Source : Paris luttes info
Analyse autour du phénomène des cortèges de têtes durant la lutte contre la loi travail, qui auront été et sont encore l’une des caractéristiques notables de ce mouvement.
Analyse autour du phénomène des cortèges de têtes durant la lutte contre la loi travail, qui auront été et sont encore l’une des caractéristiques notables de ce mouvement.
Mouvement et cortège de tête
Jeudi 15 septembre aura été une rentrée en demi-teinte. Grosse journée de lutte pour beaucoup d’entre nous, des blocus lycéens/étudiants efficaces même si peut-être moins nombreux qu’en avril, des manifs sauvages qui envahissent toute une partie de la ville, et, surprise, un cortège de tête solide qui parvient à se constituer à Bastille malgré l’annonce d’un dispositif visant, justement, à le désamorcer en amont. Surtout, ce cortège, d’après certaines estimations, aurait constitué entre 1/5 et 1/4 de la manifestation complète. Et même, pour les plus optimistes, près de la moitié des manifestant.e.s présent.e.s...Il semble qu’avec du recul, ce cortège ait su rassembler pendant ces mois de luttes les composantes principales de ce qui a pu constituer le mouvement : syndicalistes de la base poussant leur direction à sortir dans la rue et poser des dates, souvent les mêmes bloquant et occupant leur lieux de travail comme à Fos sur Mer ou au Havre (entre autres), autonomes partisan.e.s d’un processus insurrectionnel, groupes affinitaires révolutionnaires, lycéen.ne.s bloquant leurs lycées, étudiant.e.s mobilisé.e.s sur leur campus, précaires, chômeur.se.s, retraité.e.s en colère et autres révolté.e.s de tout poil.
Dès lors, affirmer que ce cortège soit la seule et unique membrane de cet étrange "mouvement" ne paraît pas exagéré. Continuer le début, c’est alors aussi amorcer de nombreuses réflexions collectives sur cet acquis.
Débordements et volontés
Le 15 était annoncé par les directions syndicales comme l’enterrement du mouvement. Pourtant, elles ne cessent depuis le début de suivre les bases spontanées, d’abord mobilisées sur internet, puis occupées à tenir la rue. Les débordements en manifestations, les débordements de Nuit Debout ou les débordements sur les lieux de travail (blocages offensifs, chemises arrachées, sabotages, volonté de mener une grève reconductible, menace en partenariat avec d’autres composantes - "un jeune en prison et on bloque le port", avaient annoncé.e.s les dockers du Havre -, etc. ), font tous trois partie d’une même dynamique, d’un même souffle : un pas de côté vis-à-vis du monde qu’on nous propose, une remise en cause radicale de plusieurs de ses mythes (la police, la "compétitivité", l’unité nationale et/ou républicaine, etc.).Ici se construit le premier pas vers une auto-organisation qui ne soit plus envisagée seulement comme une forme de lutte, mais comme une forme de vie. Une auto-organisation qui se construit aux dépens de l’État, de ses carcans autoritaires et bureaucratiques ; et aux dépens de l’économie, de ses algorithmes et de son exploitation. Une auto-organisation qui tente d’imaginer dans chacun de ses recoins, et avec toutes les difficultés que l’utopie implique, d’autres mondes, d’autres espaces, d’autres manières de ressentir le temps, d’autres manières de dialoguer ensemble. Ce premier pas est l’amorce d’une remise en cause permanente du monde aujourd’hui produit, au profit d’une création expérimentale de vies, ici et maintenant, qui construirait collectivement l’immanence par l’unité organique de ses multiplicités. Une auto-organisation intrinsèquement offensive donc, puisque son caractère s’oppose de fait à un État envisagé comme « une certaine relation entre des êtres humains » (G. Landauer).
Cette dynamique de "pas de côté" qui flotte dans nos actes et nos imaginaires mérite de s’émanciper du simple mouvement contre la loi travail, et de se reconnaître elle-même. Il me semble que nous nous sommes tous et toutes réuni.e.s plus d’une fois, dans plusieurs villes, en plusieurs lieux : rue, lieux de travail, lieux d’études, lieux d’auto-organisation où se tiennent des assemblées. Avec à chaque fois l’envie de dépasser la simple revendication. A chaque fois l’envie d’arrêter de rester sur la défensive. Alors affirmons le : le cortège de tête est notre maison commune, et nous voulons l’étendre, complexifier ses ramifications, se disperser, et, surtout, se faire connaître. Et paradoxalement, peut-être que cela impliquera de quitter la simple "forme-cortège".
