Pendant que tout le monde regarde ailleurs, le projet de loi dit Macron avance tranquillement à l’Assemblée nationale. Plusieurs de ses dispositions visent à affaiblir la réglementation protégeant l’environnement. En s’appuyant sur le travail d’un haut fonctionnaire employé par le troisième groupe mondial de l’immobilier commercial...
C’est un simple article, qui pourrait à lui seul bouleverser le droit de l’environnement. Plus précisément, il s’agit de l’article 28 du projet de loi Macron.
Son objectif est une « modernisation du droit de l’environnement », dit le gouvernement dans l’exposé des motifs du projet de loi. Surtout, il voudrait réduire le délai d’obtention d’un permis de construire à moins de cinq mois, pour relancer les secteurs de l’immobilier et du bâtiment.
Une modernisation urgente, apparemment, puisque l’article prévoit qu’elle se fera par ordonnance. Le procédé autorise le gouvernement à écrire des lois sans passer par le Parlement.
Que contiendront ces ordonnances ? L’étude d’impact de la loi nous renseigne sur le sujet. Dans l’explication de l’article 28, il est précisé qu’il servira à mettre en œuvre, entre autres, les mesures conseillées par « la mission sur l’accélération des projets de construction. » Une mission « confiée au Préfet Jean-Pierre Duport », ajoute le texte.
L’ancien préfet travaille pour Unibail-Rodamco
Ce haut fonctionnaire a un CV bien fourni : il a été préfet de Seine-Saint-Denis puis de Paris, président de Réseau Ferré de France, directeur de cabinet de Chevènement quand il était à l’Intérieur, etc.
- Jean-Pierre Duport -
Surtout, fort de cette expérience dans l’urbanisme public, il est désormais conseiller spécial du Président d’Unibail-Rodamco.
Cette entreprise est le « premier groupe européen côté d’immobilier commercial », indique-t-elle sur son site internet. C’est aussi le troisième groupe mondial du secteur : il gère des centres commerciaux, des centres des congrès et des immeubles de bureau.
Parmi les projets en développement, on trouve la rénovation du forum des Halles à Paris, ou, tiens, le projet de centre commercial de Val Tolosa, dont Reporterre vous a déjà parlé. Les opposants à Val Tolosa ont même été invités lors de notre rencontre sur les grands projets inutiles.
Celui qui va être le principal inspirateur de la réforme du droit de l’environnement est donc salarié de l’un des principaux promoteurs et gérant d’immobilier commercial en Europe. Un exemple de plus des conflits d’intérêt qui infestent la haute fonction publique, et rappelle, entre autres, l’exemple du préfet Hagelsteen devenu employé de luxe chez Vinci.
La participation du public supprimée ?
Les promoteurs immobiliers ont bien fait en recrutant M. Duport. Car l’article 28 du projet de loi Macron pourrait effectivement leur simplifier la vie. Concrètement, il pourrait par exemple aboutir à ce que, pour certains projets immobiliers, il ne soit plus possible de faire appel une fois d’un décision du tribunal administratif. Par ailleurs, pour les permis de construire, en cas de recours, le dossier serait transmis au préfet alors qu’actuellement c’est le maire qui prend les décisions.
Mais surtout, le processus des enquêtes publiques serait modifié... « Dans certains cas, la participation du public pourrait être tout bonnement supprimée », craint l’avocat Arnaud Gossement, qui a consacré plusieurs articles de son blog à l’article 28. La consultation publique pourrait notamment être limitée « quand le projet est déclaré d’intérêt public », explique l’avocat.
