Source : Presseocean
Un éducateur avait été tué à Nantes, sur son lieu de travail, dans le cadre d'une rencontre médiatisée, en voulant protéger une maman. C'était le 19 mars. Ses collègues de l'association du service social de protection de l'enfance signent aujourd'hui un communiqué, que nous publions ici dans son intégralité.
"Jacques, notre collègue, a été assassiné en sauvant une vie. Ce n'est pas un fait divers. Cette agression revêt également une dimension symbolique. Il n'était pas là par hasard mais dans l'exercice de ses fonctions, une rencontre médiatisée ordonnée par le juge des enfants qui s’imposait autant à la famille qu’à notre Service."+ Nantes. VIDEO 15 jours après le drame, 2 400 travailleurs sociaux dans la rue
"Ces visites médiatisées se multiplient, à la demande des juges et depuis quelques années, alors même que nos infrastructures ne sont pas adaptées, et que nous ne sommes pas un service dont cette mission serait la vocation première. Notre travail consiste, sur ordonnance du magistrat, en l'accompagnement de familles où les enfants sont soumis à une forme d'insécurité morale ou physique (article 375 Code Civil). Nos interventions auprès des familles visent à une disparition, ou du moins à une atténuation de ces maux. Pour cela, nous les rencontrons le plus régulièrement possible avec pour principaux outils la parole et le travail en lien avec des partenaires, ce qui permet de désamorcer la plupart des situations où la violence est présente. "
"Des situations de plus en plus précaires"
"Nous alertons depuis plusieurs années les pouvoirs publics sur la dégradation de nos conditions de travail. Les personnes que nous sommes censés aider se trouvent dans des situations de plus en plus précaires tant d'un point de vue psychique que financier. Nous nous retrouvons à devoir échanger avec des individus dont la capacité à raisonner est parfois altérée, au sujet desquels les juges peuvent demander des expertises psychiatriques, et auprès de qui nous devrions permettre un changement, une conscientisation des difficultés qu'ils génèrent chez leurs enfants."
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"Ces situations, dont chaque collègue peut donner un exemple, sont de plus en plus nombreuses et nous amènent à adapter nos pratiques, à accompagner l'enfant à composer avec un parent dont le rapport à la réalité est pour le moins défaillant. Nous sommes ainsi parmi les derniers professionnels à aller dans des endroits où les services de proximité (police, prévention…) et encore moins la psychiatrie en cela qu'elle a été malmenée en termes de crédits ces dernières années (délais d'attente, lits...), ne vont plus.""Nous sommes régulièrement amenés, dans des situations déjà extrêmement dégradées lorsqu'elles nous parviennent, à ne plus être dans la prévention mais dans la suppléance de certaines fonctions parentales afin de préserver l'enfant de dysfonctionnements éducatifs. Il n'est malheureusement pas rare que cela ne suffise pas et nous devons alors solliciter l'éloignement du mineur de son milieu familial. Là encore, les solutions font défaut et il est fréquent qu'un placement, ordonné par le juge des enfants sur la base de nos rapports, ne puisse être exécuté faute de place disponible et de moyens. Nous nous retrouvons alors dans une situation paradoxale, à devoir intervenir auprès de familles qui savent que l'on a demandé l'éloignement de leur enfant, se sentant parfois disqualifiées et devant pour autant demeurer en contact et à l'écoute de nos discours. "
"Une société de plus en plus violente et intolérante"
"Si elles ne représentent pas la totalité de nos suivis, ces situations difficiles sont les plus chronophages et impactent notre temps de travail auprès des familles où nous pourrions simplement travailler dans le cadre de nos missions premières. Nous pouvons alors vérifier notre professionnalisme et nos savoir-faire au vu de l'évolution positive de la majeure partie des suivis qui nous sont confiés. "
"Nous constatons ainsi que nous œuvrons pacifiquement dans une société de plus en plus violente et intolérante. Les laissés-pour-compte de ce système sont bien souvent extrêmement sceptiques quant au bien-fondé de notre discours éducatif, que seule une relation de confiance établie dans une temporalité qui n'est pas toujours celle de la justice, permet éventuellement de dépasser. En Loire-Atlantique, un travailleur social en AEMO suit 30 mineurs à flux tendu, souvent des familles recomposées, ce qui multiplie les déplacements et les rendez-vous avec les acteurs de ces situations (familles, enseignants, partenaires médico-sociaux...). Et ce ne sont pas les cohortes de protocoles et d'obligations administratives, de rendus-compte qui s'imposent de plus en plus à nos professions, qui nous permettent de réaliser ce travail dans des conditions décentes, à être au plus près des personnes concernées. "
"Toutes ces contraintes ne visent qu'à une lecture statistique du travail, qui nuit à sa qualité, celui-ci étant déjà fortement impacté en termes de temps par le nombre de suivis simultanés et les réunions essentielles au bon fonctionnement du Service. "
Revendications
"Nombre de nos collègues font état de leur passion pour leur métier mais aussi de leur épuisement compte-tenu des conditions dans lesquelles ils sont dans l'obligation de l'exercer. Alors que, comme le souligne Madame TOURAINE, nous sommes « les maillons essentiels d'une société solidaire » au vu du délitement du lien social dans notre pays et de la précarité en hausse constante, les décideurs nous en demandent ainsi toujours plus sans nous donner les moyens de faire face à ces situations, voire même en nous les restreignant financièrement parlant. Nos revendications, mesurées et rigoureusement tournées vers une volonté de travailler mieux en direction des familles, de pouvoir remplir décemment nos missions ne sont pas entendues alors qu'elles sont les mêmes depuis des années. Au-delà d'éventuelles revendications salariales (1250 euros net pour un travailleur social en début de carrière !), nous réclamons aussi une baisse du nombre de mineurs suivis pour un plein temps (baisse déjà prévue au schéma départemental mais non respectée), moins de charges administratives qui ne nous concernent pas, plus de temps de psychologues (420 mineurs pour un plein temps actuellement) et des conditions matérielles adaptées aux besoins de nos missions. Ceci permettrait également aux personnels administratifs et cadres d’être en partie soulagés d’une charge de travail extrêmement lourde."
"Il est d'ailleurs intéressant de constater les disparités au niveau du territoire, les services de milieu ouvert bénéficiant de moyens allant quasiment du simple au double selon leur localisation. Le Conseil Général de Loire-Atlantique et les crédits qu'il nous octroie pour exercer notre profession nous fait ainsi apparaître parmi les moins bien lotis à ce sujet."
"Les pouvoirs publics ne peuvent rester sans réaction"
"Nous sommes un service de protection de l'enfance et nos revendications vont essentiellement dans ce sens : nous demandons à pouvoir exercer notre profession dans des conditions nous permettant tout simplement de remplir nos missions, ce qui paraît aujourd'hui impossible au vu du ratio mineurs/travailleur social, des problématiques de plus en plus complexes que nous rencontrons (maladie mentale, structures familiales nouvelles...), du délaissement du secteur psychiatrique dont nous subissons les conséquences par ricochet, des contraintes administratives dont nous interrogeons parfois le sens et du manque de place en établissement ou en famille d'accueil permettant de protéger les enfants concernés."
"Les pouvoirs publics, à l’inverse des médias nationaux, ne peuvent rester sans réaction face à l’assassinat de notre collègue qui fait tragiquement écho aux conditions dans lesquelles nous exerçons nos missions."
"Nous demandons à être reçus prochainement par les pouvoirs publics avec l’ensemble des services du milieu ouvert du département."
Les salariés de l’Association du Service Social de Protection de l’Enfance à Nantes.
salariesprotectionenfance44@gmail.com
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