériel du Travail Social
(CITS) : sa composition sera réduite (actuellement 1 président, 1 vice
président et 49 membres bénévoles) mais ses groupes de travail seront
élargis à des membres choisis pour leur représentativité ou compétences.
Par ailleurs, les comités d’éthique vont être systématisés (un comité par département). Une
mesure qui pourrait séduire si l’expérience des comités déjà existants
n’était pas si pauvre et éloignée des attentes des travailleurs sociaux…
Le
plan d’action s’accompagnera de la mise en place d’un dispositif
d’évaluation des mesures (avec indicateur de résultats et mobilisation
des partenaires) dans une logique d’investissement social…
Un plan qui va faire mal !!!
Après
plusieurs mois d’inquiétudes et de spéculations, ce plan d’action en
faveur du travail social et du développement social s’avère être… pire
que prévu ! Le travail social et le travailleur social sont les
grands absents de ce rapport, qui n’est finalement qu’en faveur des
politiques publiques. Dans une logique « d’investissement social », ce
rapport ne coutera pas grand-chose (en dehors des frais de communication
déployés pour le médiatiser « pédagogiquement » au travailleurs sociaux
à travers une…BD !). Mieux, en faisant la part belle aux bénévoles, il
promet de belles économies. On pouvait penser/craindre qu’avec la
réingénierie des diplômes, le projet soit de faire des actuelles
professions historiques du travail social des cadres amenés à encadrer
demain une nouvelle catégorie d’exécutants sociaux… il semblerait plutôt
que l’avenir du travail social se tourne plutôt vers le bénévolat !
Nous
demandons depuis des années, au sein de mouvements locaux et nationaux,
des mesures pour la reconnaissance de nos métiers, préserver nos stages
et formations, conserver du sens dans nos pratiques. Nous avons dénoncé
à de multiples occasions les attaques faites à notre éthique,
déontologie, au secret professionnel, ainsi que la souffrance engendrée
par des métiers difficiles et des conditions de travail qui partout se
dégradent. Ce plan d’action est un camouflet qui fait fi de nos
revendications, légitimes, et qui va dans la continuité d’une évolution
des pratiques génératrice d’un mal-être des professionnels que nous
dénonçons depuis des années !
Ce
plan d’action est donc à lui seul un appel à la mobilisation des
acteurs du travail social qui, à défaut d’avoir été entendus, devront se
faire entendre !
Retrouvez
ci-dessous le plan d'action en faveur du travail social et du
developpement social dans son intégralité, ainsi que les 26 mesures
prévues par le plan.
Le plan d'action dans son intégralité
Les 26 mesures du rapport
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