Source : Agoravox
La photo est jolie, le coin sympa : canards,
poules d’eaux se promènent sur les eaux calmes d’une série de petits
lacs près de Toulouse. Un paysage champêtre, le calme de la nature,
l’endroit rêvé pour faire une balade en barque ou en canoë, ou pour
aller pêcher. J’irai bien à Toulouse rien que pour ça, j’adore pêcher.
Des petits gardons ou des ablettes, ceux que je pêchais enfant dans
l’Aa, le fleuve devenu le canal le plus connu des cruciverbistes. Des
poissons que chassent à Toulouse l’aigrette garzette ou le héron
bihoreau, les deux espèces rares de la région. Mais revenons justement à
Toulouse et à ses fameuses "ballastières". L’autre nom des lacs
idylliques décrits ci-dessus. Des étangs ou des lacs à l’allure
paisibles qui renferment un terrible et dangereux secret.
A la DRIRE, on les connaît bien ses fameuses ballastières. Plein de
documents gouvernementaux les décrivent. Et là, on tombe un peu de haut
en lisant pourquoi elles s’appellent ainsi. Un document officiel
surtout, intitulé "Réhabilitation du site des ballastières de l’ex-poudrerie de Toulouse Braqueville",
fermée en 1978, par exemple nous annonce que nos fameux lacs champêtres
sont situés sur les terrains d’une ancienne poudrière, rien que ça.
Dans ce document de 2007 de la DRIRE, une phrase extraite de ce
document, surtout intrigue :
"la poursuite du processus de réhabilitation du site n’est, à ce jour,
pas encore définie. Les risques afférents ne peuvent donc pas encore
être évalués précisément." L’endroit doit être dépollué et
réhabilité, donc, jusqu’ici rien d’extraordinaire en milieu industriel,
mais on ne sait pas comment ni quand, car un problème qui semble de
taille empêche les travaux. Et personne, visiblement, n’ose s’y
coller... on est encore plus intrigué quand on lit un peu plus loin que "cependant,
quelle que soit la solution choisie, il sera recommandé de : maintenir
le caractère humide des poudres et des mélanges traités durant les
différentes étapes de la réhabilitation ; limiter la quantité de
produits pyrotechniques manipulés, afin que la zone de danger (au sens
de la réglementation pyrotechnique) soit incluse dans l’emprise du site
des ballastières". De la "poudre" à maintenir humide
obligatoirement ? Et pourquoi donc ? Et dans quoi est-elle donc
véritablement, cette poudre invisible car plongée sous l’eau ? Une
"poudre" qui pourrait devenir produit pyrotechnique, à savoir
explosive ??? AZF n’a donc pas suffit ? Qu’est ce donc que ce dépôt si
dangereux qu’aucune autorité ne veut prendre la responsabilité de le
vider ? Qu’y a-t-il donc dedans de si dangereux ?Pour trouver la réponse, il faut rentrer dans une histoire vieille de ..... près d’un siècle, à quelques années près. L’époque de la grande guerre. Celle de 1914-1918, et celle de la boucherie au canon, qui n’aura eu que peu de clones, à part la guerre de position qui opposera l’Iran à l’Irak et qui en présentera les mêmes effets, avec les attaques au gaz et la guerre des tranchées. Ces fameuses "ballastières" si dangereuses, contiennent en effet des caisses d’armement de 14-18 bien particulières : elles sont à base d’obus à poudre de nitrocellulose... plus communément connu sous le nom de "fulmicoton". Un produit extrêmement dangereux : "Selon le taux d’azote obtenu, on obtient un produit très dangereux et explosif à l’état sec. La nitrocellulose est stockée dans des conditions d’humidité importante (> 25%) pour être considérée sans danger." Apprend-on assez rapidement sur le Net. "Infllammable et explosif à l’état sec".. et donc plongé au fond de l’eau... pour ne pas exploser ! Le "coton-poudre", autre nom de la nitrocellulose, enflammé, explose en effet en dégageant une chaleur intense sans laisser de traces ou presque. C’est pourquoi d’ailleurs c’est le type d’explosion préférée des illusionnistes : sur scène, il ne reste rien non plus ! L’autre débouché à une époque de la nitrocellulose était les films, ce qui explique qu’un bon nombre aussi tournés au début du siècle sont partis en fumée...
Un fulmicoton inventé en 1846 et dont la découverte mérite bien un chapitre historique, emprunté ici : "finalement en 1846 entre en scène le candidat le plus sérieux à la succession de la poudre noire, le fulmicoton, obtenu par un chimiste de Bâle, Friedrich Shönbein, qui fait grand mystère de son mode de préparation. Jamais semble-t-il secret n’aura été aussi vite éventé : huit jours. En effet, dix ans auparavant, le chimiste français Jules Pelouze (qui a été Lillois !) avait obtenu du fulmicoton, qu’il appelait xyloïdine, sans se douter un seul instant de ses propriétés explosives. Comme dans le cas de l’acide picrique, il suffisait de faire réagir l’acide nitrique avec du coton, en présence d’un peu d’acide sulfurique pour faciliter la réaction, le produit obtenu étant en toute rigueur de la nitrocellulose".
