Autogestion : Essai de définition
A
partir des travaux de Suzy Canivenc et d’Ingrid Leruth, quelques
tentatives de définition l’autogestion, qui s’inspirent d’écrits
théoriques rédigés principalement dans les années 70 (Bourdet,
Castoriadis, Fay, Guillerm, Rosanvallon, etc.) ou les années 60 pour
Henri Lefebvre.
L’autogestion
est un terme assez récent même s’il a traversé l’histoire de
l’émancipation humaine : la Commune, les soviets, les collectivisations
d’Aragon et Catalogne en 1936, Lip et bien d’autres exemples (que je
vais évoquer).
Pour
Henri Lefebvre (1966), « L’autogestion est à la fois un moyen de luttes
frayant un chemin et un moyen de réorganisation de la société. Elle est
également une culture irriguant la conscience collective ».
L’autogestion est à la fois une approche théorique pour approfondir la démocratie et des pratiques de démocratie directe.
Etymologiquement,
le terme « autogestion » vient du grec "autos", qui signifie soi-même,
et du latin "gestio", action de gérer, d'administrer, l’autogestion signifie donc « la gestion par soi-même, ce
qui implique [….] donc la possibilité pour les individus de s’organiser
collectivement tant dans la vie sociale que dans l’appareil productif »
(V.Fay-1996).
Une organisation autogérée est ainsi une organisation où « toutes les décisions sont prises par la collectivité
qui est, chaque fois, concernée par l’objet de ces décisions.
C’est-à-dire un système où ceux qui accomplissent une activité décident
collectivement ce qu’ils ont à faire et comment le faire » (C.
Castoriadis-1979).
« L’autogestion est donc surtout la réappropriation de la décision par ceux qui auront à exécuter et mettre en œuvre cette décision.
Pourtant, pour beaucoup, l’autogestion se limite à la simple
réappropriation des moyens de production par les travailleurs. Mais
l’autogestion ne peut se réduire à la simple propriété collective. Sa
mise en pratique et les conséquences qui en découlent sont en effet
beaucoup plus larges » (Canivenc-2010).
Pour Henri Arvon (1980), le terme « autogestion » serait « mal approprié »
et les termes anglo-saxons « self-government » et « self management »
semblent beaucoup plus adéquats pour désigner ce modèle d’organisation
particulier en élargissant son domaine d’application de la simple dimension économique à sa dimension politique.
En se replaçant sur le terrain politique, l’idée d’autogestion acquiert ainsi un contenu beaucoup plus large
en proposant de « créer un autre sens du mot politique : à savoir la
prise en main, sans intermédiaires et à tous les niveaux, de toutes les
affaires par tous les hommes » (Guillerm et Bourdet-1975). C’est
par cet ancrage politique même que l’autogestion se distingue de « la
participation, du contrôle ouvrier et des coopératives [qui] ne
concernent guère que la production et l’économie » (Bourdet et Guillerm-1977).
Il
s’agit d’un « mouvement qui vise à transformer la société et plus
précisément à supprimer radicalement la société de classe en instaurant
un système social qui s’organise sans créer de coupure entre dirigeants
et exécutants » (Bourdet-1970).
L’utopie
autogestionnaire « ne conteste pas seulement une société dont la classe
des capitalistes privés aurait été supprimée mais toute organisation
sociale » (Bourdet-1970).
Le principe de base de l'autogestion est la recherche de consensus.
Les règles sont fixées par les personnes concernées. Si la prise de
décisions peut prendre plus de temps, elles seront plus facilement
acceptables.
Pour Pierre Rosanvallon (1976), selon les langages utilisés, l’autogestion recouvrerait un aspect polysémique (c'est-à-dire différentes significations) :
* le langage technocratique
présente l’autogestion comme un modèle de gestion décentralisée des
entreprises, visant à réaliser une direction participative par les
travailleurs ;
* le langage libertaire réalise une totale démocratie directe, par opposition à toutes les formes de représentation et de délégation ;
* le langage communiste prône une société égalitaire par la suppression de la division des classes et de toute forme de domination ;
* le langage conseilliste défend l’organisation de la société sans Etat, dans laquelle des conseils de travailleurs exerceraient le pouvoir ;
* le langage humaniste valorise l’appropriation de comportements sociaux empreints d’altruisme, de dévouement au groupe social.