Lutter dans la rue ensemble... et sur nos lieux de taff ?
A plusieurs moments, nous avons déjà pu mettre en commun nos pratiques. Comme quand certain.e.s jeunes déterminé.e.s ont décidé de ne pas se faire fouiller devant les grilles avant d’entrer en manif, et que des camarades syndicalistes sommèrent leurs collègues de se solidariser de l’initiative. Ou quand certain.e.s ont été rejoints devant leur raffinerie, dans leur port, sur les rail de leur gare ou devant leur boîte pour bloquer. Cette solidarité est d’abord née dans le cortège. Elle a su jouer contre la répression autoritaire et les importantes violences policières qui ont marqué le mouvement : échanges de sérums phys, maalox et autres produits de pharmacie de secours, conseils pour se mettre en sécurité ou ne pas empirer son état, libération de camarades en train d’être chopé.e.s, blocs offensifs très hétérogènes, soutien au niveau de l’anti-rep, etc. Cette solidarité mérite maintenant d’exploser au grand jour.Nous sommes confronté.e.s au défi de fixer les dates de nos propres manifestations. Pourquoi, simultanément, ne pas s’émanciper du simple retrait de la loi travail ? Pourquoi ne pas mettre définitivement l’accent sur “le monde” qui la produit ? Plusieurs évènements sont là pour porter ce glissement : la probable intervention sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes courant octobre ; un Etat d’urgence toujours plus long et répressif ; la mascarade des élections présidentielles.
Cela ne serait possible et imaginable qu’en montant des comités, des conseils ou des collectifs de luttes autonomes vis-à-vis du monde syndical. Si tous les membres des différents cortèges de têtes syndiqué.e.s décident collectivement de monter des comités locaux un peu plus offensifs, libérés des pressions syndicales, peut-être pourrions-nous obtenir des moyens de luttes plus efficaces ?
Les progrès réalisés par l’intersyndicale et notamment par certains collectifs comme "Bloquons Tout !" sont déjà énormes. Et il est très compréhensible qu’actuellement, il soit très difficile de lutter dans sa boîte sans passer par un syndicat (voire impossible, pour faire grève par exemple). Du reste, certains syndicats sont plus combattifs que d’autres, mais ceux-là ne sont pas encore toujours étendus à tous les secteurs, et restent limités. Aussi, la pression exercée sur les sections locales ou nationales est parfois tellement forte qu’en raison de la conflictualité actuelle, on parvient à pouvoir faire grève.
Mais passées ces considérations finalement sommaires, nous constatons que le rythme et les modalités des luttes ne sont pas décidés par nous-mêmes, mais par nos directions syndicales.
Les syndicats nous séparent, nous compartimentent. Le cortège de tête, à l’inverse, était notre “maison commune”. Et la loi travail à faire abroger, un objectif commun. Mais un objectif temporaire, et à notre goût insuffisant. Cette compartimentation ne se fait pas qu’au niveau des luttes, elle se fait dans leur déroulement et leurs modalités mêmes : chacun lutte pour sa profession, pour sa corporation, pour son secteur, sur la seule base de revendications défensives. On est aussi divisé sur la base de notre ancienneté ou de notre rôle (salarié.e.s ou usager.e.s). C’est ainsi qu’à Bordeaux, alors qu’un certain nombre de syndicalistes de base tentent depuis le début du mouvement d’élargir les revendications à l’ensemble des composantes, notamment en voulant faire rentrer la CNT dans l’intersyndicale locale ou en menant bataille en interne pour imposer des luttes plus déterminées, les structures départementales bloquent tout procédé qui irait en ce sens.
Les préavis de grèves, dans certaines situations, restent très difficiles à obtenir. Les dates fixées pour les mobilisations sont au choix inutilement multipliées (pour favoriser l’épuisement), ou éloignées (le temps de laisser s’assoupir la dynamique en marche). Surtout, les préavis ne sont plus donnés que pour une journée et très rarement en reconductibles. Il faut souvent insister auprès d’une union locale pour qu’un simple courrier d’appel à la grève (provenant du syndicat national !) soit simplement relayé... On se fait souvent reprocher de trop solliciter le syndicat, malgré les nombreux.ses permanent.e.s syndicaux... On voit régulièrement apparaître des journées de manifestations nationales dans certains secteurs sans qu’elles ne soient accompagnées de préavis (donc réservées aux permanent.e.s).. Beaucoup d’agents ne sont même pas mis au courant de leur droit de grève et des préavis placés...