Or, à Toulouse, au fil du temps, on a regroupé pratiquemment tout ce qu’il en restait de 1918 et d’après : soit 45 000 tonnes, paraît-il. C’est colossal. Déposés dans les fameuses ballastières, sur un terrain cédé à Grande Paroisse... le propriétaire d’AZF, en 1984. On revient donc, en plein procès de l’établissement ! Toulouse est donc susceptible dans l’état actuel des choses de se payer un jour ou l’autre un second AZF, pour la simple raison qu’on y a entreposé pendant des années ces quantités invraisemblables d’explosifs, sans jamais chercher à les éliminer... mais simplement à les déposer dans un endroit où elles ne pouvaient pas exploser..tant qu’elles étaient recouvertes d’eau. Le scandale, car ça en est un, en raison du propriétaire même des sols, est bel et bien là : après AZF, c’est aujourd’hui à nouveau l’armée. Personne ne s’est jamais soucié de des 45 000 tonnes immergées, c’est bien ça le plus inquiétant ! La DRIRE, qui est au courant, le gouvernement, dont elle dépend directement, le savent bien. Mais on n’a rien décidé depuis tout le temps où cela a été immergé, et pas plus avant qu’après la catastrophe d’AZF ! Etonnant, et révoltant : les toulousains sont assis sur une deuxième bombe potentielle, bien plus dangereuse encore que les produits manipulés par mégarde dans l’usine AZF, et pas un n’est tenu au courant ! L’exemple de ce que ça pourrait donner vient de Chateaulin, en Bretagne, et plus exactement à Pont de buis en 1975. Cette année-là, alors jeune enseignant, j’étais parti en vacances au Menez-Hom. A peine arrivé, à la mi-août, la presse relatait encore les suites d’une catastrophe ahurissante à quelques km de là, survenue le 7 du même mois. L’explosion d’une fabrique de poudre qui avait fait trois morts et tout dévasté dans les environs. Et pas n’importe quelle poudre. Un très intéressant article d’Isabelle Bouard de 1989 évoque ce qu’on y faisait encore en 1974, à Pont de Buis, et surtout dans quelles conditions de "sécurité" : "Pour fabriquer de la poudre, deux substances sont indispensables : l’éther et l’alcool à 98°, c’est-à-dire presque pur. L’alcool sert à purifier le coton-poudre, et l’éther est utilisé pour le dessécher. En travaillant, les poudriers ont accès à ces produits, l’un liquide, et l’autre volatile, qui sont entreposés dans des cuves. C’est l’occasion de plaisanteries que l’on se narre entre Pont-de-Buisiens ; elles concernent les cuves dont on voit le fond tapissé de bouteilles tombées sans avoir ramené leur précieuse charge, soit à cause d’une ficelle trop courte, soit en raison des vapeurs qui auraient occasionné une mauvaise manœuvre de la part d’un ouvrier. Il est difficile d’évaluer la réalité au seul discours des poudriers et des Pont-de-Buisiens. L’alcool à 98°, qui était autrefois de l’alcool de noisette, est depuis 1975 (date de l’explosion accidentelle de la poudrerie) de l’alcool dénaturé, coloré en rose afin d’endiguer l’alcoolisme à l’usine ; la couleur rose vif étant supposée rebuter les éventuels consommateurs. En effet, cet alcool nommé « chanig » (petit Jean) faisait, dit-on, l’objet d’une consommation importante. Dans la poudrière, l’alcool a toujours circulé, c’est le fameux "chanig" local. Buveurs de "chanig" ou non, tous les ouvriers sont dans le secret et connaissent les cachettes des consommateurs. Les bouteilles étaient planquées partout, quand on entrait dans un atelier, comme il y avait de la poussière partout, on voyait quand les gens avaient dérangé quelque chose... ils mettaient ça derrière les planches, dans les canalisations, dans les pompes"... L’alcool avait-il joué une rôle ce jour là ? On ne le pense pas pour autant ; car les circonstances exactes de l’explosion demeurent inconnues. Il avait été évoqué à l’époque des travaux dans l’entreprise. Depuis, Pont de Buis, intégré dans Nobel Sport, avait repris son activité, avec un directeur... toulousain, Gérard Delpla. Sinon, il faut remonter à la fin du XIXeme pour voir un drame semblable, avec la poudrière de Lagoubran qui explosa dans la nuit du 5 mars 1899.
