Source : Santé nutrition
Par Jacques Caplat et Pierre Rabhi
Depuis plusieurs semaines, nous sentons les soubresauts de ce que les médias ont coutume d’appeler une « crise agricole ». Depuis des décennies, nous sommes nombreux à tenter d’alerter l’opinion publique et nos élus sur cet enjeu.
Nous faisons mine de découvrir aujourd’hui que les agriculteurs
disparaissent de nos champs, remplacés par la mécanisation et les
pesticides. Qu’ils sont bien souvent surendettés et étranglés par des
grandes surfaces qui leur imposent des prix de vente parfois en dessous
de leurs prix de revient. Qu’un grand nombre d’entre eux travaillent
dix-sept heures par jour sans pouvoir décemment vivre du fruit de leur
labeur. Qu’une certaine logique d’industrialisation forcée les a
conduits à user d’une batterie de produits toxiques (dont ils sont
d’ailleurs les premières victimes) qui polluent l’air, l’eau, font
disparaître insectes et oiseaux… Que l’utilisation abusive d’engrais de
synthèse et la généralisation des monocultures appauvrissent les sols et
contribuent grandement au dérèglement climatique. Mais cette situation
n’est pas nouvelle et il est devenu plus qu’urgent d’y trouver une
issue.
Or, nous connaissons une voie. Capable de régénérer nos écosystèmes, tout en produisant en quantité et en permettant aux paysans de vivre décemment de leur métier : l’agroécologie. Mais qu’entendons-nous par ce mot ? Récemment, Nicolas Sarkozy le tournait en dérision, réduisait sa définition à « une expression bizarre, (…) obsession pour la destruction de notre puissance agricole qui serait remplacée par la possibilité donnée aux bobos d’aller faire leurs courses à la ferme dans le cadre des circuits courts ».
Comme toujours, la manipulation politicienne a quelque chose de désespérant. Alors non, l’agroécologie n’a rien de bizarre. Elle ne prône pas la destruction du monde paysan, elle est exactement l’inverse.
Par la revalorisation des ressources naturelles et locales, elle libère le paysan de la dépendance des intrants chimiques et des transports générateurs de tant de pollutions et responsables d’une véritable chorégraphie de l’absurde, où des denrées anonymes parcourent chaque jour des milliers de kilomètres ! Enfin, elle permet de produire une alimentation de qualité, garante de bonne santé pour la terre, pour ses habitants et pour ceux à venir. Et de nombreuses études internationales confirment désormais que ses rendements sont largement aussi bons que ceux de l’agriculture chimique.
Faire de l’agroécologie et de la culture biologique un mot d’ordre planétaire ne serait pas un retour en arrière comme certains le disent et n’en déplaise à monsieur Chatel qui espère, quant à lui, que le parti Les Républicains soit celui des gaz de schiste, des OGM et des biotechs, comme il l’a affirmé le 14 février lors d’un conseil national.
Utiliser la détresse du monde paysan français comme outil de dénigrement et de clivage est ubuesque et tend à falsifier la réalité.
L’objectif est aujourd’hui d’aider les agriculteurs à réinvestir les campagnes, de leur permettre de vivre de leur métier et d’assurer une production aussi importante en qualité qu’en quantité. La logique actuelle réduit chaque jour le nombre de paysans et ne cesse de les étrangler, tout en détruisant l’environnement. Or, cette situation bénéficie essentiellement aux grandes surfaces et aux multinationales de l’agroalimentaire.
Prôner les « circuits courts » (la relation directe entre producteur
et consommateur) est le meilleur moyen de court-circuiter cette logique
et de redonner le pouvoir aux agriculteurs et aux citoyens. Sans compter
que la relocalisation d’une grande partie de notre alimentation
permettrait de créer plusieurs centaines de milliers d’emplois.
De nombreux paysans se tournent vers l’agroécologie et donc vers des pratiques respectueuses de leur environnement, de leur santé et de celle de leurs « clients ». Aller acheter ses produits à la ferme n’est pas une lubie mais un acte positif et dynamique : ce peut être le choix de soutenir l’agriculteur de son village par solidarité, de se soucier de transmettre aux générations à venir une terre en meilleur état, de lutter contre l’élevage concentrationnaire qui produit de la souffrance animale et donc des viandes à peine comestibles. Caricaturer ces démarches dans un discours aussi méprisant qu’ignorant est une offense à l’agriculture et aux paysans qui tiennent une place primordiale dans notre organisation humaine.
L’agroécologie est un art de vivre sur notre planète, une alternative qui doit se partager au-delà des cultures et des frontières car elle est la solution pour un humanisme véritable.
Par Jacques Caplat et Pierre Rabhi
Depuis plusieurs semaines, nous sentons les soubresauts de ce que les médias ont coutume d’appeler une « crise agricole ». Depuis des décennies, nous sommes nombreux à tenter d’alerter l’opinion publique et nos élus sur cet enjeu.
