Source : actu côté Toulouse
[Analyse]
Alors que les étudiants manifesteront jeudi 17 mars à Toulouse, nous publions ici une analyse sur la mobilisation étudiante, initialement parue sur le site The Conversation.
La version originalede cet article a été publiée sur The Conversation.
Par Claire Thoury, Doctorante en Sciences de l’information et de la communication ,Université Sorbonne Nouvelle, Paris 3 – USPC
Critiquée pour sa dépolitisation, son égoïsme et son désintérêt pour la chose publique, la jeunesse vaut mieux que ça ! La mobilisation étudiante et lycéenne contre la loi Travail témoigne d’une hybridation des formes d’engagement.
Début 2016, la Ministre Myriam El Khomri est chargée de porter la loi Travail qui propose une refonte du Code du travail avec pour objectifs, selon le gouvernement, d’adapter le Code du travail aux réalités professionnelles du monde contemporain, mais aussi de lutter contre le chômage. Si la couleur politique du gouvernement n’est plus la même et que le public ciblé par cette loi ne sont pas que les jeunes, les arguments en faveur de la loi sont assez proches de ceux de 2006 lors de la polémique autour du CPE, le Contrat Première Embauche, puisque l’enjeu, encore une fois, est de relancer l’emploi.
Très vite, la proposition de loi suscite de nombreuses critiques aussi bien des partis les plus à gauche, que d’un grand nombre de syndicats – dont les positions oscillent entre l’exigence de retrait pur et simple de la loi d’un côté, et la modification du projet de loi de l’autre. Parmi eux se trouvent les organisations étudiantes et lycéennes à vocation syndicale. La contestation dépasse les cadres d’engagement traditionnel puisque la mobilisation connaît de l’ampleur sur Internet notamment.
Il y a dix ans presque jour pour jour, le Premier ministre Dominique de Villepin annonce donc la création du CPE, un contrat d’un type spécifique destiné aux moins de 26 ans afin de lutter contre le chômage. Un mouvement d’envergure contre le CPE, essentiellement structuré par les lycéens et les étudiants, voit le jour. Au-delà du caractère particulièrement précaire du contrat dénoncé se pose la question de la stigmatisation de la jeunesse considérée comme une catégorie bien spécifique.
La question de la jeunesse est importante car cette catégorie a tendance à effrayer les plus âgées, notamment lorsqu’elle décide de se regrouper pour défendre une cause ou lutter contre des mesures. Les mouvements lycéens et étudiants sont d’ailleurs particulièrement craints par les gouvernements successifs souvent désemparés face à cette catégorie d’individus portant les stigmates d’un certain mai 68. C’est d’ailleurs en partie avec cette crainte que les syndicats étudiants jouent pour entrer dans le fameux rapport de force au cœur des pratiques syndicales.
En 2006, le rapport de force prend une forme assez traditionnelle : les lycéens et les étudiants votent la grève, défilent dans les rues, bloquent les lycées et les universités, dans le but de faire émerger une parole publique et médiatique contestataire. Ce rapport de force prend fin le 10 avril 2006 lorsque le gouvernement de Dominique de Villepin annonce le retrait du CPE de la loi sur l’Égalité des Chances dans laquelle il était inscrit.
En revanche, la mobilisation numérique, quasi inexistante en 2006, est déjà particulièrement massive. La pétition « Loi Travail Non Merci » a déjà récolté 1,2 million de signatures tandis que le hashtag #OnVautMieuxQueCa lancé par plusieurs vidéastes est l’un des plus utilisés sur Twitter ces derniers jours. Cela témoigne du caractère innovant de la mobilisation car elle croise des pratiques très modernes à des pratiques plus traditionnelles.
Cette mobilisation permet aussi de rappeler que les jeunes ne sont pas plus dépolitisés, indifférents ou désengagés que leurs aînés, mais que ce sont les formes et les espaces de politisation, d’engagement, qui évoluent. Nous observons ici que les formes traditionnelles d’engagement s’hybrident à des formes plus récentes et c’est finalement cette hybridation qui caractérise cette mobilisation. Un des tweets du collectif derrière le mouvement #OnVautMieuxQueCa illustre parfaitement le lien entre la mobilisation numérique et physique : « Le collectif ne sera pas présent en tant que tel dans le cortège, #OnVautMieuxQueCa sera partout ».
Partout, précisément, et c’est en cela que le rapport de force est inédit puisque les uns et les autres ne cessent de jouer avec les codes de l’ancien et du nouveau, du traditionnel et du moderne, pour donner davantage de puissance à ce fameux rapport de force.
