Source : Reporterre
Des « occupant(e)s » de la zad de Notre-Dame-des-Landes publient ce lundi un appel à « défendre la zad ». C’est un texte d’urgence, face aux menaces renouvelées du pouvoir, mais aussi une tentative de donner le vrai sens de ce qui se cultive dans le bocage : l’autonomie, l’émancipation, la solidarité.
Des « occupant(e)s » de la zad de Notre-Dame-des-Landes publient ce lundi un appel à « défendre la zad ». C’est un texte d’urgence, face aux menaces renouvelées du pouvoir, mais aussi une tentative de donner le vrai sens de ce qui se cultive dans le bocage : l’autonomie, l’émancipation, la solidarité.
C’est
un joli texte sur Notre-Dame-des-Landes qui paraît ces jours-ci aux
Editions de l’Eclat, mais un texte d’urgence : alors que le pouvoir
ronge son frein pour détruire la zad (zone à défendre) située sur le
site du projet d’aéroport et défaire le mouvement populaire qui
s’oppose, des habitant.e.s de la zad et des proches ont écrit cet « appel à défendre la zad partout, et, à travers elle, tout l’espoir contagieux qu’elle contient dans une époque aride ».
Il s’agit de donner à voir et à sentir, non seulement l’énergie prête à
se déployer dans la bataille qui semble de nouveau s’annoncer, mais
surtout l’enjeu qui n’est pas tant la défense d’une espérance que la
possibilité de la cultiver et de la multiplier.
Courte, ramassée, écrite avec une élégance héritée du mouvement situationniste, la brochure raconte le premier acte du renouveau de la lutte. Depuis des années, associations et paysans se battaient avec panache et obstination contre le rouleau compresseur ; mais ils finissaient par s’épuiser devant le mur juridique construit par les bétonneurs. A partir de 2009, des « occupant.e.s » ont commencé à s’installer dans le bocage et à redonner du souffle au combat. Ces forces nouvelles ont pu s’éprouver lors de l’opération policière « César » déclenchée en octobre 2012. Le récit relate ces semaines de bataille inflexible et souple menée par « une communauté de lutte en train de naître », réunissant les occupant.e.s - alias zadistes -, des « habitant.e.s et des paysan.e.s de la zad pour lesquels partir d’ici a toujours été inconcevable » et des militants et voisins, auquels se joignent « des paysans des quatre coins de la région » tandis que « partout en France surgissent plus de 200 comités locaux ».
Le pouvoir recule et le 17 novembre, une joyeuse manifestation de ré-occupation rassemble plus de 40 000 personnes qui, ensemble, créent un nouveau lieu, « la Chat-teigne ».
Le gouvernement est bafoué. « Il est hors de question de laisser un kyste s’organiser, se mettre en place, de façon durable, avec la volonté de nuire avec des moyens parfois dangereux », menace Manuel Valls, alors ministre de l’Intérieur. « Nous mettrons tout en œuvre pour que la loi soit respectée, pour que les travaux puissent avoir lieu ». Et le 23 novembre 2012, la violence policière se déchaîne, qui fera plus de cent blessés ; mais de nouveau, occupants, habitants, voisins résistent, pendant qu’à Nantes, des dizaines de tracteurs de paysans bloquent deux ponts et deux bacs sur la Loire. Le samedi 24, dix mille personnes manifestent à Nantes. Le gouvernement plie, la police se retire.
C’est alors que commence la deuxième époque de la geste des zadistes : pendant encore cinq mois, les gendarmes resteront postés au carrefour stratégique de la zad. Avant de partir, et c’est en avril 2013 que les travaux des champs reprendront, dans l’allégresse, autour du collectif Sème ta zad.
L’enjeu de la bataille devient d’assurer une vie sereine et active sur la zone : « Avec la défaite de César s’ouvre une nouvelle page de la lutte. Pour plusieurs mois au moins, voire plusieurs années, la zone est à nous. Il faut mettre à profit ce temps suspendu, jusqu’à la prochaine tentative de nous transformer en complexe aéroportuaire. Le sentiment grisant de liberté est à la hauteur du défi auquel nous faisons face. Si les flics ont désormais l’ordre de ne plus s’aventurer sur la zone, le pouvoir ne s’évapore pourtant pas. Il se retire pour mieux réajuster le tir et espère que son absence laisse place à un inéluctable chaos à partir duquel légitimer son retour. »
Une nouvelle vie sociale se déploie, et l’on voit apparaître un atelier de couture, un autre de réparation de vélos, une conserverie, une brasserie, une nouvelle boulangerie, un restauroulotte, une meunerie, un espace d’écriture et d’enregistrement de rap, une salle de danse et des cours d’autodéfense.
