jeudi 16 avril 2015

Quand l’Aide sociale à l’enfance laisse tomber les adolescents isolés

Source Basta mag


La plupart ont un rêve : aller à l’école et s’intégrer. Mais ce rêve est en passe d’être brisé. Les mineurs étrangers isolés ne représentent que 6 % du public de l’Aide sociale à l’enfance. Ils sont néanmoins soumis aux aléas des politiques locales et des égoïsmes territoriaux. Et quand un département fait l’effort de mettre en place des structures d’accueil, les moyens font souvent défaut. Les critères d’âge et la complexité des dispositifs créent des situations parfois ubuesques, malgré le dévouement des associations et des collectifs de soutien. Enquête sur la situation parisienne.
La cérémonie rassemble une dizaine d’élus, des jeunes et des militants liés au Réseau éducation sans frontières (RESF) dans une salle de la mairie du 20ème arrondissement. En cette fin d’après-midi, on procède à des parrainages de mineurs isolés étrangers. Deux d’entre eux vont prendre symboliquement la parole, balbutiant quelques remerciements, gênés soudain d’attirer l’attention des officiels et des photographes. En ouverture, Frédérique Calandra, la maire socialiste de l’arrondissement, a émis un constat sans appel : « Si une partie des jeunes bénéficient de l’Aide sociale à l’enfance, ce n’est pas le cas de tous. Nous avons interpellé l’État, car la grande exclusion relève de sa responsabilité. »
Le parrainage civil – une cérémonie remise au goût du jour par RESF pour les familles sans papiers – s’est ouvert depuis quelques années aux jeunes isolés étrangers. Il n’a qu’une valeur symbolique, mais un certificat portant le nom d’un élu constitue une protection supplémentaire pour ces futurs majeurs en attente d’un titre de séjour. D’un point de vue légal, rien ne contraint une municipalité à ordonner ces cérémonies – dont les modalités varient selon les équipes. A Paris, elles ont lieu régulièrement dans toutes les mairies de gauche – sauf celle du 18ème.

Des jeunes exceptionnels

« Nous considérons que vous faites partie de nos jeunes », ajoute Frédérique Calandra. La précision est bienvenue tant les jeunes mineurs et majeurs étrangers semblent délaissés par les politiques publiques. Tous les travailleurs sociaux sont pourtant d’accord sur un point. Les mineurs isolés étrangers et les jeunes majeurs sont extrêmement volontaires et désireux de s’intégrer au plus vite. Noël Reliquet en est témoin. Lui est professeur dans un « établissement régional d’enseignement adapté » qui a pour vocation d’accueillir des jeunes en grande difficulté scolaire et sociale. « Lorsqu’un adulte rentre dans ma salle de cours, raconte-t-il, je demande parfois aux élèves de se lever... histoire de tester mon autorité. Cette consigne n’a jamais été suivie. Mais l’arrivée en nombre de ces jeunes étrangers a singulièrement changé l’ambiance de la classe. Un jour, le chef des travaux est entré, j’ai demandé aux élèves de se lever et quelle ne fut pas ma surprise de voir toute la classe m’obéir », raconte l’enseignant.
« Quand on leur demande ce qu’ils recherchent en France, poursuit-il, la première chose qu’ils répondent ce n’est ni l’argent ni même le travail, mais l’école. » Une enseignante du lycée Dorian, Albane Pélissier, parle même d’une « véritable obsession ». « 95 % d’entre eux sont extrêmement respectueux des adultes, renchérit Renaud Mandel, éducateur et président de l’Association pour la défense des jeunes isolés étrangers (ADJIE). C’est un plaisir de les accompagner parce qu’ils sont volontaires. Je n’aurais pas la même patience avec des jeunes déscolarisés par exemple. »

