mercredi 22 avril 2015

Grèce: Syriza défend ses trois premiers mois au pouvoir

Médiapart - 17 AVRIL 2015
PAR AMÉLIE POINSSOT 



Qu'a pu faire en trois mois de pouvoir le gouvernement d'Alexis Tsipras? Si les débats font rage au sein de Syriza, si les pressions des Européens et de la Troïka n'ont pas cessé, si l'Allemagne souffle le chaud et le froid, le nouveau pouvoir grec réussit tout de même à avancer pas à pas. Ministres et députés expliquent cet apprentissage du pouvoir, comment ils tentent d'appliquer leur programme de gauche, sans céder sur l'essentiel.

De notre envoyée spéciale à Athènes.- Il y a eu l'euphorie, les premiers jours. La gauche radicale, pour la première fois, parvenait au pouvoir. Enfin, on allait pouvoir renverser la table, mettre fin à l'austérité, balayer l'ancienne classe dirigeante. Le gouvernement formé par Alexis Tsipras à l'issue des élections du 25 janvier ne comptait, à une petite exception près, que des nouvelles têtes n'ayant jamais gouverné. Une classe politique toute neuve s'installait aux manettes de l'exécutif, des gens au mode de vie modeste, des hommes sans cravate, des personnes que l'on croisait, pour certaines, dans les manifestations encore quelques mois plus tôt…
La partie s'est corsée très vite. L'agenda européen s'est imposé et, avec lui, les difficiles négociations avec les partenaires du pays. Le 20 février, un accord est signé afin de poursuivre le versement des prêts octroyés à la Grèce depuis 2012 en échange de son engagement à appliquer certaines réformes, accord qui renvoyait à la fin juin la question de la négociation plus large que demande Syriza sur la restructuration de la dette du pays. Cet accord – qui n'a pas fini d'être discuté car la liste des réformes fait depuis l'objet d'incessants allers-retours entre Athènes et Bruxelles – est une première entorse à l'unité affichée jusque-là par Syriza.
Car en interne, ce texte signé avec les Européens fait toujours des vagues. Certes, il met fin à la Troïka, mais dans les faits, les trois institutions commission européenne-BCE-FMI sont toujours là : on parle désormais de « groupe de Bruxelles ». Certes, on trouve dans la liste des réformes des éléments de politique sociale et des mesures de relance, mais l'on ne revient pas intégralement sur toutes les mesures d'austérité comme le promettait le programme électoral de Syriza.
Lorsque l'accord du 20 février est présenté devant le comité central de Syriza, le désaveu est magistral : 45 % votent contre… tandis que plusieurs absences se font remarquer et que d'autres votent blanc. « Le non aurait été encore plus important si tout le monde avait voté », estime un membre du comité central présent ce jour-là. Syriza, formé à l'origine par une coalition de partis, a toujours connu une pluralité interne. Le courant de la « Plateforme de gauche », notamment, exprime une vision plus radicale que celle de la ligne majoritaire et prône la sortie de la zone euro. Même si cette thèse avait été mise en sourdine pendant la campagne électorale, elle pesait environ 30 % des voix au sein du comité central.
Cette fois-ci, les clivages dépassent les divergences traditionnelles au sein du parti. Un troisième courant émerge, issu de la ligne majoritaire, formé par d'anciens de l'« Organisation communiste de Grèce » : il présente une liste dissidente lors de l'élection du nouveau bureau politique. Et d'autres commencent, individuellement, à prendre leurs distances par rapport à la « ligne Tsipras »...
Déjà, l'élection du président de la République, dans la foulée de la prise du pouvoir, avait électrisé le groupe parlementaire de Syriza. Lors d'une première consultation interne, une trentaine de députés avaient refusé d'apporter leur voix au candidat choisi par Tsipras, un homme de droite modérée dont il a divulgué le nom à la presse avant même de l'annoncer à ses propres troupes. En Grèce, le rôle du président est essentiellement honorifique, et le parti au pouvoir a pour habitude de désigner à ce poste une personnalité consensuelle, afin de recueillir les voix de l'opposition.
La députée Sia Anagnostopoulou a fait partie de ces députés protestataires : « J'ai voté contre cettecandidature en réunion de notre groupe parlementairecar je voulais une personnalité de gauche, ou du moins de centre gauche, ou encore quelqu'un au-dessus des partis. Mais j'ai finalement voté pour le candidat lors du vote en séance plénièrecar j'ai compris la nécessité du consensus. » L'ensemble des députés Syriza s'est rallié de la même façon au moment de l'élection.
Remous, désaccords, discussions… et, finalement, discipline de parti. Syriza continue d'afficher son unité. Jusqu'à quand ? L'exercice du pouvoir oblige chacun à se repositionner. Yorgos Katrougalos, ministre adjoint à la réforme administrative qui annonçait, dès sa prise de fonctions, la réembauche du personnel licencié de la fonction publique, a dû prendre son mal en patience. Syriza fait l'apprentissage du compromis… et le fait plutôt bien, selon lui. « Avec l'accord du 20 février, nous avons réussi à gagner du temps et de l'espace politique afin d'appliquer notre programme. Nous n'appliquerons pas tout le programme, mais l'essentiel de ce que nous voulions est acquis : des mesures contre la crise humanitaire, et des mesures contre l'agenda néolibéral des mémorandums d'austérité. Là-dessus, nous avons convaincu nos partenaires. »