La question de la légitimité de la forme de la mobilisation se pose alors, notamment suite à la diffusion de la vidéo du collectif #OnVautMieuxQueCa. Certains affirment que l’engagement, le vrai, doit se faire dans la rue et qu’une vidéo est loin d’être suffisante. « Ce n’est pas sur Twitter qu’on devrait contester contre ça. C’est dans la rue, crier jusqu’à se faire entendre #OnVautMieuxQueCa » ou encore « y a 100 ans, les gens gueulaient dans la rue. Réunis. En 2016, c’est tout seul derrière un écran ». Ces remarques démontrent une vision très normative de l’engagement, ce qui peut expliquer l’idée récurrente selon laquelle les gens, et surtout les jeunes, ne s’engageraient plus.
La question qui se pose alors est de savoir si la mobilisation sur Internet renforcera ou atténuera la mobilisation dans la rue. Au regard des chiffres annoncés – 500 000 manifestants selon les syndicats et 250 000 selon la police- ainsi que les photos diffusées le 9 mars, il semble que les manifestations dans la rue se portent bien.
Ainsi, en se positionnant contre cette loi, les organisations étudiantes renforceraient un clivage intragénérationnel et donc une forme de lutte des classes au sein de la jeunesse. L’existence d’un clivage intragénérationnel n’est plus un secret pour personne, il suffit de s’intéresser aux enquêtes sur les valeurs des Français pour se rendre compte que toute la jeunesse ne partage pas les mêmes, c’est d’ailleurs tout aussi vrai pour l’ensemble des catégories d’âge.
Cela signifie-t-il pour autant que cette lutte ne concerne pas les étudiants ? Et que ces derniers, parce qu’ils seraient soi-disant protégés d’un monde du travail précaire devraient s’abstenir de prendre la parole ? Ces arguments sont contestables à bien des égards. Tout d’abord, personne n’a à dire aux organisations étudiantes quel mouvement est légitime pour eux et quel mouvement ne l’est pas.
Ensuite, il semble compliqué d’affirmer que cette loi ne concerne en aucun cas les étudiants car, d’une part, 45 % des étudiants exercent une activité rémunérée durant leurs études et, d’autre part, les étudiants d’aujourd’hui sont amenés à s’insérer sur le marché de l’emploi à court terme et nous savons que l’insertion professionnelle des jeunes, même diplômés, ne se fait pas sans difficulté et sans concessions en termes de rémunération ou bien de statut précaire (plus de 80 % d’entre eux seront recrutés en CDD). Enfin, même si cette loi ne concernait pas directement les étudiants, en quoi cela signifie-t-il qu’ils ne sont pas légitimes à prendre position sur un sujet de société ?
Face à ce constat, il y a deux écoles. Celle qui regrette la dépolitisation des jeunes et leur passivité et celle qui voit en ce silence une certaine abnégation. Pour cette deuxième catégorie, les jeunes ont cru au discours des pouvoirs publics qui n’ont eu de cesse de répéter qu’il fallait faire certains sacrifices pour tendre vers un avenir meilleur. On leur en demande beaucoup et on leur donne peu en échange.
En effet, les discours vis-à-vis des plus jeunes sont souvent critiques ou bien à visée éducative. Si certains sont d’accord pour laisser plus de responsabilités aux jeunes, cela ne peut se faire sans la présence d’adultes pour les encadrer : si un mineur souhaite créer une association, cela ne peut se faire sans l’autorisation parentale ; si des jeunes souhaitent prendre des responsabilités, cela ne peut se faire que dans un cadre destiné à la jeunesse avec un accompagnement éducatif des plus âgés comme les conseils de jeunesse par exemple.
Les discours en faveur d’un service civique obligatoire attestent eux aussi d’un manque de confiance puisque l’on juge les plus jeunes comme manquant de civisme, de respect pour les valeurs de la République et comme consuméristes puisque très conscients de leurs droits, mais pas de leurs devoirs. C’est ici que se trouve le paradoxe puisqu’il est clair que la société française manque, dans son ensemble, de confiance vis-à-vis de la jeunesse alors qu’au même moment, les pouvoirs publics demandent à cette même jeunesse d’avoir confiance.
Or, la crise ébranle considérablement le discours de l’institution scolaire puisque même en étant un élève modèle, le retour à la réalité est brutal. Force est de constater que l’éducation formelle ne tient pas toutes ces promesses. Dès lors, comment exiger des jeunes qu’ils soient de nouveau patients et confiants puisque l’avoir été pendant tant d’années a provoqué un sentiment de frustration voire de trahison ?
