La
partie s'est corsée très vite. L'agenda européen s'est imposé
et, avec lui, les difficiles négociations avec les partenaires
du pays. Le 20 février,
un accord est
signé afin de poursuivre le versement des prêts octroyés
à la Grèce depuis 2012 en échange de son engagement à
appliquer certaines réformes, accord qui renvoyait à la fin
juin la question de la négociation plus large que demande
Syriza sur la restructuration de la dette du pays. Cet accord
– qui n'a pas fini d'être discuté car la liste des réformes
fait depuis l'objet d'incessants allers-retours entre Athènes
et Bruxelles – est une première entorse à l'unité affichée
jusque-là par Syriza.
Car
en interne, ce texte signé avec les Européens fait toujours
des vagues. Certes, il met fin à la Troïka, mais dans les
faits, les trois institutions commission européenne-BCE-FMI
sont toujours là : on parle désormais de « groupe de
Bruxelles ». Certes, on trouve dans la liste des réformes des
éléments de politique sociale et des mesures de relance, mais
l'on ne revient pas intégralement sur toutes les mesures
d'austérité comme le promettait le programme électoral de
Syriza.
Lorsque
l'accord du 20 février est présenté devant le comité central
de Syriza, le désaveu est magistral : 45 % votent contre…
tandis que plusieurs absences se font remarquer et que
d'autres votent blanc.
« Le non aurait été encore plus
important si tout le monde avait voté », estime un
membre du comité central présent ce jour-là. Syriza,
formé à
l'origine par une coalition de partis, a toujours connu
une pluralité interne. Le courant de la « Plateforme de
gauche », notamment, exprime une vision plus radicale que
celle de la ligne majoritaire et prône la sortie de la zone
euro. Même si cette thèse avait été mise en sourdine pendant
la campagne électorale, elle pesait environ 30 % des voix au
sein du comité central.
Cette
fois-ci, les clivages dépassent les divergences
traditionnelles au sein du parti. Un troisième courant émerge,
issu de la ligne majoritaire, formé par d'anciens de
l'« Organisation communiste de Grèce » : il présente une liste
dissidente lors de l'élection du nouveau bureau politique. Et
d'autres commencent, individuellement, à prendre leurs
distances par rapport à la « ligne Tsipras »...
Déjà,
l'élection du président de la République, dans la foulée de la
prise du pouvoir, avait électrisé le groupe parlementaire de
Syriza. Lors d'une première consultation interne, une
trentaine de députés avaient refusé d'apporter leur voix au
candidat choisi par Tsipras, un homme de droite modérée dont
il a divulgué le nom à la presse avant même de l'annoncer à
ses propres troupes. En Grèce, le rôle du président est
essentiellement honorifique, et le parti au pouvoir a pour
habitude de désigner à ce poste une personnalité consensuelle,
afin de recueillir les voix de l'opposition.
La
députée Sia Anagnostopoulou a fait partie de ces députés
protestataires : « J'ai voté contre cettecandidature en
réunion de notre groupe parlementairecar je voulais
une personnalité de gauche, ou du moins de centre gauche, ou
encore quelqu'un au-dessus des partis. Mais j'ai
finalement voté pour le candidat lors du vote en
séance plénière, car j'ai compris la nécessité
du consensus. » L'ensemble des députés Syriza
s'est rallié de la même façon au moment de l'élection.
Remous,
désaccords, discussions… et, finalement, discipline de parti.
Syriza continue d'afficher son unité. Jusqu'à quand ?
L'exercice du pouvoir oblige chacun à se repositionner. Yorgos
Katrougalos, ministre adjoint à la réforme administrative
qui annonçait, dès sa prise de fonctions, la
réembauche du personnel licencié de la fonction publique,
a dû prendre son mal en patience. Syriza fait l'apprentissage
du compromis… et le fait plutôt bien, selon lui.
« Avec
l'accord du 20 février, nous avons réussi à gagner du temps
et de l'espace politique afin d'appliquer notre programme.
