Source : Camille Martin (Reporterre)
L’association Oxfam publie ce lundi
un rapport sur les inégalités dans le monde. Un des traits les plus
frappants en est que, depuis la crise du système financier qui a éclaté
en 2008, les riches de tous les pays du monde… se sont enrichis.
Quatre-vingt cinq personnes possèdent autant de richesses que trois
milliards et demi d’humains.
Dans un rapport publié ce lundi sous le titre Working for the few, l’organisation d’aide internationale Oxfam pointe un phénomène majeur de la situation économique actuelle : malgré la crise du système financier ouverte en 2008, la fraction la plus riche des sociétés - qui est largement responsable de cette crise par la spéculation qu’elle a stimulée - a continué à s’enrichir. Pour elle, il n’y a en fait pas de crise.
Ainsi, aux États-Unis, les 1 % les plus riches ont confisqué 95 % de la croissance post-crise financière entre 2009 et 2012, tandis que les 90 % inférieurs se sont appauvris. La grande récession n’a pas infléchi la tendance à la concentration des revenus : la part du produit national des États-Unis allant au décile supérieur (le dixième de la population la plus riche) atteint 50,4 %, son niveau le plus haut depuis la Première Guerre mondiale.
Si le phénomène est le plus marqué aux Etats-Unis, il s’observe dans tous les pays analysés, y compris en France et en Espagne, et même en Suède ou au Danemark, pourtant réputés pour leur égalitarisme.
Le sommet de la pyramide se porte mieux que jamais : la fortune combinée des dix personnes les plus riches d’Europe dépasse le coût total des mesures de relance mises en oeuvre dans l’Union européenne (UE) entre 2008 et 2010 (217 milliards d’euros contre 200 milliards d’euros), selon le calcul mené par Oxfam.
Ces mesures ont en fait « sonné le début du démantèlement des mécanismes destinés à réduire les inégalités », qu’il s’agisse des dépenses de sécurité sociale, des allocations chômage ou du code du travail.
La démocratie foulée aux pieds par les riches
Cela est possible parce que les plus riches ont massivement investi le système de représentation associé à la démocratie parlementaire. Surfant sur l’abstention et injectant de l’argent pour soutenir leurs candidats, ils sont surreprésentés. Oxfam cite une récente étude « qui présente des preuves statistiques irréfutables de la surreprésentation massive des intérêts des riches Américains dans leur gouvernement, par rapport à ceux des classes moyennes ».
Le système de pouvoir est aussi biaisé par l’influence des lobbies, comme le montre l’exemple de la réforme bancaire Dodd-Frank tentée par le président Obama : « En 2012, les cinq plus grands groupes de protection des consommateurs ont employé vingt lobbyistes pour défendre le projet Dodd-Frank, tandis que les cinq plus grands groupes de l’industrie financière en employaient quatre cent six pour le combattre. Même si la loi Dodd-Frank a été promulguée il y a plus de trois ans, seules 148 de ses 398 règles ont été finalisées ».
Elus portes-paroles des riches et action souterraine des lobbies : la recette imprègne le plus le système politique des Etats-Unis, mais se retrouve dans tous les pays. « La concentration des richesses entraîne de fortes inégalités de la représentation politique. Lorsque les plus riches confisquent les politiques gouvernementales, les règles sont biaisées en leur faveur et souvent au détriment du reste de la population. Cela conduit notamment à l’érosion de la gouvernance démocratique, à l’ébranlement de la cohésion sociale »
Mais cette régression s’explique aussi par la désertion des citoyens et des travailleurs des organes de lutte collective. On observe ainsi une évolution symétrique du reflux du taux de syndicalisation et de l’augmentation des inégalités. En fait, la cause de la prospérité des riches est la passivité de leurs concitoyens :
- Courbe verte : parts des revenus des plus riches aux Etats-Unis, courbe marron : évolution du nombre de syndiqués -
Les inégalités frappent tous les pays du monde
La moitié la plus modeste de la population mondiale possède la même richesse que les quatre-vingt cinq personnes les plus riches du monde. Ou, pour le dire autrement, quatre-vingt cinq personnes possèdent la même richesse que trois milliards et demi de personnes.
La concentration de la richesse ne sévit pas que dans les pays les plus développés. C’est un phénomène général, qui s’est accentué dans les dernières décennies. Sept personnes sur dix vivent dans un pays où l’inégalité économique a augmenté au cours des trente dernières années. Le cas le plus frappant est celui de la Chine :
En fait, constate Oxfam, « la croissance économique s’apparente à un jeu où le vainqueur rafle tout »
En Afrique, on observe même une corrélation directe entre le niveau de ressources des pays et leurs niveaux d’inégalité. Cela s’explique largement par le poids des matières premières dans l’enrichissement de ces pays. Car la production de ces ressources est pour l’essentiel aux mains de compagnies étrangères, qui s’arrangent pour rapatrier l’essentiel des revenus. Par exemple, « d’après une étude menée récemment par Oxfam, l’extraction d’uranium au Niger contribue à seulement 4 à 6 % du budget public, bien qu’il s’agisse du principal produit d’exportation ».
Instabilité sociale
Le ton du rapport est très mesuré. Avec une certaine candeur, il s’adresse aux décideurs qui se réunissent au Forum economique de Davos en janvier. Il évoque ce à quoi pourrait conduire le maintien de ces inégalités extrêmes : « les tensions sociales et le risque d’éclatement des sociétés ».
Complément d’info : En France, les entreprises du CAC 40 ont versé près de 43 milliards d’euros de dividendes à leurs actionnaires
Source : Reporterre.
Graphes : « Working for the few », Oxfam.
Photo : Bill Gates et Warren Buffet (lefigaro.fr).
Consulter aussi le dossier Riches, revenu maximal admissible (RMA), revenu de base.
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