Des signaux contradictoires

Il n'empêche. Deux mois après cet accord avec l'Europe, le gouvernement est toujours empêtré dans les négociations sur son application. L'Eurogroupe se réunit à nouveau vendredi 24 avril pour finaliser la liste des réformes. Et Wolfgang Schäuble, le ministre allemand des finances, a déclaré ce mercredi qu'il était peu probable que la Grèce et le reste de la zone euro parviennent à se mettre d'accord d'ici là… Dans la foulée, l'agence de notation Standard & Poor's a abaissé d'un cran la note de la Grèce.
« La pression continue de nos partenaires, qui nous demandent de nouvelles garanties chaque semaine, est très dure. Ce n'est pas facile de gouverner dans ces conditions ! »soupire Yorgos Katrougalos, qui ajoute : « Mais nous n'avons pas fait cette volte-face qu'ils attendaient de nous. C'est pourquoi nous bénéficions toujours d'un soutien important de la population. » De fait, les instituts de sondages donnent Syriza gagnant avec une majorité absolue si de nouvelles élections anticipées étaient convoquées…
Dans les ministères comme à la Vouli (le parlement), la lassitude face à la position bruxelloise est unanime. Dans un entretien au Journal des rédacteurs (favorable à Syriza) en début de semaine, Dimitris Christopoulos, le conseiller de la ministre adjointe à la politique migratoire qui prépare actuellement une grande réforme, lâchait : « Le pays ne peut pas être géré normalement si, toutes les deux semaines, il faut s'occuper d'un quelconque nouveau délai de l'Eurogroupe. Qu'ils nous laissent un petit peu travailler, alors on devra se mesurer à nos propres faiblesses et s'efforcer de faireapparaître le marqueur réformateur de gauche qui pour le moment a bien de la peine à sortir. »
Le palais Maximou (nom de la résidence du premier ministre) rappelle de son côté que la Grèce n'a touché aucun versement depuis l'été dernier et ne mâche pas ses mots à l'égard des partenaires européens : « Au lieu d'ébruiter des scénarios de faillite, qu'ils prennent conscience de l'impasse dans laquelle nous conduit leur politique, d'autant que la Grèce rembourse normalement ses obligations, sans qu'elle ait touché un euro depuis août 2014 », pouvait-on lire dans un de ses communiqués cette semaine.
Depuis l'entrée en fonctions du gouvernement Tsipras, les communiqués sont pratiquement quotidiens – quand ils ne tombent pas plusieurs fois par jour –, mais la communication de l'exécutif reste brouillonne. Il arrive régulièrement que des annonces se contredisent d'un ministère à l'autre. « Les ministres racontent parfois n'importe quoi, et cela envoie des signaux contradictoires à nos partenaires ! » regrette, en off, une conseillère. La faute du débutant ? De fait, les nouveaux dirigeants ne sont pas encore complètement rompus à la langue de bois policée caractéristique des politiciens professionnels. Mais il y a quelque chose de rafraîchissant à écouter ceux d'entre eux issus de la société civile, ces intellectuels et ces chercheurs qui ont été nombreux à rejoindre les rangs de Syriza ces deux dernières années.