Nous n'appliquerons pas tout le programme, mais l'essentiel
de ce que nous voulions est acquis : des mesures contre la
crise humanitaire, et des mesures contre l'agenda néolibéral
des mémorandums d'austérité. Là-dessus, nous avons convaincu
nos partenaires. »
Des
signaux contradictoires
Il
n'empêche. Deux mois après cet accord avec l'Europe, le
gouvernement est toujours empêtré dans les négociations sur
son application. L'Eurogroupe se réunit à nouveau vendredi 24
avril pour finaliser la liste des réformes. Et Wolfgang
Schäuble, le ministre allemand des finances, a déclaré ce
mercredi qu'il était peu probable que la Grèce et le reste de
la zone euro parviennent à se mettre d'accord d'ici là… Dans
la foulée, l'agence de notation Standard & Poor's
a abaissé d'un cran la note de la Grèce.
« La
pression continue de nos partenaires, qui nous demandent de
nouvelles garanties chaque semaine, est très dure. Ce n'est
pas facile de gouverner dans ces conditions ! »soupire
Yorgos Katrougalos, qui ajoute : « Mais nous n'avons pas
fait cette volte-face qu'ils attendaient de nous. C'est
pourquoi nous bénéficions toujours d'un soutien important de
la population. » De fait, les instituts de sondages
donnent Syriza gagnant avec une majorité absolue si de
nouvelles élections anticipées étaient convoquées…
Dans
les ministères comme à la Vouli (le parlement), la lassitude
face à la position bruxelloise est unanime.
Dans un entretien au Journal des rédacteurs (favorable à
Syriza) en début de semaine, Dimitris Christopoulos, le
conseiller de la ministre adjointe à la politique migratoire
qui prépare actuellement une grande réforme, lâchait :
« Le
pays ne peut pas être géré normalement si, toutes les deux
semaines, il faut s'occuper d'un quelconque nouveau délai de
l'Eurogroupe. Qu'ils nous laissent un petit peu
travailler, alors on devra se mesurer à nos propres
faiblesses et s'efforcer de faireapparaître le
marqueur réformateur de gauche qui pour le moment a bien de
la peine à sortir. »
Le
palais Maximou (nom de la résidence du premier ministre)
rappelle de son côté que la Grèce n'a touché aucun versement
depuis l'été dernier et ne mâche pas ses mots à l'égard des
partenaires européens : « Au lieu d'ébruiter des
scénarios de faillite, qu'ils prennent conscience de
l'impasse dans laquelle nous conduit leur politique,
d'autant que la Grèce rembourse normalement ses obligations,
sans qu'elle ait touché un euro depuis août 2014 »,
pouvait-on lire dans un de ses communiqués cette semaine.
Depuis
l'entrée en fonctions du gouvernement Tsipras, les communiqués
sont pratiquement quotidiens – quand ils ne tombent pas
plusieurs fois par jour –, mais la communication de l'exécutif
reste brouillonne. Il arrive régulièrement que des annonces se
contredisent d'un ministère à l'autre. « Les ministres
racontent parfois n'importe quoi, et cela envoie des signaux
contradictoires à nos partenaires ! » regrette, en off,
une conseillère. La faute du débutant ? De fait, les nouveaux
dirigeants ne sont pas encore complètement rompus à la langue
de bois policée caractéristique des politiciens
professionnels. Mais il y a quelque chose de rafraîchissant à
écouter ceux d'entre eux issus de la société civile, ces
intellectuels et ces chercheurs qui ont été nombreux à
rejoindre les rangs de Syriza ces deux dernières années.
