mercredi 26 novembre 2014

Euthanasier le Parti socialiste pendant qu’il bouge encore

Source :  Regards - publié le 24 novembre 2014

Euthanasier le
            Parti socialiste pendant qu'il bouge encore
Jean Christophe Cambadélis vient d’annoncer que les états Généraux du PS, le 6 décembre, seront l’occasion d’un « Bad Godesberg idéologique ». Comme si ce tournant n’avait pas été pris depuis longtemps, et même largement dépassé.
Si le ridicule tuait en politique, on assisterait à une véritable hécatombe rue de Solférino. Car de quoi parle-t-on ? En 1959, le programme de Bad Godesberg a marqué une rupture pour le SPD allemand en officialisant l’abandon formel des références marxistes et la reconnaissance de l’économie de marché. C’est peu dire que "nos" socialistes français sont allés bien au-delà ce stade.

De déroutes en désastres

Tout a été dit ou presque sur la mue libérale du quinquennat Hollande. Cette évolution, parce qu’elle est une rupture avec toute l’histoire de la gauche française, se traduit par de multiples déflagrations. Hier encore, champion toute catégorie des élections locales, le Parti socialiste vogue désormais de déroutes en désastres, abandonné par son électorat.
Avec les municipales, le PS a perdu la moitié de ses élus, passant de 60.000 à 30.000 selon les chiffres de la Fédération nationale des élus socialistes et républicains (FNSER) elle-même. Depuis, le Sénat a été perdu et les prochaines élections départementales en mars suivi des régionales en décembre 2015 devraient encore amplifier cette situation.
Abandonné par ses électeurs, le Parti socialiste est aussi déserté par ses militants. Les chiffres sont évidemment secrets, mais au 31 juillet 2014 c’est une baisse de 60% des cotisations des militants qui a été constatée par rapport à ce qui était prévu. Depuis cette date, la composition du gouvernement Valls II, l’affaire Thévenoud, la gestion calamiteuse de la mort de Rémy Fraisse n’ont pu qu’aliéner de nouvelles franges de militants au PS. Le nombre de cartes est probablement désormais inférieur à 100.000, et les militants qui restent hésitent à arpenter les marchés, le masochisme trouve parfois ses limites.

Impasse des frondeurs

Ce bilan calamiteux a généré une "fronde" d’une partie du groupe parlementaire socialiste qui n’est pas banale – et même inconnue dans le parti majoritaire sous la cinquième République. Elle démontre une nouvelle fois le chaos créatif du quinquennat Hollande. Pourtant, stabilisée autour d’une quarantaine de parlementaires spécialisés dans l’abstention, celle-ci atteint désormais ses limites. Les principaux intéressés le reconnaissent eux-mêmes dans les couloirs. Incapable d’infléchir, même modestement, la politique gouvernementale, cette rébellion se heurte au socle des députés loyalistes qui, au final, entérinent la politique de l’exécutif. Non par peur d’une dissolution, tous savent bien que les chances de réélection seront bien maigres en 2017, mais par adhésion à la politique gouvernementale ou a minima par incapacité à produire une autre orientation.
Les discussions internes au PS sur le pacte de stabilité au printemps avaient montré l’étendue de la panne idéologique : pour certains il s’agissait de promouvoir une austérité "soft" en ramenant les économies budgétaires de 50 à 30 milliards, pour d’autres, membres des courants gauches, il fallait mettre en avant une impossible politique de relance keynésienne.
Les frondeurs sont désormais face à un choix difficile : la rupture avec leur parti ou la reddition. Certains se saisiront peut-être de la perspective du congrès de juin 2015 pour livrer un baroud d’honneur, mais c’est une bataille perdue d’avance. L’existence d’un espace politique pour la gauche modérée social-démocrate continuera probablement à subsister, mais celui-ci ne peut désormais plus s’incarner au travers du Parti Socialiste.

Absence de polarisation à gauche

L’effondrement du PS n’a généré aucune polarisation sur sa gauche, ni dans les luttes, ni dans les urnes. La Grèce, l’Espagne ont connu de très fortes mobilisations sociales et connaissent avec Syriza et Podemos un débouché politique potentiellement majoritaire. Ce n’est pas le cas en France, et c’est sans doute le principal problème que doit relever une gauche de transformation qui n’a pas renoncer à son projet émancipateur, à son combat pour l’égalité.
Ce constat d’atonie sociale ne vaut ni explication, encore moins justification car le mécontentement, l’exaspération sociale sont bien là. Prisonnières de leurs vieux schémas, de leurs alliances traditionnelles ou adeptes de la marginalité politique choisie, les organisations à la gauche du PS ont été incapables de capitaliser le rejet de la politique gouvernementale. C’est au contraire le Front national qui semble y parvenir – un peu comme le mouvement cinq étoiles en Italie, mais dans une version autrement dangereuse.
Séparément, ni le Front de gauche, ni les écologistes ne peuvent devenir à eux seuls le point de cristallisation d’un renouveau politique. Le Front de gauche a raté sa mue après l’élection présidentielle de 2012. Fort du score de Jean-Luc Mélenchon, il aurait pu essayer de se déployer, de s’inventer un avenir qui dépasse le cartel électoral pour engranger les aspirations qu’il avait fait naître au cours de la campagne présidentielle. Il en a été incapable. Pour bien des raisons, de fond comme de forme, une occasion a été manquée, elle ne se représentera pas. De leur côté, les écologistes extrêmement divisés politiquement apparaissent largement étrangers à la question sociale qui pourtant mine en profondeur ce pays.

Achever le Parti socialiste

Paradoxalement, la chance pour un projet émancipateur réside dans la quasi certitude qu’il n’y aura pas de candidat de gauche au second tour de la présidentielle de 2017. Le piège du vote utile dont le PS a usé et abusé tout au long de ces dernières années s’est refermé sur lui. Désormais, envoyer un candidat du PS au second tour, c’est assurer l’élection d’une Marine Le Pen. Bien sûr, cela révèle le caractère très dégradé des rapports de force politiques mais cela peut aussi permettre de délaisser les petits calculs électoraux à courte vue au profit de l’indispensable reconstruction.
Cela suppose d’en finir avec les douces rêveries qui relèvent de paradis artificiels. Non, il n’existe pas aujourd’hui de majorité parlementaire pour mener une vraie politique de gauche, c’est un fait. La direction du PCF, tel le Lapin blanc de Lewis Carroll, toujours en retard, semble parfois courir après une telle chimère. Elle fait fausse route. Les écologistes qui sont sortis du gouvernement envoient des signaux contradictoires et restent au milieu du gué. Rassembler tout ou partie des courants qui s’opposent à la politique de François Hollande pour créer une coalition qui d’emblée soit en mesure de dépasser le Parti socialiste est l’enjeu de l’heure. Relégué au second rang, celui-ci tel le PASOK (mouvement socialiste panhellénique) entamerait sa crise terminale. Un tel regroupement n’ouvrirait pas simplement un espace électoral mais serait aussi un formidable encouragement pour les mobilisations sociales en dessinant les contours d’une alternative possible et permettrait d’agréger des forces disponibles au sein de la société civile.
Ne nous cachons pas que les obstacles à une telle orientation sont nombreux : désaccords souvent solides et différences de cultures importantes. Mais la conscience qu’à situation exceptionnelle, il faut des réponses qui rompent avec les pratiques routinières fait son chemin. Des espaces d’échanges, de débats qui dépassent les frontières habituelles existent et se développent. Il faut maintenant qu’elles se concrétisent.
Le PS est à l’agonie ? Il est temps de l’achever.


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