Dans ce contexte, comment envisager que les lycéens, les étudiants, les jeunes de façon générale reçoivent de façon positive cette loi travail ? Bien que les arguments en faveur de la loi soient précisément de relancer l’emploi, comment espérer que les jeunes y croient alors que ce sont ces mêmes arguments qui sont utilisés depuis plusieurs années sans que les résultats soient au rendez-vous ?
Sans préjuger de l’issue de ce mouvement ou faire de météo sociale pour citer Najat Vallaud-Belkacem, nous pouvons constater un renouvellement des pratiques militantes des jeunes générations qui permet de porter un message collectif sans nier l’individu, qui permet à ceux qui trouvent les formes traditionnelles d’engagement désuètes d’en utiliser d’autres.
En cela, ce mouvement s’annonce particulièrement intéressant car il replace la jeunesse au cœur du débat et nous montre que, si nécessaire, le rapport de force est toujours présent – quelle que soit la couleur politique du gouvernement – et que sa forme est capable d’évoluer afin de toucher le plus grand nombre.
Par Claire Thoury, Doctorante en Sciences de l’information et de la communication ,Université Sorbonne Nouvelle, Paris 3 – USPC
Critiquée pour sa dépolitisation, son égoïsme et son désintérêt pour la chose publique, la jeunesse vaut mieux que ça ! La mobilisation étudiante et lycéenne contre la loi Travail témoigne d’une hybridation des formes d’engagement.
Début 2016, la Ministre Myriam El Khomri est chargée de porter la loi Travail qui propose une refonte du Code du travail avec pour objectifs, selon le gouvernement, d’adapter le Code du travail aux réalités professionnelles du monde contemporain, mais aussi de lutter contre le chômage. Si la couleur politique du gouvernement n’est plus la même et que le public ciblé par cette loi ne sont pas que les jeunes, les arguments en faveur de la loi sont assez proches de ceux de 2006 lors de la polémique autour du CPE, le Contrat Première Embauche, puisque l’enjeu, encore une fois, est de relancer l’emploi.
Très vite, la proposition de loi suscite de nombreuses critiques aussi bien des partis les plus à gauche, que d’un grand nombre de syndicats – dont les positions oscillent entre l’exigence de retrait pur et simple de la loi d’un côté, et la modification du projet de loi de l’autre. Parmi eux se trouvent les organisations étudiantes et lycéennes à vocation syndicale. La contestation dépasse les cadres d’engagement traditionnel puisque la mobilisation connaît de l’ampleur sur Internet notamment.
Le parallèle avec le CPE
Si le parallèle avec 2006 ne fait pas l’unanimité puisque la loi El Khomri ne s’adresse pas uniquement aux plus jeunes, il est intéressant, en se concentrant sur la mobilisation lycéenne et étudiante, de comparer les deux mouvements, dans la forme notamment.Il y a dix ans presque jour pour jour, le Premier ministre Dominique de Villepin annonce donc la création du CPE, un contrat d’un type spécifique destiné aux moins de 26 ans afin de lutter contre le chômage. Un mouvement d’envergure contre le CPE, essentiellement structuré par les lycéens et les étudiants, voit le jour. Au-delà du caractère particulièrement précaire du contrat dénoncé se pose la question de la stigmatisation de la jeunesse considérée comme une catégorie bien spécifique.
La question de la jeunesse est importante car cette catégorie a tendance à effrayer les plus âgées, notamment lorsqu’elle décide de se regrouper pour défendre une cause ou lutter contre des mesures. Les mouvements lycéens et étudiants sont d’ailleurs particulièrement craints par les gouvernements successifs souvent désemparés face à cette catégorie d’individus portant les stigmates d’un certain mai 68. C’est d’ailleurs en partie avec cette crainte que les syndicats étudiants jouent pour entrer dans le fameux rapport de force au cœur des pratiques syndicales.
En 2006, le rapport de force prend une forme assez traditionnelle : les lycéens et les étudiants votent la grève, défilent dans les rues, bloquent les lycées et les universités, dans le but de faire émerger une parole publique et médiatique contestataire. Ce rapport de force prend fin le 10 avril 2006 lorsque le gouvernement de Dominique de Villepin annonce le retrait du CPE de la loi sur l’Égalité des Chances dans laquelle il était inscrit.