Les permanent.e.s qui se comportent comme des petits chefs, et autres membres "important.e.s", donnent des consignes claires : il ne faut pas inquiéter les copains.copines élu.e.s ou placé.e.s à des hauts postes. Les élections professionnelles dans les très petites entreprises du 28 novembre au 12 décembre vont mettre des individu.e.s chacun combattif dans une perspective de concurrence directe. On se demande d’ailleurs si certaines directions ne sont pas sorties dans la rue uniquement avec cette perspective en vue : la concurrence syndicale pour remporter les élections professionnelles. La rue fait place à la campagne. Preuves que le syndicalisme classique reste un premier pas placé dans la politique classique. Et argument de plus pour faire de celle-ci (la politique classique) un de nos problèmes majeurs.
Un pied dans la politique et donc, aussi, un pied dans la répression... Les deux vont de pair. C’est ainsi que des membres de SO syndicaux font amis-amis avec des RG, ou que, sur un blocage, toute action qui n’est pas impulsée et validée par l’intersyndicale (action considérée alors comme "spontanée") est regardée de travers, sinon réprimandée. C’est ainsi que quand les dockers se rejoignent le 14 juin à Paris, les "anciens" et autres délégué.e.s encadrent le potentiel face-à-face avec les forces de l’ordre avec un service d’ordre de 300 personnes... alors que les envies chez les dockers étaient variées, que beaucoup ont finalement décidé de s’affronter avec les flics, et que la répression toucha leur cortège pacifiste comme tous les autres. Comment véritablement s’unir si nos directions ou nos gardes-fous punissent le moindre écart ? Toutes ces préoccupations rejoignent celles de quitter les manifs-kermesses évitant à tout prix n’importe quelle forme de débordement. Le débordement est justement le caractère originel de notre mouvement.
Les syndicats aspirent à négocier avec des pouvoirs mis au service d’une économie qui depuis 40 ans déjà se base sur le mot d’ordre libéral de la compétitivité. Quelles que soient les ambitions réformistes inspirées des doctrines de Keynes ou d’autres économistes d’État, celles-ci ne seront pas durables ou serviront uniquement à maintenir ce monde pourri en place. Ce monde de la politique représentative politicienne, de guerre, de famine, d’urbanisme de la domination, de normes oppressives, de répression, de lois liberticides, et d’exploitation - ici ou ailleurs. Les exemples de Syriza et de Podemos sont là pour entériner le constat, tout comme en son temps le Front Populaire avait, malgré les mythes construits depuis, désamorcé un mouvement de grèves sauvages offensif et massif [1] ; tout comme en son temps, encore, le PCF avait appelé les révolté.e.s déterminé.e.s à reprendre le boulot et quitter les barricades en mai 68...
Dans ces conditions, il est difficile d’affirmer que les syndicats ne desservent pas nos volontés. Ils seront toujours là simplement pour négocier avec le pouvoir en place. Les petit.e.s chef.fe.s de certaines sections sont déjà là pour prendre du galon, défiler sur les écrans télévisés et, pourquoi pas un jour, devenir politiciens. A l’inverse, il me semble que nous voulons destituer ensemble le pouvoir de la politique et de son économie sur nos vies quotidiennes. Nos intérêts sont donc définitivement antagonistes. Nous ne critiquons pas ici l’initiative de monter des syndicats en étant salarié.e.s de base pour en faire un réel instrument de lutte, ni le fait de s’impliquer activement dans sa section syndicale pour lutter au jour le jour. Nous constatons juste que les possibilités de ces instruments restent trop limitées pour ce que nous voulons vraiment.
Monter des comités, assemblées, conseils, collectifs de luttes ?
On pourrait penser à des stratégies de grèves innovantes pour ne pas s’épuiser, ni se ruiner. Par exemple, dans certains secteurs est possible de mettre en place une grève sélective, c’est-à-dire une grève qui ne concerne qu’une branche-clé du secteur, mais qui paralyse l’activité des autres branches, et les empêchent donc de travailler ; ou qu’un seul service clé dans l’entreprise (par exemple, un atelier peinture dans une entreprise de construction automobile, qui bloque alors la chaîne).Encore, on pourrait assurer un remboursement au moins partiel du salaire en cas de grève (reconductible ou non), en gérant nous-mêmes l’argent des cotisations de luttes et en montant des caisses de grèves libérées des directions syndicales. Cela nous permettra de penser que faire grève, c’est aussi vivre : donc prévoir des bouffes collectives et des ressources de secours pour subsister en cas de long conflit.