Sia
Anagnostopoulou, élue pour la première fois à la Vouli le 25
janvier, fait partie de ceux-là. Cette historienne spécialiste
de l'Empire ottoman le dit sans détour : « J'ai découvert
un tas de nouvelles choses les premières semaines que
j'ignorais. Moi qui dans mon travail de chercheuse étais habituée
à étudier le fond des choses, j'ai dû aborder à toute
vitesse de très nombreux sujets, tout en restant à la
surface. J'ai découvert aussi que la politique consistait
surtout à répondre aux questions des journalistes télé, à
participer à de soi-disant débats où il faut avant
tout paraître combatif mais jamais
parler du fond… La politique m'est apparue comme un
spectacle de mauvais goût. »
L'universitaire
a décidé de se concentrer sur un domaine : affaires étrangères
et européennes. Et surtout, en s'efforçant de rester la même
personne : « Je continue de prendre taxis et transports en
commun, je ne circule pas avec un chauffeur
dans Athènes. » Son étonnement a été immense au
lendemain de son élection, dans sa circonscription, à Patras : « Un
tas de personnes sont venues me voir pour me
demander du travail… Je n'ai pas donné suite
évidemment, ce clientélisme m'est
complètement étranger. Je ne suis pas là pour
assouvir une soif de pouvoir, cela me
libère. Si je ne suis pas réélue, cela m'est complètement
égal : j'aime beaucoup mon travail, je reprendrai mon poste
à l'université ! »
Autre
constat décevant pour cette intellectuelle : « La politique
est masculine. Les femmes ne sont là que sous la tolérance
des hommes. Je ne m'attendais pas à cela dans la Grèce du
XXIe siècle... » Elle
raconte une dispute qu'elle a eue en pleine assemblée avec un
député de la droite. « À la fin de la discussion, il
m'envoyait des bisous. C'est un comportement tout à fait
inadmissible pour un parlementaire ! » Mais la plus
touchée par le machisme ambiant est la présidente de
l'assemblée, Zoi Konstantopoulou. Elle fait les frais depuis
plusieurs semaines d'une vaste campagne de dénigrement.
C'est une femme au
caractère bien trempé, aux convictions solides, peu tournée
vers le compromis. À droite, mais aussi en interne, de manière
plus discrète, on lui reproche son inflexibilité. « Mais on
n'en fait pas toute une histoire lorsque des hommes
ont ce type de caractère... », regrette Sia. Or la
présidence du parlement est le seul poste important octroyé à
une femme par le nouveau pouvoir. Le gouvernement Tsipras
élargi ne compte que six femmes sur 41 personnes, et aucune
n'a le rang de ministre.
Des
lignes rouges
Si
Zoi Konstantopoulou fait partie de ces gens bien décidés à
appliquer le programme de Syriza, d'autres, y compris au sein
de l'aile gauche du parti, se révèlent davantage enclins à
faire des concessions. De fait, la question de la
restructuration de la dette qui figurait dans le programme est
passée aux oubliettes. « Syriza n'a plus le discours
maximaliste qu'il tenait avant les élections, explique
la politologue Filippa Chatzistavrou. C'est une évolution
assez naturelle pour un parti qui voulait gagner les
élections et qui faitmaintenant face à
la réalité du pouvoir. Pour autant, le parti de
Tsipras n'a pas tout abandonné, il a réussi à
imposer la question de la crise humanitaire et l'idée qu'il
faut desserrer la discipline budgétaire. Ce sont bel
et bien des idées de gauche ! Je
qualifierais la politique de Syriza aujourd'hui de
néoréalisme économique et social. »
Le
gouvernement Tsipras maintient en outre plusieurs lignes
rouges : il veut réintroduire les négociations collectives
(supprimées avec les mémorandums d'austérité), rétablir le
salaire minimum à son niveau initial (soit 740 euros brut au
lieu des 580 actuels), bloquer toute libéralisation du marché
du travail et empêcher de nouvelles coupes dans les pensions
de retraite. Ce sont là les points d'achoppement,
actuellement, avec les partenaires de la zone euro – et ils
doivent être résolus d'ici le 24 avril.