Une mobilisation étudiante à la forme novatrice
La mobilisation étudiante aujourd’hui semble prendre une tournure différente. Il est encore trop tôt pour mesurer l’ampleur de sa forme la plus traditionnelle, à savoir la manifestation ou la grève.En revanche, la mobilisation numérique, quasi inexistante en 2006, est déjà particulièrement massive. La pétition « Loi Travail Non Merci » a déjà récolté 1,2 million de signatures tandis que le hashtag #OnVautMieuxQueCa lancé par plusieurs vidéastes est l’un des plus utilisés sur Twitter ces derniers jours. Cela témoigne du caractère innovant de la mobilisation car elle croise des pratiques très modernes à des pratiques plus traditionnelles.
Cette mobilisation permet aussi de rappeler que les jeunes ne sont pas plus dépolitisés, indifférents ou désengagés que leurs aînés, mais que ce sont les formes et les espaces de politisation, d’engagement, qui évoluent. Nous observons ici que les formes traditionnelles d’engagement s’hybrident à des formes plus récentes et c’est finalement cette hybridation qui caractérise cette mobilisation. Un des tweets du collectif derrière le mouvement #OnVautMieuxQueCa illustre parfaitement le lien entre la mobilisation numérique et physique : « Le collectif ne sera pas présent en tant que tel dans le cortège, #OnVautMieuxQueCa sera partout ».
Partout, précisément, et c’est en cela que le rapport de force est inédit puisque les uns et les autres ne cessent de jouer avec les codes de l’ancien et du nouveau, du traditionnel et du moderne, pour donner davantage de puissance à ce fameux rapport de force.
La mobilisation sur Internet renforcera t-elle celle dans la rue ?
En effet, tandis que les syndicats étudiants appellent à la manifestation, enchaînent les plateaux télé et radios pour exposer leur vision de cette loi et de ses risques, les vidéastes, celles et ceux derrière le hashtag #OnVautMieuxQueCa proposent à des individus de témoigner via des vidéos YouTube afin de dénoncer une situation aberrante dans laquelle ils se sont retrouvés dans le cadre du travail ou de leur recherche de travail. Les moyens de se faire entendre se multiplient afin que la majorité des jeunes, étudiants ou non, aient la possibilité de porter un message.La question de la légitimité de la forme de la mobilisation se pose alors, notamment suite à la diffusion de la vidéo du collectif #OnVautMieuxQueCa. Certains affirment que l’engagement, le vrai, doit se faire dans la rue et qu’une vidéo est loin d’être suffisante. « Ce n’est pas sur Twitter qu’on devrait contester contre ça. C’est dans la rue, crier jusqu’à se faire entendre #OnVautMieuxQueCa » ou encore « y a 100 ans, les gens gueulaient dans la rue. Réunis. En 2016, c’est tout seul derrière un écran ». Ces remarques démontrent une vision très normative de l’engagement, ce qui peut expliquer l’idée récurrente selon laquelle les gens, et surtout les jeunes, ne s’engageraient plus.
La question qui se pose alors est de savoir si la mobilisation sur Internet renforcera ou atténuera la mobilisation dans la rue. Au regard des chiffres annoncés – 500 000 manifestants selon les syndicats et 250 000 selon la police- ainsi que les photos diffusées le 9 mars, il semble que les manifestations dans la rue se portent bien.
> LIRE AUSSI : Entre 10 et 20 000 personnes à Toulouse le 9 mars : revivez la mobilisation contre la loi Travail
La mobilisation des étudiants est-elle illégitime ?
Certains journalistes, chercheurs, politiques ou syndicalistes ont affirmé que le mouvement étudiant n’était pas légitime, voire contestable, car ils jugent cette loi utile pour les jeunes les moins diplômés notamment.Ainsi, en se positionnant contre cette loi, les organisations étudiantes renforceraient un clivage intragénérationnel et donc une forme de lutte des classes au sein de la jeunesse. L’existence d’un clivage intragénérationnel n’est plus un secret pour personne, il suffit de s’intéresser aux enquêtes sur les valeurs des Français pour se rendre compte que toute la jeunesse ne partage pas les mêmes, c’est d’ailleurs tout aussi vrai pour l’ensemble des catégories d’âge.
Cela signifie-t-il pour autant que cette lutte ne concerne pas les étudiants ? Et que ces derniers, parce qu’ils seraient soi-disant protégés d’un monde du travail précaire devraient s’abstenir de prendre la parole ? Ces arguments sont contestables à bien des égards. Tout d’abord, personne n’a à dire aux organisations étudiantes quel mouvement est légitime pour eux et quel mouvement ne l’est pas.