Une caisse de grève peut s’organiser ainsi. En réunion de comité ou en assemblée, on désigne collectivement deux, trois, quatre (ou plus) camarades, tou.te.s révocables, chargé.e.s d’imprimer des tracts, de communiquer sur la lutte sur les réseaux sociaux, de prendre la parole en réunion publique à chaque fois dans l’objectif de récolter de l’argent ; mais aussi d’organiser des collectes à la sortie des boîtes, sur les points de passage, dans les transports en commun, devant les locaux des centrales syndicales, etc. On pourrait se coordonner entre comités, entre conseils, entre assemblées. Élargir nos revendications, et s’échanger ensemble des moyens matériels et financiers.
Chaque comité devrait avoir comme premiers intérêts deux objectifs : radicaliser la contestation et s’en donner les moyens matériels ; encourager la création de structures similaires dans les autres secteurs ou services de l’entreprise (puis dans les autres entreprises de la même branche).
Décloisonner la pratique de lutte dans les entreprises ne peut se faire qu’en-dehors du monde syndical. On pense aux grèves chez la SNCF, où CGT et Sud-Rail se disputaient le contrôle de la lutte, et ont organisé les travailleur.se.s dans des assemblées cloisonnées, corpo par corpo, dépôt par dépôt, et même atelier par atelier. Ces assemblées se sont vite transformées en simples bureaux de vote pour choisir ou non la poursuite de la grève. La division est une cause de notre manque de moral. L’émiettement est un produit direct des décisions des directions syndicales.
En fait, acquérir notre autonomie peut permettre de mieux nous organiser, de décloisonner nos combats, d’être plus stratégiques, et, avant-tout, d’être maîtres de nos volontés dans chacun des défis que présentent les luttes.
Cheminot.e.s, postier.e.s, dockers, intermittent.e.s, facteurs.trices, profs, fonctionnaires territoriaux, agents d’entretiens, aides soignant.e.s, auto-entrepreneurs précaires (salarié.e.es déguisé.e.s) et employé.e.s et ouvrier.e.s de différentes boîtes ou structures (Amazon, Air France, hôpitaux, BTP, transports en communs etc.), nous nous sommes tous et toutes retrouvé.es dans ce cortège avec la ferme envie d’aller au-là de nos manifestations routinières, souvent pensées en amont pour être inoffensives. Nous avons tous et toutes été révolté.es par les évènements du 23 juin à Bastille : l’accord de Martinez avec le gouvernement a achevé de montrer le véritable visage du syndicalisme. Nous sommes tous solidaires des copains de Goodyear, d’Air France, des Contis, du Havre, de Fos-Sur-Mer, avec les dockers interpellé.e.s chez eux au Havre, avec les syndicalistes déterminé.e.s licencié.e.s, envoyé.e.s en prison, ou même éborgné.e.s par le pouvoir d’État.
Nous appelons donc tou.te.s les syndicalistes de base des cortèges de têtes à émerger publiquement (témoigner sur les difficultés auxquelles chacun.e. est confronté.e dans sa lutte via internet pourrait être un bon début), se reconnaître, se donner rendez-vous et décider ensemble si des futurs communs peuvent se penser hors de la sphère syndicale. Prolonger ce qui aura été dit par une liste mail sécurisée et nationale entre toutes les personnes et groupes intéressés pourrait permettre de transformer ces paroles en actes. Il y a déjà un appel de la plate-forme TSS pour une grève transnationale [2], sur lequel il pourrait être possible de s’organiser pour rebouger les directions. Mais quelles que soient leurs réponses, il faudra comploter ensemble derrière leur décision pour s’organiser enfin sans elles.
Nous appelons tou.te.s les membres des cortèges de tête à faire le point collectivement sur la situation actuelle des syndiqué.e.s dans leur cortège, sur la situation locale actuelle entre directions syndicales/syndiqués "dociles" d’une part et cortèges de têtes/syndiqués un peu plus "déters" d’autre part.
