Entretien,
par | le13 novembre 2013
Source : Regards
Avec Les Jours Heureux, un documentaire
sur le Conseil national de la Résistance,
Gilles Perret cherche à transmettre
l’optimisme et la combativité de ce moment
d’histoire politique qui devraient inspirer
notre époque. Quand l’utopie devient
réalité… Rencontre.
Regards.fr. Comment est né ce film ?
Gilles Perret. En 2008, j’ai fait un film, Walter, retour en résistance, qui était un portrait d’un ancien résistant déporté, un communiste, venant de ma région la vallée du Giffre en Haute-Savoie. Le Conseil national de la Résistance y était abordé. Walter était inquiet de démantèlement des acquis du CNR. Au même moment, j’ai fait venir Stéphane Hessel au plateau des Glières pour le rendezvous des « citoyens résistants d’hier et d’aujourd’hui ». Son discours d’alors avait donné naissance à son fameux livre, Indignez-vous, dans lequel la référence au CNR est présente. Je me suis dit alors qu’il fallait un film pour raconter cette histoire. Je pensais trouver facilement des subventions auprès des télévisions car les politiques font ces temps-ci beaucoup référence au CNR et que ce n’est pas mon premier film. Une chaîne m’a dit : « On veut bien faire un film comme ça mais sans politique. » Comme s’il fallait laisser le CNR dans l’histoire… Alors nous avons lancé une souscription et, en même temps, j’ai filmé Stéphane Hessel, Raymond Aubrac et Robert Chambeiron. Aubrac a beaucoup inspiré ce film : c’est avec lui que j’ai compris l’urgence à faire ce film. Quand on enseigne l’histoire de cette période, c’est surtout le récit d’hommes avec des pistolets, des faits d’armes, et pas le projet politique qu’il y avait derrière. Le film de Claude Berri illustre ce climat dans l’histoire commune de la seconde guerre mondiale : un roman de guerre et d’amour où la pensée politique est totalement absente. Or chez Aubrac, la politique était fondamentale. Bref. La souscription a très bien fonctionné et nous avons trouvé des financements du côté des comités d’entreprise et des mutuelles, ce qui n’est pas anodin puisque ces espaces ont été créés par le CNR.
Quelle démonstration politique voulez-vous faire avec ce film ? À quoi sert au fond le CNR pour les batailles d’aujourd’hui ?
La leçon, c’est de mettre l’intérêt général devant les intérêts particuliers. C’est un programme de vivre ensemble. La question des acteurs du CNR était de savoir comment ne pas revivre ce que la société avait vécu dans les années 1930 avec le poids de l’oligarchie. La presse, l’énergie, la finance doivent être orientés par la politique. C’est ce qu’ils font – liberté de la presse, nationalisation des banques, statut de la fonction publique, etc. – et c’est cette idée qui doit questionner le présent. Le projet fut aussi de redonner du sens au travail et des conditions de protection sociale – d’où la création de la sécurité sociale, la retraite par répartition, etc. Or ce programme audacieux a été pensé dans un contexte de marasme noir, en pleine situation économique incomparablement pire que la nôtre. Ce n’est pas le tout de se libérer de l’ennemi, il faut préparer l’avenir, estimaient les artisans du CNR. Et avec un discours optimiste : quand on veut, on peut. À l’époque pourtant, on leur disait que l’on ne pouvait rien changer, comme aujourd’hui finalement, où l’on nous martèle qu’aucune avancée sociale n’est possible. Or, à une minorité, ils ont réussi à changer les choses. La résonance n’est pas dans la situation militaire mais dans le rapport de force à construire et l’ambiance fataliste des médias et de la classe politique. Les gens qui voient mon film ressortent revigorés.
