mardi 27 septembre 2016

Plan pour l’évacuation du gouvernement


 

« Ce que ne peut se figurer aucune tête d’oeuf gouvernementale, c’est l’attachement des êtres, de ceux qui y vivent comme des milliers qui y sont passés et en ont été irrémédiablement touchés, au lieu de la ZAD. »


                

Un lecteur nous a fait parvenir ses prédictions quant à la séquence politique qui s’ouvre. Expulsion de la ZAD, Revenu Garanti et autres manoeuvres en cours.


SOURCE : Lundi matin
Ouvriers, soldats, citoyens ! Les divisions que je commande ne sont pas les instruments de la contre-révolution. Elles ne viennent pas pour vous opprimer, mais pour vous libérer du joug terroriste inouï que la masse de la population berlinoise a dû subir. Ce que je tiens absolument à garantir, c’est la sécurité des personnes et des biens, la liberté de la presse et le libre exercice du droit le plus noble de tout citoyen : l’élection d’une Assemblée nationale.
Noske, le 14 janvier 1919,
alors que ses corps-francs ratissent Berlin

Gouverner est essentiellement affaire de tactique, puisque la stratégie, pour tout gouvernement, se ramène à rester aux affaires, ou du moins à y rester le plus longtemps. S’il y a une supériorité chronique du gouvernement sur nous qui le combattons, elle réside autant dans l’ampleur des moyens à sa disposition que dans une certaine maîtrise du calendrier. De là découle un certain privilège de l’initiative doublé d’une quasi-certitude dans l’anticipation, qui nous fait le plus souvent défaut. Si bien qu’il est vital pour nous de déchiffrer les tactiques adverses à peine celles-ci formées, afin de les déjouer sans tarder et de les ruiner plus sûrement. Ce qui suit est un modeste exercice de divination appliqué à ces tactiques, pour les mois qui viennent, à partir des « signaux faibles » émis par les différentes agences de communication gouvernementales.

Enterrement de la lutte contre la loi « travaille ! »

En annulant son université d’été à Nantes, le PS a dérobé à ce qui s’était levé au printemps, de manifestation en manifestation, tout point de jonction, tout point à partir de quoi reprendre son élan. Les centrales syndicales, qui ont tiré de ce conflit tout le bénéfice symbolique et politique qu’elles en pouvaient attendre, ont finement joué en acceptant l’humiliation de manifester en nasse. Elles qui n’avaient fait que suivre le mouvement, et notamment les jeunes masqués, s’en sont dissociées au bon moment et, avec un peu d’aide de leurs collègues policiers, ont eu la peau de ce dont elles n’étaient que le parasite le plus flagrant. L’enterrement final du 15 septembre, concession forcée à une base encore remontée, a démontré, avec à Paris un cortège de tête faisant un bon tiers de la manifestation et ayant réussi à se reconstituer malgré la nasse, que le printemps n’était pas mort, bien loin de là, que les vacances avaient été des vacances, et non une reddition. Il était d’autant plus urgent, de tout côté, de faire comme si de rien n’était. Pas d’hystérisation autour des cocktails molotovs explosifs que les flics se sont pris, ce jour-là, par salves. Pas de grandes déclarations gouvernementales au sujet de la « violence » des « black blocs », des « casseurs » et autres « zadistes ». Il ne s’est rien passé le 15 septembre, passons à la suite si vous le voulez bien. Valls pourrait dire en substance, au sujet de la lutte contre la loi « travaille ! », ce que Blum répondait en juillet 1936 alors qu’on l’interpellait sur le mouvement d’occupation des usines : « Ils nous interpellent sur une crise dont le ministre de l’Intérieur a démontré qu’elle est terminée ! Vous nous reprochez une politique qui a réussi. Eh bien moi, je vous demande à tous d’éprouver la même satisfaction qu’une crise si grave se soit terminée sans qu’il soit survenu entre les citoyens d’un même pays un accident irréparable ! ».

