Romaric Godin
La Tribune
Sans doute, dès lundi, aurons-nous déjà les lamentations et
les colères habituelles des commentateurs. Cette victoire de Syriza en
Grèce sera pour les uns le nouveau signe de « l'irresponsabilité » d'un
pays qui l'a déjà prouvé sur le passé sur le plan budgétaire. D'autres
se lamenteront sur les difficultés qui attendent à nouveau l'Europe en
raison des caprices de « ce petit pays. » En d'autres termes, on blâmera
l'outrecuidance de ce « petit peuple » à contester la sagesse des
directions qui lui ont été données depuis Bruxelles. Pourtant, le peuple
grec a, ce 25 janvier, donné plus d'une leçon de responsabilité à
l'Europe. Des leçons qu'il serait irresponsable de négliger.
Echec des partis « pro-européens »
Peu
importe si Syriza aura ou non la majorité absolue. Ce dimanche, le
désaveu des Grecs pour des dirigeants Européens qui n'avaient guère
caché leur soutien au gouvernement sortant (on se souvient de
Jean-Claude Juncker voulant revoir des « têtes connues ») est sans
ambiguïté. L'échec des deux partis qui ont défendu et mené la politique
dictée par l'Europe est cuisant. Le Pasok et Nouvelle Démocratie, qui,
en 2009, représentaient 77 % de l'électorat et qui, en 2012, avaient
encore mobilisé 42 % des exprimés, ne recueillent cette fois qu'un tiers
des voix. Mais il s'est exprimé dans les urnes. Par la démocratie.
C'est la première leçon, peut-être la plus sublime, du peuple grec à
leurs partenaires européens : celle de croire dans un changement
possible par le processus démocratique. Cet espoir est d'autant plus
remarquable que l'Europe avait tout fait pour neutraliser la démocratie.
Echec de la stratégie de contournement de la démocratie de l'UE
Ce
qui a été vaincu ce soir, ce sont toutes les manœuvres des institutions
européennes pour se rire du choix des électeurs depuis près de 5 ans.
Et elles ont été innombrables : les politiques économiques imposées par
la troïka à des gouvernements élus ; les chantages de la BCE à des
parlements et à des gouvernements comme à Chypre et en Irlande ; les
« consensus » entre les grands partis exigées comme en Grèce en 2012 ou,
avant même, au Portugal et en Espagne ; les pressions et les
intimidations enfin lors des campagnes électorales comme les Grecs
viennent encore d'en connaître.
Le choix de la démocratie
Malgré
tout, les Grecs, qui avaient beaucoup descendu dans la rue entre 2010
et 2012, mais qui, en 2012, avait donné une dernière chance à l'Europe,
ont montré ce soir qu'ils croyaient qu'en Europe, il est possible de
changer de politique européenne par les urnes. Malgré les humiliations
et les pressions, ils ont montré qu'ils croyaient encore en une Europe
démocratique. Les grands de l'UE ne doivent pas prendre cette leçon à la
légère. Ils doivent accepter ce choix sans chercher à exclure la Grèce
pour cette seule faute : celle d'avoir fait confiance à la démocratie.
S'il advenait que la Grèce finisse par sortir de la zone euro, ceci
signifierait que la démocratie en Europe n'est qu'une façade limité aux
camps qui acceptent une seule politique économique. Autrement dit,
qu'elle n'est qu'un leurre. L'Europe fait donc face ce soir à un défi
considérable qui décidera de son avenir.
Un pays humilié et ravagé
La
deuxième leçon des Grecs s'adressent tant aux dirigeants qu'aux peuples
européens. Aucun pays n'a plus souffert dans l'UE que celui-ci au cours
des cinq dernières années. Son économie a subi un choc digne d'une
guerre, la politique d'austérité a accéléré la paupérisation et fait
grossir la dette. Aucun autre pays n'a également été autant méprisé.
Qu'on se souvienne des titres des journaux allemands en 2010-2012 et
même de plusieurs journaux français, de ces articles d'alors décrivant
une population paresseuse, indolente et corrompue, malgré les
statistiques qui disaient le contraire. Et malgré cela, les Grecs ne
sont pas tombés dans la facilité de la xénophobie et de la haine de
l'immigré.