C’est un peu « yes we can »…
Oui. C’est une belle démonstration de volonté, dignité, de constance dans les idées. Ils n’ont rien lâché. Et tout ça ne se fait pas dans le consensus. On a tendance à penser que le programme du CNR est un compromis entre gaullistes et communistes obtenu dans un climat de sympathie. En réalité, il naît d’un rapport de force. Les communistes ont considérablement pesé. Les annotations des archives des débats faites par les acteurs eux-mêmes montrent ce niveau de conflictualité. Cela sert d’exemple : c’est par le rapport de force qu’ils obtiennent un programme aussi ambitieux. Plus les négociations avancent et plus le projet est audacieux. Aujourd’hui, on baigne dans cette culture du consensus mais si on mettait tous les partis autour d’une table pour régler un programme commun d’union nationale, on arriverait à un texte insipide.
La morale du film, ce n’est donc pas l’éloge de l’Union nationale ?
Bien sûr que non. La remarque de Jean- Luc Mélenchon dans le film est fort juste : « Les uns étaient en face des fusils des autres. » Dans le CNR, il n’y a que les combatifs, ceux qui ont pris les armes contre l’ennemi commun. Et ils ont en commun le sens de l’État, issu du climat des années 1930. Mais chez les gaullistes de l’époque, il y a un sens du bien commun. Ils avaient conscience que, pour construire un État qui tienne debout, il fallait en passer par là. On obtient un compromis progressiste par le rapport de force.
Vous avez fait réagir des hommes politiques d’aujourd’hui dans votre film…
J’ai en effet interrogé ceux qui avaient mentionné le CNR dans leurs discours. Ma question était leur légitimité à le faire. Les socialistes, par exemple, c’est vraiment leur histoire : ce sont eux qui ont rédigé la première mouture du texte. Pourtant, alors que tous les autres responsables des partis ont accepté de répondre à l’interview, Ségolène Royal, Martine Aubry, Lionel Jospin, Pierre Moscovici et Harlem Désir ont tous refusé de me répondre. Curieusement, c’est François Hollande qui m’a dit oui… mais son discours sur le sujet est assez pauvre, comme on le voit dans le film. On comprend qu’ils ne soient pas à l’aise : les socialistes ont autant contribué que la droite au démantèlement du programme du CNR dans les années 1980-1990. Dans ces interviews, ce qui m’a frappé, c’est que les politiques sont mal à l’aise quand on insiste sur les questions de fond auxquelles ils ne veulent pas répondre. Benoist Apparu ou François Bayrou s’énervent, s’en prennent vite à moi quand je les relance sur les règles politiques et économiques à mettre en oeuvre pour éviter la catastrophe.
Alors que vous rendez hommage aux communistes dans cette histoire, pourquoi n’avez-vous pas interrogé le PCF ?
J’estimais que Jean-Luc Mélenchon avait porté les couleurs de cet espace politique en étant le candidat du rassemblement en 2012. Et je ne pouvais pas interviewer deux figures de la gauche radicale… Je ne voulais pas d’un film dogmatique, de tribunes partisanes. À chacun de réfléchir, de se faire sa propre idée et de tirer les conclusions.
Votre film est entièrement masculin, c’est assez sidérant : on n’y voit aucune femme…
Oui, car le CNR, contrairement à la Résistance, n’était composé que d’hommes et la classe politique d’aujourd’hui est encore très masculine. Par ailleurs, je n’ai pas eu de chance car l’historienne spécialiste de la question refuse d’être à l’image et que les femmes du PS m’ont dit non. Au total, le film est évidemment trop masculin. Mais c’est malheureusement une part du réel.
D’où vient le titre, magnifique : Les Jours Heureux ?
Au début, le texte s’appelle la charte de la Résistance. En 1941, un membre du mouvement Libération-Sud avait vu un film qui venait de sortir et dont le titre était Les Jours Heureux. Il a eu l’idée d’intituler le programme comme ça. Moi, je rêve qu’un homme ou une femme politique appelle demain son programme « Les Jours Heureux ». Ce que j’aime, c’est l’optimisme dans une période particulièrement noire.