Sia Anagnostopoulou, élue pour la première fois à la Vouli le 25 janvier, fait partie de ceux-là. Cette historienne spécialiste de l'Empire ottoman le dit sans détour : « J'ai découvert un tas de nouvelles choses les premières semaines que j'ignorais. Moi qui dans mon travail de chercheuse étais habituée à étudier le fond des choses, j'ai dû aborder à toute vitesse de très nombreux sujets, tout en restant à la surface. J'ai découvert aussi que la politique consistait surtout à répondre aux questions des journalistes télé, à participer à de soi-disant débats où il faut avant tout paraître combatif mais jamais parler du fond… La politique m'est apparue comme un spectacle de mauvais goût. »
L'universitaire a décidé de se concentrer sur un domaine : affaires étrangères et européennes. Et surtout, en s'efforçant de rester la même personne : « Je continue de prendre taxis et transports en commun, je ne circule pas avec un chauffeur dans Athènes. » Son étonnement a été immense au lendemain de son élection, dans sa circonscription, à Patras : « Un tas de personnes sont venues me voir pour me demander du travail… Je n'ai pas donné suite évidemment, cclientélisme m'est complètement étranger. Je ne suis pas là pour assouvir une soif de pouvoir, cela me libère. Si je ne suis pas réélue, cela m'est complètement égal : j'aime beaucoup mon travail, je reprendrai mon poste à l'université ! »
Autre constat décevant pour cette intellectuelle : « La politique est masculine. Les femmes ne sont là que sous la tolérance des hommes. Je ne m'attendais pas à cela dans la Grèce du XXIe siècle... » Elle raconte une dispute qu'elle a eue en pleine assemblée avec un député de la droite. « À la fin de la discussion, il m'envoyait des bisous. C'est un comportement tout à fait inadmissible pour un parlementaire ! » Mais la plus touchée par le machisme ambiant est la présidente de l'assemblée, Zoi Konstantopoulou. Elle fait les frais depuis plusieurs semaines d'une vaste campagne de dénigrement.
C'est une femme au caractère bien trempé, aux convictions solides, peu tournée vers le compromis. À droite, mais aussi en interne, de manière plus discrète, on lui reproche son inflexibilité. « Mais on n'en fait pas toute une histoire lorsque des hommes ont ce type de caractère... », regrette Sia. Or la présidence du parlement est le seul poste important octroyé à une femme par le nouveau pouvoir. Le gouvernement Tsipras élargi ne compte que six femmes sur 41 personnes, et aucune n'a le rang de ministre.

