Source : Le Club de Mediapart
Dans un courrier adressé au premier ministre, Mes Muriel Ruef et Alexandre Faro, qui défendent des militants du climat assignés à résidence, s'indignent du traitement infligé à leurs clients. « Ce sont vos opposants politiques que vous avez placés sous résidence surveillée, comme l’aurait fait n’importe quel régime autoritaire », dénoncent-ils.
Monsieur le Premier Ministre,
La Conférence des Parties à la Convention-Cadre des Nations Unies sur le Changement climatique (dite COP21) s’ouvre demain à Paris dans un climat de deuil qui ne tient pas seulement aux faits survenus le 13 novembre dernier.
À la veille de ce rassemblement sans précédent de Chefs d’État et de Gouvernements, vous avez décidé d’offrir au monde qui nous regarde le visage inquiétant d’un pays triste et muselé, aux rues vides et à la contestation étouffée.
Profitant de l’émotion et de la peur qui nous ont légitimement envahis au moment de ces attentats, vous avez, à la faveur de l’instauration de l’état d’urgence, sorti des vieux cartons de l’Empire la pratique de l’assignation à résidence.
Or, les mesures liberticides se justifient toujours par la promesse qu’elles ne s’appliqueront qu’aux salauds désignés. Vous l’avez vous-même confirmé devant la Représentation Nationale en arguant de leur efficacité dans la lutte contre le terrorisme. Il était pourtant évident que ces assignations à résidence auraient vocation à s’appliquer dans les seuls cas où la justice pénale, avec son arsenal complet de mesures (garde à vue, contrôle judiciaire, perquisition,…), ne trouverait pas à s’appliquer, c’est à dire contre les personnes contre lesquelles il n’existe aucune preuve démontrant qu’elles ont commis ou tenté de commettre une infraction. Nous étions donc déjà loin des salauds.
En désignant ainsi des personnes et en les empêchant de mener une vie normale vous portez une atteinte manifeste à d’autres valeurs essentielles de notre droit républicain que sont la présomption d’innocence, la liberté de circuler et la liberté de travailler et d’entreprendre. Tout ceci au nom d’un impératif de sécurité légitimée par la lutte contre le terrorisme.
Ce 25 novembre, quelques jours seulement après avoir imposé l’état d’urgence, votre gouvernement franchi un cap supplémentaire en assignant à résidence des militants environnementaux et sociaux impliqués dans la lutte contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes et dans l’organisation - au grand jour et depuis plusieurs mois - des manifestations prévues à l’occasion de votre conférence internationale. Des policiers en civil sont postés en permanence devant leur porte, et ils doivent pointer trois fois par jour au commissariat.
Ce sont ainsi vos opposants politiques que vous avez placés sous résidence surveillée, comme l’aurait fait n’importe quel régime autoritaire et comme cela ne s’est plus vu dans ce pays depuis longtemps.
Vous avez utilisé la peur et l’émotion pour bâillonner une opposition à l’heure d’une réunion diplomatique sans précédent, justifiant ces mesures par l’emploi des mots «violences», «mouvance contestaire» et «ultra gauche», expressions vides de faits comme de sens, créées de toute pièce, sans la moindre consistance.
Vous aurez cependant du mal à faire croire aux spectateurs du monde entier que les militants qui s’impliquent et qui organisent la contestation légitime à votre manière de gérer le désastre environnemental constituent des menaces pour leur sécurité.
Vous offrez au monde entier le sombre spectacle d’un pays déstabilisé par les attentats au point de renoncer à ses valeurs les plus essentielles, celles-là même que les terroristes cherchaient à atteindre ce 13 novembre.
Il aura donc suffit de douze jours pour mettre à genoux notre héritage révolutionnaire.
Il semble en effet acquis, à la lumière de vos récentes déclarations, que vous envisagez fort naturellement la poursuite de ce que les plus naïfs appeleront «une parenthèse autoritaire» bien au-delà des trois mois légaux. Vous en auriez même informé la Cour Européenne des Droits de l’Homme.
Les assignations à résidence de ceux qui s’opposent à vous sont, dans ces circonstances, une honte, une honte abjecte et intolérable qui emporte, avant même qu’elle n’ait commencé, votre Conférence du Désastre dans les poubelles de l’Histoire.
Nous devons cependant craindre la suite, lorsque les caméras mondiales regarderont ailleurs et que vos mesures d’exception deviendront la règle.
Il nous reste alors à espérer que les philosophes et les historiens qui, depuis plusieurs jours, appellent par voie de presse à la vigilance populaire vis-à-vis des pouvoirs que vous vous êtes octroyés soient enfin écoutés, et que la contestation, que vous tentez de museler, enfin se fasse entendre.
Muriel RUEF Alexandre FARO
Avocate au Barreau de Lille Avocat au Barreau de Paris
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