« Mais
nous ne pouvons reculer là-dessus ! Ce n'est pas le mandat
pour lequel nous avons été élus ! »,
proteste Yorgos Katrougalos. « Syriza ne peut faire
une telle concession, explique de son côté Errikos
Finalis, membre du comité central du parti.Nous ne sommes
pas arrivés au pouvoir pour appliquer un nouveau mémorandum
d'austérité ! Sinon, en quoi nous différencions-nous de nos
prédécesseurs de la droite de Nouvelle Démocratie... ? Pour
l'instant, nous ne pouvons même pas appliquer une petite
partie de notre programme économique, c'est considéré comme
un acte unilatéral ! »
Les
seules mesures votées jusqu'à présent ont porté sur 200
millions d'euros : c'est une loi, votée à la mi-mars, qui
prévoit la fourniture d'électricité gratuite aux plus pauvres,
une aide au logement pour 30 000 foyers ainsi qu'une aide
alimentaire pour 300 000 personnes. « Mais nous
avions prévu 2,1 milliards d'euros au départ pour
lutter contre la crise humanitaire ! »précise
Errikos. « Tsipras veut rétablir le droit du travail aboli
par les mémorandums d'austérité, il ne peut pas y renoncer
et accepter la libéralisation voulue par les institutions européennes,
c'est la loi structurelle de la gauche... », tranche de
son côté la députée Sia Anagnostopoulou. « De l'extérieur, le
premier ministre apparaît peut-être indécis. Mais
c'est qu'en réalité il ne peut pas reculer ! »
Sur
le dossier des privatisations en revanche, Syriza a opéré une
marche arrière. Panayotis Lafazanis, le chef de file de l'aile
gauche, avait annoncé dès sa nomination à la tête du ministère
du redressement productif et de l'énergie l'arrêt de la
privatisation du port du Pirée. Depuis, il a mis de l'eau dans
son vin et affiche sa loyauté à Tsipras. D'arrêt total des
privatisations, on est ainsi passé au « cas par cas ». Pour
Yorgos Katrougalos, le ministre adjoint à la réforme
administratives, les compagnies d'eau d'Athènes et de
Thessalonique, sur la liste des biens à privatiser depuis
2011, doivent rester dans le domaine public. Mais difficile de
saisir une parole officielle claire sur le sujet…
Les
voix sont parfois dissonantes au sein de l'exécutif, composé
de courants politiques plus divers qu'il n'y paraît. Même si
le gouvernement a été formé en moins de 48 heures, un temps
record dans l'histoire politique hellène, il repose sur un
équilibre fragile : l'alliance
avec un allié
encombrant, la droite souverainiste des Grecs
indépendants. Figurent également au sein de cet exécutif
plusieurs anciens du PASOK, le parti socialiste, ralliés plus
au moins tardivement à la gauche radicale.
Dans
les ministères, il a fallu ensuite trouver rapidement des
conseillers. Pas évident, pour un parti qui n'avait jamais
gouverné et qui ne recueillait encore que 4 % des suffrages il
y a quatre ans… Résultat, certains travaillent avec des
conseillers déjà en place dans l'exécutif précédent. C'est le
cas du ministre des affaires étrangères, l'étrange Nikos
Kotzias, ancien stalinien devenu socialiste, aujourd'hui
flanqué du conseiller de son prédécesseur, classé à droite.
Aux finances,
Yanis Varoufakis a tout de suite fait appel à Elena Panariti,
figure libérale du PASOK, issue du cercle de Yorgos
Papandréou – celui qui a mis le pays sur le chemin de
l'austérité en faisant appel, en 2010, au FMI et aux
institutions européennes… L'économiste qui fut députée
jusqu'en 2012 se défend toutefois de s'être compromise alors. « Je
suis une spécialiste de l'économie du développement,
dit-elle. Ce serait du gâchis que de ne pas participer
aujourd'hui au redémarrage de mon pays. Le chômage a
explosé, près du tiers de la population vit sous
le seuil de pauvreté, et les impôts ont été augmentés
au-delà du niveau optimal. » N'a-t-elle pourtant pas
elle-même voté ces programmes d'austérité jusqu'en 2012… ?
L'affrontement
était inévitable
Si
l'exécutif s'est étoffé d'experts reconnus dans le monde
universitaire et classés à gauche, notamment pour les
questions migratoires et la justice, dans les coulisses,
certains sont donc restés en place. Et peuvent augurer d'un
recentrage politique de Syriza. « Il n'y a pas de gauche du
centre, de gauche radicale, assure Elena Panariti. On
n'est plus dans des querelles de chapelle, on est là pour
remettre le pays debout. On doit travailler comme une équipe
unie. C'est le grand mérite de Tsipras : il a réussi à
réunir des gens comme moi et d'autres comme Lafazanis… Cela
n'avait rien d'évident, cela démontre sa capacité de
leadership. »
Libérales,
anticapitalistes, modérées ou radicales, plusieurs personnes
interrogées sont toutefois d'accord sur un point : l'attitude
des Européens, en particulier celle exprimée par Berlin, a été
très méprisante à leur égard. Et cette posture, loin d'être
pragmatique et réaliste, est au contraire profondément
idéologique. « Les négociations avec l'Eurozone,
c'est une discussion plus politique que technique »,
nous confie-t-on au ministère des finances. S'attendaient-ils
à une position aussi ferme de la part des institutions
européennes ? « Oui, répond le ministre adjoint à la
réforme administrative Yorgos Katrougalos, mais malgré
tout personne ne veut une rupture. Ce serait un
désastre pour la Grèce et pour l'Europe. »
Syriza
au pouvoir, en fin de compte, n'a plus grand-chose de radical.