Des lignes rouges

Si Zoi Konstantopoulou fait partie de ces gens bien décidés à appliquer le programme de Syriza, d'autres, y compris au sein de l'aile gauche du parti, se révèlent davantage enclins à faire des concessions. De fait, la question de la restructuration de la dette qui figurait dans le programme est passée aux oubliettes. « Syriza n'a plus le discours maximaliste qu'il tenait avant les élections, explique la politologue Filippa Chatzistavrou. C'est une évolution assez naturelle pour un parti qui voulait gagner les élections et qui faitmaintenant face à la réalité du pouvoir. Pour autant, le parti de Tsipras n'a pas tout abandonné, il a réussi à imposer la question de la crise humanitaire et l'idée qu'il faut desserrer la discipline budgétaire. Ce sont bel et bien des idées de gauche ! Je qualifierais la politique de Syriza aujourd'hui de néoréalisme économique et social. »
Le gouvernement Tsipras maintient en outre plusieurs lignes rouges : il veut réintroduire les négociations collectives (supprimées avec les mémorandums d'austérité), rétablir le salaire minimum à son niveau initial (soit 740 euros brut au lieu des 580 actuels), bloquer toute libéralisation du marché du travail et empêcher de nouvelles coupes dans les pensions de retraite. Ce sont là les points d'achoppement, actuellement, avec les partenaires de la zone euro – et ils doivent être résolus d'ici le 24 avril.
« Mais nous ne pouvons reculer là-dessus ! Ce n'est pas le mandat pour lequel nous avons été élus ! », proteste Yorgos Katrougalos. « Syriza ne peut faire une telle concession, explique de son côté Errikos Finalis, membre du comité central du parti.Nous ne sommes pas arrivés au pouvoir pour appliquer un nouveau mémorandum d'austérité ! Sinon, en quoi nous différencions-nous de nos prédécesseurs de la droite de Nouvelle Démocratie... ? Pour l'instant, nous ne pouvons même pas appliquer une petite partie de notre programme économique, c'est considéré comme un acte unilatéral ! »
Les seules mesures votées jusqu'à présent ont porté sur 200 millions d'euros : c'est une loi, votée à la mi-mars, qui prévoit la fourniture d'électricité gratuite aux plus pauvres, une aide au logement pour 30 000 foyers ainsi qu'une aide alimentaire pour 300 000 personnes. « Mais nous avions prévu 2,1 milliards d'euros au départ pour lutter contre la crise humanitaire ! »précise Errikos. « Tsipras veut rétablir le droit du travail aboli par les mémorandums d'austérité, il ne peut pas y renoncer et accepter la libéralisation voulue par les institutions européennes, c'est la loi structurelle de la gauche... », tranche de son côté la députée Sia Anagnostopoulou. « De l'extérieur, le premier ministre apparaît peut-être indécis. Mais c'est qu'en réalité il ne peut pas reculer ! »
Sur le dossier des privatisations en revanche, Syriza a opéré une marche arrière. Panayotis Lafazanis, le chef de file de l'aile gauche, avait annoncé dès sa nomination à la tête du ministère du redressement productif et de l'énergie l'arrêt de la privatisation du port du Pirée. Depuis, il a mis de l'eau dans son vin et affiche sa loyauté à Tsipras. D'arrêt total des privatisations, on est ainsi passé au « cas par cas ». Pour Yorgos Katrougalos, le ministre adjoint à la réforme administratives, les compagnies d'eau d'Athènes et de Thessalonique, sur la liste des biens à privatiser depuis 2011, doivent rester dans le domaine public. Mais difficile de saisir une parole officielle claire sur le sujet…
Les voix sont parfois dissonantes au sein de l'exécutif, composé de courants politiques plus divers qu'il n'y paraît. Même si le gouvernement a été formé en moins de 48 heures, un temps record dans l'histoire politique hellène, il repose sur un équilibre fragile : l'alliance avec un allié encombrant, la droite souverainiste des Grecs indépendants. Figurent également au sein de cet exécutif plusieurs anciens du PASOK, le parti socialiste, ralliés plus au moins tardivement à la gauche radicale.
Dans les ministères, il a fallu ensuite trouver rapidement des conseillers. Pas évident, pour un parti qui n'avait jamais gouverné et qui ne recueillait encore que 4 % des suffrages il y a quatre ans… Résultat, certains travaillent avec des conseillers déjà en place dans l'exécutif précédent. C'est le cas du ministre des affaires étrangères, l'étrange Nikos Kotzias, ancien stalinien devenu socialiste, aujourd'hui flanqué du conseiller de son prédécesseur, classé à droite.
Aux finances, Yanis Varoufakis a tout de suite fait appel à Elena Panariti, figure libérale du PASOK, issue du cercle de Yorgos Papandréou – celui qui a mis le pays sur le chemin de l'austérité en faisant appel, en 2010, au FMI et aux institutions européennes… L'économiste qui fut députée jusqu'en 2012 se défend toutefois de s'être compromise alors. « Je suis une spécialiste de l'économie du développement, dit-elle. Ce serait du gâchis que de ne pas participer aujourd'hui au redémarrage de mon pays. Le chômage a explosé, près du tiers de la population vit sous le seuil de pauvreté, et les impôts ont été augmentés au-delà du niveau optimal. » N'a-t-elle pourtant pas elle-même voté ces programmes d'austérité jusqu'en 2012… ?