Expulsion de la ZAD

L’existence de la ZAD est un scandale. Un scandale dont le gouvernement peut au fond se satisfaire qu’il ne soit pas plus ébruité que cela, du moins hors de la Loire -Atlantique et d’une partie de la Bretagne. Pour un État qui n’a cessé de se construire comme état territorial depuis plus de mille ans, au travers des guerres, des jacqueries, des insurrections et des révolutions, qu’une portion du territoire national se détache ainsi de l’Hexagone, se constitue en îlot autonome d’où la police est bannie, où des checkpoints sont tenus par des punks, où l’on construit sans permis et où les habitants vivent comme bon leur semble dans une illégalité revendiquée, voilà qui n’a pas titre à exister dans le merveilleux monde hideux de Candy la républicaine. On a tout de même des mots pour cela, des mots-épouvantails : « zone de non-droit », « territoires perdus de la République », « repaire d’anarchistes », etc. Si l’on n’a pas, jusqu’ici et en dehors de la Loire-Atlantique, poussé de grands cris d’orfraie démocratique au sujet de l’existence même de la ZAD, c’est seulement qu’en parler, après le piteux échec de l’opération César de 2012, aurait été reconnaître et par là accroître l’impuissance gouvernementale face à « ce dossier », comme face à tant d’autres.
Seulement voilà, en France, la politique existe encore, même si elle est moribonde, et même si les opérations politiques se réduisent de plus en plus à des opérations policières. Et il se trouve que l’expulsion de la ZAD arrange bien Manuel Valls, qui y voit une excellente occasion de continuer à camper son personnage de socialiste-droit-dans-ses-bottes, de Noske du XXIe siècle, de social-démocrate autoritaire. Et elle arrangerait bien Hollande qui, si on lui assure qu’il n’y aura pas de mort, y voit une bonne occasion de mettre ses concurrents Verts et Mélenchon dans une bien fâcheuse posture : au vu des niveaux de violence qui seront prévisiblement atteints lors de l’expulsion du côté des opposants et qui seront au fond les seuls efficaces face à la brutalité du déploiement policier, on voit mal quel candidat à la présidentielle pourrait se permettre de les soutenir à quelques mois des élections. Quelle belle occasion de piéger la « gauche de la gauche » : si elle soutient les manifestants, elle se discrédite, et si elle ne le fait pas, elle perd toute raison d’être.
Quelle que soit l’entente retrouvée entre la fraction « citoyenne » de la lutte contre le projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes et ses composantes plus « radicales », quel qu’ait été l’échec de l’opération César en 2012, quelque massive que soit la manifestation du 8-9 octobre, quelques beaux et grands que soient les hangars d’hébergement alors construits, il est rassurant mais faux de penser que l’opération de reprise de la zone soit militairement impossible. Une bonne vieille stratégie de la tâche d’huile expérimentée si souvent dans les colonies – prendre une zone ravitaillable et l’étendre -, un quadrillage de tous les accès routiers à la zone pour empêcher les soutiens d’affluer, une campagne de propagande adroitement menée, et au reste entamée depuis bien longtemps, sur la « violence » des opposants, une flopée d’assignations à résidence et d’interdiction de paraître, un déploiement policier et militaire massif et un emploi tout aussi massif de la violence armée des « forces de l’ordre », voilà qui est tout à fait à même de permettre de reconquérir la zone. Si l’on veut empêcher cette reconquête, du moins faut-il partir de cette hypothèse, et non d’un triomphalisme que viendrait anéantir le premier contact avec les forces adverses.
Ce que ne prend pas en compte le gouvernement dans cette affaire de l’expulsion de la ZAD, ce qu’il ne peut pas prendre en compte étant donnée l’existence lamentable de ceux qui tiennent le manche, c’est que la ZAD est peut-être la seule « cause » en France pour laquelle des gens sont prêts à mourir, qu’une partie de ceux qui se retrouveront face aux forces d’occupation de l’État ne défendent justement pas de manière abstraite une « cause politique », mais leur vie même, celle qu’ils ont choisie et non celle qu’ils subissent, celle qu’ils ont construit jour après jour avec des moyens de fortune, mais pour cela même d’une rare beauté, celle qui n’existe nulle part ailleurs tant elle s’est ancrée , s’est voulue . Ce que ne peut se figurer aucune tête d’oeuf gouvernementale, c’est l’attachement des êtres, de ceux qui y vivent comme des milliers qui y sont passés et en ont été irrémédiablement touchés, au lieu de la ZAD. La ZAD est un lieu où l’on respire mieux que partout ailleurs en France, et c’est pourquoi elle sera férocement défendue. Voilà ce que ne prennent en compte aucun des militaires qui ont élaboré les plans d’évacuation. Ils seront face à des Indiens, pas à des militants français.
L’expulsion de la ZAD, l’anéantissement de la ZAD, c’est vraiment le mort qui saisit le vif. C’est la vieille politique zombifiée qui se venge de la vie, des vies politiques qui lui survivront. C’est le vieux capital des bétonneurs sommairement repeints en vert qui vient écraser le vivant vivace. Ce n’est pas sans raison qu’il n’y a rien sur la ZAD dans l’exécrable documentaire Demain de l’infecte Mélanie Laurent ; c’est parce que ce qui se joue à la ZAD, c’est maintenant, c’est toujours maintenant, toujours problématique maintenant, et d’autant plus intense. Rien à voir avec un kit de solutions pour mieux gérer localement la même vie aberrante que celle de Mélanie Laurent.
On se souvient de la banderole que le peloton de vélos et de tracteurs parti de la ZAD à l’occasion de la COP 21 avait déployé sur la place d’Arme en arrivant à Versailles, devant le château : « Gardez Le Bourget, on prend Versailles, Vive la commune ! ». Au fond, ce qui aura manqué à la lutte contre la loi « travaille ! » pour être plus qu’une lutte, c’est une visée qui transperce l’impasse du présent. La ZAD offrait quelque chose comme une telle visée, dans le présent : l’idée de Commune. Et c’est encore cette idée qui est convoquée pour la manifestation des 8-9 octobre, et qui fait sa puissance d’appel politique : prêter serment de venir déterrer son bâton en cas de tentative d’expulsion et de se battre. La Commune, non comme forme d’auto-organisation alternative, égalitaire, etc., mais comme serment de se tenir face à l’adversité, face au monde. Serment qui est la base muette de toute élaboration politique possible, qui ne prescrit aucune forme particulière d’auto-organisation et demeure irréductible à toute institution.

