Source : Le blog d'Alain Refalo
Madame la ministre,
Il y a sept ans, le 6 novembre 2008, par une lettre que j’écrivais à mon inspecteur de circonscription, j’entrais en désobéissance pédagogique, de façon transparente et assumée, contre les pseudo réformes imposées par l’un de vos prédécesseurs de droite, Xavier Darcos. Dans cette lettre intitulée « En conscience, je refuse d’obéir », j’expliquais pourquoi il était contraire à l’éthique de nos missions d’enseignant d’appliquer à la lettre des dispositifs qui allaient à l’encontre d’une école de la réussite pour tous. Il s’agissait tout particulièrement des nouveaux programmes, du dispositif de « l’aide personnalisée » et des évaluations nationales. Ces dispositifs imposés avec un surcroît d’autoritarisme heurtaient profondément la conscience de nombreux enseignants du primaire.
A la suite de la publication et de la médiatisation de cette lettre, plusieurs milliers d’enseignants du premier degré entrèrent à leur tour dans la même démarche de désobéissance ouverte, par le biais de lettres individuelles ou collectives adressées à leur hiérarchie. Des milliers d’autres, sans l’afficher ostensiblement, refusèrent d’appliquer les nouveaux programmes, indigestes et sans ambition, détournèrent la mise en oeuvre de l’aide personnalisée, inappropriée, stigmatisante et peu efficace ou boycottèrent la passation des évaluations nationales, standardisées et prémices à la mise en concurrence des établissements scolaires. Ce mouvement de résistance pédagogique inédit, tant par sa forme que par sa dimension, avait reçu le soutien de nombreux citoyens, d’enseignants, d’associations, d’élus, de mouvements pédagogiques, de fédérations de parents d’élèves. Ces derniers avaient bien compris que notre démarche n’était en aucun cas pénalisante pour leurs enfants et qu’au contraire elle était un service rendu à l’intérêt général.
Quelle fut la réponse de notre hiérarchie ? Beaucoup de mépris de la part de Xavier Darcos et de son successeur Luc Chatel, pour lesquels il était tout simplement impensable que des enseignants puissent ne pas obéir sans discernement aux injonctions ministérielles pourtant très paradoxales. Puis vinrent les sanctions. De nombreux enseignants se virent imposer des retraits de salaire aux motifs fallacieux de « services non faits » ou de « non respect des obligations de service ». Quelques uns, dont je suis, durent, en plus des sanctions financières ou professionnelles, subir une sanction disciplinaire. Pour certains, ce fut un simple blâme, pour d’autres, une mutation d’office ou un abaissement d’échelon. Toutefois, et grâce notamment à la solidarité citoyenne dont a pu bénéficier le mouvement, ces sanctions furent sans effet et aucun enseignant-désobéisseur ne céda.
Lorsqu’une délégation des enseignants du primaire en résistance, dont je faisais partie, a été reçue au cabinet du nouveau ministre Vincent Peillon, au mois de juillet 2012, dans le cadre de la grande concertation pour la refondation de l’école, nous avons émis de nombreuses propositions pour une refondation exigeante de l’école qui s’appuie sur ses forces vives. Et les nombreux enseignants en résistance, qui avaient pris des risques pour ne pas trahir les valeurs de l’école républicaine, faisaient partie de ces forces vives et étaient motivés pour s’engager davantage. Nous avons également demandé l’annulation de ces sanctions injustes et disproportionnées. Aucune réponse à nos demandes légitimes de retrait des sanctions, tout particulièrement les sanctions disciplinaires qui pénalisent définitivement une carrière, ne nous est parvenue. Malgré nos relances, votre prédécesseur Vincent Peillon ne nous a jamais répondu.
Je tiens à vous rappeler qu’après avoir été sanctionné en juillet 2009 d’un abaissement d’échelon (mais aussi d’un refus de promotion et de 27 journées de retraits de salaire), j’ai effectué un recours auprès du Conseil Supérieur de la Fonction Publique de l’Etat (CSFPE). Celui-ci, après avoir examiné attentivement mon dossier et m’avoir auditionné en novembre 2010, avait émis une recommandation écrite auprès de l’inspecteur d’académie de Toulouse dans laquelle elle considérait que la sanction disciplinaire qui m’avait été infligée était « disproportionnée ». Le CSFPE recommandait de lui substituer la sanction du blâme. Elle me donnait donc raison dans ma requête. L’inspecteur d’académie de Toulouse me fit alors savoir qu’il ne suivrait pas cette recommandation et qu’il maintenait la sanction.