L'affrontement était inévitable

Si l'exécutif s'est étoffé d'experts reconnus dans le monde universitaire et classés à gauche, notamment pour les questions migratoires et la justice, dans les coulisses, certains sont donc restés en place. Et peuvent augurer d'un recentrage politique de Syriza. « Il n'y a pas de gauche du centre, de gauche radicale, assure Elena Panariti. On n'est plus dans des querelles de chapelle, on est là pour remettre le pays debout. On doit travailler comme une équipe unie. C'est le grand mérite de Tsipras : il a réussi à réunir des gens comme moi et d'autres comme Lafazanis… Cela n'avait rien d'évident, cela démontre sa capacité de leadership. »
Libérales, anticapitalistes, modérées ou radicales, plusieurs personnes interrogées sont toutefois d'accord sur un point : l'attitude des Européens, en particulier celle exprimée par Berlin, a été très méprisante à leur égard. Et cette posture, loin d'être pragmatique et réaliste, est au contraire profondément idéologique. « Les négociations avec l'Eurozone, c'est une discussion plus politique que technique », nous confie-t-on au ministère des finances. S'attendaient-ils à une position aussi ferme de la part des institutions européennes ? « Oui, répond le ministre adjoint à la réforme administrative Yorgos Katrougalos, mais malgré tout personne ne veut une rupture. Ce serait un désastre pour la Grèce et pour l'Europe. »
Syriza au pouvoir, en fin de compte, n'a plus grand-chose de radical. Et c'est là le paradoxe. « Ce que nous défendons aujourd'hui, explique ce ministre issu du monde universitaire, ce n'est pas du tout révolutionnaire. Si nous étions dix ou vingt ans en arrière, ce serait tout simplement le programme d'une social-démocratie très souple.C'est un modèle qui veut réconcilier le marché avec les droits sociaux et qui veut apporter des réponses à la crise humanitaire, ce n'est pas du tout radical ! Toute la difficulté aujourd'hui est d'appliquer ce programme de gauche dans une Europe néolibérale. »
La dimension radicale, selon ce ministre, viendra plus tard, quand le nouveau compromis avec Bruxelles sera trouvé. Alors, Syriza tentera de changer en profondeur l’État et la société : rendre l’État plus démocratique, le rapprocher des citoyens, introduire la possibilité de révocation des députés, créer un référendum d'initiative citoyenne. En bref, mettre en place une « démocratie populaire ».
Au siège du parti, aussi, on parle de position « modérée »« Au niveau économique, notre proposition n'a rien de radical, c'est une proposition équilibrée, rationnelle et efficace, estime Errikos Finalis. Le problème est que nos partenaires ne pensent pas en termes économiques mais en termes politiques. Il y a plusieurs élections à venir cette année dans différents pays européens, et les dirigeants actuels ne veulent pas ouvrir la voie à une alternative. Il s'agit d'obtenir une punition exemplaire de Syriza et de la Grèce, afin de ne pas voir se reproduire un scénario semblable ailleurs, comme Podemosen Espagne. »
Syriza se retrouve dès lors confrontée à un choix crucial, qui va bien au-delà des frontières de la Grèce : « Accepter la politique européenne actuelle, ce ne sera pas seulement un échec économique. Ce sera aussi la disparition de toute alternative de gauche, et cela ne fera que profiter à l'extrême droite. » Errikos en est convaincu, c'est« une guerre économique et politique » qui se joue aujourd'hui. Ce n'est pas lui qui se radicalise, mais les institutions européennes, estime-t-il.
Pour la politologue Filippa Chatzistavrou, qui enseigne à l'université d'Athènes, cet affrontement était inévitable : « L'Union européenne est prise dans un dogmatisme forcené. Il n'y a aucune logique dans ce qui est proposé, ni aucune discussion possible. Or la politique consiste en l'élaboration d'un consensus : il faut que chacun déplace ses positions. Cela ne consiste pas en l'application de nouveaux délais imposés toutes les trois semaines par M. Schäuble ! Aujourd'hui, il n'y a plus ce mécanisme de consensus qui était pourtant à la base de l'intégration européenne. »
Le gouvernement Tsipras, en fin de compte, s'est mis à faire de la politique dans ce qui était jusqu'à présent des réunions aux conclusions connues d'avance… Quel vent d'air frais sur Bruxelles… « Syriza refuse de se laisser gouverner par la technocratie. C'est le seul à le faire, c'est cela, le changement majeur ! » conclut Filippa Chatzistavrou.
Et pour faire entendre sa voix, le gouvernement Tsipras est bien décidé à jouer toutes ses cartes. La semaine dernière, Tsipras se rendait à Moscou ; Panos Kammenos, le ministre (souverainiste) de la défense, s'y est rendu à son tour cette semaine. Sans vouloir remettre en cause son appartenance européenne, Athènes entend développer ses alliances à l'international, et des contacts sont noués actuellement avec la Chine et le Brésil.