Gilles Perret. En 2008, j’ai fait un film, Walter, retour en résistance, qui était un portrait d’un ancien résistant déporté, un communiste, venant de ma région la vallée du Giffre en Haute-Savoie. Le Conseil national de la Résistance y était abordé. Walter était inquiet de démantèlement des acquis du CNR. Au même moment, j’ai fait venir Stéphane Hessel au plateau des Glières pour le rendezvous des « citoyens résistants d’hier et d’aujourd’hui ». Son discours d’alors avait donné naissance à son fameux livre, Indignez-vous, dans lequel la référence au CNR est présente. Je me suis dit alors qu’il fallait un film pour raconter cette histoire. Je pensais trouver facilement des subventions auprès des télévisions car les politiques font ces temps-ci beaucoup référence au CNR et que ce n’est pas mon premier film. Une chaîne m’a dit : « On veut bien faire un film comme ça mais sans politique. » Comme s’il fallait laisser le CNR dans l’histoire… Alors nous avons lancé une souscription et, en même temps, j’ai filmé Stéphane Hessel, Raymond Aubrac et Robert Chambeiron. Aubrac a beaucoup inspiré ce film : c’est avec lui que j’ai compris l’urgence à faire ce film. Quand on enseigne l’histoire de cette période, c’est surtout le récit d’hommes avec des pistolets, des faits d’armes, et pas le projet politique qu’il y avait derrière. Le film de Claude Berri illustre ce climat dans l’histoire commune de la seconde guerre mondiale : un roman de guerre et d’amour où la pensée politique est totalement absente. Or chez Aubrac, la politique était fondamentale. Bref. La souscription a très bien fonctionné et nous avons trouvé des financements du côté des comités d’entreprise et des mutuelles, ce qui n’est pas anodin puisque ces espaces ont été créés par le CNR.
Quelle démonstration politique voulez-vous faire avec ce film ? À quoi sert au fond le CNR pour les batailles d’aujourd’hui ?
La leçon, c’est de mettre l’intérêt général devant les intérêts particuliers. C’est un programme de vivre ensemble. La question des acteurs du CNR était de savoir comment ne pas revivre ce que la société avait vécu dans les années 1930 avec le poids de l’oligarchie. La presse, l’énergie, la finance doivent être orientés par la politique. C’est ce qu’ils font – liberté de la presse, nationalisation des banques, statut de la fonction publique, etc. – et c’est cette idée qui doit questionner le présent. Le projet fut aussi de redonner du sens au travail et des conditions de protection sociale – d’où la création de la sécurité sociale, la retraite par répartition, etc. Or ce programme audacieux a été pensé dans un contexte de marasme noir, en pleine situation économique incomparablement pire que la nôtre. Ce n’est pas le tout de se libérer de l’ennemi, il faut préparer l’avenir, estimaient les artisans du CNR. Et avec un discours optimiste : quand on veut, on peut. À l’époque pourtant, on leur disait que l’on ne pouvait rien changer, comme aujourd’hui finalement, où l’on nous martèle qu’aucune avancée sociale n’est possible. Or, à une minorité, ils ont réussi à changer les choses. La résonance n’est pas dans la situation militaire mais dans le rapport de force à construire et l’ambiance fataliste des médias et de la classe politique. Les gens qui voient mon film ressortent revigorés.
C’est un peu « yes we can »…
Oui. C’est une belle démonstration de volonté, dignité, de constance dans les idées. Ils n’ont rien lâché. Et tout ça ne se fait pas dans le consensus. On a tendance à penser que le programme du CNR est un compromis entre gaullistes et communistes obtenu dans un climat de sympathie. En réalité, il naît d’un rapport de force. Les communistes ont considérablement pesé. Les annotations des archives des débats faites par les acteurs eux-mêmes montrent ce niveau de conflictualité. Cela sert d’exemple : c’est par le rapport de force qu’ils obtiennent un programme aussi ambitieux. Plus les négociations avancent et plus le projet est audacieux. Aujourd’hui, on baigne dans cette culture du consensus mais si on mettait tous les partis autour d’une table pour régler un programme commun d’union nationale, on arriverait à un texte insipide.
