Source : Telerama
De l’insoumission et de l’adaptation. Le film mi-fiction, mi-docu de René Vautier, “Avoir vingt ans dans les Aurès”, qui fit scandale en 1972, vient d’être restauré et réédité en DVD.
Au départ c’est un livre : Le Désert à l’aube. En 1956, l’auteur, Noël Favrelière, est rappelé en Algérie dans un régiment de parachutistes. Refusant d’exécuter un prisonnier lors d’une « corvée de bois », il va déserter et, avec lui, fuir dans le désert et rejoindre les rangs de l’ALN. Un peu moins d’un an plus tard, il gagnera la Tunisie puis les Etats-Unis.
Condamné deux fois à mort par contumace par les autorités françaises, il ne rejoindra la France qu’en 1966, une fois blanchi. Publié en 1960 par les éditions de Minuit (réédité en 2001), Le Désert à l’aube sera interdit moins d’une semaine après parution. Ce livre, témoignage qui fit date dans la littérature portant sur la guerre d’Algérie, fera partie, comme l’indique Anne Simonin (Le Droit de désobéissance : les Editions de Minuit en guerre d’Algérie), des vingt-trois livres de l’éditeur saisis entre 1957 et 1962, aux côtés de La Questiond’Henri Alleg, du Déserteur de Maurienne (de son vrai nom Jean-Louis Hurst) ou de Notre guerre de Francis Jeanson.
Et il attira aussi l’attention sur le sort des 15 000 insoumis, déserteurs et objecteurs de conscience sur les 1 200 000 français appelés en Algérie (voir la thèse de Tramor Quemeneur : Une guerre sans "non" ? Insoumissions, refus d'obéissance et désertions de soldats français pendant la guerre d'Algérie, 2007)
Le scénario du film de René Vautier, Avoir vingt ans dans les Aurès, qui vient d’être restauré et réédité dans un coffret qui réunit en quatre DVD plusieurs de ses courts-métrages et documentaires, s’est inspiré de ce livre.
Croix de guerre et cité à l’ordre de la nation pour son action dans la Résistance alors qu’il était encore un lycéen de quinze ans, René Vautier, après un passage à l’IDHEC, a filmé différents conflits en France puis en Algérie à partir de 1953, convaincu de l’inéluctabilité de l’indépendance que l’on devait accorder aux trois départements. Il rejoint les maquisards algériens en 1957 et tourne Algérie en flammes, film qui donne la parole aux Algériens.
Mais réalisateur communiste et français lui vaut d’être retenu pendant vingt-cinq mois dans une prison par les indépendantistes algériens. Revenu en France en 1966, il monte l’Unité de Production Cinématographique Bretagne (UPCB) en 1972, tourne son long-métrage Avoir vingt ans dans les Aurès. « J’avais enregistré des centaines d’heures de témoignages d’appelés pour bâtir le scénario du film, explique-t-il dans le livret du DVD. Théoriquement, il nous fallait sept à onze semaines pour tourner le film, mais avec l’argent dont nous disposions, nous n’avons pu tourner qu’une semaine. Donc on s’est arrangé pour trouver une forme d’improvisation chez les acteurs (ndlr : Alexandre Arcady, Philippe Léotard, Jacques Chancelier, Jean-Michel Ribes, Alain Scoff, Michel Elias, Yves Branellec, Philippe Brizard, Hamid Djellouli, Jean-Jacques Moreau, Alain et Pierre Vautier) à partir des textes qu’ils entendaient, des souvenirs des gens qui racontaient leur vécu pendant la guerre d’Algérie. Les acteurs devaient, à partir de là, imaginer ce qu’ils auraient fait eux, et ils ont joué un petit peu comme de la commedia dell’arte, qui était aussi un petit peu le type d’invention du cinéma néoréaliste italien ».
Le film, sélectionné à Cannes reçut le prix international de la critique en 1972. Les projections ultérieures, jusque dans les années 90, seront l’objet de manifestations violentes menées par le Front national.
Avoir vingt ans dans les Aurès évoque l’aventure d’un groupe de rappelés insoumis antimilitaristes bretons qui n’ont guère envie de servir dans la guerre d’Algérie. Ils sont pris en mains par un jeune lieutenant parachutiste incarné par Philippe Léotard. Celui-ci les fait crapahuter dans le massif des Aurès, partage tout avec eux et, lors des premiers combats et embuscades, le groupe se soude, chacun devenant peu à peu embarqué dans la simple équation : je tue des fellaghas pour ne pas être tué et je tue pour venger mon camarade.
Au début, ils ne pensent qu’à « la quille bordel ! » mais peu à peu, dans le commando de chasse qu’ils forment, ils deviennent des soldats ordinaires dont l’action se résume par ce que dit l’un d’eux : « Au début on tire n’importe où parce qu’on a la trouille. Et après, on vise et on y prend goût ». Un seul d’entre eux choisira de déserter avec le prisonnier fellagha qu’il devait exécuter lors d’une « corvée de bois ».
Film de fiction qui est aussi un documentaire, il inaugure les recherches qui seront menées par la suite, après les livres d’Yves Courrière, sur la « sale guerre », le sort des appelés et les activités de l’armée française, par des historiens comme Benjamin Stora et ensuite par Raphaëlle Branche (La Torture et l’armée pendant la guerre d'Algérie, 1954-1962, Gallimard, 2001) ou Sylvie Thénault.
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