Source : Mediapart (le club)
Monsieur le Président, Je vous écris dans un état d’urgence. Dans une heure, je tenterai de me rendre place de la République, à Paris. Je sais que la manifestation sur le climat est interdite. Mais je compte protester contre l’interdiction de manifester.
Monsieur le Président,
Je vous écris dans un état d’urgence. Dans une heure, je tenterai de me rendre place de la République, à Paris. Je sais que la manifestation sur le climat est interdite. Mais je compte protester contre l’interdiction de manifester.
Certes, les attentats obligent à des mesures de précaution. Cependant, le 13 novembre, c’étaient le Stade de France et le Bataclan que visaient les terroristes, ainsi que des cafés. Or les matches de football ne sont pas interdits, ni les concerts ; on nous invite même à célébrer nos valeurs en terrasse, autour d’un verre. Qui peut croire que c’est pour des raisons de sécurité qu’on autorise les marchés de Noël, et que l’on interdit les manifestations politiques ?
Sans doute sommes-nous censés respecter la loi. Mais il importe de le rappeler : la démocratie ne se réduit pas au vote parlementaire. S’agit-il encore de terrorisme, quand de simples opposants politiques sont assignés à résidence ? L’État de droit est-il bien respecté ? Le Premier ministre l’a reconnu devant les sénateurs, « il y a des mesures qui ont été votées à l’Assemblée nationale qui ont une fragilité constitutionnelle » ; aussi n’était-il pas question pour lui de saisir le Conseil constitutionnel, qui risquait de « faire tomber 786 perquisitions et 150 assignations à résidence déjà faites. »
D’ailleurs, la France en a prévenu le Conseil de l’Europe : au nom de la sécurité, elle s’autorise à « déroger à la Convention européenne des droits de l’homme »… Pour ma part, au nom de la liberté, je m’apprête à déroger à une loi d’exception. Car ce ne sont pas les manifestations qui menacent aujourd’hui la République ; c’est leur interdiction. C’est l’état d’urgence, dès lors qu’il peut être prolongé sans fin. C’est la quasi-unanimité des députés qui votent aveuglément une loi liberticide. C’est un gouvernement où la ministre de la Justice s’efface devant le ministre de l’Intérieur. Et c’est le président de la République lui-même, s’il n’est plus le garant de la Constitution.
Les pouvoirs que vous confère l’état d’urgence, vous n’en abuserez que modérément, nous explique-t-on ; je n’en suis que modérément rassuré. En fait d’être « normale », votre présidence risque d’avoir surtout servi à normaliser l’anormal. Or la banalisation de l’exception est d’autant plus inquiétante que la droite, voire l’extrême droite, vous succéderont au pouvoir, demain ou après-demain.
Vous avez déjà repris leur langage. Le Premier ministre profite de la peur des attentats pour déclarer aux Allemands : « l’Europe doit dire qu’elle ne peut plus accueillir autant de migrants, ce n’est pas possible ». Quant à vous, Monsieur le Président, en brandissant la menace de la déchéance de nationalité, qui n’aidera évidemment en rien à lutter contre les attentats-suicides, vous assimilez immigration et terrorisme, à l’instar de votre prédécesseur. C’est légitimer les discours racistes et xénophobes.
À leur tour, vos successeurs reprendront vos outils. Une fois au pouvoir, la droite et l’extrême droite n’auront qu’à utiliser le cadre juridique et politique que vous leur laisserez en héritage. Étendre la définition de la légitime défense pour les forces de l’ordre, n’est-ce pas donner de la force aux désordres à venir ? Et plus tard, lorsque l’état d’urgence sera pérennisé, quand l’état d’exception deviendra la règle, comment nous mobiliserons-nous si nous ne le faisons pas dès maintenant ? L’histoire jugera votre rôle dans l’avènement d’un régime autoritaire, que portera demain la droite avec l’extrême droite.
Ceux d’entre nous qui préviennent contre les périls de l’état d’exception sont accusés de faire le jeu du Front national, voire des terroristes de Daesh. Pour avoir signé l’appel à braver l’état d’urgence, j’imagine que me voici fiché – si je ne l’étais pas déjà. Tant pis. Quant à moi, j’estime de ma responsabilité de refuser d’être assigné à résidence – que ce soit par le terrorisme ou par la lutte contre le terrorisme. L’urgence, ce n’est pas « l’état de siège », lapsus révélateur du ministère de l’Intérieur. C’est aujourd’hui de nous manifester pour défendre nos libertés. Monsieur le Président, nous n’avons pas les mêmes urgences.