Revenu universel

La social-démocratie a toujours consisté en un certain art faux-cul de manier la carotte et le bâton. D’où son génie dans le registre contre-insurrectionnel. Après la séquence désastreuse pour le pouvoir socialiste de la déchéance de nationalité suivie de la loi « travaille ! », des débats sur le burkini puis de l’expulsion de la ZAD, le moins que l’on puisse dire, c’est que François Hollande aura perdu tout crédit à gauche. Mais l’amnésie spectaculaire, l’égarement général et la crainte de l’extrême-droite aidant, il ne désespère pas de se refaire une petite virginité politique par une proposition de campagne, et un nouveau « modèle de société », à même de prendre de court à peu près tout le monde : François Hollande veut instaurer le revenu universel à partir de 18 ans. Voilà qui présente d’innombrables avantages : cette vieille proposition négriste que chérissent tant d’économistes libéraux - qui y voient une bonne occasion de faire fondre définitivement une bonne partie de la bureaucratie étatique attachée au vieil État-Providence et l’occasion d’accroître encore la précarité du travail puisque l’on assure à chacun la possibilité de survivre misérablement - « ringardise » à peu près tous les autres candidats, lui permet de racheter les jeunes qu’il n’a cessé de s’aliéner, et offre ce petit soupçon d’utopie – heureusement compatible avec la meilleure ingénierie sociale - sans laquelle Hollande resterait Hollande : un technocrate malin et cynique tentant de se faire passer pour un être humain. Le revenu universel, sorti suffisamment tard du chapeau du prestidigitateur pour que nul ne s’avise qu’il est l’autre face de l’uberisation de la vie, aurait l’avantage de replacer Hollande au centre du jeu de la campagne, pourrait même passer pour une petite révolution. Sans compter qu’un revenu universel pour tous les Français permettrait de rivaliser savamment avec l’extrême-droite, dont c’était déjà l’utopie sous Vichy, au bon temps du professeur Duboin. Parce qu’évidemment, on ne peut pas accueillir toute la misère du monde, et si être Français vous donne titre à 700 euros par mois, il va être de plus en plus difficile de le devenir, et il faudra veiller d’autant plus impitoyablement sur ceux qui prétendent l’être. Là, la déchéance de nationalité prendra un sens autre que symbolique. Avec le revenu universel, Hollande qui n’aime rien tant que se croire plus malin que tout le monde, croit gagner sur tous les tableaux de la campagne quand il ne fait que préparer le terrain à l’extrême-droite. Cela aussi, c’est une fatalité de la social-démocratie. Quant à Toni Negri et ses suiveurs, il ne leur reste plus qu’à écrire leurs mémoires et espérer une fin prochaine : eux qui présentaient le revenu garanti comme la revendication qui ferait imploser le commandement capitaliste se retrouvent à la pointe de sa modernisation désastreuse. À force de « chevaucher le tigre »...

Et nous dans tout ça ?

Si telle est, dans les termes gouvernementaux, la séquence prévue à compter d’octobre : liquidation de l’ultra-gauche et mise à mal de l’extrême-gauche par l’expulsion de la ZAD puis, en décembre-janvier, proclamation de la nouvelle utopie socialiste : le revenu universel, le tout sur fond de primaire de droite en forme de croix gammée, la moindre des choses est, pour nous, d’opérer en connaissance de cause. Ce qui signifie, d’abord, que la clef de la victoire à la ZAD, maintenant que nous ne pouvons plus compter sur l’effet de surprise dont nous avons bénéficié lors de l’opération César, se trouve autant dans l’affrontement sur la ZAD même que dans l’attaque ou l’occupation de l’ensemble des lieux, des domiciles et des instances où il reste des socialistes dans ce pays (mairies, conseils généraux, communautés de communes, domicile des élus ou des responsables de tout poil, journaux et journalistes complices, etc.). Précisément parce que l’expulsion de la ZAD est dans le fond une opération de politique classique non moins qu’une exigence de Vinci, c’est par une attaque généralisée de la politique classique qu’il faut répondre à l’attaque de la ZAD. Et ce qu’il faut alors défendre, ce n’est pas seulement la ZAD, c’est le dépassement de la politique qui s’y joue, la possibilité de la Commune. La défense de la ZAD est le terrain logique de déploiement et de recomposition de toutes les forces autonomes qui se sont agrégées dans la lutte contre la loi « travaille ! ». Et défendre la ZAD signifie d’abord : attaquer la politique partout où elle tente de se manifester impunément, briser le processus électoral, bloquer l’économie, arrêter le monde. Son expulsion doit faire détonateur pour l’ensemble de la situation, bien au-delà de la ZAD. C’est l’impasse du présent qu’il s’agit de faire sauter.

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