Mais surtout, ce qui met le juriste en colère, c’est que « cette réforme n’est pas née au ministère de l’Ecologie, elle est née à Matignon, quand Manuel Valls est arrivé. (…) Elle est totalement démagogique, elle dit aux constructeurs échaudés par la loi ALUR [loi Duflot – pour l’accès au logement et un urbanisme rénové - NDLR] ’vous voyez on va faire quelque chose’. Sauf que le gouvernement oublie que 85 % du droit de l’environnement est fait par l’Union européenne. »
Les députés n’ont pas pu lire le rapport... qui fonde le projet de loi
Outre le contenu de la réforme, la procédure choisie par le gouvernement fait aussi grincer des dents. Le procédé des ordonnances pose un vrai « problème démocratique », déplore Arnaud Gossement. Car le rapport de M. Duport n’a pas été encore rendu. Certains le croient prévu pour avril, d’autres pour mars. Ce qui est certain, c’est qu’il sortira après l’examen du projet de loi par les parlementaires, qui a déjà commencé en commission et devrait se poursuivre fin janvier en séance publique.
Pour le juriste, cela revient à demander aux parlementaires de voter un texte dont ils ne connaissent même pas le contenu : « Le gouvernement veut un chèque en blanc pour traduire le rapport Duport en mesures juridiques. » Le procédé pourrait même être anticonstitutionnel. « Les ordonnances sont normalement réservées à des domaines techniques et doivent être très précises », poursuit-il. Or l’article 28, au contraire, ratisse large.
La député socialiste Sabine Buis s’insurge elle aussi de la méthode choisie par le gouvernement. Elle a déposé un amendement demandant la suppression de cet article du projet de loi. « On ne peut pas s’asseoir sur la démocratie ! Je suis gênée de savoir qu’il n’y aura pas de débat parlementaire alors que ceux qui prennent les coups sur le terrain, dans ces projets, ce sont les élus », insiste la représentante du département de l’Ardèche.
« J’étais vraiment contente quand j’ai entendu le discours du Président de la République à la conférence environnementale, se rappelle-t-elle. Il disait que le chantier sur la démocratie participative est fondamental. Je déplore qu’il ait fallut le drame de Sivens pour s’en rendre compte, mais j’ai cru qu’ils avaient enfin saisi l’importance du sujet. Et là, je me rends compte qu’il n’y aura pas de chantier. Ils considèrent qu’il est réglé simplement avec cet article 28... »
- François Hollande -
L’élue se doute qu’elle n’arrivera pas à faire supprimer cet article 28 lors des discussions en commission, commencées lundi 12 janvier et qui doivent se terminer dimanche. Pour apaiser la critique, le gouvernement a préféré négocier un amendement dit « de repli » : « Il propose que les ordonnances soient rédigées par le Conseil national de la transition énergétique ». Ce conseil doit être consulté sur les projets de loi concernant l’environnement ou l’énergie. « Mais ce n’est pas du tout leur job d’écrire des textes de loi », conteste la députée.
« Ils ont réunit le conseil en urgence il y a quelques jours, confirme Arnaud Gossement, mais en réalité c’est le rapport Duport qui sera pris en modèle. »
Sabine Buis attend donc la discussion en séance publique, à partir du 26 janvier, pour contester à nouveau l’article. Car selon elle, « l’erreur commise par ce projet de loi c’est de croire que l’on fera plus de croissance en s’asseyant sur l’environnement et la démocratie. »
ON ATTEND L’EXPLICATION DE MATIGNON
La société Unibail n’a pas répondu à nos questions.
Quant au service de communication du Premier ministre, il nous promet par courriel une réponse : "Bonjour, Nous accusons réception de votre demande. Nous ne manquerons pas de revenir vers vous dans les meilleurs délais. Bien cordialement. Service Communication. Cabinet du Premier ministre".
UN SOCIALISTE... QUI CACHE SON NOUVEL EMPLOYEUR
Le 24 janvier prochain, l’Institut Tribune Socialiste, qui s’inscrit dans la lignée du PSU (Parti socialiste unifié, qui était, dans les années 1970, un parti à gauche du PS de l’époque, qui était alors beaucoup plus à gauche qu’il ne l’est aujourd’hui), cet institut, donc, organise une journée de réflexion sur la démocratie :
Très bien. La journée est animée par Marie-Christine Blandin, sénatrice écologiste et personne très estimable, et rassemble des personnes tout aussi estimables. Et puis, également, M. Duport :
Dont la présentation n’indique pas qu’il est présentement employé par Unibail-Rodamco. Cela serait pourtant un éclairage fort utile pour les auditeurs. Qui pourraient ainsi réfléchir concrètement à la différence entre démocratie et oligarchie...
