LE MONDE - 13 novembre 2013
Franck Johannès
Il
y a toujours eu un sérieux doute sur le fonctionnement et l'efficacité des
centres éducatifs fermés (CEF), ces petits établissements réservés aux mineurs
récidivistes et jamais évalués, mais dont le candidat Hollande se proposait dans
le doute de doubler le nombre. Les équipes du contrôleur général des lieux de
privation de liberté ont, eux, visité 42 des 47 CEF, et après avoir publié en
2010 des remarques sévères sur quatre d'entre eux, Jean-Marie Delarue s'est
alarmé, mercredi 13 novembre, de la situation de deux autres. Au point, pour la
troisième fois depuis 2008, d'user de la procédure d'urgence en publiant des
recommandations au Journal
officiel.
Jean-Marie
Delarue s'interdit de se prononcer sur le bien-fondé des CEF. En revanche, il
entend vérifier « si les
droits fondamentaux sont respectés ». A Hendaye, dans les
Pyrénées-Atlantiques, et à Pionsat, dans le Puy-de-Dôme, ce n'est à l'évidence
pas le cas. « Nous avons été
frappés par l'ampleur de l'atteinte aux droits fondamentaux, indique le contrôleur. On va dire, ce sont des enfants en
rupture de ban, mais ce sont d'abord des enfants. Des personnes en devenir, pour
qui on peut encore changer les choses. »
A
Pionsat, le centre géré par une association est ouvert depuis 2010 et accueille
douze jeunes de 13 à 16 ans – dont trois en fugue lors de la visite du
contrôleur, en août. « A
Pionsat, il y a une carence éducative absolue », tranche Jean-Marie
Delarue. Il ne met pas en cause la bonne volonté des éducateurs, « d'ailleurs peu qualifiés et
formés ». « On colle les
enfants dans un centre fermé, loin de leur famille et de leur environnement, et…
on improvise. Tous les matins, on se gratte la tête pour savoir ce qu'on va
faire faire aux enfants. » Un
jour, on leur fait faucher les abords, on les sort avec l'homme d'entretien pour
faire des courses, on joue au foot sur un petit terrain goudronné… A quelques
jours de la rentrée, aucun enseignant n'était affecté au CEF. C'est fait depuis
le 3 octobre – après la rentrée donc.
«
Il s'agit d'une atteinte grave aux droits fondamentaux, parce que le centre
tourne le dos au principe d'éducation qui est à la source de toute prise en
charge des enfants par la collectivité publique, dit Jean-Marie Delarue. C'est porter atteinte à ce droit à
devenir adulte, qui est pour les enfants un droit fondamental. » Un projet éducatif a bien été déterminé
avant l'ouverture du centre ; les contrôleurs l'ont trouvé assez inconsistant,
mais ce n'est pas grave, personne ne l'a lu. « Il y a ainsi une triple carence,
à la fois de l'association gestionnaire, souligne le contrôleur, des éducateurs qui ne se sont pas
demandé si tout cela était bien normal, et de l'autorité de tutelle, la
protection judiciaire de la jeunesse . » Une nouvelle directrice, nommée le 19
août, s'efforce d'y mettre bon ordre.
A
Hendaye, les contrôleurs ont découvert dans un congélateur des kilos de viande
périmée depuis des mois et ont trouvé la chose inquiétante – désormais les repas
seront préparés à l'extérieur. Le CEF d'Hendaye, inauguré en 2007, accueille dix
jeunes de 16 à 18 ans – ils étaient cinq au moment du contrôle, en
septembre.
FAIBLESSE DE L'ENCADREMENT
Surtout,
le CEF a été installé dans d'anciens locaux de la Marine, le long de la
Bidassoa, le fleuve côtier. On y accède par un tunnel, sous la voie ferrée,
interdit aux piétons. Pour sortir à pied, le seul moyen est de traverser deux
voies ferrées très fréquentées – et il n'y a pas de passage à niveau. « Le nombre de fugues, certes
temporaires, est important dans les CEF,s'inquiète le contrôleur. Les gamins traversent seuls les
voies. Est-ce bien judicieux ? C'est mettre en péril de façon grave et immédiate
la sécurité des enfants. » Il
n'y a pas eu d'accident, mais « on ne va peut-être pas attendre
qu'il y ait un mort », tranche Jean-Marie Delarue. « Le choix d'implantation, note le contrôleur, en dit long sur le sérieux avec
lequel les dimensions de sécurité et d'éducation ont été alors envisagées.
» La chancellerie a prévu
d'installer « un très haut
grillage » le long des
voies.
Jean-Marie
Delarue s'était déjà inquiété en 2010 de la faiblesse de l'encadrement des
éducateurs dans les CEF, et même de violences physiques de la part de certains.
La protection judiciaire de la jeunesse, au moins en Ile-de-France, faisait
lentement naufrage (Le Monde du 11 février) avant la nomination en
juin d'une nouvelle directrice. « Même si certains CEF marchent
bien, conclut Jean-Marie
Delarue, le rôle unificateur,
normatif, de la PJJ n'a pas été tenu. On l'a répété dans au moins trois rapports
annuels, on le découvre une fois de plus. On se demande parfois si certains
centres ne servent pas seulement à parquer des enfants dont on ne sait pas quoi
faire. »
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