Et c'est là le paradoxe. « Ce que nous défendons
aujourd'hui, explique ce ministre issu du monde
universitaire, ce n'est pas du tout révolutionnaire. Si
nous étions dix ou vingt ans en
arrière, ce serait tout simplement le programme d'une
social-démocratie très souple.C'est un modèle qui
veut réconcilier le marché avec les droits sociaux et qui
veut apporter des réponses à la crise humanitaire, ce n'est
pas du tout radical ! Toute la difficulté aujourd'hui est
d'appliquer ce programme de gauche dans une Europe
néolibérale. »
La
dimension radicale, selon ce ministre, viendra plus tard,
quand le nouveau compromis avec Bruxelles sera trouvé. Alors,
Syriza tentera de changer en profondeur l’État et la société :
rendre l’État plus démocratique, le rapprocher des citoyens,
introduire la possibilité de révocation des députés, créer un
référendum d'initiative citoyenne. En bref, mettre en place
une « démocratie populaire ».
Au
siège du parti, aussi, on parle de position « modérée ». « Au
niveau économique, notre proposition n'a rien de radical,
c'est une proposition équilibrée, rationnelle et efficace,
estime Errikos Finalis. Le problème est que nos partenaires
ne pensent pas en termes économiques mais en termes
politiques. Il y a plusieurs élections à venir cette année
dans différents pays européens, et les dirigeants actuels ne
veulent pas ouvrir la voie à une alternative. Il
s'agit d'obtenir une punition exemplaire de Syriza et de la
Grèce, afin de ne pas voir se reproduire un scénario semblable ailleurs,
comme Podemosen Espagne. »
Syriza
se retrouve dès lors confrontée à un choix crucial, qui va
bien au-delà des frontières de la Grèce : « Accepter la
politique européenne actuelle, ce ne sera pas
seulement un échec économique. Ce sera aussi la
disparition de toute alternative de gauche, et
cela ne fera que profiter à l'extrême droite. » Errikos
en est convaincu, c'est« une guerre économique et
politique » qui se joue aujourd'hui. Ce n'est pas lui
qui se radicalise, mais les institutions européennes,
estime-t-il.
Pour
la politologue Filippa Chatzistavrou, qui enseigne à
l'université d'Athènes, cet affrontement était inévitable : « L'Union
européenne est prise dans un dogmatisme forcené. Il n'y a
aucune logique dans ce qui est proposé, ni aucune discussion
possible. Or la politique consiste en l'élaboration d'un
consensus : il faut que chacun déplace ses positions. Cela
ne consiste pas en l'application de nouveaux délais imposés
toutes les trois semaines par M. Schäuble ! Aujourd'hui, il
n'y a plus ce mécanisme de consensus qui était
pourtant à la base de l'intégration européenne. »
Le
gouvernement Tsipras, en fin de compte, s'est mis à faire de
la politique dans ce qui était jusqu'à présent des réunions
aux conclusions connues d'avance… Quel vent d'air frais sur
Bruxelles… « Syriza refuse de se laisser gouverner par la
technocratie. C'est le seul à le faire, c'est cela, le
changement majeur ! » conclut Filippa Chatzistavrou.
Et pour faire
entendre sa voix, le gouvernement Tsipras est bien décidé à
jouer toutes ses cartes. La semaine dernière,
Tsipras se
rendait à Moscou ; Panos Kammenos, le ministre
(souverainiste) de la défense, s'y est rendu à son tour cette
semaine. Sans vouloir remettre en cause son appartenance
européenne, Athènes entend développer ses alliances à
l'international, et des contacts sont noués actuellement avec
la Chine et le Brésil.