Nous appelons tou.te.s les non-syndiqué.e.s lisant ce texte et voulant lutter dans leur boîte à se manifester aussi, pour se joindre aux deux catégories citées ci-dessus. Dans beaucoup de petites villes, comme Avranches, des centaines d’individu.e.s de petites boîtes locales se sont progressivement rassemblé.e.s sur les quatre mois de mobilisation, avec en grande partie des salarié.e.s non-syndiqué.e.s. De même, tous les salarié.e.s précarisé.e.s et camouflé.e.s en auto-entrepreneur.se.s à cause de l’uberisation croissante de nos sociétés de services (coursiers à vélos, taxis amateurs, plateformes de travail numériques en freelance et microtasking, tâches ménagères avec Homejoy, etc.) auraient intérêts à s’engager à leurs côtés.
Et nous appelons tou.te.s les "k-way noirs" et autres émeutier.e.s déterminé.e.s à soutenir les salarié.e.s dans leurs luttes sur leurs lieux de travail, ou quand ils font face à la répression de la justice, du/de la patron.ne, ou du/de la responsable syndical.e un peu trop sûr.e de lui ou d’elle. Cela pourrait commencer par se rendre au TGI de Bobigny le 27 ou/et le 28 septembre pour soutenir les inculpé.e.s d’Air France pour leur révolte et une pauvre chemise arrachée. Puis soutenir les 8 camarades de Goodyear les 19 et 20 octobre à Amiens, qui passent en appel. Puis les deux dockers du Havre le 25 novembre au tribunal correctionnel de Paris. Mettre en commun nos moyens en ce qui concerne l’anti-répression, que ce soit en terme de mobilisation ou en termes financiers, peut s’avérer plus qu’intéressant.
L’abolition des catégories qui nous séparent est ici envisagée sérieusement.
Car, malheureusement, le 15 septembre a aussi été le retour de certaines confrontations entre deux cortèges qui s’opposent dans leur logique même, dans leur rapport au monde et dans leur volonté. Le problème a été réfléchit après-coup à Rouen [3],au Havre [4] et à Bordeaux [5], notamment, mais a l’air de s’être manifesté en d’autres lieux : à Grenoble, où la tension entre le cortège CGT et le cortège de tête s’est montrée dès la constitution de ce dernier ; à Montpellier, où les deux cortèges sont restés séparés, et où les directions syndicales ont refusé de se rendre jusqu’au tribunal pour soutenir des camarades interpellé.e.s ; et sûrement d’autres villes encore. A l’inverse, à Nantes, un long travail facilité aussi par la proximité de la ZAD (mais pas que) a abouti au fait qu’une telle situation semblerait presque absurde. A Paris, les directions sont plus pesantes mais les membres des cortèges syndicaux à venir tenir les rangs au sein du cortège de tête sont de plus en plus nombreux.ses.
En se se rendant compte de tout cela, on peut réaliser qu’affirmer notre autonomie sera un premier pas vers les possibilités d’une abolition de nos conditions et d’une rencontre réelle. Actuellement, le "milieu autonome" nie pourtant la contradiction fondamentale de notre système : l’exploitation quotidienne au travail, l’obligation de se vendre pour vivre. C’est cette contradiction qui peut se matérialiser de manière conflictuelle en retrouvant une certaine autonomie pratique. Agiter nos rues ne peut prendre sens qu’en agitant les lieux où l’on nous traine chaque matin pour gagner de la thune... de même qu’il faut agiter nos quartiers, nos territoires, pour que nos vies s’agencent définitivement dans des dispositifs transversaux de subversion généralisée.
Mettre en commun nos pratiques, se rencontrer
Aller au-delà du cadre syndical nous semble donc un premier pas pour se rencontrer réellement, mais un pas non auto-suffisant.Les salarié.e.s qui luttent sur leurs lieux de travail pourront, une fois maîtres de leur contestation, commencer à s’organiser concrètement, de manière plus offensive mais aussi plus énergique, directement contre leur boîte, pour reprendre possession de ce qu’ils veulent en faire ou tout simplement pour affirmer le refus des conditions proposées. Ils.elles seront plus facilement payé.e.s les jours de manifestations et de grèves. Ils pourront utiliser l’argent à meilleur escient que pour des formations bidons, des conseils d’entreprises simulés, ou des gros ballons CGT. Par exemple pour les caisses contre la répression, par exemple pour installer une vie sur les lieux productifs occupés, par exemple pour affréter des bus lors de moments butoirs, et bien d’autres choses encore.
Les autonomes qui luttent en bandes sont déjà en train de s’organiser pour reprendre la rue, et pourront se coordonner avec eux pour les aider dans des moments importants : lors de la répression patronale ou judiciaire, lors de blocages majeurs, etc. De même pour les étudiant.e.s et leur assemblées de fac, ou les lycéen.ne.s et leurs occupations de salles, qui gagneraient à se généraliser.