La morale du film, ce n’est donc pas l’éloge de l’Union nationale ?
Bien sûr que non. La remarque de Jean- Luc Mélenchon dans le film est fort juste : « Les uns étaient en face des fusils des autres. » Dans le CNR, il n’y a que les combatifs, ceux qui ont pris les armes contre l’ennemi commun. Et ils ont en commun le sens de l’État, issu du climat des années 1930. Mais chez les gaullistes de l’époque, il y a un sens du bien commun. Ils avaient conscience que, pour construire un État qui tienne debout, il fallait en passer par là. On obtient un compromis progressiste par le rapport de force.
Vous avez fait réagir des hommes politiques d’aujourd’hui dans votre film…
J’ai en effet interrogé ceux qui avaient mentionné le CNR dans leurs discours. Ma question était leur légitimité à le faire. Les socialistes, par exemple, c’est vraiment leur histoire : ce sont eux qui ont rédigé la première mouture du texte. Pourtant, alors que tous les autres responsables des partis ont accepté de répondre à l’interview, Ségolène Royal, Martine Aubry, Lionel Jospin, Pierre Moscovici et Harlem Désir ont tous refusé de me répondre. Curieusement, c’est François Hollande qui m’a dit oui… mais son discours sur le sujet est assez pauvre, comme on le voit dans le film. On comprend qu’ils ne soient pas à l’aise : les socialistes ont autant contribué que la droite au démantèlement du programme du CNR dans les années 1980-1990. Dans ces interviews, ce qui m’a frappé, c’est que les politiques sont mal à l’aise quand on insiste sur les questions de fond auxquelles ils ne veulent pas répondre. Benoist Apparu ou François Bayrou s’énervent, s’en prennent vite à moi quand je les relance sur les règles politiques et économiques à mettre en oeuvre pour éviter la catastrophe.
Alors que vous rendez hommage aux communistes dans cette histoire, pourquoi n’avez-vous pas interrogé le PCF ?
J’estimais que Jean-Luc Mélenchon avait porté les couleurs de cet espace politique en étant le candidat du rassemblement en 2012. Et je ne pouvais pas interviewer deux figures de la gauche radicale… Je ne voulais pas d’un film dogmatique, de tribunes partisanes. À chacun de réfléchir, de se faire sa propre idée et de tirer les conclusions.
Votre film est entièrement masculin, c’est assez sidérant : on n’y voit aucune femme…
Oui, car le CNR, contrairement à la Résistance, n’était composé que d’hommes et la classe politique d’aujourd’hui est encore très masculine. Par ailleurs, je n’ai pas eu de chance car l’historienne spécialiste de la question refuse d’être à l’image et que les femmes du PS m’ont dit non. Au total, le film est évidemment trop masculin. Mais c’est malheureusement une part du réel.
D’où vient le titre, magnifique : Les Jours Heureux ?
Au début, le texte s’appelle la charte de la Résistance. En 1941, un membre du mouvement Libération-Sud avait vu un film qui venait de sortir et dont le titre était Les Jours Heureux. Il a eu l’idée d’intituler le programme comme ça. Moi, je rêve qu’un homme ou une femme politique appelle demain son programme « Les Jours Heureux ». Ce que j’aime, c’est l’optimisme dans une période particulièrement noire.
PRCF qui avec le M’PEP et les CPF a lancé le 18 juin dernier un appel pour que reviennent les jours heureux et pour un nouveau CNR. Appel qui peut être signé en ligne ici
http://www.initiative-communiste.fr...
A lire également sur le sujet cette analyse du philosophe marxiste G Gastaud :
http://www.initiative-communiste.fr...
http://www.initiative-communiste.fr...
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