Pas à pas, quelques réformes

Le défi, pour tenir tête aux apôtres de l'austérité, est immense. Impossible à relever, diront les pessimistes. Et pourtant. Aucun de ces nouveaux dirigeants rencontrés à Athènes ne veut baisser les bras. « Pour la première fois, nous avons la possibilité de changer les choses, de mettre fin à des décennies de clientélisme, dit Yorgos Katrougalos. J'ai confiance en notre politique, car c'est une politique dont la Grèce, mais aussi l'Europe, a besoin. » « Notre grande réussite tient à ce que les partenaires européens ne nous ont pas encore tués, assure de son côté Errikos Finalis. Les électeurs attendaient de nous qu'on leur redonne oxygène et dignité. Et cela, nous avons réussi à le faire. »
Si les discussions européennes dominent l'agenda depuis les élections, le nouvel exécutif parvient, pas à pas, à faire passer quelques réformes dans le pays. Ce vendredi, une loi sur le système pénitentiaire devait être votée : elle est destinée à alléger les prisons du pays, nous explique-t-on au ministère de la justice, alors que la Grèce se caractérise par une surpopulation carcérale et des conditions de détention particulièrement critiques. Seront libérés, avec cette loi, les handicapés à plus de 60 %, seront également supprimées les prisons dites de « haute sécurité » et seront multipliées les mesures de libération conditionnelle. La possibilité d'incarcérer des mineurs de moins de quinze ans sera supprimée, et les peines infligées aux personnes toxicomanes seront allégées. Sans surprise, ce projet de loi a suscité une vive opposition sur les bancs de la droite… pour la première fois depuis l'arrivée au pouvoir de Syriza, elle avait là du grain à moudre.
Le gouvernement Tsipras a par ailleurs pour ambition de réorienter complètement la politique migratoire du pays, jusque-là très répressive, en mettant fin aux camps de rétention et en octroyant la nationalité grecque aux immigrés de deuxième génération. Au ministère de la réforme administrative, une loi est également en préparation, qui devrait être votée à la fin du mois. Il s'agit de supprimer la possibilité de réquisitionner militairement les grévistes, mais aussi de rationaliser les mesures disciplinaires dans la fonction publique (jusque-là utilisées principalement pour « terroriser » les fonctionnaires, dixit le ministre), et de lutter contre la bureaucratie en favorisant, notamment, la gouvernance électronique. Cette dernière mesure devrait faciliter la vie des particuliers, qui jusqu'à présent doivent faire face à de multiples services et paperasses différentes pour la moindre procédure administrative.
Le projet de loi en préparation prévoit également la réembauche, avec évaluation de leurs compétences et nouvelle affectation en fonction des besoins de l'administration, de quelque 4 000 personnes licenciées sous les gouvernements précédents, notamment le personnel de la police municipale, des enseignants techniques et les femmes de ménage des ministères. La mesure qui va à l'encontre des injonctions européennes est en réalité minime au regard de l'écrémage de la fonction publique réalisée ces cinq dernières années. En 2010, la fonction publique grecque employait 920 000 personnes. En 2015, en raison du non-remplacement des départs à la retraite et de la non-reconduction des CDD, elle n'en compte plus que… 600 000. Un ratio inférieur à de nombreux pays européens.
Enfin, début avril, une commission d'audit sur la dette grecque a été mise en place, sur l'initiative de Zoi Konstantopoulou. Formée d'une trentaine d'experts grecs et étrangers, elle doit étudier la légitimité, la légalité et l'éventuel caractère insoutenable des dettes contractées par la Grèce depuis 2010, avant d'ausculter les dettes de la période antérieure. Premiers résultats attendus fin juin… au moment précis où Athènes veut
engager la discussion au niveau européen sur la restructuration de sa dette.

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