Les autonomes précarisé.e.s, chômeur.se.s, retraité.e.s, ou toute autre personne subissant sur son lieu de travail les effets de la restructuration du capital et rendant ses conditions de luttes sur lieux productifs difficiles pourront se joindre à eux. A terme, des comités de quartiers et des lieux occupés pourraient remplacer les Bourses du travail institutionnalisées. Des caisses autonomes (antirépression mais pas que) aident déjà ces gens-là. Mais tout un tas d’initiatives peuvent s’y agréger. Occuper des lieux est une des nécessités de notre mouvement, pour retrouver du souffle, de la temporalité, et de l’espace. Ces comités de quartiers pourraient être le carrefour des luttes de logements, des migrants, écologiques et de toutes les initiatives autogestionnaires et/ou solidaires d’un quartier ! Certains quartiers ont déjà commencé : La Plaine à Marseille, La Place des Fêtes à Paris, et d’autres squats ou lieux associatifs qui font bouger les rues dans lesquelles ils habitent !
Le rythme de la "forme-cortège" est épuisant. Dépassons ce cadre avant qu’il ne devienne trop routinier, pour le renforcer sur ses côtés et en son intérieur même. Occuper nous permettra de monter des projets de longs termes, de faire réseaux, de se faire connaître à l’échelle d’un quartier. D’avoir prise, a minima, sur nos existences quotidiennes - que l’on s’y implique en sortant de nos longues journées de taff ou sur l’ensemble de nos journées parce que notre emploi du temps le permet. Les comités en lutte dans les entreprises pourraient être en liaison permanente avec les comités de quartiers, dans lesquelles le reste des membres du cortège se montreraient.
Un tissu humain et matériel d’auto-organisation dense et multiple pourrait en naître. Ce tissu, à terme, rendrait “dérisoire l’idée que glisser une enveloppe dans une urne puisse constituer un geste - à fortiori un geste politique [6]”. L’État français l’a déjà compris quand, dans ses notes de renseignement, il remarque que les cortèges de têtes sont poreux avec les ZAD et leurs soutiens, avec les occupant.e.s à Bure, avec le milieu squat international... avec, en définitive, tou.te.s celles et ceux qui ont décidé de s’organiser sans médiations institutionnelles, contre le monde produit par l’économie et ses États-nations.
Occuper la ville concrètement en occupant des places, des bâtiments, des rues, doit se coupler avec l’occupation de nos lieux de travail et nos luttes dans le monde de l’exploitation. La proposition d’agiter et de saboter la campagne présidentielle déjà en cours, jusqu’à la date fatidique en 2017 où nous crierons dans la rue que nous n’avons rien posé dans l’urne cette fois-là, ne pourra qu’en être renforcée. Avancer ensemble ne pourra se faire sans des efforts des deux côtés : que les syndiqué.e.s réfléchissent sur leur autonomie et leur volonté d’actions ; que les "autonomes" non syndiqué.e.s acceptent de s’organiser avec les premiers en assemblées ou en groupes plus réduits. La "phase de plateaux" annoncée par certains ne pourra être effective qu’en y mettant les moyens.
Un contre-monde sera alors en construction permanente, du monde du travail à nos rues, de nos lieux de vies urbains à nos campagnes. Et ensemble, nous savons que nous ne nous arrêterons pas en si bon chemin. Si Notre-Dames-des-Landes doit être expulsée, nous serons là, car c’est un territoire que nos cœurs ont arraché à l’Etat. Si un lieu occupé de la capitale en vient à être expulsé, nous serons là : car tout cela va bien au-delà de la simple loi travail. Nous le savons tous, et nous restons là à nous soucier du 49-3. Mais pourquoi encore avoir confiance en leur démocratie ? Pourquoi ne pas s’organiser de manière autonome vis-à-vis de celle-ci, pour se positionner réellement contre, et non plus dedans ? Il s’agit ici aussi de dépasser nos doutes et nos peurs... De stimuler notre puissance d’agir, résorber notre sentiment d’impuissance, matérialiser un "Principe d’Espérance" universel...
Et c’est ce que l’on a déjà commencé à faire, dans la rue et ailleurs.
Quelque soit notre profil, venons
nombreux.ses à l’A.G. interpro/interluttes pour décider des suites de la
lutte ! Jeudi 22 Septembre à la Bourse du Travail, 18h30 (Évènement
Facebook : https://www.facebook.com/events/331157017221321/)
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