Un second AZF est donc possible à Toulouse, voilà qui va plaire à notre confrère Sylvain qui va pouvoir échafauder toutes les théories invraisemblables pour expliquer la prochaine explosion... Des poudrières, il est vrai, il en reste parfois dans des endroits inattendus. Le 20 novembre 2001, on en découvrait une à deux pas de l’Elysée. Celui des hommes chargés de la protection présidentielle et qui stockaient parait-il près de 2,5 tonnes d’armement divers... sans semble-t-il les protections inhérentes nécessaires. Connaissant le nouveau locataire, qui arrive à mobiliser autant de CRS que d’hommes valides lors de la visite d’un village, on n’ose imaginer le stock actuel et encore moins sa nouvelle localisation. La découverte récente au large de la Sardaigne d’un cuirassé français, le Danton, coulé 93 ans auparavant avec à son bord 296 matelots, sans avoir combattu, doit poser un problème similaire : à l’époque, les obus de ces canons sont remplis de cette matière explosive si particulière. Tant que ça reste dans l’eau, c’est bon. Après...Pour en revenir à notre dépôt toulousain de fulmicoton, on a souvent dit que le nucléaire posait le poblème de ses déchets sur des milliers d’années : là on est à moins d’un siècle pour la nitrocellulose, et on ne sait toujours pas comment la gérer correctement pour l’annihiler !
En ce début de procès d’AZF, je souhaiterais que les journalistes, cette fois, fassent davantage leur travail, et évoquent lors de ce procès ce danger incroyable qui subsiste toujours en plein Toulouse... ce n’est pas difficile, il y a quatre mois de débats de prévus, largement de quoi aller visiter les ballastières pour enrichir un reportage ! La suite des événements nous dira si en France, en 2009, nous sommes sous-informés ou non sur les dangers industriels qui subsistent dans le pays. Pour ce qui est de Toulouse, on peut compter sur les doigts d’une seule main les articles sur cet énorme danger potentiel, ce" truc", que seul le Canard Enchaîné avait évoqué il y a quelques mois dans une indifférence générale, et quelques journaux en 2007, quand il a fallu se trouver un terrain pour un projet de bâtiment abritant la recherche sur le cancer. Au point de vue de l’Etat, en tout cas, on minimise, à tout crin, y compris ouvertement en Préfecture, en parlant de 5 000 tonnes seulement... car ce sont les seuls tonnages dont on a gardé une trace écrite semble-t-il. Le reste des archives a disparu ! Un secret bien caché au fond des eaux toulousaines, dont personne ne souhaite parler davantage. De peur d’affoler la population. "Fin décembre 2008 et en janvier 2009, les laboratoires Sanofi et Pierre Fabre prendront livraison des 26 000 m2 et 45 000 m2 de leurs nouveaux locaux sur le site du Cancéropôle" clamait-on il n’y a pas si longtemps encore. Les militaires, qui connaissent bien le danger, étant les plus réticents à s’y coller : "à mon avis, dans dix ans on en sera au même point » pronostique à Toulouse un proche de la Défense et du dossier des Ballastières. Lorsqu’elle s’exprime sous le sceau de l’anonymat, l’armée ne fait pas mystère de sa volonté de laisser le site de l’ex poudrerie de Braqueville en l’état" dit la presse locale. Rien n’est sorti de terre depuis. Le jour où les ballastières s’assècheront, on y pensera peut-être. Car depuis l’explosion, AZF-Total n’a rien trouvé de mieux que de revendre ces fameuses ballastières à l’armée, son premier propriétaire en fait : "après l’explosion de l’usine AZF-Total a refilé les encombrantes ballastières à l’armée à qui elles appartenaient à l’origine. Et depuis, le principe du « pollueur payeur » peine à se mettre en place" nous dit la presse locale. Et les gamins du quartier, qui ont vite fait de franchir les maigres barbelés, continuent régulièrement à faire quelques expéditions dans ces étangs, pour remonter invariablement de ces plaquettes à ne pas faire sécher... Si Total ne sait pas quoi faire de ces milliards, il pourrait peut être songer à en consacrer quelques-uns à vider ces étangs mortels, qui sait. On peut toujours rêver, les toulousains surtout.
L’armée qui n’a rien fait depuis quatre-vingt ans environ, par crainte de tout faire sauter, et qui ne sait pas où sont passées les 45 000 tonnes du départ, devenues par un coup de baguette magique 5 000 seulement selon AZF, saurait en moins de deux ans dépolluer semblable site ? La preuve que non, puisque ça n’est toujours pas fait, deux années après l’avoir promis en 2007 ! L’armée sait très bien, elle, qu’il y en a bien plus que 5 000 tonnes ! Le fulmicoton n’a toujours pas bougé d’un pouce depuis qu’on l’y a déposé, dans l’entre deux guerres, en ce début 2009 !!! Et à ma connaissance, ce n’est pas non plus un produit soluble. Sanofi peut toujours attendre et Douste-Blazy fanfaronner en annonçant un peu hâtivement que l’intégralité du site est "totalement dépollué" ! La jolie fable que voilà ! Faudra-t-il plutôt attendre les effets du réchauffement climatique pour que la ville de Toulouse se retrouve un jour satellisée ? AZF et ces trente morts n’auraient donc servi à rien ?
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