Enfin, Philippe Brachet (2004) définit l’autogestion comme « cette
idée-force apparemment simple qui désigne une société qui se gérerait
elle-même, c’est-à-dire dans laquelle le pouvoir serait devenu une
fonction assumée par la société dans son ensemble et non plus incarnée
par l’Etat comme appareil qui, issu de la société, la domine, la surplombe comme de l’extérieur, institutionnalisant la domination politique ».
Une fois, ces essais de définition posés, que peut-on retenir ?
D’abord, l’autogestion n’est pas destinée à adoucir les maux de notre société mais elle implique un changement radical et l’instauration d’une autre manière de vivre en commun, entièrement nouvelle.
L’autogestion se situe t-elle avant ou après la révolution ? Ni avant, ni après, elle est elle-même la Révolution. (Bourdet-1970)
Il s’agit donc moins de prendre le pouvoir que de le détruire
et de créer des institutions qui instaureraient un ordre pour lequel
les notions de dirigeants et d’exécutants n’auraient plus de raison
d’être.
L’autogestion est une autre organisation nationale (ou une fédération de nations à vocation mondiale) qui supprime le capitalisme et l’étatisme
au profit d’un ensemble autogéré de coopératives égalitaires associées
selon un plan élaboré par la somme des besoins et des désirs.
Alors
que la participation, le contrôle ouvrier et les coopératives ne
concernent guère que la production, l’autogestion est une transformation
radicale, non seulement économique, mais politique,
en ce sens qu’elle détruit la notion commune de politique : à savoir la
prise en main, sans intermédiaire et à tous les niveaux, de toutes
leurs affaires par tous les hommes et les femmes.
L’autogestion
doit être comprise dans un sens généralisé et elle ne peut se réaliser
que dans et par une révolution radicale, qui transforme complètement la
société sur tous les plans, dialectiquement liés, de l’économie, de la
politique et de la vie sociale.
Sources :
Arvon Henri, « L’autogestion », Presses Universitaires de France, Paris, 1980.
Bourdet Yvon, « La délivrance de Prométhée, pour une théorie politique de l’autogestion », Editions Anthropos, Paris, 1970.
Bourdet Yvon, « Pour l’autogestion », Edition Anthropos, Paris, 1974.
Bourdet Yvon et Guillerm Alain, « L’autogestion », Editions Seghers, Paris, 1975.
Bourdet Yvon et Guillerm Alain, « Clefs pour l’autogestion », Editions Seghers, Paris, 1977.
Brachet
Philippe, « L’autogestion, utopie nécessaireau XXIème siècle », Adels
:Colloque « Autogestion,que reste-t-il de nos amours », décembre 2004.
Canivenc Suzy (2010) « Mais au fait, c’est quoi l’autogestion (2)- Définition générale du terme », consultable sur :
Castoriadis
Cornélius, « Autogestion et hiérarchie », Editions grain de sable,
Extrait de Le contenu du socialisme, Paris : Éditions 10/18, 1979.
Collectif Lucien Collonges, « Autogestion hier, aujourd’hui, demain », Paris, Syllepse, 2010.
Fay Victor, « L’autogestion, une utopie réaliste », Paris : Editions Syllepse, 1996.
Lefebvre Henri, « Problèmes théoriques de l’autogestion », Revue Autogestion, N°1, Décembre 1966.
Leruth Ingrid, « L’autogestion, ses sens, ses sources », Santé conjuguée, Juillet 2008, N°45. Consultable sur : http://www.maisonmedicale.org/L-autogestion-ses-sens-ses-sources.html
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