Son objectif est une « modernisation du droit de l’environnement », dit le gouvernement dans l’exposé des motifs du projet de loi. Surtout, il voudrait réduire le délai d’obtention d’un permis de construire à moins de cinq mois, pour relancer les secteurs de l’immobilier et du bâtiment.
Une modernisation urgente, apparemment, puisque l’article prévoit qu’elle se fera par ordonnance. Le procédé autorise le gouvernement à écrire des lois sans passer par le Parlement.
Que contiendront ces ordonnances ? L’étude d’impact de la loi nous renseigne sur le sujet. Dans l’explication de l’article 28, il est précisé qu’il servira à mettre en œuvre, entre autres, les mesures conseillées par « la mission sur l’accélération des projets de construction. » Une mission « confiée au Préfet Jean-Pierre Duport », ajoute le texte.
L’ancien préfet travaille pour Unibail-Rodamco
Ce haut fonctionnaire a un CV bien fourni : il a été préfet de Seine-Saint-Denis puis de Paris, président de Réseau Ferré de France, directeur de cabinet de Chevènement quand il était à l’Intérieur, etc.
- Jean-Pierre Duport -
Surtout, fort de cette expérience dans l’urbanisme public, il est désormais conseiller spécial du Président d’Unibail-Rodamco.
Cette entreprise est le « premier groupe européen côté d’immobilier commercial », indique-t-elle sur son site internet. C’est aussi le troisième groupe mondial du secteur : il gère des centres commerciaux, des centres des congrès et des immeubles de bureau.
Parmi les projets en développement, on trouve la rénovation du forum des Halles à Paris, ou, tiens, le projet de centre commercial de Val Tolosa, dont Reporterre vous a déjà parlé. Les opposants à Val Tolosa ont même été invités lors de notre rencontre sur les grands projets inutiles.
Celui qui va être le principal inspirateur de la réforme du droit de l’environnement est donc salarié de l’un des principaux promoteurs et gérant d’immobilier commercial en Europe. Un exemple de plus des conflits d’intérêt qui infestent la haute fonction publique, et rappelle, entre autres, l’exemple du préfet Hagelsteen devenu employé de luxe chez Vinci.
La participation du public supprimée ?
Les promoteurs immobiliers ont bien fait en recrutant M. Duport. Car l’article 28 du projet de loi Macron pourrait effectivement leur simplifier la vie. Concrètement, il pourrait par exemple aboutir à ce que, pour certains projets immobiliers, il ne soit plus possible de faire appel une fois d’un décision du tribunal administratif. Par ailleurs, pour les permis de construire, en cas de recours, le dossier serait transmis au préfet alors qu’actuellement c’est le maire qui prend les décisions.
Mais surtout, le processus des enquêtes publiques serait modifié... « Dans certains cas, la participation du public pourrait être tout bonnement supprimée », craint l’avocat Arnaud Gossement, qui a consacré plusieurs articles de son blog à l’article 28. La consultation publique pourrait notamment être limitée « quand le projet est déclaré d’intérêt public », explique l’avocat.
Mais surtout, ce qui met le juriste en colère, c’est que « cette réforme n’est pas née au ministère de l’Ecologie, elle est née à Matignon, quand Manuel Valls est arrivé. (…) Elle est totalement démagogique, elle dit aux constructeurs échaudés par la loi ALUR [loi Duflot – pour l’accès au logement et un urbanisme rénové - NDLR] ’vous voyez on va faire quelque chose’. Sauf que le gouvernement oublie que 85 % du droit de l’environnement est fait par l’Union européenne. »
Les députés n’ont pas pu lire le rapport... qui fonde le projet de loi
Outre le contenu de la réforme, la procédure choisie par le gouvernement fait aussi grincer des dents. Le procédé des ordonnances pose un vrai « problème démocratique », déplore Arnaud Gossement. Car le rapport de M. Duport n’a pas été encore rendu. Certains le croient prévu pour avril, d’autres pour mars. Ce qui est certain, c’est qu’il sortira après l’examen du projet de loi par les parlementaires, qui a déjà commencé en commission et devrait se poursuivre fin janvier en séance publique.