Ensuite, il semble compliqué d’affirmer que cette loi ne concerne en aucun cas les étudiants car, d’une part, 45 % des étudiants exercent une activité rémunérée durant leurs études et, d’autre part, les étudiants d’aujourd’hui sont amenés à s’insérer sur le marché de l’emploi à court terme et nous savons que l’insertion professionnelle des jeunes, même diplômés, ne se fait pas sans difficulté et sans concessions en termes de rémunération ou bien de statut précaire (plus de 80 % d’entre eux seront recrutés en CDD). Enfin, même si cette loi ne concernait pas directement les étudiants, en quoi cela signifie-t-il qu’ils ne sont pas légitimes à prendre position sur un sujet de société ?
Crise de confiance
In fine, cette mobilisation lycéenne et étudiante témoigne d’une crise de confiance ou plutôt d’une crise de confiance d’une crise de confiance. Depuis 10 ans maintenant, les mouvements de jeunes sont plus discrets, celui contre la LRU (loi relative aux libertés et responsabilités des universités) était bien spécifique puisqu’il était porté par la communauté universitaire en général.Face à ce constat, il y a deux écoles. Celle qui regrette la dépolitisation des jeunes et leur passivité et celle qui voit en ce silence une certaine abnégation. Pour cette deuxième catégorie, les jeunes ont cru au discours des pouvoirs publics qui n’ont eu de cesse de répéter qu’il fallait faire certains sacrifices pour tendre vers un avenir meilleur. On leur en demande beaucoup et on leur donne peu en échange.
En effet, les discours vis-à-vis des plus jeunes sont souvent critiques ou bien à visée éducative. Si certains sont d’accord pour laisser plus de responsabilités aux jeunes, cela ne peut se faire sans la présence d’adultes pour les encadrer : si un mineur souhaite créer une association, cela ne peut se faire sans l’autorisation parentale ; si des jeunes souhaitent prendre des responsabilités, cela ne peut se faire que dans un cadre destiné à la jeunesse avec un accompagnement éducatif des plus âgés comme les conseils de jeunesse par exemple.
Les discours en faveur d’un service civique obligatoire attestent eux aussi d’un manque de confiance puisque l’on juge les plus jeunes comme manquant de civisme, de respect pour les valeurs de la République et comme consuméristes puisque très conscients de leurs droits, mais pas de leurs devoirs. C’est ici que se trouve le paradoxe puisqu’il est clair que la société française manque, dans son ensemble, de confiance vis-à-vis de la jeunesse alors qu’au même moment, les pouvoirs publics demandent à cette même jeunesse d’avoir confiance.
La jeunesse au coeur du débat
La société française n’a ainsi cessé d’affirmer à cette génération, et aux précédentes d’ailleurs, qu’en travaillant bien à l’école, en décrochant une licence ou un master, elle aurait plus de chance sur le marché du travail. À ce titre, les travaux de la chercheuse canadienne Cécile Van De Velde sur le devenir adulte sont extrêmement parlants puisqu’elle montre que le système éducatif français est particulièrement rigide, laisse peu de place à l’épanouissement personnel et que les plus jeunes subissent une injonction très forte à « se placer » sans temps à perdre pour la découverte d’autre chose.Or, la crise ébranle considérablement le discours de l’institution scolaire puisque même en étant un élève modèle, le retour à la réalité est brutal. Force est de constater que l’éducation formelle ne tient pas toutes ces promesses. Dès lors, comment exiger des jeunes qu’ils soient de nouveau patients et confiants puisque l’avoir été pendant tant d’années a provoqué un sentiment de frustration voire de trahison ?
Dans ce contexte, comment envisager que les lycéens, les étudiants, les jeunes de façon générale reçoivent de façon positive cette loi travail ? Bien que les arguments en faveur de la loi soient précisément de relancer l’emploi, comment espérer que les jeunes y croient alors que ce sont ces mêmes arguments qui sont utilisés depuis plusieurs années sans que les résultats soient au rendez-vous ?
Sans préjuger de l’issue de ce mouvement ou faire de météo sociale pour citer Najat Vallaud-Belkacem, nous pouvons constater un renouvellement des pratiques militantes des jeunes générations qui permet de porter un message collectif sans nier l’individu, qui permet à ceux qui trouvent les formes traditionnelles d’engagement désuètes d’en utiliser d’autres.
En cela, ce mouvement s’annonce particulièrement intéressant car il replace la jeunesse au cœur du débat et nous montre que, si nécessaire, le rapport de force est toujours présent – quelle que soit la couleur politique du gouvernement – et que sa forme est capable d’évoluer afin de toucher le plus grand nombre.
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