Je suis donc fondé aujourd’hui à revenir vers vous afin que vous donniez une suite favorable à la recommandation du CSFPE. Vous seule, en tant que ministre, avez ce pouvoir. Comme tous les enseignants en résistance sous la droite, injustement sanctionnés, je considère que l’Education nationale a une dette envers nous, et que cette dette doit être honorée aujourd’hui. Cette dette, paradoxalement, ne coûterait pas un centime à votre administration puisque nous ne demandons aucun arriéré dans la réintégration de nos droits. Madame la ministre, vous nous devez ce geste de reconnaissance pour l’action salutaire que nous avons menée en défense de l’école de la République.
Nous sommes d’autant plus enclins à effectuer cette requête que tous les dispositifs pédagogiques que nous avions contestés et que nous avions refusés ouvertement d’appliquer, ont été abrogés par Vincent Peillon dans le cadre de la refondation de l’école. Les programmes de 2008 ont fait l’objet d’une évaluation négative et même d’une adaptation en 2013. De nouveaux programmes pour l’école élémentaire, conformes à l’esprit de ce qu’il nous semblait souhaitable pour la réussite des élèves, vont être adoptés et mis en oeuvre à la rentrée 2016. Le dispositif de l’aide personnalisée a été remplacé par les Activités Pédagogiques Complémentaires (APC) qui offrent aujourd’hui la possibilité d’une large palette d’activités comme celles que nous mettions en place de façon illégale sur le temps de l’aide personnalisée. Enfin, les évaluations nationales imposées à tous les enseignants de CE1 et CM2, une fois par an, ont été abandonnées. Ces abandons justifiés ont rendu encore plus légitimes notre résistance ouverte et loyale.
Pour autant, la refondation de l’école, plus nécessaire que jamais, ne s’est pas encore attachée à l’une de ses principales pierres d’achoppement : le mode de gouvernance au sein de l’Education Nationale. A l’heure où il est de plus en plus question d’une « école bienveillante », d’une école où l’on est attentif aux besoins des élèves comme des enseignants, il est urgent d’ouvrir ce chantier. « L’école bienveillante », c’est précisément la marque de fabrique de l’école finlandaise qui est toujours en tête dans les classements internationaux des pays dont les élèves sont en réussite. Cette école là, elle respecte les élèves et elle fait confiance à ses enseignants. C’est précisément parce que la hiérarchie ne faisait plus confiance à ses enseignants en exigeant d’eux une obéissance inconditionnelle assortie de menaces de sanctions qu’un tel mouvement de désobéissance pédagogique a émergé dans les années 2008-2009. Il faut en tirer les leçons.
Aurez-vous le courage, madame la ministre, de vous attaquer aux abus de l’autorité hiérarchique qui plongent beaucoup d’enseignants dans le désarroi ? Aurez-vous le courage d’instaurer davantage d’horizontalité dans les méthodes de gouvernance au sein de votre administration ? Aurez-vous le courage de refonder l’inspection des enseignants toujours aussi infantilisante ? Aurez-vous le courage de faire davantage confiance dans les capacités créatrices des enseignants ?
Pour sortir de la méfiance, voire de la défiance des enseignants envers leur hiérarchie, il est temps, madame la ministre, d’innover et de prendre, en concertation avec tous les acteurs concernés, des mesures courageuses qui attesteront de votre volonté à faire évoluer la gouvernance de notre maison commune et à véritablement refonder l’école de la République. En commençant par annuler des sanctions injustes et disproportionnées infligées à des enseignants réellement engagés pour la réussite de leurs élèves, vous enverriez, sur toutes ces questions, un signal qui, dans la morosité ambiante, pourrait être perçu comme une petite lueur d’espérance.
Soyez assurée, madame la ministre, de mes sentiments les plus respectueux et les plus déterminés.