Pour le juriste, cela revient à demander aux parlementaires de voter un texte dont ils ne connaissent même pas le contenu : « Le gouvernement veut un chèque en blanc pour traduire le rapport Duport en mesures juridiques. » Le procédé pourrait même être anticonstitutionnel. « Les ordonnances sont normalement réservées à des domaines techniques et doivent être très précises », poursuit-il. Or l’article 28, au contraire, ratisse large.
La député socialiste Sabine Buis s’insurge elle aussi de la méthode choisie par le gouvernement. Elle a déposé un amendement demandant la suppression de cet article du projet de loi. « On ne peut pas s’asseoir sur la démocratie ! Je suis gênée de savoir qu’il n’y aura pas de débat parlementaire alors que ceux qui prennent les coups sur le terrain, dans ces projets, ce sont les élus », insiste la représentante du département de l’Ardèche.
« J’étais vraiment contente quand j’ai entendu le discours du Président de la République à la conférence environnementale, se rappelle-t-elle. Il disait que le chantier sur la démocratie participative est fondamental. Je déplore qu’il ait fallut le drame de Sivens pour s’en rendre compte, mais j’ai cru qu’ils avaient enfin saisi l’importance du sujet. Et là, je me rends compte qu’il n’y aura pas de chantier. Ils considèrent qu’il est réglé simplement avec cet article 28... »
- François Hollande -
L’élue se doute qu’elle n’arrivera pas à faire supprimer cet article 28 lors des discussions en commission, commencées lundi 12 janvier et qui doivent se terminer dimanche. Pour apaiser la critique, le gouvernement a préféré négocier un amendement dit « de repli » : « Il propose que les ordonnances soient rédigées par le Conseil national de la transition énergétique ». Ce conseil doit être consulté sur les projets de loi concernant l’environnement ou l’énergie. « Mais ce n’est pas du tout leur job d’écrire des textes de loi », conteste la députée.
« Ils ont réunit le conseil en urgence il y a quelques jours, confirme Arnaud Gossement, mais en réalité c’est le rapport Duport qui sera pris en modèle. »
Sabine Buis attend donc la discussion en séance publique, à partir du 26 janvier, pour contester à nouveau l’article. Car selon elle, « l’erreur commise par ce projet de loi c’est de croire que l’on fera plus de croissance en s’asseyant sur l’environnement et la démocratie. »
ON ATTEND L’EXPLICATION DE MATIGNON
La société Unibail n’a pas répondu à nos questions.
Quant au service de communication du Premier ministre, il nous promet par courriel une réponse : "Bonjour, Nous accusons réception de votre demande. Nous ne manquerons pas de revenir vers vous dans les meilleurs délais. Bien cordialement. Service Communication. Cabinet du Premier ministre".
UN SOCIALISTE... QUI CACHE SON NOUVEL EMPLOYEUR
Le 24 janvier prochain, l’Institut Tribune Socialiste, qui s’inscrit dans la lignée du PSU (Parti socialiste unifié, qui était, dans les années 1970, un parti à gauche du PS de l’époque, qui était alors beaucoup plus à gauche qu’il ne l’est aujourd’hui), cet institut, donc, organise une journée de réflexion sur la démocratie :
Très bien. La journée est animée par Marie-Christine Blandin, sénatrice écologiste et personne très estimable, et rassemble des personnes tout aussi estimables. Et puis, également, M. Duport :
Dont la présentation n’indique pas qu’il est présentement employé par Unibail-Rodamco. Cela serait pourtant un éclairage fort utile pour les auditeurs. Qui pourraient ainsi réfléchir concrètement à la différence entre démocratie et oligarchie...
Source : Marie Astier pour Reporterre
Images :
. dessin : FLHLMQ
. portrait M. Duport : Conseil de la simplification
Images :
. dessin : FLHLMQ
. portrait M. Duport : Conseil de la simplification
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