Paysans et zadistes apprennent à travailler ensemble, des assemblées générales se réunissent régulièrement, un « non-marché » se met en place. Surtout, les tensions qui pouvaient exister au départ entre « citoyennistes » - les militants historiques – et les nouveaux occupants s’apaisent, à mesure que chacun apprend à comprendre l’autre, et à chercher l’accord, qui est essentiel pour la victoire.
Mais l’ambition va au-delà de la survie et de la stratégie. La zad est un lieu d’expérimentation, de renouvellement, d’invention, d’émancipation. « Il ne s’agit plus seulement d’affronter le pouvoir sous sa forme la plus visible, mais de se battre contre ce qui s’est niché au plus profond de nos êtres. Il y a toujours, en nous tous, quelque chose de ces individus séparés, engoncés dans leurs identités sociales, culturelles, politiques. La mise en échec d’un dispositif policier ne suffira jamais à détruire ce qui nous tenaille encore de consumérisme, de dépendances dévastatrices, de préjugés, de sexisme ordinaire... Comment nous délester de l’habitude lâche de vouloir tout déléguer, qui cohabite si bien avec l’ambition néfaste de vouloir tout contrôler ? Les conflits qui naissent dans le bocage, qu’ils portent sur l’usage d’un bien commun, sur un désaccord politique ou sur une agression physique, ne sont pas fondamentalement différents de ceux qui animent n’importe quel quartier ou village. Sauf qu’il n’y a plus ici d’instance supérieure et hégémonique pour arbitrer et intervenir. Nous devons alors prendre à bras-le-corps des enjeux complexes que nous nous empressons d’ordinaire de taire ou de confier à une quelconque institution spécialisée : police, justice, hôpital psychiatrique, conseil municipal, chambre d’agriculture... ».
Le projet de la zad est politique. « L’autonomie, telle qu’elle s’expérimente dans ce bocage, ne peut être réduite à sa dimension matérielle ou alimentaire. L’autarcie n’a pour nous rien de désirable. Ce dont il est question ici, c’est d’autonomie politique. Ce que nous inventons à tâtons, c’est la capacité collective à définir nous-mêmes nos propres règles. Mais la façon dont elles s’établissent et évoluent au rythme de notre vie commune tient plus des us et coutumes que des lois écrites de la République. La légitimité sur laquelle elles s’appuient est celle du vécu, de l’expérience, et ne relève pas d’une quelconque transcendance – intérêt général incarné par l’État, marché ou volonté divine. Dans la brèche ouverte par le repli du pouvoir, s’engouffrent une multiplicité d’espaces de décision, d’organisation et de délibération autonomes qui viennent progressivement le destituer. »
« C’est ce foisonnement constant qui conjure la possibilité d’une prise de pouvoir. C’est ce qui rend impossible qu’une composante de la lutte ne devienne hégémonique, ou qu’un leader détienne entre ses mains la parole et le destin du mouvement. » Les occupants de la zad invoquent le précédent héroïque de la Commune de Paris, cet intervalle de quelques mois, en 1871, durant lequel le peuple de la capitale a cru pouvoir édifier une organisation libérée de l’Etat. Elle fut écrasée par les conservateurs de l’époque appuyée par les Prussiens qui avaient envahi le pays. « Les zad sont aujourd’hui comme autant de communes libres. Et nous affirmons ici que ces communes ne se laisseront plus expulser ».
Car la zad n’est plus seulement à Notre-Dame-des-Landes : elle « est devenue un cri de ralliement qui circule bien au-delà du bocage, et duquel ne cessent de naître des barricades habitables face à ceux qui aménagent nos vies. »
Mais l’urgence, aujourd’hui, reste impérative : « Il faut défendre la zad ». Contre l’attaque toujours possible des forces du pouvoir. Mais aussi « comme possibilité historique, d’ores et déjà devenue contagieuse, qui peut s’actualiser en mille autres endroits, et de mille manières encore. »
Défendre la zad, (Editions de l’Eclat), 48 p., 3 €.