8000 ou 9000 jeunes isolés

Leurs cas ne constitue pas pour autant un enjeu prioritaire, loin s’en faut. « Ils sont à la fois trop et trop peu, explique Jean-Pierre Fournier, coordonnateur d’éducation prioritaire et membre de RESF. Ils peuvent disparaître dans le paysage. À l’échelle nationale, que pèsent 8000 ou 9000 jeunes en comparaison avec 200 000 ou 400 000 travailleurs sans papier ? » Avec l’arrivée remarquée de nombre d’entre eux dans les collèges et lycées – certains ne bénéficiant d’aucun hébergement – la situation est devenue beaucoup plus visible chez les enseignants et les parents d’élèves. Pour Sandrine Hébrard, membre de RESF 11ème et marraine d’un jeune Malien, « il reste difficile de sensibiliser sur ces jeunes de 16 à 18 ans livrés à eux-mêmes. Leur situation touche moins que celle des enfants en bas âge, même si ces derniers ont une famille. Isolés, ces adolescents le sont dans leurs démarches, pour expliquer leur parcours, mais aussi affectivement, moralement. »
Malgré leur soif d’apprendre, l’écrasante majorité d’entre eux ne verront de l’école qu’un cycle professionnel, orienté vers des métiers « en tension », autrement dit des secteurs où les emplois, souvent peu qualifiés et peu gratifiants, ne trouvent pas preneurs en France. « Ce qu’il faut comprendre, résume Renaud Mandel, c’est qu’on va leur demander d’être irréprochables et de s’asseoir sur leurs rêves. » Il cite le cas exceptionnel d’un jeune Tchétchène, arrivé en France à l’âge de 15 ans avec un objectif précis et la maîtrise parfaite de cinq langues. Il est parvenu à accrocher une filière générale, puis il est entré à Sciences-po, est devenu avocat avant de retourner dans son pays pour y mettre à profit ses compétences. Sans oublier le cas de Lassana Bathily, ancien élève sans papier parisien, devenu héros national. Mais pour d’autres, animés des mêmes ambitions et tout aussi courageux, rien de tel n’est même envisageable. « J’ai souvenir d’un jeune Congolais qui avait écrit un excellent article. Mais s’il était allé dire son désir de devenir journaliste, on lui aurait ri au nez. »

Des adolescents mineurs livrés à eux-mêmes dans la rue

Leur rêve d’école risque pourtant de vite se briser. Depuis début janvier, l’ Aide sociale à l’enfance a décidé de ne plus scolariser les jeunes en attente d’évaluation sur leur statut de mineur. Selon les associations, ils étaient 263 à Paris fin décembre, et les dispositifs d’hébergement d’urgence étaient bien loin de tous les accueillir. Pour aller à l’école et bénéficier d’une aide à l’hébergement, il faut avoir moins de 18 ans. Un critère certes objectif mais qui crée des situations ubuesques et provoquent des tensions alors même que les moyens font défaut.
En ce début d’après-midi de semaine, sous l’œil vigilant du gardien qui ne tolère aucun bruit dans le hall, des adolescents se présentent au guichet d’accueil de la Permanence d’accueil et d’orientation des mineurs isolés étrangers (Paomie), une structure gérée par France Terre d’Asile. Seuls des garçons sont visibles. L’un d’eux est très jeune, 14 ou 15 ans. Tout près du comptoir, des dessins sont affichés, avec des noms de régions, de pays – Pakistan, Mali, Penjab –, une phrase – « France is best country » (sic) – et cette autre en-dessous, plus réaliste, qui sert de légende à une fleur en couleur : « La vie est un combat. »

Fatou Sow, la directrice, et Laetitia Sorlat, chef de service, expliquent longuement leur action. Depuis janvier 2015, la Paomie n’est plus décisionnaire pour statuer sur l’âge des jeunes qui se présentent à ses guichets et qui doivent être mineurs pour être pris en charge. Cette mission d’expertise, obtenue sur appel d’offres par délégation de service public, est la principale attribution d’une structure créée à l’automne 2011. L’été précédent, on avait retrouvé pendu dans le parc de la Villette un jeune non reconnu mineur. L’affaire avait trouvé un écho dans la presse nationale.

