mercredi 1 avril 2015

OUVRIERES DU TEXTILE EN TUNISIE : «LA SEULE FAÇON D’AMELIORER LEUR SORT, C’EST D’INFORMER»

Libé 28.03.15
.Amani Allagui à Tunis le 26 mars
2015. (Photo Isabelle Rimbert)  Christian LOSSON (à Tunis)
FORUM SOCIAL MONDIAL

Chaque jour, un militant présent à Tunis raconte son combat. Aujourd'hui
: Amani Allagui, Tunisienne, coordinatrice du Forum tunisien pour les
droits économiques et sociaux – FTDES -  (6/7).


A l’occasion du Forum social mondial de Tunis, du 24 au 28 mars, où 70
000 participants de plus de 130 pays doivent se réunir pour proposer des
alternatives à un monde dans l’impasse, Libération.fr se propose de
prolonger le regard de militants. Chaque jour, et jusqu’à dimanche,
retrouvez un témoignage, un combat, un espoir.
 «Le textile est majoritaire dans la région de Monastir (Tunisie),
c’est la capitale par excellence de cette industrie. Tout le monde y a
des proches impliqués. Des femmes, jeunes, exploitées, parfois
illettrées, qui viennent des régions du sud, plus pauvres. Le secteur
est crucial pour la Tunisie : il pèse le tiers des entreprises
industrielles. Il employait encore récemment 18 5000 ouvriers. Mais ils
étaient 250 000 avant 2005. La détérioration ne date pas que de la
révolution de 2011 : elle remonte au démantèlement de l’accord
multifibres, il y a dix ans. Pas moins 87 usines de l’industrie du
textile de la région de Monastir ont dû fermer leurs portes entre 2007
et 2012, laissant 4 500 personnes au chômage. Dans ce secteur, 8 femmes
sur 10 se retrouvent ainsi sans emploi. Du coup, les patrons se sentent
plus que jamais les mains libres et multiplient les violations des
droits du travail. Pour mieux comprendre, et étayer nos accusations, on
a donc mené, avec le FTDES, le Forum tunisien pour les droits
économiques et sociaux, une enquête autour de 28 firmes, et recueilli
260 témoignages. Une première.»
«Ce qui frappe, c’est que les usines dont l’ancienneté est de moins de 5
ans, sont majoritaires. Pour une simple raison : elles sont dispensées
de taxes. Ce qui étonne aussi, c’est qu’à 42% elles sont détenues par
des capitaux français. Et qu’elles s’accommodent très bien des contrôles
en chute libre depuis la révolution. Les inspectrices nous le disent :
quand elles interviennent, les entreprises ont été déjà été informées de
leur passage. Et les patrons ne se privent pas de prélever plus de 9% de
leur salaire censé être versés à la sécurité sociale, mais qu’ils se
gardent bien de faire en réalité. L’exploitation de ses ouvrières se
multiplie en toute impunité. Des fermetures abusives d’usine aussi. On a
compilé pas moins de 321 dossiers individuels sur le sujet en 2014 !
L’un des cas les plus fameux, c’est l’histoire de JBG, Jacques
Bruynooghe Global, groupe textile belge qui, du jour au lendemain, a
fermé cinq de ses filiales, en 2013. Sans verser de salaires, sans
primes, sans heures supplémentaires. Le tribunal de grande instance de
Monastir a bien condamné le groupe a dédommager 311 ouvrières à 4
millions de dinars (près de 2 millions d’euros), mais pour l’instant,
les poursuites restent sans suite. Le groupe n’a rien payé.
 «Alors oui, on est venu raconter ces histoires de travailleuses
exploitées, parfois virées du jour au lendemain, alors qu’elles
travaillent depuis plus de 30 ans. Dire que les rapports de productions
sont garantis par une fourchette de lois au service des investisseurs
aux dépens de la main d’oeuvre. Et qu’ils sont pour le moins
asymétriques. Dénoncer des salaires humiliants : 300 dinars par mois
(150 euros ndlr), avec parfois des familles entières en charge : 90% des
femmes disent ne pouvoir en vivre décemment. On est aussi venus
témoigner des conditions de travail, parfois sans issues de secours,
sans réfectoires. Un tiers des filles interrogées souffrent de maux de
dos, de poignets, de pieds. Et beaucoup de celles qui oeuvrent dans les
ateliers du tannage et lavage bossent sans gants, sans masque et
développent des maladies telles que des cancers. Pour éviter toute
preuve de rapport au travail, les salaires sont souvent payés en
espèces; les heures supplémentaires non payées. Quant aux logements, ils
sont lamentables : des filles qui dorment parfois jusqu’à 5 ou 6 dans
des endroits insalubres, parfois à même le sol sur des cartons, sans
aucune aération. La seule façon d’améliorer leur sort, c’est d’informer.
D’en parler. Et de les aider, parce que les syndicats sont encore trop
souvent absents : moins de 10% sont syndiquées.»

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