Alain Refalo, professeur des écoles à Colomiers (31)
Madame la ministre,
Il y a sept ans, le 6 novembre 2008, par une lettre que j’écrivais à mon inspecteur de circonscription, j’entrais en désobéissance pédagogique, de façon transparente et assumée, contre les pseudo réformes imposées par l’un de vos prédécesseurs de droite, Xavier Darcos. Dans cette lettre intitulée « En conscience, je refuse d’obéir », j’expliquais pourquoi il était contraire à l’éthique de nos missions d’enseignant d’appliquer à la lettre des dispositifs qui allaient à l’encontre d’une école de la réussite pour tous. Il s’agissait tout particulièrement des nouveaux programmes, du dispositif de « l’aide personnalisée » et des évaluations nationales. Ces dispositifs imposés avec un surcroît d’autoritarisme heurtaient profondément la conscience de nombreux enseignants du primaire.
A la suite de la publication et de la médiatisation de cette lettre, plusieurs milliers d’enseignants du premier degré entrèrent à leur tour dans la même démarche de désobéissance ouverte, par le biais de lettres individuelles ou collectives adressées à leur hiérarchie. Des milliers d’autres, sans l’afficher ostensiblement, refusèrent d’appliquer les nouveaux programmes, indigestes et sans ambition, détournèrent la mise en oeuvre de l’aide personnalisée, inappropriée, stigmatisante et peu efficace ou boycottèrent la passation des évaluations nationales, standardisées et prémices à la mise en concurrence des établissements scolaires. Ce mouvement de résistance pédagogique inédit, tant par sa forme que par sa dimension, avait reçu le soutien de nombreux citoyens, d’enseignants, d’associations, d’élus, de mouvements pédagogiques, de fédérations de parents d’élèves. Ces derniers avaient bien compris que notre démarche n’était en aucun cas pénalisante pour leurs enfants et qu’au contraire elle était un service rendu à l’intérêt général.
Quelle fut la réponse de notre hiérarchie ? Beaucoup de mépris de la part de Xavier Darcos et de son successeur Luc Chatel, pour lesquels il était tout simplement impensable que des enseignants puissent ne pas obéir sans discernement aux injonctions ministérielles pourtant très paradoxales. Puis vinrent les sanctions. De nombreux enseignants se virent imposer des retraits de salaire aux motifs fallacieux de « services non faits » ou de « non respect des obligations de service ». Quelques uns, dont je suis, durent, en plus des sanctions financières ou professionnelles, subir une sanction disciplinaire. Pour certains, ce fut un simple blâme, pour d’autres, une mutation d’office ou un abaissement d’échelon. Toutefois, et grâce notamment à la solidarité citoyenne dont a pu bénéficier le mouvement, ces sanctions furent sans effet et aucun enseignant-désobéisseur ne céda.
Lorsqu’une délégation des enseignants du primaire en résistance, dont je faisais partie, a été reçue au cabinet du nouveau ministre Vincent Peillon, au mois de juillet 2012, dans le cadre de la grande concertation pour la refondation de l’école, nous avons émis de nombreuses propositions pour une refondation exigeante de l’école qui s’appuie sur ses forces vives. Et les nombreux enseignants en résistance, qui avaient pris des risques pour ne pas trahir les valeurs de l’école républicaine, faisaient partie de ces forces vives et étaient motivés pour s’engager davantage. Nous avons également demandé l’annulation de ces sanctions injustes et disproportionnées. Aucune réponse à nos demandes légitimes de retrait des sanctions, tout particulièrement les sanctions disciplinaires qui pénalisent définitivement une carrière, ne nous est parvenue. Malgré nos relances, votre prédécesseur Vincent Peillon ne nous a jamais répondu.
Je tiens à vous rappeler qu’après avoir été sanctionné en juillet 2009 d’un abaissement d’échelon (mais aussi d’un refus de promotion et de 27 journées de retraits de salaire), j’ai effectué un recours auprès du Conseil Supérieur de la Fonction Publique de l’Etat (CSFPE). Celui-ci, après avoir examiné attentivement mon dossier et m’avoir auditionné en novembre 2010, avait émis une recommandation écrite auprès de l’inspecteur d’académie de Toulouse dans laquelle elle considérait que la sanction disciplinaire qui m’avait été infligée était « disproportionnée ». Le CSFPE recommandait de lui substituer la sanction du blâme. Elle me donnait donc raison dans ma requête. L’inspecteur d’académie de Toulouse me fit alors savoir qu’il ne suivrait pas cette recommandation et qu’il maintenait la sanction.
