Par Sylvain
Lapoix (Reporterre)
« Nej
tak til skifergas » : « Non
merci aux gaz de schiste ».
Comme tous les matins depuis 260 jours,
Noël compris, des militants déroulent
cette banderole devant la plateforme
d’exploration pour les gaz de schiste de
Total à Dybvard, à l’extrémité nord de la
péninsule danoise. Jusqu’ici peu
médiatisé, ce coin perdu du Nord Jutland a
vu affluer les médias lundi 13 avril quand
des militants de Greenpeace se sont
infiltrés jusqu’au sommet de la tour de
forage pour tendre un kakemono « Stop
fracking » à 25
mètres au dessus de la lande.
Après
l’interdiction de la technique de
fracturation hydraulique par la France en
juillet 2011 et le retrait de la compagnie
du sud de la Pologne, le permis de
Nordylland est aujourd’hui la zone
d’exploration pour les gaz de schiste la
plus avancée de Total en Europe. Or, c’est
justement à la veille de la première
fracturation hydraulique (intervenant dans
le cadre de la « production
du réservoir » selon
le jargon utilisé par la compagnie), que
l’ONG environnementaliste a
déployé casques et baudriers pour raviver
le débat sur ces discrètes opérations.
Loin de la capitale
Comme
l’indique le rapport de référence de
l’Energy Information Agency américaine, le
nord de la partie continentale du Danemark
et la région insulaire autour de la
capitale Copenhague reposent sur les
schistes de la période cambro-ordovicien
pouvant renfermer les fameux gaz. S’il
existe des ressources dans la pointe sud
de la Suède, le Danemark présente selon
l’agence états-unienne le plus gros
potentiel scandinave, avec près de 900
milliards de mètres cubes de gaz de
schiste récupérables - en théorie (cela
représente un peu moins d’un quart des
estimations pour la France).
En 2010, la filiale Total E&P
Denmark a
obtenu 5261 km² de concessions sur deux
permis : l’un couvrant toute la
pointe nord du Jutland où se trouve la
plateforme de Dyvbard, l’autre dans le
tiers nord-est de l’île de Seeland où se
trouve la capitale Copenhague. Copenhague
où s’était déroulé quelques mois plus tôt
le sommet sur le climat.
Pour
l’accompagner dans cette opération, Total
a reçu le soutien à hauteur de 20% du
Nordsøfonden. Ce fond public créé en 2005
par le gouvernement conservateur d’Anders
Fogh Rasmussen a pour vocation d’aider le
Danemark à faire face à l’épuisement de la
mer du Nord par des investissements
stratégiques. Un dispositif proche du
fonds norvégien, à ceci près qu’il pare à
l’essoufflement des plateformes
pétrolières offshore... en misant sur les
gaz de schiste ! Si les
deux concessions sont éligibles aux
forages, seule la plus éloignée de la
capitale a été mise en travaux.
Un mouvement parti de la base
A
peine avait-elle obtenu l’autorisation
de la commune voisine de Frederickshavnque
la compagnie Total a dû faire face à
l’opposition des riverains. Et sur le
terrain d’une ferme voisine, une tente
constitue depuis plus de huit mois le
point de ralliement. Une à cinq personnes
y montent la garde, principalement des
gens du coin, fermier ou retraités,
généralement la cinquantaine passée et
sans passé politique ou militant.
La
province compterait quatre à six
collectifs anti-gaz de schiste. Lesquels
ont très vite été rejoints par les
différentes composantes du mouvement
écologiste danois : « Les
anti-nucléaires danois sont très vite
venu prêter main forte, explique au
téléphone Siggur, soutien logistique au
mouvement Total Blokade. Leur combat
date des années 1970 et ils ont gagné la
bataille, ce sont donc plutôt des
militants d’une soixantaine d’années.
Mais des activistes plus jeunes ont vite
afflué de la ville voisine d’Aalborg ou
même de Copenhague ».
Ici
comme en France, la mobilisation a pris
forme en dehors des réseaux
institutionnalisés. « Les
ONG et les partis
politiques ne jouent pas un grand rôle
dans le mouvement écologiste,
insiste Siggur. Je me coordonne avec
des réseaux indépendants qui se sont
structurés autour de la Cop 15 en 2009,
je n’ai pas d’activité militante par
ailleurs ».
Alimentés en main d’oeuvre et outils de
communication par ces militants , les
opposants locaux aux gaz de schiste
parviennent à réunir chaque jour une
cinquantaine de personnes pour se rendre
sur le site et entonner des chants de
protestation, brandissant des pancartes où
apparaît parfois le « trèfle
radioactif »
symbolisant l’industrie nucléaire. Un
souvenir, peut-être, que les couches de
schiste visées par Total ont longtemps
servi de mine d’uranium (comme ce fut le
cas aux Etats-Unis avec la Pennsylvanie).
Huit jours de préparation
Fatigué
par les mois d’hiver où un vent à 6 degrés
sous zéro s’engouffrait parfois sous la
tente, les militants souhaitaient depuis
plusieurs mois sortir de l’action
symbolique. Suivant le
calendrier de Total et des
indiscrétions, ils avaient appris que la
première fracturation hydraulique aurait
lieu « fin avril ».
Par mesure de précaution, avant même que
les alpinistes de Greenpeace ne sautent la
barrière, les militants locaux ont
constitué un barrage dès le dimanche
5 avril pour empêcher à tout camion
d’acheminer équipement ou matériaux.
Une
semaine plus tard, les renforts
parvenaient du reste du pays : « Quand
nous sommes arrivés lundi 12 en plein
milieux de la nuit, nous avons empilé
tout ce que nous trouvions sur la route
car nous savions qu’ils arrivaient,
raconte Simon au téléphone. Le
lendemain, nous avons bloqué un convoi
de six camions pendant plus de deux
heures à une soixantaine de personnes,
principalement venues de Copenhague. »
« La
police va gérer la situation »
prédisait lundi 13 avril Total Danemark dans
un communiqué, affirmant par
la voix de son directeur d’exploitation
que l’occupation coûtait des dizaines de
milliers d’euros chaque jour à
l’entreprise. Enchaînés sur des chaises de
jardin, les militants ont progressivement
été évacués par les forces de l’ordre
mercredi.
Ce bref coup d’éclat a donné au
mouvement l’élan pour lancer un appel
européen via les mouvements anti-gaz de
schiste nationaux (notamment en France).
Retardé dans ses travaux, Total ne peut
guère se permettre d’attendre plus
longtemps : la concession prenant fin en
2016, le pétrolier devra livrer des
estimations techniques et économiques dès
la fin de l’année pour espérer obtenir une
prolongation ou une mutation du permis.
Lire aussi : L’ombre des essais nucléaires plane sur la contestation du gaz de schiste en Algérie
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