Source : Le Monde
Seize ans après sa création, le Bloc de gauche, un parti anti-austérité portugais lié à Syriza, a décidé de soutenir les socialistes pour renverser, mardi 10 novembre, le gouvernement de droite. Conclue également avec le Parti communiste, cette alliance est une première dans un pays où la gauche a jusqu’ici toujours été divisée.
Fernando Rosas, professeur d’histoire à l’université nouvelle de Lisbonne et membre fondateur du Bloc de gauche, est un des idéologues du parti. Il explique ce qui a poussé sa formation, traditionnellement très critique vis-à-vis du Parti socialiste portugais, (PSP) à opérer ce tournant et à soutenir Antonio Costa pour qu’il forme un gouvernement.
Comment expliquez-vous que la gauche portugaise, divisée depuis quarante ans, ait réussi à s’entendre ?
Les
législatives du 4 octobre ont permis aux socialistes, aux communistes
et au Bloc de gauche d’obtenir une majorité très claire pour prôner une alternative à la politique
d’austérité aveugle menée par le gouvernement de droite sortant. Le
Bloc de gauche et le Parti communiste ont récolté ensemble près d’un
million de voix à la gauche de la gauche. C’est sans précédent, et cela
montrait que l’électorat voulait un véritable changement.La pression de notre base a été très forte : il fallait profiter de cette opportunité historique de gauche. L’accord n’est pas un programme du Bloc de gauche, on a fait des compromis et ce sera un gouvernement socialiste auquel nous ne participerons pas. Mais il est très précis, après avoir été très minutieusement négocié.
Que prévoit-il ?
Il vise surtout à revenir sur les coupes dans les salaires ou les retraites décidées ces dernières années. Il va certes augmenter les dépenses, mais en permettant une hausse de la consommation, et donc une augmentation des recettes fiscales. Il prévoit aussi une plus grande justice fiscale en taxant les grandes fortunes et la spéculation financière. En clair, il va permettre d’améliorer la vie des gens les plus pauvres, ceux qui ont été les plus touchés par la crise.
Mais vous avez rénoncé à demander une renégociation de la dette et un changement des traités budgétaires européens…
Nous n’avons pas renoncé, mais nous n’en avons pas fait une condition pour négocier le programme, c’est vrai. Il est toutefois prévu qu’une commission soit mise en place pour discuter de la dette. Et nous allons continuer à nous battre
pour une amélioration des règles des traités. Mais on n’en a pas fait
une condition, car cet accord permet d’abord des mesures très concrètes
et très urgentes pour améliorer
la vie des gens. C’est une opportunité unique après quatre ans de
gouvernement de droite néoliberale et très radicale, qui ont fait
beaucoup de mal au pays et provoqué le basculement de 800 000 votes de
la droite pour la gauche.
Le président de la République, qui est de droite, ne semble pas prêt à nommer le chef de file socialiste Antonio Costa comme premier ministre…
Il est très hostile à cette option, mais la Constitution empêche d’appeler à de nouvelles élections avant juin. Il pourrait maintenir un gouvernement technique de droite jusque-là. Mais ce gouvernement n’aura pas de budget et ne pourra pas gouverner contre la majorité parlementaire. Ce serait la catastrophe. Je ne vois pas comment le président pourrait choisir cette voie.
Comment
expliquez-vous que le Parti communiste portugais, que vous qualifiiez
vous-même de « sectaire », accepte désormais de s’allier avec vous et le
Parti socialiste ?
Il s’agit en effet d’un changement historique. Il y a eu une forte pression des milieux syndicaux sur le Parti communiste pour signer
un accord, et notamment de la Confédération générale des travailleurs
portugais (CGTP), le syndicat contrôlé par le parti. Les fédérations des
professeurs et des transports
publics voulaient un accord, car cela va permettre d’annuler les coupes
dans les salaires et des retraites. L’accord permet surtout revenir sur
les projets du gouvernement de droite qui aurait pu mettre en danger les centrales syndicales en restreignant la concertation collective au profit de la négociation individuelle.La situation en Grèce était différente. Nous, nous n’allons pas gouverner, c’est le Parti socialiste qui va gouverner. Et Tsipras a dû accepter ces règles dans des conditions pires que nous.
Qu’est-ce qui vous empêche encore de gouverner ?
Ne pas rentrer
au gouvernement nous permet d’être clairs. Il y a encore des
divergences sur les questions européennes. Mais l’avenir permettra
peut-être d’avancer sur cette question.
Le Parti socialiste portugais a toujours été pro-européen et soutenu la rigueur budgétaire. A-t-il changé ?
Il
y a eu un changement qui a été bien interprété par la direction
actuelle du parti. Cette question ne se posait d’ailleurs pas qu’à lui
mais à tous les partis socialistes au niveau européen. Regardez le Parti
travailliste britannique… ou le PSOE espagnol, qui est prêt à s’allier
avec Podemos. Les partis socialistes européens sont devant un choix face
à l’austérité : la soutenir ou retourner à des positions sociales-démocrates plus traditionnelles. Et nous avons aujourd’hui un programme social-démocrate.Jean-Baptiste Chastand
Journaliste au desk Europe
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