Le refus de l'exclusion et de la xénophobie
Certes,
le parti néo-nazi Aube Dorée a surgi au parlement en 2012 et il y
restera cette année, prenant même la troisième place. Mais sa
progression marque le pas. Il semble avoir atteint son point haut dans
une société pourtant saignée à blanc par les politiques de coupes
budgétaires. Au contraire, le parti qui, ce soir, l'emporte,
est un parti qui n'a pas cherché à faire peser sur l'étranger la
culpabilité des malheurs du pays. On peut apprécier modérément les
thèses de Syriza, on peut les trouver fantaisistes, mais on ne peut
accuser le parti d'Alexis Tsipras de jouer - comme l'a fait durant toute
la campagne le premier ministre sortant et soutenu par l'Europe
Antonis Samaras - sur la peur de l'autre et le rejet de l'immigré. C'est
une leçon donnée à ceux qui, au nord de l'Europe, en France, au
Royaume-Uni, en Italie et même en Allemagne, confondent la critique des
politiques européennes avec la stigmatisation des immigrés. Mais là
encore, les dirigeants européens devraient, ce soir, se féliciter de ne
pas devoir faire face dans quelques semaines à un dirigeant de
l'extrême-droite en Grèce. Car, compte tenu de ce que l'Europe a infligé
à ce pays, c'eût été logique. Mais là aussi le peuple grec a fait
preuve d'une responsabilité exemplaire.
La leçon économique
Enfin,
la dernière leçon est économique. Les Grecs disent ce soir à
l'Europe qu'il n'existe pas qu'une seule politique économique possible.
Ils ont témoigné de l'absurdité de la politique menée depuis 2010 :
contracter de la dette pour rembourser de la dette ; abaisser le niveau
de vie pour améliorer une compétitivité fictive dans un pays qui n'a
pas les structures pour exporter ; couper aveuglément dans les dépenses
publiques pour atteindre des objectifs budgétaires inféconds pour
l'économie. Dans le cas grec, les instances de l'UE ont défendu les
vieux pouvoirs qui avaient été à l'origine des problèmes du pays, elles
se sont appuyés sur eux pour mener un « assainissement » qui ne s'est
jamais attaqué à la structure oligarchique de la société hellénique,
mais l'a même renforcé. Les Grecs demandent donc, par le vote de ce
dimanche, une politique qui assume cet échec et réparent en partie ses
effets : un plan de lutte contre la pauvreté, un démantèlement de
l'oligarchie, des investissements européens et une restructuration de la
dette. Il ne s'agit pas d'un nouveau caprice de « mauvais élève » comme
la presse allemande aura tôt fait dès lundi de le fustiger. Non, car
les Grecs ont été fort bons élèves et ils ont montré aux générations
futures l'absurdité de cette politique. Ce que les Grecs exigent ce
soir, c'est que l'Europe répare ce qu'elle a brisé. Et prenne sa part du
coup de la réparation.
Assumer et changer.
Beaucoup,
en France comme en Allemagne s'alarment du coût d'une restructuration
de la dette hellénique pour les finances publiques de nos pays. Mais ce
coût est logique : il est le fruit de la décision prise en 2010 de ne
pas, alors, restructurer la dette grecque et de préférer faire un
montage de cavalerie financière en comptant sur des calculs faux (la
sous-estimation des multiplicateurs budgétaires) et des théories
erronées (le retour de la confiance par l'austérité). En « prêtant » à
la Grèce pour qu'elle rembourse ses créanciers, les Etats de la zone
euro faisaient preuve d'une confiance démesurée dans leurs modèles
économique, d'une hubris, aurait-on dit dans l'ancienne tragédie
grecque. Or, l'hubris se paie toujours. La restructuration de la dette
grecque sera le prix de cette hubris. Là encore, les Grecs appellent à
la responsabilité. Mais aussi au réveil. Cinq ans plus tard, c'est en
effet encore les mêmes logiques qui dominent à Bruxelles et à Berlin. Le
peuple grec demande à l'Europe de changer de paradigme pour le bien de
ses peuples. De se montrer plus souple, plus flexible dans ses
politiques économiques. De réfléchir moins idéologiquement.
Ne pas faire la sourde oreille
Nul
ne sait ce qui va désormais se produire. Mais quoi qu'il arrive,
l'Europe doit prendre au sérieux le message hellénique : celui de la
responsabilité. Si elle le néglige, elle perdra toute crédibilité
démocratique et économique. Les Eurosceptiques, et cette fois les moins
recommandables et les moins prompts à la discussion et au compromis, en
seront les seuls vainqueurs. La Grèce donne ce soir une chance à
l'Europe. Qu'elle ne la piétine pas.
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