Je suis donc fondé aujourd’hui à revenir vers vous afin que vous donniez une suite favorable à la recommandation du CSFPE. Vous seule, en tant que ministre, avez ce pouvoir. Comme tous les enseignants en résistance sous la droite, injustement sanctionnés, je considère que l’Education nationale a une dette envers nous, et que cette dette doit être honorée aujourd’hui. Cette dette, paradoxalement, ne coûterait pas un centime à votre administration puisque nous ne demandons aucun arriéré dans la réintégration de nos droits. Madame la ministre, vous nous devez ce geste de reconnaissance pour l’action salutaire que nous avons menée en défense de l’école de la République.
Nous sommes d’autant plus enclins à effectuer cette requête que tous les dispositifs pédagogiques que nous avions contestés et que nous avions refusés ouvertement d’appliquer, ont été abrogés par Vincent Peillon dans le cadre de la refondation de l’école. Les programmes de 2008 ont fait l’objet d’une évaluation négative et même d’une adaptation en 2013. De nouveaux programmes pour l’école élémentaire, conformes à l’esprit de ce qu’il nous semblait souhaitable pour la réussite des élèves, vont être adoptés et mis en oeuvre à la rentrée 2016. Le dispositif de l’aide personnalisée a été remplacé par les Activités Pédagogiques Complémentaires (APC) qui offrent aujourd’hui la possibilité d’une large palette d’activités comme celles que nous mettions en place de façon illégale sur le temps de l’aide personnalisée. Enfin, les évaluations nationales imposées à tous les enseignants de CE1 et CM2, une fois par an, ont été abandonnées. Ces abandons justifiés ont rendu encore plus légitimes notre résistance ouverte et loyale.
Pour autant, la refondation de l’école, plus nécessaire que jamais, ne s’est pas encore attachée à l’une de ses principales pierres d’achoppement : le mode de gouvernance au sein de l’Education Nationale. A l’heure où il est de plus en plus question d’une « école bienveillante », d’une école où l’on est attentif aux besoins des élèves comme des enseignants, il est urgent d’ouvrir ce chantier. « L’école bienveillante », c’est précisément la marque de fabrique de l’école finlandaise qui est toujours en tête dans les classements internationaux des pays dont les élèves sont en réussite. Cette école là, elle respecte les élèves et elle fait confiance à ses enseignants. C’est précisément parce que la hiérarchie ne faisait plus confiance à ses enseignants en exigeant d’eux une obéissance inconditionnelle assortie de menaces de sanctions qu’un tel mouvement de désobéissance pédagogique a émergé dans les années 2008-2009. Il faut en tirer les leçons.
Aurez-vous le courage, madame la ministre, de vous attaquer aux abus de l’autorité hiérarchique qui plongent beaucoup d’enseignants dans le désarroi ? Aurez-vous le courage d’instaurer davantage d’horizontalité dans les méthodes de gouvernance au sein de votre administration ? Aurez-vous le courage de refonder l’inspection des enseignants toujours aussi infantilisante ? Aurez-vous le courage de faire davantage confiance dans les capacités créatrices des enseignants ?
Pour sortir de la méfiance, voire de la défiance des enseignants envers leur hiérarchie, il est temps, madame la ministre, d’innover et de prendre, en concertation avec tous les acteurs concernés, des mesures courageuses qui attesteront de votre volonté à faire évoluer la gouvernance de notre maison commune et à véritablement refonder l’école de la République. En commençant par annuler des sanctions injustes et disproportionnées infligées à des enseignants réellement engagés pour la réussite de leurs élèves, vous enverriez, sur toutes ces questions, un signal qui, dans la morosité ambiante, pourrait être perçu comme une petite lueur d’espérance.
Soyez assurée, madame la ministre, de mes sentiments les plus respectueux et les plus déterminés.
Alain Refalo, professeur des écoles à Colomiers (31)
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