Monsieur le Président, Je vous écris dans un état d’urgence. Dans une heure, je tenterai de me rendre place de la République, à Paris. Je sais que la manifestation sur le climat est interdite. Mais je compte protester contre l’interdiction de manifester.
Monsieur le Président,
Je vous écris dans un état d’urgence. Dans une heure, je tenterai de me rendre place de la République, à Paris. Je sais que la manifestation sur le climat est interdite. Mais je compte protester contre l’interdiction de manifester.
Certes, les attentats obligent à des mesures de précaution. Cependant, le 13 novembre, c’étaient le Stade de France et le Bataclan que visaient les terroristes, ainsi que des cafés. Or les matches de football ne sont pas interdits, ni les concerts ; on nous invite même à célébrer nos valeurs en terrasse, autour d’un verre. Qui peut croire que c’est pour des raisons de sécurité qu’on autorise les marchés de Noël, et que l’on interdit les manifestations politiques ?
Sans doute sommes-nous censés respecter la loi. Mais il importe de le rappeler : la démocratie ne se réduit pas au vote parlementaire. S’agit-il encore de terrorisme, quand de simples opposants politiques sont assignés à résidence ? L’État de droit est-il bien respecté ? Le Premier ministre l’a reconnu devant les sénateurs, « il y a des mesures qui ont été votées à l’Assemblée nationale qui ont une fragilité constitutionnelle » ; aussi n’était-il pas question pour lui de saisir le Conseil constitutionnel, qui risquait de « faire tomber 786 perquisitions et 150 assignations à résidence déjà faites. »
D’ailleurs, la France en a prévenu le Conseil de l’Europe : au nom de la sécurité, elle s’autorise à « déroger à la Convention européenne des droits de l’homme »… Pour ma part, au nom de la liberté, je m’apprête à déroger à une loi d’exception. Car ce ne sont pas les manifestations qui menacent aujourd’hui la République ; c’est leur interdiction. C’est l’état d’urgence, dès lors qu’il peut être prolongé sans fin. C’est la quasi-unanimité des députés qui votent aveuglément une loi liberticide. C’est un gouvernement où la ministre de la Justice s’efface devant le ministre de l’Intérieur. Et c’est le président de la République lui-même, s’il n’est plus le garant de la Constitution.
Les pouvoirs que vous confère l’état d’urgence, vous n’en abuserez que modérément, nous explique-t-on ; je n’en suis que modérément rassuré. En fait d’être « normale », votre présidence risque d’avoir surtout servi à normaliser l’anormal. Or la banalisation de l’exception est d’autant plus inquiétante que la droite, voire l’extrême droite, vous succéderont au pouvoir, demain ou après-demain.
Vous avez déjà repris leur langage. Le Premier ministre profite de la peur des attentats pour déclarer aux Allemands : « l’Europe doit dire qu’elle ne peut plus accueillir autant de migrants, ce n’est pas possible ». Quant à vous, Monsieur le Président, en brandissant la menace de la déchéance de nationalité, qui n’aidera évidemment en rien à lutter contre les attentats-suicides, vous assimilez immigration et terrorisme, à l’instar de votre prédécesseur. C’est légitimer les discours racistes et xénophobes.
À leur tour, vos successeurs reprendront vos outils. Une fois au pouvoir, la droite et l’extrême droite n’auront qu’à utiliser le cadre juridique et politique que vous leur laisserez en héritage. Étendre la définition de la légitime défense pour les forces de l’ordre, n’est-ce pas donner de la force aux désordres à venir ? Et plus tard, lorsque l’état d’urgence sera pérennisé, quand l’état d’exception deviendra la règle, comment nous mobiliserons-nous si nous ne le faisons pas dès maintenant ? L’histoire jugera votre rôle dans l’avènement d’un régime autoritaire, que portera demain la droite avec l’extrême droite.
Ceux d’entre nous qui préviennent contre les périls de l’état d’exception sont accusés de faire le jeu du Front national, voire des terroristes de Daesh. Pour avoir signé l’appel à braver l’état d’urgence, j’imagine que me voici fiché – si je ne l’étais pas déjà. Tant pis. Quant à moi, j’estime de ma responsabilité de refuser d’être assigné à résidence – que ce soit par le terrorisme ou par la lutte contre le terrorisme. L’urgence, ce n’est pas « l’état de siège », lapsus révélateur du ministère de l’Intérieur. C’est aujourd’hui de nous manifester pour défendre nos libertés. Monsieur le Président, nous n’avons pas les mêmes urgences.
Eric Fassin
Enseignant-chercheur, sociologue
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