Pas à
pas, quelques réformes
Le
défi, pour tenir tête aux apôtres de l'austérité, est immense.
Impossible à relever, diront les pessimistes. Et pourtant.
Aucun de ces nouveaux dirigeants rencontrés à Athènes ne veut
baisser les bras. « Pour la première fois, nous avons la
possibilité de changer les choses, de mettre fin à des
décennies de clientélisme, dit Yorgos Katrougalos. J'ai
confiance en notre politique, car c'est une politique dont
la Grèce, mais aussi l'Europe, a besoin. » « Notre
grande réussite tient à ce que les partenaires européens ne
nous ont pas encore tués, assure de son côté Errikos
Finalis. Les électeurs attendaient de nous qu'on leur
redonne oxygène et dignité. Et cela, nous avons réussi à le
faire. »
Si
les discussions européennes dominent l'agenda depuis les
élections, le nouvel exécutif parvient, pas à pas, à faire
passer quelques réformes dans le pays. Ce vendredi, une loi
sur le système pénitentiaire devait être votée : elle est
destinée à alléger les prisons du pays, nous explique-t-on au
ministère de la justice, alors que la Grèce se caractérise par
une surpopulation carcérale et des conditions de détention
particulièrement critiques. Seront libérés, avec cette loi,
les handicapés à plus de 60 %, seront également supprimées les
prisons dites de « haute sécurité » et seront multipliées les
mesures de libération conditionnelle. La possibilité
d'incarcérer des mineurs de moins de quinze ans sera
supprimée, et les peines infligées aux personnes toxicomanes
seront allégées. Sans surprise, ce projet de loi a suscité une
vive opposition sur les bancs de la droite… pour la première
fois depuis l'arrivée au pouvoir de Syriza, elle avait là du
grain à moudre.
Le
gouvernement Tsipras a par ailleurs pour ambition de
réorienter
complètement la politique migratoire du pays, jusque-là
très répressive, en mettant fin aux camps de rétention et en
octroyant la nationalité grecque aux immigrés de deuxième
génération. Au ministère de la réforme administrative, une loi
est également en préparation, qui devrait être votée à la fin
du mois. Il s'agit de supprimer la possibilité de
réquisitionner militairement les grévistes, mais aussi de
rationaliser les mesures disciplinaires dans la fonction
publique (jusque-là utilisées principalement pour
« terroriser » les
fonctionnaires, dixit le ministre), et de lutter contre la
bureaucratie en favorisant, notamment, la gouvernance
électronique. Cette dernière mesure devrait faciliter la vie
des particuliers, qui jusqu'à présent doivent faire face à de
multiples services et paperasses différentes pour la moindre
procédure administrative.
Le
projet de loi en préparation prévoit également la réembauche,
avec évaluation de leurs compétences et nouvelle affectation
en fonction des besoins de l'administration, de quelque 4 000
personnes licenciées sous les gouvernements précédents,
notamment le personnel de la police municipale, des
enseignants techniques et les femmes de ménage des ministères.
La mesure qui va à l'encontre des injonctions européennes est
en réalité minime au regard de l'écrémage de la fonction
publique réalisée ces cinq dernières années. En 2010, la
fonction publique grecque employait 920 000 personnes. En
2015, en raison du non-remplacement des départs à la retraite
et de la non-reconduction des CDD, elle n'en compte plus que…
600 000. Un ratio inférieur à de nombreux pays européens.
Enfin, début
avril, une commission d'audit sur la dette grecque a été mise
en place, sur l'initiative de Zoi Konstantopoulou. Formée
d'une trentaine d'experts grecs et étrangers, elle doit
étudier la légitimité, la légalité et l'éventuel caractère
insoutenable des dettes contractées par la Grèce depuis 2010,
avant d'ausculter les dettes de la période antérieure.
Premiers résultats attendus fin juin… au moment précis où
Athènes veut
engager la discussion au niveau européen sur la
restructuration de sa dette.