A peine 40 places d’hébergement

D’autant que la Paomie ne dispose que de 25 places en hôtel. 16 autres ont été ajoutées pour l’hiver. Un gymnase a été ouvert mais il reste malgré tout des jeunes dehors. « Les délais d’évaluation sont trop longs, deux mois en moyenne », explique Jean-Michel Centres, responsable des mineurs isolés étrangers pour le Mrap (Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples). « Suivant les soirs, admet Fatou Sow, nous pouvons avoir jusqu’à quatre mineurs avérés ne disposant pas de place. Il arrive qu’un très jeune se présente alors que la liste est déjà pleine, on ne peut pas enlever une place attribuée. On ne sépare pas non plus les fratries. Et on ne peut pas mettre un jeune majeur avec un mineur de 14 ans, car par le passé il y a eu des problèmes. »
Laetitia Sorlat, chargée d’annoncer les décisions aux jeunes qui se présentent, confesse dans un triste sourire : « Quand on prononce un refus, je préfère que ce soit moi qui leur explique plutôt qu’un employé anonyme qui n’a pas suivi le dossier. » Livrés à eux-mêmes, en période de grand froid, « il y a des jeunes qui acceptent des rapports sexuels en échange d’un hébergement », soupire le militant du Mrap. Sur ces questions, le parquet de Paris n’a pas de chiffres à communiquer, puisqu’il n’y a aucune plainte. Les témoignages indirects n’en sont pas moins probants.

Tensions entre associations et collectif de lutte

Une situation difficile et source de tension entre associations et militants de la solidarité. À l’accueil, explique Laetitia Sorlat, les nerfs du personnel sont soumis à rude épreuve, d’autant que ces choix génèrent l’incompréhension de nombreux militants. Certains se sont réunis sur le trottoir d’en face sous le nom de collectif 127. Le 31 mars, ce collectif a rejoint les exclus du droit au logement place de la République. « Ils ont tout à fait raison de donner une visibilité à leur action, mais leur occupation des locaux le 26 février dernier s’est faite au détriment du dispositif. Les jeunes ont dormi dehors ce soir-là. Il y a eu des dégradations et des consignes regrettables données aux jeunes en réaction à l’évacuation par la police. »
En face, on insiste à juste titre sur le « besoin de solidarité immédiate ». « Mineurs à la rue, État hors-la-loi » est-il affiché sur la porte du terrain de basket changé en campement de fortune chaque soir. « Pour nous, ça sert à nous montrer, explique François Charpentier, d’Alternative libertaire, pour eux, c’est un logement. » Dans les associations pourtant, cette forme d’action ne fait pas consensus. Jean-Michel Centres, du Mrap, reconnaît le « rôle d’interpellation » du collectif quand depuis un ou deux ans on privilégie les saisines, les procédures juridiques, au cas par cas. Renaud Mandel, de l’ADJIE ajoute que l’action humanitaire du collectif est utile – collecte et distribution de vêtements et de nourriture – mais lui reproche « d’aller dans tous les sens », de « forcer la main aux organisations », de « jouer de la confusion ». Pierre Henry, de France Terre d’Asile, évoque quant à lui une « instrumentalisation des jeunes ».
L’essentiel des critiques émises contre la Paomie concerne l’évaluation du statut de mineur isolé, dont dépendra ensuite la prise en charge par l’Aide sociale à l’enfance. Si les tests osseux pour déterminer l’âge d’un adolescent n’y sont jamais pratiqués, l’évaluation sociale est elle aussi contestée. « Aucun dispositif d’État ne peut accepter de travailler sans critère », plaide Pierre Henry. Du côté de l’ADJIE, on relève que sur 112 jugements prononcés, suite à des décisions contestées de la Paomie, 68 ont conclu à la minorité de l’adolescent. Ce pourcentage d’erreur doit être cependant modéré en tenant compte du nombre global de cas examinés.

Égoïsme territorial

En 2014, 165 jeunes se sont présentés à l’ADJIE – soit à peu près un tiers des jeunes refusés – et 121 saisines ont été faites. « Une procédure est lancée à chaque fois que le mineur nous présente des papiers établissant sa minorité », explique son président, Renaud Mandel. 48 % des jeunes qui se présentent à la Paomie n’ont pas reçu le statut d’accueil provisoire en 2014. « En Suède, le gouvernement a refusé l’expertise osseuse parce qu’il a constaté que les fraudes ne dépassaient pas 30 %. Cela serait étonnant que la France soit le seul pays où 50 % des jeunes trichent. »
Cette sous-traitance par l’État des évaluations tend à devenir la règle. On trouve des structures semblables en Seine-Saint Denis et dans le Val-de-Marne, gérées par la Croix-Rouge et France Terre d’Asile. Rien en revanche dans les autres départements de la petite couronne – Hauts-de-Seine et Yvelines, gérés par la droite – où l’accueil est presque inexistant. « Plus de la moitié des départements ne jouent pas le jeu », explique Fatou Sow. Un égoïsme territorial qui créée un paradoxe : les mineurs et les jeunes majeurs isolés se regroupent dans les départements qui sont les plus ouverts. Malgré les injonctions de la circulaire Taubira de juillet 2013, visant à mieux répartir les mineurs isolés sur l’ensemble du territoire français, « rien n’oblige les départements à exprimer leur solidarité », explique Pierre Henry, directeur de France Terre d’Asile. « Du point de vue de ceux qui ne font rien ou presque, c’est un choix gagnant, personne ne vient s’inscrire chez eux, et pour cause ! »