Texte à partager ici : Constellations
Auteur : La Mauvaise troupe. La Mauvaise troupe est un collectif à variables multiples qui s’est constitué à l’occasion de la rédaction du volume Constellations.Trajectoires révolutionnaires du jeune XXIe siècle, paru à l’Eclat en 2014. Le collectif publiera au printemps 2016 chez le même éditeur un nouveau livre : Histoires croisées de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes et de la lutte No-TAV du Val de Suse.
Courte, ramassée, écrite avec une élégance héritée du mouvement situationniste, la brochure raconte le premier acte du renouveau de la lutte. Depuis des années, associations et paysans se battaient avec panache et obstination contre le rouleau compresseur ; mais ils finissaient par s’épuiser devant le mur juridique construit par les bétonneurs. A partir de 2009, des « occupant.e.s » ont commencé à s’installer dans le bocage et à redonner du souffle au combat. Ces forces nouvelles ont pu s’éprouver lors de l’opération policière « César » déclenchée en octobre 2012. Le récit relate ces semaines de bataille inflexible et souple menée par « une communauté de lutte en train de naître », réunissant les occupant.e.s - alias zadistes -, des « habitant.e.s et des paysan.e.s de la zad pour lesquels partir d’ici a toujours été inconcevable » et des militants et voisins, auquels se joignent « des paysans des quatre coins de la région » tandis que « partout en France surgissent plus de 200 comités locaux ».
Le pouvoir recule et le 17 novembre, une joyeuse manifestation de ré-occupation rassemble plus de 40 000 personnes qui, ensemble, créent un nouveau lieu, « la Chat-teigne ».
Le gouvernement est bafoué. « Il est hors de question de laisser un kyste s’organiser, se mettre en place, de façon durable, avec la volonté de nuire avec des moyens parfois dangereux », menace Manuel Valls, alors ministre de l’Intérieur. « Nous mettrons tout en œuvre pour que la loi soit respectée, pour que les travaux puissent avoir lieu ». Et le 23 novembre 2012, la violence policière se déchaîne, qui fera plus de cent blessés ; mais de nouveau, occupants, habitants, voisins résistent, pendant qu’à Nantes, des dizaines de tracteurs de paysans bloquent deux ponts et deux bacs sur la Loire. Le samedi 24, dix mille personnes manifestent à Nantes. Le gouvernement plie, la police se retire.
C’est alors que commence la deuxième époque de la geste des zadistes : pendant encore cinq mois, les gendarmes resteront postés au carrefour stratégique de la zad. Avant de partir, et c’est en avril 2013 que les travaux des champs reprendront, dans l’allégresse, autour du collectif Sème ta zad.
L’enjeu de la bataille devient d’assurer une vie sereine et active sur la zone : « Avec la défaite de César s’ouvre une nouvelle page de la lutte. Pour plusieurs mois au moins, voire plusieurs années, la zone est à nous. Il faut mettre à profit ce temps suspendu, jusqu’à la prochaine tentative de nous transformer en complexe aéroportuaire. Le sentiment grisant de liberté est à la hauteur du défi auquel nous faisons face. Si les flics ont désormais l’ordre de ne plus s’aventurer sur la zone, le pouvoir ne s’évapore pourtant pas. Il se retire pour mieux réajuster le tir et espère que son absence laisse place à un inéluctable chaos à partir duquel légitimer son retour. »
Une nouvelle vie sociale se déploie, et l’on voit apparaître un atelier de couture, un autre de réparation de vélos, une conserverie, une brasserie, une nouvelle boulangerie, un restauroulotte, une meunerie, un espace d’écriture et d’enregistrement de rap, une salle de danse et des cours d’autodéfense.
Paysans et zadistes apprennent à travailler ensemble, des assemblées générales se réunissent régulièrement, un « non-marché » se met en place. Surtout, les tensions qui pouvaient exister au départ entre « citoyennistes » - les militants historiques – et les nouveaux occupants s’apaisent, à mesure que chacun apprend à comprendre l’autre, et à chercher l’accord, qui est essentiel pour la victoire.