Or, nous connaissons une voie. Capable de régénérer nos écosystèmes, tout en produisant en quantité et en permettant aux paysans de vivre décemment de leur métier : l’agroécologie. Mais qu’entendons-nous par ce mot ? Récemment, Nicolas Sarkozy le tournait en dérision, réduisait sa définition à « une expression bizarre, (…) obsession pour la destruction de notre puissance agricole qui serait remplacée par la possibilité donnée aux bobos d’aller faire leurs courses à la ferme dans le cadre des circuits courts ».
Comme toujours, la manipulation politicienne a quelque chose de désespérant. Alors non, l’agroécologie n’a rien de bizarre. Elle ne prône pas la destruction du monde paysan, elle est exactement l’inverse.
Réinvestir les campagnes
L’agroécologie considère que la pratique agricole ne doit pas se
cantonner à une technique, mais envisager l’ensemble du milieu dans
lequel elle s’inscrit avec une véritable écologie. La pratique
agroécologique a le pouvoir de refertiliser les sols, de lutter contre
la désertification, de préserver la biodiversité (dont les semences),
d’optimiser l’usage de l’eau. Elle est une alternative peu coûteuse et
adaptée aux populations les plus démunies en France comme ailleurs.Par la revalorisation des ressources naturelles et locales, elle libère le paysan de la dépendance des intrants chimiques et des transports générateurs de tant de pollutions et responsables d’une véritable chorégraphie de l’absurde, où des denrées anonymes parcourent chaque jour des milliers de kilomètres ! Enfin, elle permet de produire une alimentation de qualité, garante de bonne santé pour la terre, pour ses habitants et pour ceux à venir. Et de nombreuses études internationales confirment désormais que ses rendements sont largement aussi bons que ceux de l’agriculture chimique.
Faire de l’agroécologie et de la culture biologique un mot d’ordre planétaire ne serait pas un retour en arrière comme certains le disent et n’en déplaise à monsieur Chatel qui espère, quant à lui, que le parti Les Républicains soit celui des gaz de schiste, des OGM et des biotechs, comme il l’a affirmé le 14 février lors d’un conseil national.
Utiliser la détresse du monde paysan français comme outil de dénigrement et de clivage est ubuesque et tend à falsifier la réalité.
L’objectif est aujourd’hui d’aider les agriculteurs à réinvestir les campagnes, de leur permettre de vivre de leur métier et d’assurer une production aussi importante en qualité qu’en quantité. La logique actuelle réduit chaque jour le nombre de paysans et ne cesse de les étrangler, tout en détruisant l’environnement. Or, cette situation bénéficie essentiellement aux grandes surfaces et aux multinationales de l’agroalimentaire.
Un art de vivre
Aujourd’hui, les Français confirment leur confiance dans une
agriculture et une alimentation citoyennes. En effet, 65 % des Français
ont consommé régulièrement bio en 2015 (contre 37 % en 2003). Le marché
du bio représente 5,5 milliards d’euros (en hausse de 10 % par rapport à
2014) et plus de 1,31 million d’hectares de terres sont cultivées en
agriculture biologique en France (plus 17 % par rapport à 2014).
L’intérêt des multinationales et de la grande distribution pour la
production bio est bien la preuve de son intérêt économique et de sa
santé financière. L’évolution vers le bio doit être soutenue et
accompagnée de façon lisible, stable et pérenne, afin d’aider les
agriculteurs à massivement changer de pratiques sans retomber dans la
dépendance aux diktats spéculatifs du « marché », fût-il bio.De nombreux paysans se tournent vers l’agroécologie et donc vers des pratiques respectueuses de leur environnement, de leur santé et de celle de leurs « clients ». Aller acheter ses produits à la ferme n’est pas une lubie mais un acte positif et dynamique : ce peut être le choix de soutenir l’agriculteur de son village par solidarité, de se soucier de transmettre aux générations à venir une terre en meilleur état, de lutter contre l’élevage concentrationnaire qui produit de la souffrance animale et donc des viandes à peine comestibles. Caricaturer ces démarches dans un discours aussi méprisant qu’ignorant est une offense à l’agriculture et aux paysans qui tiennent une place primordiale dans notre organisation humaine.
L’agroécologie est un art de vivre sur notre planète, une alternative qui doit se partager au-delà des cultures et des frontières car elle est la solution pour un humanisme véritable.
Jacques Caplat, agronome et anthropologue, et Pierre Rabhi, écrivain et paysan, sont les auteurs de L’Agroécologie, une éthique de vie (Actes Sud, 2015). Ils cosignent cette tribune avec le mouvement Colibris et l’association Terre & Humanisme
Source : Le Monde
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