Que fait l’Aide sociale à l’enfance ?

Cette sous-traitance d’une mission de l’État fait débat. « Ce n’est pas normal qu’une association qui a pour vocation de défendre les exilés fasse une évaluation à charge » considère Jean-Michel Centres. « Son rôle est de conseiller et d’orienter, ce qu’elle sait très bien faire. C’est tout un dispositif qui a basculé. Pourquoi n’a-t-on pas augmenté celui de l’aide sociale à l’enfance ? » Du côté de la Paomie, on regrette cette confusion, certes compréhensible, entre leur travail et celui du département. On insiste aussi sur la nécessité de pérenniser les actions, plutôt que de multiplier les dispositifs d’urgence.
Tous s’accordent à dire qu’il n’y a pas d’articulation correcte aujourd’hui entre ce qui existe pour les mineurs isolés et les structures de droit commun. « Dans l’urgence, explique Renaud Mandel, une association comme la Mie de Pain a accueilli des jeunes, en prenant soin de les séparer de son public habituel. Mais ce n’est pas son travail, et elle ne fait pas d’accompagnement social. » Si mêler des jeunes majeurs et des adultes de 40 ou 50 ans en grande détresse sociale n’est pas une solution, « il n’y a en revanche aucune différence fondamentale, fait remarquer Fatou Sow, entre un jeune de 17 ans et demi et un de 18 ans et demi. »
Or, en l’absence d’un dispositif pour jeunes majeurs, la longueur des procédures a pour résultat, voulu ou non, de faire sortir un certain nombre de cas du ressort de l’Aide sociale à l’enfance (ASE), sans relais de l’État. Il n’est pas rare du reste que l’ASE conteste des avis positifs émis par la Paomie. Quand l’évaluation sociale est contestée, la justice a désormais largement recours à l’expertise osseuse. « Il y a une xénophobie douce, administrative, qui est le reflet de notre société, renchérit Jean-Pierre Fournier, de RESF, la volonté de l’ASE est qu’ils ne s’ancrent pas. » Les mineurs isolés étrangers ne représentent pourtant que 6 % des jeunes pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance à l’échelle nationale. Mais faute d’une articulation correcte entre l’État et les départements, Paris se retrouve à gérer un pourcentage bien supérieur. « J’ai eu le cas par exemple d’un jeune dont le dossier avait été rejeté et qu’on a renvoyé vers la capitale depuis Bourg-en-Bresse avec un simple billet de train », se souvient Renaud Mandel. Un de ceux qui, ni mineur ni majeur, se sera retrouvé à la rue.
Olivier Favier
Photos : Parrainage républicain du 24 mars 2015 / © Olivier Favier

En quête de bénévolat

Au cours de ce reportage, j’ai recueilli les conseils à destination des personnes désireuses d’accompagner les mineurs isolés étrangers et les jeunes majeurs. La permanence associative ADJIE recherche des bénévoles pour suivre les jeunes dans leurs démarches administratives, France Terre d’Asile pour accueillir et orienter les personnes, faire de l’interprétariat, animer un atelier, accompagner une sortie culturelle.
Concernant les jeunes scolarisés, on peut se rapprocher des permanences de RESF. Dans tous les cas, il est important de se rapprocher des dispositifs existants, tout en restant attentifs aux situations observées autour de soi, dans les établissements scolaires, le voisinage et la rue. On peut enfin signer la pétition pour la proscription de l’usage des tests osseux. On trouvera ici un exemple de parcours d’un Mineur isolé étranger.

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