Mais l’ambition va au-delà de la survie et de la stratégie. La zad est un lieu d’expérimentation, de renouvellement, d’invention, d’émancipation. « Il ne s’agit plus seulement d’affronter le pouvoir sous sa forme la plus visible, mais de se battre contre ce qui s’est niché au plus profond de nos êtres. Il y a toujours, en nous tous, quelque chose de ces individus séparés, engoncés dans leurs identités sociales, culturelles, politiques. La mise en échec d’un dispositif policier ne suffira jamais à détruire ce qui nous tenaille encore de consumérisme, de dépendances dévastatrices, de préjugés, de sexisme ordinaire... Comment nous délester de l’habitude lâche de vouloir tout déléguer, qui cohabite si bien avec l’ambition néfaste de vouloir tout contrôler ? Les conflits qui naissent dans le bocage, qu’ils portent sur l’usage d’un bien commun, sur un désaccord politique ou sur une agression physique, ne sont pas fondamentalement différents de ceux qui animent n’importe quel quartier ou village. Sauf qu’il n’y a plus ici d’instance supérieure et hégémonique pour arbitrer et intervenir. Nous devons alors prendre à bras-le-corps des enjeux complexes que nous nous empressons d’ordinaire de taire ou de confier à une quelconque institution spécialisée : police, justice, hôpital psychiatrique, conseil municipal, chambre d’agriculture... ».
Le projet de la zad est politique. « L’autonomie, telle qu’elle s’expérimente dans ce bocage, ne peut être réduite à sa dimension matérielle ou alimentaire. L’autarcie n’a pour nous rien de désirable. Ce dont il est question ici, c’est d’autonomie politique. Ce que nous inventons à tâtons, c’est la capacité collective à définir nous-mêmes nos propres règles. Mais la façon dont elles s’établissent et évoluent au rythme de notre vie commune tient plus des us et coutumes que des lois écrites de la République. La légitimité sur laquelle elles s’appuient est celle du vécu, de l’expérience, et ne relève pas d’une quelconque transcendance – intérêt général incarné par l’État, marché ou volonté divine. Dans la brèche ouverte par le repli du pouvoir, s’engouffrent une multiplicité d’espaces de décision, d’organisation et de délibération autonomes qui viennent progressivement le destituer. »
« C’est ce foisonnement constant qui conjure la possibilité d’une prise de pouvoir. C’est ce qui rend impossible qu’une composante de la lutte ne devienne hégémonique, ou qu’un leader détienne entre ses mains la parole et le destin du mouvement. » Les occupants de la zad invoquent le précédent héroïque de la Commune de Paris, cet intervalle de quelques mois, en 1871, durant lequel le peuple de la capitale a cru pouvoir édifier une organisation libérée de l’Etat. Elle fut écrasée par les conservateurs de l’époque appuyée par les Prussiens qui avaient envahi le pays. « Les zad sont aujourd’hui comme autant de communes libres. Et nous affirmons ici que ces communes ne se laisseront plus expulser ».
Car la zad n’est plus seulement à Notre-Dame-des-Landes : elle « est devenue un cri de ralliement qui circule bien au-delà du bocage, et duquel ne cessent de naître des barricades habitables face à ceux qui aménagent nos vies. »
Mais l’urgence, aujourd’hui, reste impérative : « Il faut défendre la zad ». Contre l’attaque toujours possible des forces du pouvoir. Mais aussi « comme possibilité historique, d’ores et déjà devenue contagieuse, qui peut s’actualiser en mille autres endroits, et de mille manières encore. »
Défendre la zad, (Editions de l’Eclat), 48 p., 3 €.
Texte à partager ici : Constellations
Auteur : La Mauvaise troupe. La Mauvaise troupe est un collectif à variables multiples qui s’est constitué à l’occasion de la rédaction du volume Constellations.Trajectoires révolutionnaires du jeune XXIe siècle, paru à l’Eclat en 2014. Le collectif publiera au printemps 2016 chez le même éditeur un nouveau livre : Histoires croisées de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes et de la lutte No-TAV du Val de Suse.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire